Chapitre vingt-trois : With you till the End

https://youtu.be/eT_wKFBgYlo

« I see it in your eyes
You're losing all your light
Each day feels longer than the day that came before »


Depuis son retour, Éloi avançait dans les couloirs du lycée en retrouvant son mutisme d'antan. Il portait ses écouteurs et ignorait presque toutes les personnes qu'il avait appris à fréquenter avec Sören.

Il ne voulait pas expliquer ce qu'il traversait et ne voulait certainement pas leur raconter le départ de son petit ami.

Marlène, Paul et Mina étaient restés dans le brouillard durant quelques jours. Ils avaient fini par apprendre, par le biais d'un enseignant, que Sören avait été déscolarisé et qu'il était retourné vivre en Angleterre. Choqués, ils avaient alors mieux compris pourquoi le châtain n'avait jamais répondu au téléphone, ni à aucun mail.

Marlène avait confronté plusieurs fois Éloi sur cette question. Au début, elle n'avait rencontré que sa froideur et son refus de discuter. Puis, au bout de quelques jours, il l'avait envoyée voir ailleurs sans aucune douceur en lui confirmant que Sören n'était plus là et qu'il ne reviendrait pas. Puis, il lui avait demandé de lui foutre la paix et qu'elle cesse de venir l'importuner. La jeune fille, vexée, lui avait rétorqué qu'il était un pauvre con et avait rejoint Mina et Paul, au bord des larmes.

Ainsi, presqu'un mois après les évènements, Éloi rôdait dans les couloirs et dans la cour, refusant de discuter, regardant dans le vide la plupart du temps et se détournant sitôt qu'il croisait des connaissances. En classe, il rendait des copies passables, quand elles n'étaient pas blanches. Il ne participait plus et dormait presque sur la table.

Peu de temps avant les vacances d'avril, il se confronta verbalement à son enseignant de philosophie, lui disant très clairement d'aller se faire foutre après qu'il ait insisté pour qu'Éloi fasse des efforts.

Cette situation fit qu'il se retrouva, le soir venu, embarqué dans un rendez-vous avec son professeur principal et ses parents, prévenus en urgence.

Valentin et Maïwenn arrivèrent tous deux devant le lycée Fanny Raoul juste après la fin des cours. Éloi attendait dans le hall, ses écouteurs sur les oreilles, l'air indifférent. Ils échangèrent un regard inquiet en l'apercevant, regrettant de n'avoir aucune nouvelle des services sociaux anglais concernant Sören. Ils avaient décidé de garder leur contre-attaque secrète, le temps d'avoir plus d'informations. Oskar avait été évasif concernant la potentielle maltraitance de Sören. Il avait simplement consenti à donner l'alerte. Ainsi, Valentin et Maïwenn auraient aimé pouvoir dire à Éloi qu'ils essayaient, ils essayaient vraiment d'aider Sören, mais tandis qu'ils faisaient cela, la situation de leur fils leur échappait des mains.

Ils s'annoncèrent à l'accueil du lycée, informant qu'ils avaient rendez-vous avec M. Picrot. Éloi ne s'approcha pas d'eux, attendant que le temps passe et que l'enseignant arrive. Lorsque ce fut le cas, le professeur d'Histoire leur proposa de les suivre dans une salle plus appropriée à la rencontre. C'était un homme d'une cinquantaine d'années, avec une calvitie prononcée et des cernes bien développées sur un visage convivial.

Les trois Barzh le suivirent et s'installèrent face à l'homme, découvrant pour la première fois ce que cela faisait d'être convoqué dans un établissement scolaire en raison de problèmes de comportement. Éloi avait attendu la fin de la Terminale, c'était tout ce que Valentin pouvait se dire pour se réconforter, tout en croisant les bras et attendant la sentence.

— Bon, commença l'enseignant après avoir sorti un carnet de son sac ainsi qu'un stylo, je ne vais pas vous le cacher, nous sommes étonnement inquiets pour Éloi.

Si le brun avait pu dégager des ondes négatives et les rendre visibles, ils seraient actuellement tous plongés dans l'obscurité.

— Le dossier est impeccable depuis tant d'années que je ne suis pas particulièrement stressé pour son orientation. Celle-ci se base principalement sur les deux premiers trimestres, et même si on peut observer une baisse sur le dernier mois du second trimestre, les résultats n'ont pas été grandement impactés. En revanche, le troisième commence extrêmement mal.

Les parents Barzh ne dirent rien, ayant eu le bonheur de voir les notes en ligne et de recevoir des mails inquiets de l'équipe pédagogique. Comment ça ? Éloi Barzh a de mauvais résultats, que se passe-t-il ?

— Sa moyenne générale est de 6,45. Autant vous dire que c'est un non-sens.

— Six de moyenne sans rien faire, c'est presque une prouesse, non ? demanda Valentin sur un ton qui se voulut drôle.

La blague échoua lamentablement. Il eut envie de se gifler.

Depuis qu'il était assis, il secouait nerveusement ses jambes. Éloi le glaçait et l'horripilait en même temps.

— D'autres choses m'inquiètent encore davantage que cette baisse momentanée des résultats.

L'enseignant appuya bien sur l'adjectif tout en regardant Éloi. Ce dernier avait simplement la tête baissée dans un profond ennui.

— Premièrement, votre fils s'isole totalement de ses camarades. Nous avons connaissance du parcours compliqué d'Éloi et l'ensemble de ses professeurs étaient ravis de le voir créer du lien avec d'autres camarades. À n'en pas douter, la présence de Sören lui était bénéfique, et nous nous doutons que le départ soudain de ce dernier a beaucoup bousculé Éloi.

Les yeux du brun se relevèrent doucement vers son prof. Il venait de toucher plusieurs cordes sensibles, particulièrement sensibles. Ce terrain était glissant.

— En revanche, il avait, ou a, d'autres amis. L'an dernier, nous avons fait en sorte de maintenir l'ensemble du groupe dans la même classe à votre demande, ainsi, j'aimerais comprendre pourquoi Éloi s'éloigne de ses amis. Et je voudrais lui conseiller de renouer avec eux. Honnêtement, de ce que je vois, les trois élèves auxquels je pense sont très affectés par ce rejet soudain.

— Merci Sherlock, j'ai déjà des psys pour me dire tout cela, cingla Éloi dans la seconde.

— Deuxièmement, reprit l'enseignant, on vient d'en avoir la démonstration à l'instant, on rencontre un problème... inattendu ? Inapproprié ? En tout cas, absolument surprenant de la part de votre fils...Cet après-midi, il a eu une altercation assez dure avec son enseignant de philosophie et...

M. Picrot s'interrompit et déposa une copie d'une fiche d'incident sur le bureau, face aux deux Barzh.

— Et, reprit-il, cela s'est suivi d'une dispute tout aussi rude avec la CPE. Deux événements qui font écho à d'autres insolences observées au cours du mois et qui, cette fois-ci, ne peuvent plus passer inaperçues. C'est pour cela que je vous ai faits venir de manière aussi rapide.

Un lourd silence s'installa dans la pièce. Ni Valentin, ni Maïwenn n'avaient de compétences dans ce domaine. Ils eurent une profonde compassion envers les parents qui devaient se confronter à des adolescents difficiles, en permanence.

— Il va y avoir des conséquences ? demanda finalement Mme Barzh, encore abasourdie.

— Le dossier d'Éloi est complexe, comme je vous le disais. À vrai dire, je voudrais que l'on parle de tout cela une bonne fois pour toutes et qu'on découvre un peu ce qu'en pense votre fils.

— T'as quelque chose à dire pour te justifier ? demanda Valentin en se tournant vers le garçon.

— Tss...

Éloi ignora son père, commençant à bouillir.

— Tu fais la gueule, mais en fait, c'est plutôt nous qui devrions te faire la gueule. Depuis quand tu te comportes comme ça au lycée ? C'est pas toi, ça, Él ! Sérieusement !

— Éloi, reprit l'enseignant avec un ton doux censé apaiser la conversation, tu n'as pas d'ennemis ici, et nous sommes vraiment abasourdis par ton changement brusque. Je te parle au nom du lycée, nous cherchons à t'aider.

Le brun ne put retenir un éclat de rire qui aurait pu être sincère s'il n'était pas éclipsé par un astre de sarcasme.

— Eh bien, peut-être que le lycée aurait pu commencer par s'occuper de son cul avant de venir foutre la merde dans la vie de mon copain, et dans la mienne par la même occasion !

M. Picrot retint un soupir de soulagement. Voilà, se dit-il, on touche au but.

— Explicite ta pensée.

— Vous me dites qu'il n'y a pas d'ennemis ici, alors qui a osé se planter de responsable légal pour Sören et appeler son connard de père plutôt que son oncle ? Qui a osé balancer à ce même connard que Sören était gay ? Hein ? Qui ? Si ce n'est ce putain de lycée qui veut aider ?!

Éloi cria les derniers mots, les crachant presque au visage du professeur.

— Nous y voilà... Il faut que tu saches, Éloi, que l'administration est en droit d'appeler le responsable légal officiel d'un élève, y compris lorsqu'il réside chez quelqu'un d'autre. Ici, on parle d'une vidéo qui s'est transférée de mails en mails sur le réseau du lycée. Et M. Rosberg a été appelé en priorité parce que son fils est mineur, or, le contenu de la vidéo était, a priori, assez explicite.

Valentin se mortifia sur sa chaise. Certes, il en avait entendu parler, mais c'était un sujet qu'il ne voulait pas aborder. La sexualité de son fils lui paraissait absolument tabou.

— On dansait, répliqua Éloi. C'était une danse. Certes, on s'embrassait dessus, mais sur cette vidéo il n'y avait qu'une simple danse. C'est parce qu'on est deux mecs que ça a fait le tour de l'ENT et que cette administration homophobe a appelé. Les émetteurs auraient dû être mis en torts, certainement pas Sören et moi.

— Les émetteurs ont été convoqués et sanctionnés pour cela. Est-ce que toi ou Sören l'avaient été ? Est-ce que vous avez été collés ou renvoyés pour cela ?

Éloi resta silencieux. Il ne voulait rien reconnaître en dehors de l'outrage grossier du lycée.

— Alors ? insista M. Picrot.

— Non.

— Dans ce cas, est-ce que cela mérite que tu sois en colère contre tous tes profs ? Est-ce que l'un d'entre nous a déjà eu des propos désobligeants sur toi et ton petit ami ?

— Non, souffla Éloi.

— Est-ce que cela mérite que tu rendes des copies blanches et que tu rates ta fin d'année, voire, potentiellement, que tu sois suffisamment têtu pour faire n'importe quoi lors des épreuves du bac ?

Le jeune homme ne répondit pas.

— Vue ton silence, je comprends que nous sommes d'accord sur le fait que ta scolarité n'a absolument rien à voir avec cette affaire. Que tu en veuilles à l'administration, je l'entends, et bien qu'elle n'ait pas agi en faisant une erreur, je m'excuse de sa part et je suppose que d'autres moyens plus adaptés devraient être trouvés pour gérer des événements comme ceux-là. En revanche, je veux récupérer l'élève que j'ai été si heureux de découvrir en septembre, c'est-à-dire un élève sérieux, ambitieux et respectueux.

Éloi ne sut pas quoi dire. Il sentit sa gorge se serrer et n'eut pas envie que cela s'entende. Il laissa quelques secondes flotter puis essaya de se recomposer un ton.

— Tout ce que je peux vous dire, finit-il par exprimer avec une voix malgré tout chevrotante, c'est que le lycée ne nous a peut-être pas sanctionnés pour cette vidéo, mais le lycée est quand même responsable du départ de Sören. Le lycée est responsable de ne pas avoir protégé un fils de son père homophobe et c'est inexcusable.

Plusieurs larmes lui échappèrent des yeux. Il les balaya d'un geste brusque puis se pencha vers son enseignant :

— Ok, je vais redevenir cet élève si « merveilleux » parce que vous avez raison, flinguer ma scolarité pour une institution irresponsable, ça n'a pas de sens. Je vais faire le minimum pour que vous soyez tous satisfaits et qu'on ne m'emmerde plus. Maintenant, si vous le voulez bien, j'ai besoin de prendre l'air.

Il n'attendit pas qu'on l'y autorise, contrairement à ce que ses mots disaient. Éloi se leva, ramassa son sac et sortit de la salle de réunion assez brusquement. Il ignora totalement ses parents et s'en alla vers l'arrêt du bus aussitôt à l'extérieur. Clairement, rentrer avec eux ne l'enchantait pas et ce rendez-vous avait remué suffisamment d'émotions en lui pour l'instant.

Restés dans la salle, Valentin et Maïwenn se sentirent impuissants.

— Bon, une bonne chose de faite, non ? leur demanda M. Picrot. Je vais écrire à l'équipe et je demanderai à Éloi de s'excuser auprès de son enseignant et de la CPE. Je pense que cela devrait suffire pour terminer correctement l'année.

— Vous avez fait davantage parler notre fils en quinze minutes que nous en un mois, avoua Valentin, assommé par le rendez-vous.

— Hélas, je doute vous avoir été d'une grande aide. Je pense que scolairement et auprès de mes collègues, les meubles sont sauvés, mais Éloi est torturé. On n'a pas les compétences pour le soutenir davantage, et je le regrette...

— C'est à nous de gérer... On est désolés, en tout cas, que notre fils ait posé problème ces derniers temps. On est encore plus démunis que vous là-dessus, expliqua Maïwenn. Et je suis navrée que nous ne soyons pas intervenus durant l'entretien.

— Quand j'ai vu qu'ils vous écouterez encore moins que moi, j'ai été heureux de vous voir lui laisser cet espace pour s'exprimer, tout en en étant témoins. Honnêtement, ce rendez-vous me rassure et j'espère que votre fils se sentira vite mieux. Tenons-nous au courant.

Sur ces mots, M. Picrot se leva et serra la main aux deux parents. Ils se remercièrent une dernière fois et lorsque Valentin et Maïwenn sortirent du lycée, ils ne cherchèrent pas Éloi. Ils savaient qu'il ne les aurait pas attendus.

***

Durant la semaine qui suivit, Éloi se concentra sur ses cours sans enthousiasme. Il rattrapa ses erreurs et demanda à ses enseignants des travaux supplémentaires pour rattraper les premières notes du trimestre. Certains d'entre eux acceptèrent, connaissant le chemin houleux d'Él, mais d'autres décidèrent qu'il n'avait pas à bénéficier d'un traitement de faveur et qu'il n'avait qu'à assumer ses erreurs.

Il ne leur en tint pas rigueur.

Avec intelligence et sans trop s'étendre sur le sujet, il s'excusa, comme M. Picrot lui avait demandé, auprès de l'enseignant de philosophie et de la CPE. Cela se passa correctement et le jeune homme revint dans les bonnes grâces des personnes concernées.

Quant à l'administration, Él leur demanda un rendez-vous sans ses parents, afin de s'expliquer avec eux et leur dire ce qu'il avait sur le cœur. Cela ne fut pas accepté et il eut presque envie d'en rire. Visiblement, même en fin de parcours scolaire, la parole d'un élève n'avait toujours pas assez de poids pour peser sur la balance argumentative. Est-ce qu'un jour l'éducation nationale arrêterait de hiérarchiser les humains pour simplement apprendre à entendre que les adolescents aussi avaient des critiques à apporter ? Ou seule une partie du personnel à leur contact direct parvenait à se souvenir qu'ils avaient un esprit non négligeable ?

Éloi reprit ses habitudes de l'an dernier assez rapidement, malgré son cœur qui saignait chaque jour de voir la place à côté de lui ne pas être occupée par Sören. C'était une souffrance qu'il n'encaissait pas. Et il se disait que son petit ami, lui, devait souffrir encore davantage. Non seulement la séparation l'atteignait sans doute autant que lui, mais en plus, il se retrouvait face à ses prédateurs. Il vivait avec l'un d'eux. Quant à l'autre... Éloi ne savait même pas quoi en penser. Sören lui avait juré que son grand-père ne l'avait plus jamais touché depuis ses quinze ans, mais il ne savait pas si cette information était assez rassurante.

Au fil des jours, en voyant qu'Él se radoucissait, Marlène commença à envisager de lui reparler. Elle en avait longuement discuté avec leur groupe d'amis. Ainsi, tous attendirent une pause du midi pour suivre Éloi à l'extérieur du lycée. Depuis quelques jours, le brun sortait manger dans un parc en face de l'établissement, à l'ombre des arbres. Il s'y reposait, écoutait de la musique et faisait passer le temps.

Ce midi-là, lorsqu'Éloi vit Marlène et ses anciens amis s'approcher, il resta de marbre. Il n'avait pas envie de s'énerver mais il ne voulait pas non plus qu'on vienne le voir. Tout était tellement compliqué en ce moment, il n'avait pas d'énergie pour eux.

Le groupe se stoppa à quelques mètres de lui. Certains d'entre eux le regardèrent directement, avec une insupportable tendresse ; d'autres regardèrent leurs pieds, patientant sagement qu'un dialogue s'installe. Ce fut Marlène qui prit la décision de rejoindre Éloi. Debout face à lui, qui était encore assis, elle lui demanda si elle pouvait s'installer à ses côtés pour discuter.

— Je préférerais rester tranquille, merci, répondit Éloi en essayant de ne pas être trop méchant.

— C'est pas satisfaisant.

Marlène était plus piquante. Elle fronça les sourcils et s'installa par terre, sur ses talons. Éloi n'aimait pas qu'elle s'impose ainsi.

— T'es injuste, lui dit-elle, je te trouve vraiment injuste.

— Si je t'agace, pourquoi venir me voir ?

— On n'est pas cons, tu sais. Tu souffres du départ de Sören et je peux totalement le comprendre. En revanche, je te trouve particulièrement égoïste de croire que tu es le seul à être triste. Et ça, ça n'est que le premier reproche que j'ai à te faire.

— Super. Tu veux que j'appelle un avocat et qu'on monte un tribunal en vitesse ? ironisa Éloi.

— Écoute-la au moins, intervint Paul en se plaçant derrière Marlène.

Éloi soupira et se leva, décidé à se déloger de sa cachette pour en trouver une meilleure. Il rangea ses affaires dans son sac et le jeta sur son épaule. Son ancienne amie se mit debout à son tour et tous trois se jaugèrent. Paul et Marlène semblèrent plus tristes qu'en colère, ce qui troubla le brun. Il ne parvint pas à soutenir leurs regards.

— Écoutez, vous êtes bien sympas, mais je pensais avoir été clair la dernière fois. Je suis très bien tout seul, comme je l'ai toujours été.

— Parce que tu te sens bien ? demanda Marlène.

La question n'appelait aucune réponse. Bien sûr qu'Éloi n'allait pas bien. Ses yeux se tournèrent vers l'entrée du parc qui menait au lycée. Il avait envie de s'enfuir.

— La deuxième chose que j'ai à te dire, reprit la jeune fille, c'est que ton comportement est nul. En un an, on est tous devenus tes amis. Même si Sören était le plus important pour toi, t'as pas le droit de nous jeter comme tu le fais depuis mars. Ou alors, tu nous fréquentais par pitié, parce que Sören nous appréciait et dans ce cas, notre amitié n'avait aucune importance pour toi.

— On va dire ça.

Marlène s'approcha de lui et se plaça à quelques centimètres de son visage.

— Ok, bah, regarde-moi et assume de me le dire.

— Non, c'est bon.

— Éloi, on est tes amis. On sait que tu ne vas pas bien, on le voit. On sait même beaucoup de choses depuis un certain temps. On connaît ton histoire. On a fini par le découvrir. Et on aimerait bien que tu comprennes que tu n'es pas seul, et que tu as des amis ici, des amis qui tiennent à toi parce que...

— S'il-te-plaît, arrête, la coupa-t-il.

Éloi n'osait toujours pas la regarder. Il se massa le front d'une main, sentant qu'il n'en menait pas large durant cette confrontation.

— Parce que tu es attentionné, intelligent, et toujours investi. On a appris à te connaître et ça nous blesse que tu nous tournes le dos ainsi, comme si toutes les journées passées ensemble n'avaient pas d'importance. Alors que c'est faux, tu te prives tout seul de personnes auxquelles tu es attaché et même si tu me regardais droit dans les yeux pour me dire que nous ne comptons pas, je continuerais d'insister jusqu'à ce que tu nous laisses revenir dans ta vie, parce que je saurais que tu mens. On n'est pas Sören, c'est sûr, mais on est tes amis et j'ai envie de te serrer contre moi parce que tu es triste et que tu me manques...

Éloi se recula. Son dos heurta doucement l'arbre sous lequel il était assis quelques minutes plus tôt. Les mots de Marlène l'atteignaient et le bousculaient. Pourquoi voulait-il être seul ? Lui-même n'en avait aucune idée. Il était en colère après le monde entier, mais ses amis ne lui avaient rien fait de mal. Il se punissait pour rien. Et en même temps, se rapprocher d'eux sans Sören lui brisait le cœur. Il aimerait entendre le rire de l'anglais, ses blagues et marcher dans la rue en le tenant par la main tout en regardant Marlène et Paul en faire de même. Il avait envie de s'asseoir dans un café avec Gaël ou Adamo pour parler de science-fiction et de fantasy tout en entendant Sören se plaindre de ne rien y connaître. Et les conseils de Mina lui manquaient aussi.

En repensant à tout cela, il sentit ses lèvres trembler et les larmes lui monter aux yeux. Sören lui manquait tellement, mais tellement, et leur dynamique de groupe aussi. Eux qui ne l'avaient jamais confronté sur son passé, qui n'avaient jamais posé de questions, dont il ignorait même s'ils connaissaient la vérité.

Visiblement, c'était le cas maintenant. Ils savaient.

Marlène vint devant lui et posa une main sur l'épaule du garçon. Il frémit mais ne bougea pas. Personne ne l'avait touché ainsi depuis qu'on lui avait arraché Sören.

— J'ai trop mal, murmura-t-il en regardant enfin Marlène dans les yeux.

Elle aussi était proche des larmes.

— Je sais... Mais nous aussi on peut t'aider, on peut être là pour toi comme toi tu peux l'être pour nous. Parce qu'on est tous amis.

— Il était le seul à tout comprendre... répondit-il en sentant des larmes lui échapper. Il était le seul à tout savoir, et j'étais le seul à connaître son passé aussi. Il m'a rendu mon intégrité Marlène, tu peux pas comprendre...

— Je peux pas comprendre, mais je peux au moins essayer de le faire...

— Non, je te jure, tu peux pas, c'est trop... C'est tellement lourd à porter, tout ça.

Il plaqua ses mains sur son visage et sentit tous ces cauchemars remonter à la surface. Tous ces horribles rêves qu'il avait faits les dernières semaines et qui le hantaient, même quand il était réveillé.

On le brusquait, l'arrachait, le cassait. On le broyait. Sans cesse. Il avait mal et il ne parvenait plus à entendre autre chose que Sören crier et il le voyait dans cette foutue cave. Et tandis qu'on lui transperçait les mains, Sören tapait contre un mur invisible, incapable de le rejoindre et de le protéger. Et Éloi appelait à l'aide sans que personne ne puisse venir le sauver.

Doucement, il glissa le long de l'arbre mais Marlène l'attrapa et le tira vers elle. Elle se colla contre lui et murmura des mots tendres. Éloi se recroquevilla entre les bras de son amie. Il ne pouvait pas rendre cette étreinte, c'était au-dessus de ses forces. Il ne pouvait que pleurer et crier entre deux sanglots qu'il avait mal, que Sören avait réparé son corps, que Sören avait soigné les tortures dont il avait été victime, qu'il avait touché ses cicatrices et qu'il lui avait montré comment faire l'amour. Il lui avait montré qu'un acte intime était beau et ne faisait pas mal. Ils s'étaient offert leurs corps, confiants, profondément liés l'un à l'autre par des secrets.

Éloi n'entendit pas Marlène se mettre à pleurer à son tour en le serrant de plus en plus fort contre elle. Il sentit simplement Mina s'approcher et venir se blottir contre lui aussi. Puis les bras de Paul se posèrent sur eux trois. Leurs autres amis vinrent sous l'arbre et ils se connectèrent tous les uns aux autres pour consoler Éloi.

Maintenant qu'il pleurait, ils ne voulaient plus le relâcher. Ses sanglots étaient douloureux et lourds, difficiles à entendre. Et il parlait de lui, il employait des mots durs pour expliquer qu'il était abîmé.

Tous savaient désormais qu'il avait été kidnappé, mais l'entendre parler de cela, l'entendre dire qu'il avait été battu, violé et torturé, c'était insupportable. Surtout lorsqu'il expliquait à quel point la présence de Sören l'avait fait avancer et retrouver une normalité qu'il pensait ne plus jamais connaître ; à quel point leur amour dépassait l'ordinaire et s'attachait aux parois d'un précipice descendu longtemps auparavant, le sécurisant pour le faire remonter.

Certains lui dirent qu'ils porteraient sa peine avec lui et qu'ils ne le laisseraient pas tomber. Ils l'aideraient à être intègre, à être suffisamment bien. Ils l'aideraient, l'aimeraient, l'aideraient. Ils le soutiendraient.



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Clairement un de mes chapitres préférés ici. J'adore essayer de montrer qu'une personne amoureuse n'a pas à être uniquement guérie par son amant.e, parce que c'est faux (et pas cool de faire porter ce poids à quelqu'un). Certes, j'écris une histoire de dépendance affective, mais mon souhait profond est toujours de montrer que ce sont les autres qui nous sauvent. Toustes les autres.

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