Chapitre vingt-et-un : Leave out all the rest

https://youtu.be/K5goifH_-vg

« Don't be afraid
I've taken my beating
I've shared what I've made
I'm strong on the surface
Not all the way through
I've never been perfect
But neither have you »

TW : violences physiques


Sören était allongé sur la plage arrière de la voiture. Il sanglotait bruyamment. Oskar, au volant, tremblait. Jamais il n'avait entendu quelqu'un pleurer ainsi. Les cris des deux garçons l'avaient atteint profondément. Il ne pourrait jamais oublier cela.

— C'était quoi, ça ?! hurla Nils en se tournant vers son fils.

Sören l'ignorait et pleurait, murmurant le prénom de son petit ami, entrecoupé de « please » faibles qui agacèrent encore plus son père.

— Et arrête de parler avec la langue de ta mère ! Elle n'est plus là pour te protéger !

Sur ces paroles, il donna un coup à Sören qui tomba sur le bras du garçon.

Oskar se gara devant chez lui et attendit que Nils donne ses consignes. Ce dernier se tourna vers son fils.

— On va récupérer tes affaires et on rentre immédiatement. Si tu essaies quoique ce soit, je lâche les flics sur ta petite salope, est-ce que c'est clair ?!

Sören ne répondit pas. Il restait plié sur lui-même, en larmes.

Nils lui donna une nouvelle claque pour le faire réagir. Le garçon se redressa et acquiesça doucement, incapable de prononcer un mot.

— Très bien, déclara Nils.

Son père sortit du véhicule, ouvrit la portière arrière et l'attrapa par le bras. Il le tira à l'extérieur et attendit qu'Oskar les fasse entrer dans la maison.

Une fois qu'ils furent cachés derrière les murs, Nils empoigna plus fermement son fils. Sören poussa un léger cri en sentant son bras être pris dans l'étau des doigts de son père. Sous le regard ébahi d'Oskar, Nils entraîna Sören à l'étage et s'enferma dans la chambre du jeune homme.

L'oncle, resté au rez-de-chaussée, se secoua. Il les suivit et s'imposa auprès de son frère.

— Qu'est-ce que tu vas faire ? demanda-t-il en ouvrant la porte.

— Remplir mon rôle de père. Sors d'ici Oskar.

— Ton gamin est déjà suffisamment bouleversé comme ça, n'en rajoute pas, s'il te plaît.

Nils se plaça face à son frère et le fixa férocement.

Sören était assis sur le lit, serrant ses bras contre lui pour se consoler. Il se balançait d'avant en arrière, complètement perdu. Son oncle voulut avancer vers lui, mais le bras de Nils le retint.

— Tu as perdu définitivement tout droit d'approcher mon fils. Merci de quitter cette pièce durant la petite conversation que je dois avoir avec lui.

Oskar sembla résister, mais la poigne de son frère vint se poser sur son cou. Il l'étrangla. Les mains d'Oskar se posèrent sur celles de l'homme et il lutta pour conserver sa respiration.

— Tu vas obéir et cesser de faire n'importe quoi ! Je suis le seul à avoir maintenu un contact avec toi depuis plusieurs années, malgré tes erreurs dégoûtantes. Je t'ai pardonné et je t'ai toléré, je t'ai même confié Sören ! Alors, tu vas clairement cesser de t'opposer à moi ! Tu risques gros, Oskar, donc cesse d'être un idiot !

Nils le relâcha brutalement et l'homme se plaqua contre le mur de la chambre. Il était tétanisé. Tétanisé comme à l'époque. Son regard se posa sur son neveu et il ne put que murmurer qu'il était désolé. Il entendit alors Nils défaire la boucle de sa ceinture et la retirer d'un geste sûr. Sören tressaillit au son. Il plaqua ses mains sur ses oreilles et glissa du lit pour se retrouver plier sur lui-même, à même le sol, la tête enfouie contre ses genoux.

Oskar sortit lâchement de la pièce et ferma la porte derrière lui. Il partit s'isoler dans la salle de bain, plaqua lui aussi ses mains sur ses oreilles lorsqu'il entendit les premiers cris de son neveu. Il avait l'impression de tout ressentir. Les coups le brûlaient dans son esprit comme ils atteignaient physiquement Sören.

Entendre le gamin crier, pleurer et supplier son père d'arrêter le fit s'écrouler au sol. Il se sentait si coupable, si lâche, si bête. Il avait tellement honte de rester là, prostré, tandis que son neveu était battu. Quelle honte d'être lui-même, quelle honte pouvait-il ressentir.

Il savait que ça allait se passer ainsi et il n'avait rien fait pour l'empêcher. Pire, il avait participé à cette violence et il était en train de l'accepter.

Oskar se haïssait. Il se tapa plusieurs fois le front tout en sanglotant à son tour.

***

— Él ? murmura Valentin en s'accroupissant près de son fils.

Le garçon était toujours recroquevillé au sol. Son corps tremblait encore, mais ses sanglots s'étaient apaisés.

Valentin posa une main sur l'épaule du jeune homme. Il voulait le consoler, le tenir contre son cœur pour lui dire qu'il l'aimait et qu'il était désolé. Cependant, lorsqu'Éloi sentit son père le toucher, il lui cria de reculer, de ne pas s'approcher de lui.

— Él, s'il-te-plaît, redresse-toi au moins, tu ne peux rester ainsi...

Faiblement, il écouta la recommandation de son père et s'assit sur ses talons. Il avait mal au crâne et se sentait engourdi. Son corps était pitoyablement fragile, ce qui le ramena à des sensations qu'il pensait ne plus ressentir à nouveau. Sa vision ne parvenait pas à se fixer sur son père, pourtant à genoux près de lui. Il préféra regarder dans le vide. Ses yeux étaient rouges et gonflés. Les lentilles n'étaient plus correctement placées sur ses pupilles. Cependant, plutôt que de s'en soucier, il osa enfin prendre la parole.

— Jamais je ne te pardonnerai ce que tu as fait. Jamais.

Maïwenn vint s'accroupir près d'eux et essaya de remettre du bon sens dans toutes ces émotions. Éloi fit un geste de la main pour lui faire comprendre de se taire.

— La seule personne qui a déjà réussi à me blesser psychiquement à ce point, c'est l'ordure qui m'a enlevé. Ce que je ressens en ce moment, c'est ce que j'ai ressenti quand je me suis réveillé seul dans cette cave. Je ne lui ai jamais pardonné, je ne pardonnerai pas non plus ce qu'il vient de se passer ici.

Là-dessus, Éloi puisa dans ses dernières forces et se leva. Il marcha jusqu'à sa chambre et laissa ses parents dans le salon. Il avait perçu son père défaillir au fur et à mesure qu'il avait parlé. Mais il s'en fichait. Qu'il souffre. Il était inexcusable.

Maïwenn regarda son mari pleurer silencieusement, le visage tourné vers le sol, là où se trouvait Éloi quelques secondes plus tôt. Elle s'approcha de lui et eu, à son tour, l'impression de revenir quelques années en arrière, lorsqu'on les avait privé de leur fils. Elle prit Valentin entre ses bras et le laissa sangloter doucement.

***

Sören avait fini de ranger ses affaires. Son père lui avait donné vingt minutes pour tout finir de préparer. Le jeune homme était tant abasourdi qu'il se mura dans le silence, même ses pleurs n'avaient plus de sens pour lui.

Son corps lui faisait mal. Mais rien n'était plus vif que la peur qui lui broyait le ventre. Il pensait à Éloi et il savait qu'il n'allait plus le revoir, pas avant longtemps, peut-être même jamais. Or, le petit brun était devenu son âme sœur. Il l'avait protégé et s'était battu jusqu'au bout pour le garder près de lui. Le voir dans cet état fut une épreuve qui lui ferait faire encore de nombreux cauchemars.

Son cœur se serra lorsqu'il remonta la fermeture éclair de sa valise.

Il n'emmenait pas grand-chose de plus que ce qu'Oskar avait préparé. Ce n'était pas nécessaire. De toute façon, son père contrôlerait tout, comme il le faisait déjà.

Nils avait récupéré le téléphone de son fils ainsi que son ordinateur. Il avait décrété qu'ils resteraient en France. Il désactiverait à distance son compte client. Sören n'aurait plus aucun moyen de contacter qui que ce soit. Son père l'avait prévenu : il serait à domicile pour une durée indéterminée, jusqu'à ce qu'il regagne sa confiance. Sauf que Sören ne se souvenait pas d'un jour où son père la lui avait accordée.

Tout en grimaçant, il porta sa valise et sortit de cette chambre dans laquelle il avait fait l'amour avec Éloi. Il jeta un dernier regard sur son lit défait et vit le pyjama de son petit ami qui traînait. Il se retint d'aller le chercher pour le garder avec lui. Il avait déjà secrètement pris un pull qui était resté ici. Il portait encore la douce odeur d'Éloi, ce mélange de bois et d'herbes humides, de terre et de sucre. Quelque chose de profondément sauvage qui rappelait la liberté des espaces forestiers et la beauté inégalée de l'automne. C'était la seule chose que Sören voulait privilégier pour son départ : mémoriser l'odeur de celui qu'il aimait et l'emmener avec lui pour le rassurer lorsqu'il n'irait pas bien. Parce qu'il n'irait pas bien.

Pour éviter de pleurer à nouveau, il claqua la porte de sa chambre sans en contempler davantage l'intérieur. Il descendit les escaliers. Son jean frotta contre les brûlures des coups donnés par son père.

C'était une sensation qu'il avait oubliée.

Une fois en bas, il posa sa valise près de la porte d'entrée et chercha son oncle des yeux. Oskar était assis, avec Nils, à la table de la salle à manger. Ils ne se parlaient pas.

— Oskar... murmura le jeune homme d'une voix enrouée.

Son oncle releva les yeux vers lui et se leva. Il vint à sa rencontre et le prit dans ses bras.

Sören répondit à son étreinte. Il essaya de retenir les larmes qui menaçaient de ressortir.

Nils se leva à son tour, attrapa la valise de son fils et sortit de la maison pour la ranger dans la voiture. Cela offrit quelques secondes à Sören et Oskar pour se dire aurevoir.

— Je suis désolé, terriblement désolé...

Sören ne pouvait ni lui répondre que ce n'était pas grave, ni le laisser dans cet état. Il ne voulait simplement pas qu'Oskar souffre.

— T'as été un oncle merveilleux avec moi... Jamais je n'oublierai tout ce que tu as fait, et certainement pas ton soutien...

Oskar resserra son étreinte autour de son neveu. Il ne voulait pas croire ses mots. Il ne pouvait pas les croire. Comment le pourrait-il ? Il n'était qu'un lâche qui l'abandonnait.

Nils revint et ordonna à Sören de le suivre.

Tristement, le garçon relâcha son oncle, lui murmura un faible aurevoir et entendit Oskar lui dire qu'il l'aimait.

Il monta mécaniquement dans la voiture, sentant la douleur se raviver au contact du siège. Comme il se doutait que ça ne serait pas la dernière fois qu'il aurait mal, il passa outre et attacha sa ceinture.

Son père, installé au volant, démarra et quitta Hvall sans aucun remord.

Depuis qu'il avait, selon ses dires, puni son fils, il était plus calme. Mais il savait qu'il n'en avait pas fini. Que Sören ose à ce point le défier, c'était inacceptable. Et qu'il ait des travers qui salissent son nom, cela le dépassait... Les Rosberg ne toléraient aucune déviance.

— Pas étonnant qu'Oskar n'ait rien dit. Dire que j'avais fini par lui pardonner après qu'il se soit mis avec Sara, déclara Nils lorsqu'ils roulèrent sur la départementale.

Sören regardait par la fenêtre le paysage qu'il avait tant emprunté avec Éloi, dans le bus qui les emmenait au lycée ou en vélo lorsqu'il faisait beau. Il voulait retenir la place des arbres, des champs et des forêts qui défilaient devant ses yeux. Il voulait se les remémorer une fois qu'il ne serait plus là.

— Tu sais pourquoi notre famille ne parle plus à Oskar ?

— Non.

— Il a été pédé, lui aussi, quand il était plus jeune. Crois-moi que ton grand-père ne l'a pas traité aussi gentiment que ce que j'ai fait avec toi. Ça a été un scandale de le savoir avec un mec. Un scandale.

Sören ne répondit rien, mais plusieurs morceaux du puzzle vinrent s'assembler dans sa tête. Il comprenait mieux pourquoi son oncle l'avait couvert.

— Je l'ai surpris, un soir, en train de fricoter avec le voisin. Je l'ai clairement bien amoché, puis notre père s'est chargé de la suite. Et il n'y est pas allé de main morte.

Nils ricana au souvenir de son père. Le vieux ne lui manquait pas. Il le préférait mort.

— C'est pour ça qu'il n'a rien dit pour toi ! Et dire que je lui ai fait confiance... Cette petite merde s'est trouvé une femme et j'ai cru qu'il était guéri ! Eh bien non, apparemment il ne trouve rien de mieux que de te laisser aller dans cette direction. C'est honteux.

Il s'arrêta dans son monologue. La voiture entra sur l'autoroute.

— Plus jamais tu ne reverras Oskar. À partir de maintenant, je n'ai plus de frère. Il est mort. Tu m'entends ? Je ne veux plus non plus entendre son prénom. Et encore moins celui de ta folle. Est-ce que c'est clair ?

— Oui.

— Je ne plaisante pas. Une fois de retour à la maison, j'attends de toi le comportement le plus exemplaire qui soit. Et tu vas te sortir ces idées de pédé de ta petite tête d'imbécile. Si tu n'y arrives pas par toi-même, je saurai t'y aider.

— Oui.

Sören était éteint. Tout son enthousiasme, tous ses sourires, il les laissait à Hvall. Il récupérait désormais sa vieille identité, celle d'un fils totalement soumis à son père, mais aussi très indifférent aux réactions de celui-ci. C'était même pour cela qu'il avait fini par faire n'importe quoi durant son année de seconde. Il savait qu'il n'échapperait jamais aux coups. Donc à quoi bon ? Comme mort, il cessa de regarder le paysage et ferma les yeux. C'était les contours du visage d'Éloi qu'il essaya de se remémorer, comme un mantra à se répéter pour survivre.

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