Chapitre vingt-deux : Enemy
https://youtu.be/4FsO17x6QGE
« I remember when I saw the world so clear
Would give up anything if I could pause life there
I don't need a thing, don't need a voice on me »
Ni le lundi, ni le mardi, ni le mercredi, le lycée ne vit la silhouette d'Éloi. Il était dans sa chambre, isolé, silencieux. Il mangeait à peine, grignotant aux heures où il ne pouvait pas croiser ses parents dans les pièces communes. Il continuait de prendre correctement ses médicaments, mais le vide en lui était à nouveau présent.
Ses draps avaient toujours l'odeur de Sören, mais pour combien de temps ?
Il portait le même haut depuis que son petit ami lui avait été arraché. C'était un t-shirt du garçon et il ne voulait pas le retirer. Comme s'il cherchait à se figer dans un court laps de temps, refusant d'en sortir dans l'espoir de préserver la présence de Sören à ses côtés, de le retrouver. Puisque, avancer, cela, il ne le voulait pas. Avancer signifiait qu'il devait accepter que Sören n'était plus à ses côtés.
Ses parents essayèrent de lui parler quelques fois. Malgré leurs intrusions dans la chambre d'Éloi, ils se heurtèrent à un mur. Ils se sentaient trop coupables et impuissants pour agir.
Lorsqu'il ne pleurait pas, Él écoutait de la musique et fixait le plafond de sa chambre ou la fenêtre par laquelle Sören s'était faufilé plusieurs fois. Il se noyait dans les souvenirs de la peau de son amoureux, il essayait de se remémorer ses courbes, les traits de son visage, la forme de ses lèvres qu'il aimait toucher lorsqu'il souriait. Il se remémorait indéfiniment le rire de Sören, certains de ses tics de langage et les surnoms qu'il lui donnait. Sweetheart. Sweetheart. Éloi rêvait de l'entendre répéter à nouveau ce mot, que ce soit dans un murmure lorsqu'ils faisaient l'amour ou lorsqu'ils discutaient plus sérieusement et que Sören utilisait cela pour apaiser le débat. Oh, qu'est-ce qu'il lui manquait alors qu'il n'était privé de lui que depuis deux jours... Jamais il ne voulait que son esprit efface la moindre réminiscence de son amour.
Le pire, cependant, était la trace dans sa mémoire des cris du garçon, de ses supplications pour qu'il ne le lâche pas et ne le laisse pas partir. Cette voix brisée, elle le réveillait la nuit. L'un de ses cauchemars l'avaient même mortifié. Il avait vu Sören dans la cave où lui-même avait été enfermé, et il criait de douleur face à son ravisseur qui le frappait sans relâche. Tout se confondait dans la brume des songes et Éloi en avait vomi le peu de choses qu'il avait mis dans son estomac.
Ce mercredi-là, cependant, tard dans la soirée, alors qu'il était allongé de côté sur son lit, replié sur lui-même, il fut surpris d'entendre la voix de Sara résonner dans l'entrée de la maison. Elle semblait pleurer et expliquer à Maïwenn, seule présence en dehors de lui dans la maison, qu'elle venait d'apprendre la nouvelle. Oskar ne l'avait pas prévenue et l'avait laissée dans l'ignorance jusqu'à son retour.
Cela secoua Éloi. Sara avait été dupée. Il eut mal pour elle.
Mais il resta immobile. De toute façon, il n'avait pas le cœur à entendre un chagrin autre que celui qu'il portait et qui le tirait vers le bas.
Il fut malgré tout contraint d'entendre la porte de sa chambre s'ouvrir de longues minutes plus tard, sans doute après que les deux femmes eurent échangé sur les récents évènements. Maïwenn lui annonça que Sara était là et qu'elle souhaitait le voir. Silencieux, il avait juste entendu la tante de Sören s'approcher du lit où il se trouvait.
Elle s'accroupit devant lui et le regarda d'un air si triste que cela pinça le cœur d'Éloi.
— Je suis désolée pour toi Él, je suis vraiment désolée...
Quelques larmes lui échappèrent des yeux lorsqu'elle parla.
— Est-ce que je peux rester un peu avec toi ?
Le garçon acquiesça et vit Sara s'asseoir près de lui sur le lit. Tout d'abord réticente, elle prit finalement l'initiative de caresser doucement les cheveux d'Éloi, dégageant ses mèches qui tombaient devant ses yeux. Il ne réagit pas, la laissant faire, même s'il frémissait d'être touché par quelqu'un d'autre que Sören.
— Tu as l'air épuisé...
Il ne répondit pas.
— Ta mère m'a dit que tu n'étais pas sorti d'ici depuis lundi, que tu mangeais à peine, dormais mal et ne t'étais pas lavé non plus.
Silence.
— Je comprends totalement ton chagrin, mais il faut que tu te reprennes. Si ce n'est pour toi, fais-le pour Sören... Crois-tu qu'il supporterait de te voir dans cet état ? Après tout ce que vous vous êtes apportés ? Je pense qu'il voudrait te voir avancer.
Éloi sentit de nouvelles larmes sortir de ses yeux. Il se demandait s'il pourrait les épuiser toutes, un jour.
— Mais avant, il faut que tu te reposes, sainement. C'est important.
Sa main continuait de passer tendrement dans les cheveux d'Éloi. Elle ne fit aucun commentaire lorsqu'elle remarqua qu'il pleurait.
— J'aimerais bien que tu t'endormes ce soir, et que demain, tu te lèves, tu ailles te laver, préparer tes affaires et voir tes amis au lycée. Est-ce que tu veux bien faire cela ?
Éloi n'osa pas s'opposer à la volonté de Sara. Il acquiesça doucement. Il ouvrit la bouche pour essayer de parler, mais ne parvint pas à faire sortir le son de sa voix.
Sara dut s'en rendre compte. Elle lui soupira qu'elle était infiniment triste de savoir que Sören était retourné vivre avec son père et qu'elle ressentait beaucoup de colère à l'égard des deux frères Rosberg. Mais elle ne voulait pas y succomber, elle voulait tenir bon pour Sören et se promettre de le revoir le plus tôt possible.
— Il a bientôt dix-huit ans, mon chéri, donc ne désespère pas. On le récupérera, d'accord ? Je suis sûre qu'on trouvera un moyen de le ravoir près de nous.
— Son anniversaire est en juin... C'est dans si longtemps... Il peut se passer n'importe quoi d'ici là.
Ce furent les premiers mots qu'Éloi prononça. Sara avait stoppé ses caresses tandis qu'il parlait, mais elle les reprit.
— Sören t'aime tant que je sais qu'il se battra pour revenir. C'est évident. Il est bien trop heureux ici pour ne pas décider de laisser son père là-bas dès qu'il en aura légalement le droit.
Éloi haussa des épaules. Pour lui, Sara sous-estimait le monstre qu'était Nils Rosberg.
Tout doucement, alors qu'il sentait l'angoisse monter en lui, il entendit Sara commencer à chanter. Sa voix était claire et elle lui chanta une berceuse aux paroles déchirantes. C'était un vœu. Les paroles étaient celles d'une femme qui souhaitait à son amour d'être en paix et de voyager sereinement. Les mots touchèrent profondément Éloi. Il ferma les yeux et laissa les larmes glisser sur son nez. La main rassurante de Sara continua de caresser ses cheveux, essayant de lui apporter un réconfort qu'il ne trouvait pas tout seul. Et, avant la fin de la berceuse, il se sentit s'endormir et ne s'en retint pas.
***
— Tu es une magicienne, dit Maïwenn lorsque Sara ressortit de la chambre d'Éloi.
— Il est un peu plus paisible, mais je ne sais pas s'il fera ce que je lui ai demandé...
La mère d'Él sourit tristement.
— Je prendrai soin de lui avec vous, pour mon neveu. Je veux qu'il se remette de cela pour que, quand ils se reverront, Sören le voit heureux.
— Penses-tu que cela sera possible ?
— Je l'espère.
Sur ces mots, la porte d'entrée s'ouvrit et Valentin apparut. Sara lui sourit en le voyant avancer vers elles. Des cernes marquaient son visage et le contour de ses yeux était davantage plissé, comme cristallisé dans la peine.
Ils échangèrent quelques mots, réexpliquant à Valentin le fait que Sara n'avait pas été mise au courant. Puis, Maïwenn proposa à la tante de Sören de prendre une tisane avec eux avant de repartir. Il était déjà tard, mais Sara n'avait pas hâte de retrouver son mari.
— Je ne sais pas si je vais tenir encore très longtemps... soupira Valentin en suivant les deux femmes dans la cuisine.
Aucune d'entre elles ne savaient s'il parlait de la situation avec Éloi ou de sa fatigue du soir.
— Comment va-t-il ? demanda-t-il.
— Pas mieux que quand tu es parti cet après-midi.
— Il faut qu'on appelle sa psychiatre demain, ça ne peut pas durer. On va avancer le rendez-vous.
Maïwenn acquiesça.
— Ce qu'il ressent est douloureux, mais sa réaction... Leurs réactions n'étaient pas normales.
— Comment cela ? questionna Sara.
Maïwenn détourna les yeux. Elle n'était pas entrée dans les détails des événements du lundi matin. Vraisemblablement, Oskar s'était tu aussi.
Valentin fronça les sourcils.
— Eh bien, on a dû les séparer de force... C'était horrible. J'avais l'impression de faire volontairement du mal à mon fils...
Sara ferma les yeux et expira bruyamment.
— C'est ce qu'il pense, répondit Maïwenn. C'est ce que ressent Él.
Valentin tiqua. Depuis lundi, il n'arrêtait pas de passer de la culpabilité au déni, refusant de se dire que son fils lui en voulait rationnellement. Certes, la scène avait été déchirante, mais c'étaient deux adolescents, ils étaient forcément dans l'exagération.
Il regarda sa femme, qui préparait le thé pour eux, en verrouillant ses émotions. Ce soir, il n'était pas dans la culpabilité, mais essayait de se rassurer en pensant qu'Él avait surtout besoin de soins pour comprendre que personne n'avait essayé de lui faire du mal. Après tout, Sören n'était pas mort et sa majorité approchant, il n'y avait aucune raison pour qu'ils ne se retrouvent pas un jour ou un autre. Il devait prendre son mal en patience. Cependant, le regard de Maïwenn en disait long. Elle ne partageait pas cet avis. Depuis lundi, bien qu'elle lui accordait du crédit, elle gardait en elle une forme de rancœur. Entendre Éloi hurler ainsi avait décousu son cœur. À ses yeux, son fils avait suffisamment souffert pour plusieurs vies sans qu'on lui ajoute une telle perte.
— Nils est une pourriture, leur dit Sara pour mettre un terme au silence. Il a agi pour nuire, c'est évident. Depuis que je le connais, je ne l'ai jamais vu se montrer doux avec Sören. Il a toujours été possessif et tyrannique avec lui, exigeant que son fils se conforme à ses désirs...
— On a essayé de discuter, pensant qu'il était probablement raisonnable.
Maïwenn lui avait déjà dit, lorsqu'elle était arrivée, mais c'était plus un moyen pour elle de se rassurer, de se dire qu'ils avaient essayé d'éviter la séparation brutale.
Lasse, elle fit chauffer l'eau dans la bouilloire et sortit trois tasses qu'elle déposa sur le bar de la cuisine.
— Nils, raisonnable ? ironisa Sara. On pourrait le prendre simplement pour un connard de père homophobe et borné, mais croyez-moi, ce type aime surtout garder le contrôle sur les autres. Il contrôle mon mari depuis des années. Oskar est un foutu caniche quand son frère lui parle. Il s'écrase et obéit, c'est tout.
— Hm, je pense à... s'interrogea soudainement la mère d'Éloi. Sara, dis-moi, j'ai eu une discussion avec Sören, la veille de son départ, avant que tout ça nous tombe dessus. Il a fini par me dire qu'il avait parfois été battu quand il était plus jeune. Est-ce que tu crois que c'est encore le cas aujourd'hui ?
Valentin releva les yeux vers sa femme, surpris qu'elle ne lui ait pas parlé de cela plus tôt.
— Je ne sais pas... Quand Sören est arrivé, il était un peu fermé et surtout très timide. Il demandait des autorisations pour tout, que ce soit pour prendre des couverts dans les tiroirs, utiliser des serviettes de bain... Bref, je me disais qu'il était simplement déboussolé d'arriver dans un nouvel environnement. Et avant sa venue, je ne l'avais pas vu autrement que par Skype depuis au moins deux ans. Il... Je ne sais pas, j'ai toujours vu que Nils avait une emprise sur lui, qu'il le tenait fermement, et j'ai suspecté quelques fois qu'il soit violent, oui, c'est vrai.
— Aucune preuve ?
— Pas à ma connaissance. J'ai questionné Oskar à ce sujet et il m'a dit que Nils pouvait être sévère, mais qu'il ne fallait pas que je m'inquiète.
Sara passa une main sur son visage et sentit ses nerfs se contracter.
— J'aurais dû interroger davantage le loulou, surtout après les deux visites de son père. Il n'était pas dans son état normal. J'ai remarqué quelques gestes brusques de la part de Nils mais à aucun moment je ne l'ai vu frapper Sören.
Ses mains passèrent derrière sa nuque et elle regarda quelques secondes le plafond comme si une réponse pouvait soudainement s'y inscrire.
Maïwenn servit les tisanes et souffla sur la sienne, sitôt qu'elle la prit entre ses mains.
— Est-ce que je suis passée à côté de ça ? reprit Sara. Parce que je suis perdue. Je hais ce Nils, je n'ai jamais pu le saquer, mais je me suis toujours promis de ne pas laisser mon jugement empiéter sur les histoires de famille d'Oskar. Certes, c'est une drôle de famille ceux-là : pas proches, souvent en froid, assez conservateurs sur de nombreux sujets... Quand le grand-père est mort, Oskar a refusé qu'on aille à l'enterrement. Il n'avait de contact qu'avec son frère aîné. Et littéralement, tous deux ont toujours mis une grande distance entre eux et leur famille.
— Donc aucune preuve ? redemanda Valentin, suspicieux à son tour. Le type était vraiment véhément quand on l'a rencontré. J'avoue avoir moi-même eu peur de ce dont il était capable. On voyait qu'il se maîtrisait et se contenait malgré les menaces.
— Et quand Sören était petit ? interrogea Maïwenn.
— Petit, ça, oui, j'ai déjà entendu le gamin se prendre des claques, souvent des fessées. Denise, la mère de Sören, était mortifiée quand ça arrivait. Je me suis déjà engueulée avec Nils à ce propos, parce que je trouvais toujours qu'il réagissait ainsi pour des broutilles et que ça n'avait pas de sens, surtout qu'il ne s'occupait que très peu de son fils le reste du temps. Après la mort de ma belle-sœur, je n'ai plus eu l'impression que Nils...
Sara s'interrompit et frotta ses yeux.
— Y'a peut-être eu une fois, mais je ne suis pas sûre. C'était il y a trois ou quatre ans... Plutôt quatre... Avec Oskar, on faisait un road trip en Angleterre durant l'été et nous avions décidé de faire la surprise à Nils et Sören. On ne les a prévenus que le matin pour l'après-midi. L'accueil a été particulièrement froid. Et je me souviens que Sören était très pâle. Il ne disait presque rien. En revanche, je me rappelle l'avoir vu grimacer à chaque fois qu'il s'asseyait ou qu'il bougeait trop vite. Putain... Je sais pas... Est-ce que c'est possible d'être témoin de violences et d'être suffisamment con pour ne rien voir ?
Sara avait de nouveau les larmes aux yeux. Elle imaginait son neveu, si chaleureux et drôle, en train de pleurer tandis que son père le frappait.
— Je ne sais pas, dit Maïwenn, en revanche, on peut peut-être lancer les services sociaux sur la gueule de ce Nils.
— Pour ça, il nous faut quelqu'un qui parle bien anglais et il nous faut aussi de bonnes raisons, intervint Valentin.
— Je vais cuisiner mon abruti de mari, déclara Sara. Je veux récupérer mon neveu.
Maïwenn et Sara échangèrent un regard qui étonna Valentin. Elles étaient déterminées. De son côté, il acquiesça à l'idée et se dit qu'il devait bien cela à son fils. Déployer ses forces pour récupérer Sören et le protéger, c'était un bon moyen de se réconcilier avec Éloi.
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