Chapitre vingt : In the End

https://youtu.be/8qLL2Gx3I_k

« I kept everything inside

And even though I tried, it all fell apart

What it meant to me will eventually be a memory

Of a time when I tried so hard »


Sören et les Barzh étaient dans la cuisine lorsqu'ils entendirent une voiture se garer devant chez eux. Instinctivement, Sören se rapprocha d'Éloi. Ils se regardèrent tous les quatre à tour de rôle, et Valentin prit la parole, cassant le silence pesant qui venait de s'installer :

— Vous nous laissez parler. N'intervenez pas. On va finir par trouver une solution, entre personnes intelligentes.

D'un pas assuré, il quitta la cuisine pour se diriger vers l'entrée. Maïwenn l'avait suivi mais restait légèrement en retrait. Il regarda sa femme une seconde, l'air inquiet mais sûr de lui, avant d'ouvrir la porte.

L'homme qui lui fit face était imposant. Son regard, pesant. Valentin se présenta et lui tendit une main. Nils entra dans la maison sans demander l'autorisation et sans répondre au geste du père d'Éloi.

— Où est-il ?

— Monsieur Rosberg, dit Maïwenn en s'approchant de lui. Nous aimerions discuter avec vous, ainsi qu'avec Oskar et les garçons. Est-ce que...

Nils la dépassa et arriva dans la salle à manger où il découvrit son fils, debout, serré contre Éloi. Il les dévisagea avec une grimace et s'adressa directement au brun :

— Lâche mon fils, toi !

Valentin et Maïwenn étaient revenus dans la pièce et s'avancèrent vers les deux adolescents. Oskar était aussi entré dans la maison, mais il ne s'imposa pas, restant à plusieurs mètres de son frère. On aurait dit qu'il voulait se rapetisser le plus possible.

Éloi ignora l'ordre de Nils mais maintint son regard glaçant. Sören tremblait contre lui. Hors de question de s'en éloigner. Il lui avait promis durant la nuit. Il ferait tout son possible pour le protéger et le tenir éloigné de cet homme. Et il avait demandé à Sören de lui faire confiance, de faire confiance à ses parents. Ils ne le laisseraient pas tomber et ne l'abandonneraient pas.

— Monsieur, réitéra Maïwenn, est-ce que nous pourrions tous nous asseoir afin de discuter quelques minutes ?

Nils se tourna vers elle.

— Pour quoi faire ? Sören et moi n'allons pas nous éterniser ici.

— Justement, répondit Mme Barzh, je pense qu'il faut que nous parlions de cela.

L'homme ne put retenir un rire moqueur. Il se détourna de Maïwenn et ordonna à Sören de venir. Lorsque son fils ne répondit pas, il avança vers les deux jeunes hommes et approcha sa main pour s'emparer du garçon.

Éloi se plaça juste devant Sören et fit barrière avec son corps.

— Ma mère vous a dit quelque chose. Merci de l'écouter.

Valentin s'était discrètement approché d'eux. Il ne disait rien mais observait tout ce qu'il se passait. Le langage corporel de Nils Rosberg lui déplut et il comprit pourquoi son fils n'avait pas aimé le rencontrer. C'était un homme dominateur qui ne devait sûrement pas rencontrer beaucoup d'oppositions dans sa vie. Il était bien habillé, propre, fraîchement rasé. Son eau de Cologne s'était même imposée dans la maison. Pour un homme pressé de récupérer son fils, il avait pris le temps de bien se préparer.

— Ecoutez-moi bien, déclara-t-il en se tournant vers Valentin. Si vous acceptez que votre fils soit une pédale, c'est votre problème. Le mien n'en est pas une et je compte bien le ramener à la raison une fois en Angleterre.

Sören tressaillit et sentit les larmes lui monter aux yeux. Si les menaces de son père n'étaient pas claires pour les Barzh, elles l'étaient pour lui.

— Ce serait irresponsable de le déscolariser si peu de temps avant les examens de fin d'année, intervint Maïwenn froidement.

Elle voulait détourner le sujet et offrir quelques raisonnements pratiques afin d'entamer un dialogue plus sain. Sa louable tentative fut rembarrée.

— Maîtrisez un peu votre femme, répliqua Nils en continuant de darder ses yeux sur Valentin.

Ce dernier fut choqué par la déclaration. Il ne s'était pas attendu à une telle phrase. Quel être odieux avait-il sous les yeux ? Comment pouvait-on, encore aujourd'hui, tenir des propos aussi sexistes et homophobes ?

— Alors, déjà, vous allez mieux parler de ma famille. Vous êtes chez nous, donc merci de faire preuve de respect. Ensuite...

— Du respect ? coupa Nils. Vous gardez mon fils en otage et vous croyez vraiment que je vais vous accorder une once de crédit ?

— Il est bien docile pour un otage, dans ce cas, se moqua Valentin. Plus sérieusement, il est nécessaire que l'on parle de ce malentendu plus calmement et que l'on trouve des solutions appropriées à nos enfants.

— Un malentendu ? Quel malentendu ? Celui où votre psychopathe a perverti mon fils ?

Les trois Barzh sentirent leur sang bouillir. Le mot employé ne leur avait pas plu. Pas du tout.

— Maintenant, ça suffit, s'agaça Maïwenn. Vous allez poser votre cul sur une chaise, et on va mettre tout cela au clair. Et si vous insultez encore une seule fois mon gamin, je vous jette dehors avec un coup de pied dans les couilles ! Est-ce que c'est clair ?

Nils se tourna à nouveau vers elle. Il prit une grande inspiration pour se contenir. Les femmes qui ne savaient pas se taire étaient une chose qu'il ne supportait pas. Mais ça n'était pas le lieu ni le moment pour le lui faire comprendre. Il jeta donc un œil rapide à Sören qui demeurait la tête baissée, serré contre Éloi. Il avait hâte de mettre la main sur lui.

— Très bien, on va mettre tout ça au clair, dit-il en faisant face à Maïwenn. Sören repart avec moi. Je me fiche de savoir que le bac approche, je lui paierai les cours une fois qu'il sera de retour à la maison. Si sa scolarité vous inquiète tant.

— Sören a son mot à dire aussi.

— Non, Madame. Si je dis quelque chose, il s'exécute. Je l'ai prêté à mon frère pour qu'il s'en occupe, mais je suis et je demeure son seul responsable légal.

Fermement, il se rapprocha des deux garçons et parvint à attraper le bras de son fils pour le tirer. Sören cria un « non ! » soudain et s'accrocha à Éloi. Ce dernier, se sentant menacé, poussa brutalement Nils, le forçant à lâcher son emprise. L'homme recula de quelques pas.

— Toi, dit-il en levant son doigt vers Él, n'essaie même pas de t'interposer !

Valentin s'était rapproché de son fils et lui demanda de se calmer.

— Laissez Sören tranquille, connard ! s'énerva Éloi sans écouter son père.

Il n'en pouvait plus d'entendre son petit ami pleurer, de le voir si effrayé à l'idée qu'ils soient éloignés et qu'il replonge dans son enfer.

C'était hors de question d'envisager cela. Si ses parents ne parvenaient pas à le raisonner, il était prêt à se battre, peu importe sa taille face à l'homme, il avait confiance en sa rage pour être plus puissante.

— Vous ne nous séparerez pas ! ajouta-t-il.

— Ecoute moi bien, sale pédé, j'ai fait mes recherches sur toi. T'es resté à l'asile combien de temps ? Un mois ? Deux mois ? Plus ? Si tu continues de t'opposer à moi, tu peux me croire que j'ai les moyens de t'y renvoyer.

— Vous pouvez me menacer autant que vous voulez, j'en ai rien à foutre.

Nils passa une main dans ses cheveux. Il contenait tant sa colère que l'atmosphère s'était alourdie comme les jours d'été durant lesquels l'orage menaçait. Sauf qu'ici, la tempête la plus lourde, c'était Éloi. Il était prêt à tout pour garder Sören près de lui. Son regard trahissait sa haine et sa possessivité. Les deux garçons s'apportaient tellement d'amour, de soutien, de soin. Comment Éloi pourrait-il envisager de perdre les bras de Sören ? Comment pourrait-il supporter de le voir retourner auprès de ce père carnivore ? Non. Son petit ami était trop important et trop précieux. Il le protégerait. Le garderait.

Quant à l'anglais, il ne savait pas quoi faire si ce n'était rester près d'Éloi, de ne pas perdre sa chaleur et de sentir son corps contre lui. Depuis que son père était arrivé, il était terrifié. Il souffrait de voir les Barzh le défendre pour qu'il reste, et en même temps, cela lui faisait du bien. Il se sentait soutenu. Tous trois étaient son bouclier.

Nils se tourna vers le père d'Éloi et chercha les mots les plus limpides pour passer son message et faire en sorte d'obtenir ce qu'il désirait. Il avait tout préparé et calculé la veille, s'assurant d'être pris au sérieux et s'assurant que ses menaces ne soient pas infondées.

— Sören est mineur. Votre fils ne l'est plus. Si vous ne vous occupez pas de lui et ne faites pas en sorte qu'il lâche l'affaire, j'appelle la police. Croyez-moi que je porterai plainte et que je saurai bien mettre en avant ses séjours à l'asile et sa folie. De plus, inutile de vous préciser que nous ne sommes pas du même milieu, et que je dispose de bons amis dans le judiciaire pour faire en sorte qu'Éloi soit gardé très longtemps dans un endroit plus adapté à son caractère.

Valentin hésita face à ces mots. Il avait envie de répondre à Nils d'essayer et qu'il verrait bien ce qui en résulterait, mais une petite voix lui murmurait de ne pas céder à l'impulsivité. Il chercha l'aide d'Oskar, du regard, afin de démêler tout cela. L'homme lui fit un « non » de la tête, très discret. Alors, Valentin se frotta le visage pour essayer de remettre ses idées en place. Il ne voulait pas que Sören s'en aille et soit arraché à la vie qu'il se construisait ici ; et en même temps, il ne pouvait pas lutter contre son responsable légal. Il serait en tort s'il faisait cela. Nils était en droit de récupérer le gamin.

Et si ses menaces étaient vraies, Valentin ne pouvait pas non plus envisager une seule seconde de perdre encore une fois Éloi. Il ne pourrait pas supporter qu'on leur retire et qu'on le place ailleurs.

L'avoir perdu une fois avait été suffisamment abominable.

Sans attendre davantage, Nils revint vers les garçons. Sören fit face à Éloi et le serra contre lui. Le brun répondit à son étreinte et le rassura.

— Eh, ne t'inquiète pas mon amour, ok ?

Don't let me go, pleura le châtain d'une voix faible. (Ne me laisse pas partir)

Les bras d'Éloi l'écrasèrent davantage contre lui lorsqu'il sentit la poigne du père de Sören l'attraper par la taille. Le jeune homme cria dans l'oreille de son petit ami et constata qu'Éloi restait fermement accroché et que, s'il reculait, ils reculaient ensemble.

Valentin se plaça près de son fils et lui demanda d'arrêter de tenir Sören et de se calmer. Él ignora son intervention. Il n'arrivait pas à croire que son père ne s'oppose pas davantage et ne l'aide pas à maintenir son amour contre lui. Cela n'avait aucun sens. Ils avaient un plan ! Le plan devait faire en sorte que Sören reste en France !

— Oskar ! appela Nils en continuant de tirer Sören. Appelle la police !

Valentin, désemparé, regarda son ami sortir son téléphone de sa poche en tremblant. Il le supplia de ne pas le faire et prit une terrible décision dans la seconde qui suivit. Il se plaça derrière Éloi et le tira par les bras. Son fils lui renvoya un coup de coude violent, qu'il esquiva en se reculant, mais il revint à la charge en le suppliant de le laisser faire, de ne pas se débattre.

Oskar s'avança vers Nils et l'aida à attraper Sören. Les deux garçons se sentirent trahis. Ils hurlèrent tous les deux.

Don't fucking touch me ! Don't ! (Ne me touchez pas, putain !)

— Laissez-le tranquille ! Laissez-nous ! Sören !!

Lorsque les Rosberg parvinrent à dégager davantage Sören des bras d'Éloi, Valentin put s'emparer plus fermement de son fils. Il l'encercla puissamment, lui bloquant les bras le long du corps, et le maintint contre lui.

Et, tandis que les deux amoureux résistaient avec rage, ils sentirent leurs corps s'éloigner l'un de l'autre. Les bras bloqués d'Éloi tentèrent une ultime fois de retenir Sören mais la poigne de ce dernier glissa au fur et à mesure que son père et son oncle le tiraient en arrière. Lorsque seules leurs mains s'accrochèrent, Sören prit la décision de laisser ton son poids partir en avant afin de donner le plus de difficultés possibles à ceux qui l'arrachaient à sa vie bretonne.

Il tint les mains d'Éloi fermement et continua de hurler en anglais : « don't let me go, I don't wanna go ! please, help me ! I love you... » ("ne me laisse pas partir, je veux pas partir ! pitié, aide-moi ! je t'aime...") Les mots s'articulant autour de ses cris désespérés.

Maïwenn avait plaqué ses mains sur sa bouche en assistant, impuissamment, à la scène. Tout se déroulait presque au ralenti. Elle se demandait comment la situation avait pu leur échapper si vite, si stupidement. Et les cris de son fils la firent pleurer.

Les mains des deux garçons glissèrent et lorsque seules leurs phalanges restèrent en contact, ils sentirent les larmes monter à leurs yeux.

Puis Sören fut totalement arraché à celui qu'il aimait.

Nils le tint plus fortement, écrasant sa taille contre lui et il sentit son fils se débattre avec acharnement en libérant ses bras, tentant de rattraper Éloi. Oskar se plaça alors devant lui et bloqua ses mains.

Ils durent presque le porter jusqu'à l'entrée de la maison tant il se débattait hargneusement.

— Lâchez-le ! Lâchez-le ! Sören, bats-toi !! Bats-toi !

Éloi regardait les deux hommes emporter son amoureux. Il se débattait aussi contre son propre père qui venait de le trahir. Il se débattait si bien que Valentin faillit perdre son emprise et dut soulever son fils du sol pour lui faire perdre de sa force. Lorsque ses pieds revinrent par terre, Éloi poussa à nouveau en avant. Valentin lui cria d'arrêter et de lui pardonner. Il était bouleversé, mais maintenait son emprise.

Quand Nils et Oskar parvinrent à atteindre le couloir de l'entrée, Sören explosa en sanglots, continuant d'appeler Éloi, de le supplier de venir le rattraper, de le protéger. Ces mots déchirèrent le cœur du brun qui sentit ses propres larmes rouler sur ses joues.

— Tiens bon Sören ! Tiens bon !

C'était tout ce qu'il pouvait hurler en continuant de se battre.

Mais ça ne fut pas suffisant. Sören fut englouti par le couloir, tiré de force et la porte d'entrée claqua brutalement, camouflant une partie des hurlements de l'anglais. Éloi cria son prénom plusieurs fois, mais n'entendit qu'une portière se claquer, suivie de deux autres, avant que le moteur ne démarre. Les appels désespérés de Sören disparurent, laissant un silence lourd revenir, comme une claque, dans le visage d'Éloi.

Il perdit alors ses forces et sentit son corps s'amollir piteusement. Valentin, qui avait senti le changement chez son fils, le relâcha prudemment et le posa avec délicatesse au sol. Les jambes d'Éloi ne parvenaient plus à le porter. Et lorsque le garçon se rendit compte qu'il n'avait rien pu empêcher, que Sören n'était plus là, il se recroquevilla sur lui-même en sanglotant.

C'était comme si on avait amputé une partie de son corps. La douleur qui s'amoncela dans sa poitrine lui rappela les premiers jours de sa captivité, lorsqu'il avait pleuré et hurlé après ses parents mais qu'aucun d'eux n'était venu le chercher. Ils étaient perdus et n'étaient plus là pour le consoler ni le protéger. Et cette fois-ci, c'était son amour qu'on venait de lui arracher et qu'il ne pouvait plus tenir entre ses bras. Son cœur fut transpercé par une décharge de chagrin et de souffrance mêlés. C'en était trop, trop, trop. Le hurlement qui sortit de sa bouche n'avait presque rien d'humain. C'étaient les larmes d'un animal piégé que l'on écorchait.

Ses parents en pleurèrent.

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