Chapitre vingt-quatre : I Found
« And I've moved further than I thought I could
But I missed you more than I thought I would
And I'll use you as a warning sign
That if you talk enough sense then you'll lose your mind »
Sören s'était levé avec le soleil.
Il dormait peu depuis son retour en Angleterre. Son père s'absentait beaucoup et le laissait enfermé dans leur appartement.
Rarement, il sortait. Jamais seul. Toujours escorté par quelqu'un. Il avait revu ses grands-parents maternels quelques jours après son retour. Son père leur avait demandé de le surveiller durant ses absences et avait révélé toute son histoire avec Éloi qui fut immédiatement désapprouvée. Évidemment.
Sören s'était presque pissé dessus en revoyant son grand-père. Il avait tout fait pour ne pas se retrouver une seule fois en sa compagnie sans sa grand-mère ou son père. Malgré tout, l'homme avait fini par lui parler discrètement, à la fin d'un repas, et se moquer de son homosexualité en lui disant que s'il lui manquait, il n'aurait eu qu'à lui demander plutôt que d'aller chercher quelqu'un d'autre. Le soir qui avait suivi cette déclaration, Sören avait vomi à plusieurs reprises dans la cuvette des toilettes. Ses intestins furent si contrariés qu'il resta malade toute la journée qui suivit. Incapable de manger quoique ce soit sans se vider immédiatement. Nils ne s'en était même pas préoccupé, lui reprochant seulement d'être dégoûtant.
Puis, les grands-parents ne revinrent pas. Voyant que Sören se montrait docile, son père avait décidé de le laisser seul dans l'appartement.
C'était un lieu très grand, mais très froid, impersonnel. Aucune photo, aucun souvenir sur les murs, les meubles. Tout semblait être à sa place, comme dans une vitrine de magasin. Le sol était carrelé en gris, les murs étaient blancs, les meubles, noirs. Il n'y avait pas de bibliothèque, donc peu de livres. La télévision avait un code pour s'allumer. Bien qu'il y ait une chaîne hi-fi, Nils n'avait pas de musique. Le seul élément qui clochait dans l'environnement mais qui faisait du bien à Sören, c'était le piano dans la chambre d'ami. Là-dessus, il n'y avait aucun contrôle, simplement de quoi jouer.
L'instrument lui permettait d'échapper à la prison dans laquelle il se trouvait.
Au fil des semaines, et suite à sa réinscription aux examens, Sören avait récupéré un nouvel ordinateur, mais Internet était déconnecté si tôt qu'il n'avait plus besoin d'aller faire des recherches dessus.
De toute façon, Nils avait installé un contrôle qui lui permettait de voir en temps réel ce que Sören pouvait faire, ou de vérifier ce qu'il avait écrit, consulté, regardé. Ainsi, il lui était impossible d'envoyer des mails en France, de reprendre contact avec qui que ce soit. Il gardait, malgré tout, l'adresse mail d'Éloi en tête, se la répétant chaque jour au cas où l'occasion finissait par se présenter, ne serait-ce que pour lui écrire qu'il lui manquait et qu'il l'aimait.
Le reste du temps, il évitait de trop penser à Éloi. Ni à son oncle, sa tante, ses amis. Sa vie française, il essayait de la mettre de côté, de l'effacer pour ne s'en rappeler que le soir, avant de dormir, et de se rassurer en imaginant ses proches près de lui. En imaginant le sourire d'Él et ses bras autour de son corps, ou sa tête posée sur son cœur.
Sören vivait donc lentement, se berçant le soir, s'occupant la journée durant l'absence de son père. Ce dernier était si souvent absent qu'il ne l'avait battu qu'une seule fois en un mois. Il se préoccupait peu de son fils, trop pris par son travail, ses rendez-vous, et sans doute aussi par des femmes qu'il fréquentait. C'était peut-être ce qui aidait le plus Sören, que son père n'existe que très peu au quotidien.
Deux enseignants venaient le voir chaque jour de la semaine afin de le préparer au bac qu'il allait passer à distance. Etant donné que c'était la seule occupation qu'il pouvait avoir, Sören s'investissait dans les cours. Il se disait même que cela ferait plaisir à Éloi de le savoir si consciencieux dans son travail.
C'était même pour cela qu'il se levait de bonne heure. Comme il était enfermé en permanence dans l'appartement, il tentait d'adopter un rythme correct, bien qu'entrecoupé de crises d'angoisses ou de prise de conscience de son immense solitude et de sa vulnérabilité. Il croisait son père le matin, le revoyait certains soirs, mais sinon, il faisait tout seul : cuisiner, manger, nettoyer, lister les courses, recevoir ses enseignants, réviser...
Les professeurs qui venaient le voir étaient corrects. Son père les payait cher et ils appliquaient les recommandations de ce dernier à la lettre, signalant la moindre anomalie, le moindre défaut qu'il pouvait y avoir dans le travail du jeune homme. Parfois Sören se demandait pourquoi Nils était obsédé par ses résultats, étant donné qu'il se fichait de lui. Il ne comprenait pas pourquoi son père ne l'avait pas simplement abandonné en France, voire même, pourquoi il ne l'avait pas déshérité pour ne plus jamais entendre parler de lui. Il le détestait, le lui disait, et se fichait de ses états d'âme, de qui il était. Alors, pourquoi cet acharnement ? Pourtant, son père ne cédait rien. Il comptait l'inscrire dans la filière qu'il choisirait pour lui et dont Sören ignorait totalement le nom. Il savait seulement que son père exigeait et qu'il devait s'exécuter. Donc il le faisait, tuant ses interrogations chaque matin en allant sur le balcon de l'appartement.
Ce jour-là, le soleil était déjà chaud malgré l'heure matinale. Nils n'était pas rentré de la nuit, donc Sören put boire un café, debout, les coudes posés sur le muret qui le séparait du vide. Ils habitaient au cinquième étage, près du cœur de Cambridge. Pas de voisins au-dessus. Juste le silence autour.
Sören soupira en regardant les voitures rouler, en contre-bas. La vie s'activait. Il aurait voulu s'y mêler, même s'il avait pris goût à la campagne bretonne et n'aimait plus trop la ville. Mais dans sa situation, tout était préférable à son isolement. Il ferma les yeux en écoutant les bruits. Son café était chaud contre sa main.
Lorsqu'il sentit que le soleil était trop fort, il rentra dans l'appartement et partit se préparer. Son enseignante serait là dans environ deux heures et il souhaitait s'entraîner rapidement sur le piano avant d'avoir à se concentrer sur les cours. C'était son salut.
Dès qu'il fut habillé, il se servit un second café et s'installa dans la chambre d'amis en face du piano. L'objet était plus sophistiqué que celui d'Oskar et Sara. Il brancha un casque afin d'atténuer les sons par respect pour les autres habitants et joua. Il avait demandé à sa prof de lui imprimer des partitions de musiques qu'il appréciait et connaissait déjà. Bien sûr, durant tout le mois qui s'était écoulé, il s'était épargné de rejouer « Nothing Else Matters », ne voulant pas se torturer avec le souvenir d'Éloi plus qu'il ne l'était déjà. Mais il jouait et chantait pour lui, malgré tout. Tous les jours, à chaque fois qu'il en avait l'occasion.
Vers huit heures, la sonnette retentit et la porte d'entrée s'ouvrit. Sören termina de remettre le piano en ordre, rangea ses partitions et retrouva Alexiane dans le salon. C'était la prof sympa, elle. Elle n'était pas âgée de plus de vingt-cinq ans, vivait en Angleterre depuis quelques années et occupait ses journées par des cours particuliers. Elle était née à Paris et s'était passionnée pour la culture anglaise. C'étaient les informations que Sören avait fini par grapiller au fil des jours. Alexiane n'était pas très curieuse mais se montrait de plus en plus amicale avec lui.
— Salut Sören, dit-elle en posant son sac sur l'une des chaises du salon. Bien dormi ?
— Ouais. Et toi ?
Alexiane avait refusé le vouvoiement que l'autre enseignant avait imposé, beaucoup plus formel qu'elle. Cela plaisait à Sören. Le tutoiement lui offrait de la sympathie.
— Ma fille m'a réveillée plusieurs fois, mais ça va quand même.
Sören fut surpris. Il ne savait pas qu'elle était mère. Voyant son air circonspect, elle déclara :
— Je ne t'en ai jamais parlé ?
— No, you didn't. (Non, jamais)
Alexiane acquiesça et changea de sujet en l'invitant à s'asseoir près d'elle. Ses spécialités étaient davantage scientifiques. C'était une personne très logique et pédagogue. Sören devait admettre qu'il avait énormément progressé avec elle. C'était une femme compétente et patiente. Éloi aurait adoré rencontrer quelqu'un comme Alexiane.
La matinée s'écoula à sa vitesse habituelle. Ils s'autorisèrent une petite pause sur le balcon durant laquelle Sören offrait toujours un café, s'en préparait un énième et la regardait fumer une cigarette.
Depuis quelques jours, le jeune homme avait une idée en tête lorsqu'il voyait Alexiane. À l'heure actuelle, les rares personnes qu'il rencontrait lui étaient majoritairement hostiles. Il ne pouvait rien tirer de l'autre enseignant, ses grands-parents étaient un cauchemar pour lui, et son père, eh bien, inutile de s'y référer. Alexiane, en revanche, sans lui témoigner une franche amitié, se montrait suffisamment agréable pour qu'il tente une approche nouvelle et obtienne d'elle quelque chose.
— Dis-moi, commença-t-il à dire en s'installant près d'elle contre le garde-fou, est-ce que je peux te demander de me rendre un service ?
— C'est-à-dire ?
— Il y a quelqu'un en France que j'aimerais beaucoup contacter...
— Non !
Sören soupira. La réponse spontanée d'Alexiane le vexa mais ne le surprit pas.
— Ton père m'a dit que tu chercherais peut-être à parler à des gens en France et il m'a dit qu'ils avaient une très mauvaise influence sur toi, que c'était dangereux, et que tu devais être gardé en sécurité ici.
— Il a raconté un bobard pareil ?
Alexiane le regarda en plissant les sourcils.
— Il t'a vraiment raconté ça ? Sérieusement ?
— Oui. Il m'a dit que tu avais mal tourné en France et que...
Sören explosa de rire pour la première fois depuis des semaines. C'était pathétique. Son père avait menti en faisant croire qu'il le protégeait d'une mauvaise influence.
— Les mauvaises influences en question sont mon oncle, ma tante et sans aucun doute la personne dont je suis amoureux.
— Je n'ai pas besoin de savoir cela. Ton père m'a dit de veiller à ce que...
— Mon père m'a arraché des bras de mon petit ami pour me ramener de force ici. Je suis enfermé du matin jusqu'au soir parce qu'il me contrôle et est homophobe. Il m'a privé de tout contact extérieur en dehors de toi, Éric et mes grands-parents. J'étais très épanoui en France, ici, je meurs du manque de sociabilité. Je meurs du manque de mon copain. Et j'ose espérer que tu remarques que je ne suis pas heureux.
Alexiane se figea, ne sachant pas quoi répondre. Les propos de Sören la déstabilisèrent.
— Maintenant, peut-être que toi aussi tu désapprouves l'homosexualité, reprit-il, mais c'est pas comme si je pouvais y faire quelque chose. Je ne sais même pas si je me considère comme gay, parce que les étiquettes ont peu de sens pour moi. Je sais juste que je suis fou amoureux d'un garçon qu'on m'interdit de revoir.
— Je ne suis pas homophobe, répliqua instinctivement Alexiane, vexée qu'on l'associe à cette pensée.
— Super. Du coup, tu veux bien m'aider ?
— Venir te faire cours est une grosse partie de mon travail, si je déçois ton père et qu'il me renvoie...
— Tu trouveras bien d'autres gosses de riche à éduquer, la coupa Sören. C'est plutôt moi qui serait mal de perdre la seule personne un peu décente que je vois depuis que je suis revenu.
Prise au dépourvu, Alexiane acquiesça et lui demanda d'expliquer ce qu'il attendait d'elle.
— Eh bien, j'aimerais bien que tu me filmes. J'ai un cadeau à offrir à mon copain et j'aimerais que tu le lui envoies par mail. Ici, je ne peux ni me filmer, ni communiquer avec l'extérieur. C'est pas pour rien que tu as les clés de l'appart et moi non.
— Tu n'as pas les clés de chez toi ?
— Bien sûr que non. Mon père me garde isolé ici, le temps que je sois « guéri » de mon obsession.
— Je ne pensais pas que...
— Du coup, est-ce que tu acceptes de me rendre ce service ? J'ai juste besoin que tu utilises ton téléphone, que tu prennes l'adresse mail que je vais te donner et que tu envoies le message.
Alexiane resta pensive. Sa cigarette était totalement consumée. Elle s'en ralluma une autre, mettant de côté ses habitudes sérieuses en invitant Sören à reprendre leur travail. Ses mèches cuivrées brillaient avec le soleil matinal. Le jeune homme la trouvait jeune et douce. Elle lui rappelait un peu Marlène. Son amie lui manquait beaucoup aussi.
— Pourquoi pas... finit-elle par dire en se tournant vers Sören.
Le visage de l'anglais s'illumina. Alexiane ne l'avait jamais vu aussi heureux depuis un mois qu'elle venait lui faire cours. C'était comme si elle rencontrait une autre personne. Il la remercia chaleureusement et lui réexpliqua son plan, enthousiaste. Lorsqu'elle eut fini sa cigarette, il l'entraîna dans la chambre d'ami avec impatience. Sören était à la fois bouleversé et euphorique.
***
Lorsque les vacances de Pâques arrivèrent, Éloi se recomposa une vie a minima correcte. Il ne parlait toujours pas à ses parents autrement que pour leur signifier des choses pratiques. Sa mère était celle vers qui il se tournait le plus facilement. Concernant son père, il était encore fermé. Malgré tout, Él demeurait courtois, ce qui empêchait ses parents de démarrer une conversation pour apaiser les tensions. Leur fils faisait comme s'il n'y en avait pas. Il se montrait désormais respectueux et calme mais ils voyaient bien que derrière cette apparence cordiale se cachait en réalité une envie de rompre tout contact avec eux.
Et c'était un peu le cas. Éloi commençait à leur parler de ses études et du fait qu'il comptait partir les faire à plusieurs centaines de kilomètres de là. Il voulait déménager, prendre son indépendance et se débrouiller tout seul. Il leur mentionnait quelques villes, bretonnes ou non, tâtant sans doute l'atmosphère. Il ne rencontrait que très peu d'obstacles. C'était même plutôt l'inverse. Ses parents semblaient rassurés de le voir prendre des initiatives pour son futur, après avoir passé plusieurs semaines dans le flou. Ils lui montraient leur envie de le garder près d'eux, mais ils ne voulaient certainement pas le priver d'exister selon ses envies.
Tandis qu'il lisait tranquillement sur son ordinateur des scans d'un manga, il reçut une notification qui l'interpella. Le nom de la personne ne lui disait strictement rien : Alexiane P., professeur particulier. L'adresse semblait professionnelle. Il n'y prêta pas trop attention et décida de se replonger dans son manga. C'étaient les seules lectures qu'il parvenait décemment à suivre en ce moment. Il avait toujours aimé en lire, mais à l'heure actuelle, il les préférait largement aux livres complexes qu'il dévorait d'ordinaire. Son ordinateur reçut une seconde notification de la part de cette Alexiane qui lui fit froncer les sourcils. Cette fois-ci, l'objet du mail indiquait « avec la pièce jointe, c'est mieux ». Sa curiosité prit le dessus et il se rendit sur sa messagerie. Son cœur s'emballa lorsqu'il commença à lire le premier message envoyé.
De : Alexiane P., professeur particulier <[email protected]>
À : Éloi Barzh <[email protected]>
Objet : Message
Bonjour Éloi,
Nous ne nous connaissons pas, mais je suis professeur particulier en Angleterre. Actuellement, j'enseigne des cours de sciences à Sören Rosberg, afin qu'il puisse passer ses examens en juin prochain.
Lui, en revanche, vous le connaissez bien, paraît-il.
Il m'a demandé de vous écrire et de vous transmettre un message. D'abord réticente, j'ai finalement accepté après qu'il m'ait raconté une partie de votre histoire. J'espère que ce ne sont pas des mensonges d'adolescent et que vous êtes réellement la personne bien qu'il m'a décrite. Voyez-vous, son père m'a mise en garde sur le fait que Sören voudrait contacter des gens en France. J'espère donc ne pas faire d'erreur en choisissant d'accorder ma confiance à mon élève plutôt qu'à mon employeur.
Vous trouverez, ci-joint, une vidéo qu'il tenait à vous partager. C'était émouvant à filmer, donc j'espère que vous prendrez soin de ce message.
Bien à vous,
Alexiane P.
Éloi sentit les larmes monter à ses yeux en lisant ce message. Il avait des nouvelles de Sören. Des nouvelles de son amour. Son cœur se mit à battre à tout rompre. L'écran de son ordinateur se floutait à mesure qu'il lisait et relisait les mots de cette Alexiane.
Sören était si doux qu'il avait fini par convaincre une enseignante de lui écrire. Elle avait forcément succombée à son charme, à sa gentillesse. Qui ne le pourrait pas ?
En tremblant, Éloi descendit la souris tactile jusqu'au second message, celui dans lequel se trouvait la vidéo en question. Il la téléchargea et la lança sitôt qu'elle fut accessible.
Sören apparut à l'écran. Il avait changé. Ses cheveux étaient courts – bien que toujours indisciplinés – et il semblait plus émacié qu'avant son départ. Il avait des cernes sous ses yeux tristes mais affichait un sourire communicatif qui fit rire Éloi en même temps qu'il pleurait.
Lorsqu'il entendit sa voix, il manqua d'exploser en sanglot. Il commençait à en oublier le timbre depuis qu'il était parti. Le fait qu'il lui envoie une vidéo lui offrit le bonheur de se la remémorer.
« Hi Sweets ! J'espère que tu vas assez bien, là-bas, à Hvall. Je ne pense pas avoir besoin de te dire à quel point tu me manques, tu dois t'en douter. Et je pense que c'est réciproque... Ce serait stupide de ne pas le penser. »
Éloi acquiesça vivement, murmurant un « tu me manques » très faible, sachant qu'il ne pouvait pas être entendu.
« J'ai réussi à convaincre ma prof, Alexiane, de filmer ce petit message pour toi. Je ne sais pas si tu vois où je suis assis, mais tu devrais assez vite remarquer ce qui se trouve à mes côtés. »
Éloi détacha ses yeux de Sören pour observer l'environnement. Il reconnut rapidement un piano et ses lèvres se mirent à trembler.
« Ouais. J'ai prévu de te chanter une chanson. Je me suis dit que cela pourrait peut-être te faire plaisir, voire te remonter le moral. Je pense qu'on n'en mène pas large, toi et moi, mais si je peux au moins te redonner le sourire quelques minutes, eh bien, le pari sera gagné. La chanson n'est pas spécialement joyeuse, mais je t'avouerai que je peine à me diriger vers cette émotion-là depuis quelques temps, hein. »
Sören marqua une pause et se tourna vers le piano. La personne qui tenait le téléphone se recula légèrement pour avoir une meilleure vue sur l'instrument et le jeune homme.
« Bon, je suppose qu'il faut que je me lance. »
https://youtu.be/DqoVhwMDoK4
Lorsque les premières touches retentirent, le cœur d'Éloi se serra. Il ne reconnut pas la chanson, mais l'émotion que Sören véhiculait l'atteignit en plein cœur. Il chantait encore mieux qu'avant. Sa voix était juste, assurée. Combien d'heures avait-il passé à répéter ces paroles ?
I'll use you as a warning sign
That if you talk enough sense then you'll lose your mind
And I'll use you as a focal point
So I don't lose sight of what I want
And I've moved further than I thought I could
But I missed you more than I thought I would
And I'll use you as a warning sign
That if you talk enough sense then you'll lose your mind
La voix de Sören était profonde, mêlée à une tristesse douloureusement maîtrisée. Certains mots étaient accentués par son chagrin. Éloi pleura le plus silencieusement possible, ne voulant pas perturber sa découverte de la vidéo. Il voulait s'imaginer juste à côté de son petit ami. Il voulait le voir près de lui. Et pourtant, il ne pouvait s'empêcher de sourire en regardant les images, en découvrant ce cadeau qu'il lui faisait.
And I found love where it wasn't supposed to be
Right in front of me
Talk some sense to me
Sur le refrain, la voix de Sören se fit encore plus forte, plus vraie, mais se terminait toujours dans un murmure. Les paroles tremblaient mais venaient offrir une caresse mélancolique à Éloi.
And I'll use you as a makeshift gauge
Of how much to give and how much to take
I'll use you as a warning sign
That if you talk enough sense then you'll lose your mind
Le piano s'accordait doucement à la poésie. C'était à défaut de pleurer encore que Sören chantait, et Éloi le ressentait. Il entendait le sens de cet amour qui blesse, blesse parce qu'il ne peut pas exister comme il le devrait. Leur situation si indélicate, leur histoire si perdue alors qu'elle avait toute la force du monde pour les porter.
Le son du piano emporta Éloi à la dérive.
Oh, and I found love where it wasn't supposed to be
Right in front of me
Talk some sense to me
And I found love where it wasn't supposed to be
Right in front of me
Talk some sense to me
Sören semblait sur le point de craquer lorsqu'il reprit plusieurs fois le refrain pour terminer la chanson. Éloi étouffa ses sanglots en l'entendant arrêter de jouer. Il se berçait d'avant en arrière, fixant l'écran de son ordinateur. Il se massa fortement les tempes, essayant d'atténuer la brûlure qui brouillait sa vue.
La caméra se rapprocha à nouveau de Sören. Il s'essuyait les yeux, retenant ses propres larmes pour reprendre un discours cohérent.
« Je suis désolé, c'était un peu triste. Mais je voulais juste te dire que je t'aimais infiniment. Tu... Tu me manques. Enormément. Faut que tu tiennes le coup, là-bas. Je sais que tu es capable de tourner le dos à tout le monde, que tu es même capable de ne plus parler à tes parents, mais Él, je t'en supplie, raccroche-toi à nous deux, à tout ce qu'on a appris ensemble. Ne t'isole pas. Je ne serai pas éternellement prisonnier ici... En tout cas, je ferai tout pour ne pas le rester... Et je te rejoindrai parce que we are meant to be. Je t'aime, je t'aime, je t'aime. Pense à la vie qui nous attend lorsqu'on se retrouva. Je ne t'oublie pas et ne t'oublierai jamais. Tout finira par aller mieux. »
Le regard de Sören se dirigea vers la personne qui tenait le téléphone. La caméra trembla légèrement et la vidéo se coupa.
Éloi s'écroula sur son lit, laissant enfin ses sanglots sortir de sa gorge sans aucune retenue. Tout était si contradictoire. Il était à la fois heureux de voir Sören, de l'entendre, de savoir qu'il l'aimait même s'il ne l'avait pas assez bien protégé ; et à la fois, son cœur se brisait encore un peu plus, criant son manque féroce d'amour. Oh qu'il voudrait être avec lui, l'embrasser, le remercier d'avoir chanté si magnifiquement. Ses pensées partaient dans tous les sens. Les conseils de Sören, le fait qu'il le connaisse si bien... Tout cela le fit se recroqueviller sur lui-même et se remettre en question.
Il relança la vidéo une seconde fois, écoutant les mots de Sören glisser en lui, le consoler et sculpter ses émotions. Il essayait de lui bâtir une forteresse de réconfort. Mais il la construisait avec du sable.
Tout pouvait être soufflé. Lorsque la rediffusion de la vidéo s'arrêta, Éloi la relança une troisième fois. Puis une quatrième. Une cinquième. Jusqu'à ce qu'il s'endorme sur son lit, dans l'imagination d'une étreinte partagée avec Sören, serrant ses bras contre lui afin de créer l'illusion de la chaleur de son amour.
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