Chapitre vingt-cinq : Reason to Believe

https://youtu.be/0kJdWJXxF3Y

« The story's far from done
Stop hurting yourself
Those tired sores have nothing more to bleed »


Éloi tenait son téléphone entre ses mains et filmait le paysage qui l'entourait. Pour la première fois depuis le départ de Sören, il était retourné à la clairière. Le printemps bousculait le paysage mais la douceur du temps lui accordait une forme de plénitude. Les arbres, les herbes, les champs, tout était vert, coloré, lumineux, comme un écho fragile des automnes réconfortants. Il parla en avançant, s'adressant directement à Sören pour lui décrire ce qu'il filmait. Il lui parlait de leurs ballades passées. Il lui parlait de son envie de le revoir ici. Sa voix restait neutre, bien qu'infectée de tristesse. Cependant, depuis la vidéo de Sören, il parvenait à se sentir plus léger. À défaut d'en savoir beaucoup, il avait au moins vu que son petit ami était entier.

Plus tard dans la journée, il filma aussi sa maison, avançant dans l'entrée, montrant le salon, la cuisine puis se dirigea doucement vers sa chambre. Tout le long, il fit un compte rendu sur l'état de santé des plantes. Él savait que cela pourrait faire rire Sören. Quant à sa chambre, elle était davantage rangée que ces dernières semaines, donc plus montrable.

Pour le moment, il ne savait pas comment se filmer, mais tout en prenant son courage à deux mains, il coupa la vidéo actuelle puis organisa, sur son bureau, un espace pour mettre le téléphone au niveau de son visage. Il voyait son reflet, ses joues légèrement creusées et son intense fatigue, mais il ne pouvait rien changer à cela. Tout en prenant une grande inspiration, il appuya sur le bouton « enregistrer » et prit la parole.

« Mon amour, je... »

Sa voix tremblait. Il pinça ses lèvres et se força à se concentrer. Il reprit :

« Merci pour ton message, pour ta chanson. C'était sublime. J'étais si ému que j'ai mis un peu de temps à m'en remettre et à te répondre. Je suis désolé. C'était difficile. Mais du coup, j'en ai profité pour te filmer notre clairière et quelques lieux qu'on a fréquentés ensemble... J'espère que cela te fera plaisir. Ça n'est pas aussi beau qu'une chanson, mais c'est tout ce que je pouvais t'offrir... »

Éloi serra ses yeux pour bloquer ses larmes. Il était fatigué de pleurer.

« Je m'étais isolé... Tu avais totalement raison. Mais Marlène a été extraordinaire et a réussi à me faire revenir vers elle et nos amis. Depuis, ils se relaient pour s'asseoir à côté de moi en cours. C'est pas parfait, j'ai... Je pense que je suis encore choqué par la façon dont on a été séparés, mais voilà, c'est un petit pas pour aller mieux. »

« Pour l'instant, je ne suis pas près de reparler à mes parents. Ils nous avaient demandé de leur faire confiance, qu'ils trouveraient une solution pour que tu restes ici. Et le fait que mon père ait participé à notre séparation... Je suis incapable de lui pardonner pour le moment... Je sais que cela va te décevoir, mais j'ai besoin de temps. »

Éloi marqua une pause et réfléchit à ce qu'il pourrait dire. Il aurait préféré que ce soit une conversation. Là, parler face à un écran, cela rendait le contact mécanique. Peu humain.

« Je voudrais tellement qu'on se revoie. Je refais des cauchemars depuis que tu n'es plus là et j'ai sans cesse peur qu'on te fasse du mal... Je t'en supplie, demande à Alexiane de me donner des nouvelles de toi le plus souvent possible. J'ai besoin d'être rassuré et de croire qu'on va bientôt se revoir, que ça ne peut pas durer ainsi éternellement. J'ai envie de te croire quand tu dis qu'on se retrouvera et que ça ira mieux. Parce que dans le cas contraire, je ne sais pas comment faire. Ça fait des années que je me bats contre mon passé, que je me sens hanté. Ton arrivée a tout changé, et puis tu m'as été arraché. J'ai cru mourir une nouvelle fois... »

« Désolé... C'est un peu déprimant, mais je n'ai pas ta force, comme je te l'ai déjà dit. De nous deux, c'est toi le plus combatif, moi, je suis juste un survivant... »

« Sache que je t'aime infiniment aussi. Je t'aime tellement que ça m'en fait mal, mais je ferai de mon mieux pour aller de l'avant et te retrouver. Reviens vite, fuis ton père dès que tu le peux, rejoins-moi... Je t'aime. Je t'embrasse. Et... »

Éloi sentit des larmes glisser sur ses joues. Il murmura un autre mot d'amour à Sören puis coupa la vidéo. Tout en prenant une grande inspiration, il calma son envie de pleurer et alluma son ordinateur pour préparer son mail et l'envoyer à Alexiane.

***

Deux semaines plus tard, Nils était à son bureau lorsqu'il reçut l'appel du British Council concernant les droits de l'enfance. La voix de l'homme à l'autre bout du fil le paralysa. Il lui annonçait une visite dans l'après-midi, à son domicile, durant laquelle son agent viendrait évaluer le traitement de Sören et son environnement. L'homme ajoutait qu'ils avaient essayé de venir dans la matinée mais qu'il s'était heurté à une porte fermée. Nils, perplexe, demanda pourquoi on voulait le rencontrer. On lui répondit qu'ils avaient reçu un signalement pour maltraitance, mais ne pouvaient en dire plus. Nils écarquilla les yeux face à cette déclaration et assura à son interlocuteur qu'il serait présent à son domicile, auprès de son fils, pour éclaircir cette histoire. Le signaler pour maltraitance lui semblait incongrue. Il éduquait Sören, voilà tout.

Sa matinée de travail fut particulièrement houleuse. Il sentait une certaine pression se poser sur ses épaules et haïssait la sensation. Il s'interrogeait sur l'origine du signalement, se demandant si Sören lui-même avait pu obtenir un téléphone et contacter la police ?

Cependant, il n'imaginait pas son fils lui manquer à ce point de respect. Cela devait venir de l'extérieur. Il pensa à Oskar et Sara, ainsi qu'aux parents du petit enculé. Eux, en revanche, étaient bien capables de lui mettre une procédure au cul.

Ainsi, en colère, il se rendit aux toilettes de son entreprise pour se rafraîchir avant d'annoncer son absence pour l'après-midi. Les secrétaires annulèrent et réorganisèrent ses rendez-vous afin qu'il puisse perdre du temps face à cet agent de protection des mineurs. Sören allait avoir dix-huit ans dans deux mois... C'était ridicule.

Lorsqu'il rentra chez lui, le midi, il surprit son fils. Ce dernier semblait être en train de finir un travail avec Alexiane, la prof de sciences. Nils les trouva, malgré tout, étranges. Ils le regardaient avec méfiance, comme s'il les avait aveuglés plein phares. Il inclina sa tête, sans dire un mot, et observa l'enseignante refermer son ordinateur et indiquer à Sören qu'elle en avait fini avec le chapitre.

Coup de bluff ou non, Nils se promit de creuser l'affaire, mais pas avant l'arrivée de l'agent. Non. Là, il devait se concentrer sur cette visite.

— Tu rentres tôt, fit remarquer Sören en se levant maladroitement.

Alexiane en fit de même, commençant à ranger ses affaires sans trop oser regarder son employeur. Nils était désormais certain de pouvoir les trouver suspicieux.

— On est chez moi, non ? dit-il à son fils en posant ses clés sur le buffet de l'entrée.

Il s'avança ensuite vers eux et la professeure leur glissa un vague aurevoir avant de filer hors de l'appartement.

— Ça avance la préparation du bac ?

— Oui. On est assez efficaces.

— Que veux-tu manger ce midi ?

Cette fois-ci, ce fut Sören qui dévisagea son père avec soupçon.

— Je peux commander quelque chose. Qu'est-ce qui te ferait plaisir ? poursuivit Nils.

— Ce que tu veux...

Le jeune homme réunit ses affaires et observa, du coin de l'œil, son père sortir son téléphone. Il passa deux appels à la suite : le premier annulait la venue d'Éric dans l'après-midi, ce qui perturba Sören ; le second était pour la pizzeria du coin. Il commanda deux calzones, une bouteille de soda et deux parts de tartes au chocolat.

Sören le trouva encore plus étrange lorsqu'il raccrocha et lui demanda si son choix lui convenait. Ne sachant pas quoi répondre, le garçon acquiesça et partit déposer ses affaires dans sa chambre. Ses mains tremblaient légèrement. Il n'était pas habitué à voir son père en plein de la journée. Et là, avec Alexiane, ils venaient de risquer gros. Elle terminait de lui montrer une seconde vidéo d'Éloi dans laquelle Sören avait eu la chance de revoir les visages de ses amis. Él avait passé du temps à Landerneau avec eux, et chacun à leur tour, il lui avait envoyé un gentil message.

Cela avait réchauffé son cœur, surtout après les premières vidéos particulièrement émouvantes d'Él et ses propos tristes.

Si Nils était arrivé quelques minutes plus tôt, il aurait sans doute surpris les vidéos et découvert qu'Alexiane était complice de Sören pour maintenir un lien avec la France.

Au bout d'une bonne demi-heure, son père vint le rejoindre dans sa chambre pour lui annoncer que la commande allait arriver. Sören le suivit dans le salon et mit la table pour deux, continuant d'observer discrètement son père. Il ne l'avait jamais vu aussi inquiet. C'était incongru.

Une fois la nourriture livrée, ils mangèrent en silence. Nils fixait intensément son fils, plein de questions au bord des lèvres mais incapable d'en formuler une seule. Lorsqu'ils terminèrent leur repas, Sören débarrassa la table et plaça les couverts dans le lave-vaisselle.

L'interphone sonna soudainement, le faisant bondir. Il sortit de la cuisine et vit son père partir ouvrir la porte de l'immeuble et indiquer le chemin jusqu'à l'appartement. Tout était troublant. Et cela le fut davantage lorsque Sören entendit la personne se présenter « Ms. Wilson, Child Protective Services. » Le jeune homme sentit son souffle se couper. Un agent de protection des droits de l'enfance venait de sonner chez lui. Il avait l'opportunité de tout révéler. De partir. De rejoindre Éloi. Son cœur se serra. Il comprit alors pourquoi son père venait de se montrer si mielleux. Et pourquoi il était actuellement en train de jouer la comédie auprès de la femme.

Nils fit entrer l'agente et l'amena dans le salon pour la présenter à son fils. Sören la dévisagea. Elle était petite. Ses cheveux noirs étaient coupés au-dessus de ses épaules. Elle portait des lunettes et ses vêtements se voulaient très formels. Lorsqu'elle vit le garçon, elle lui tendit une main amicale, affichant un léger sourire.

Ms. Wilson demanda rapidement à Nils si elle pouvait s'entretenir seule avec Sören avant de leur parler à tous deux.

— On m'a dit que vous parliez que le français, annonça-t-elle avec un accent très marqué en regardant le jeune homme.

Sören lui expliqua qu'il était bilingue mais elle assura qu'elle pouvait maintenir la conversation en français. Pour détendre l'atmosphère, elle lui dit que cela lui permettrait de progresser.

— Comme vous le souhaitez.

Ils s'assirent à la table du salon où Nils et Sören étaient installés quelques minutes plus tôt. Le père s'était isolé dans le bureau en attendant d'être rappelé.

— Sören Rosberg, n'est-ce pas ?

— Oui.

— On a signalé à la police une situation de maltraitance vous concernant. Comment sont vos rapports avec vos père ?

Sören la trouva tristement maladroite. Il ne comprenait pas pourquoi la question était si directe. Était-ce parce qu'il était proche de la majorité et qu'elle se fichait un peu de la situation qu'il pourrait potentiellement vivre ? Ou parce qu'elle parlait mal français ?

— Pas incroyables, répondit-il brièvement. Qui vous a signalé mon père ?

— Je ne peux le dire. Confidentiel.

Il la regarda avec méfiance. Est-ce qu'Alexiane avait dénoncé Nils ? Ou est-ce que l'appel venait de plus loin que cela ? Est-ce qu'Oskar y était pour quelque chose ?

— Pas incroyables ?

Can we speak in English ? I'm not comfortable in French right now. (Pouvons-nous parler en Anglais ? Je ne suis pas à l'aise en français, là.)

Ms Wilson acquiesça et se montra moins maladroite dans la langue de Shakespeare. Sören se demandait si cette femme avait bien pris au sérieux l'appel que le British Council avait reçu. Elle l'écoutait et prenait des notes sur son calepin, haussant un sourcil de temps à autres. Il n'osait pas lui confier que son père était violent et ne comprenait pas pourquoi il n'y arrivait pas. La stature de la femme ne le rassurait pas. Il se demandait ce qu'il se passerait s'il avouait tout. Où irait-il ? Le laisserait-elle avec son père, le temps de démêler ses propos ? Dans ce cas, Nils n'hésiterait pas à se venger pour la délation. Et Sören n'avait pas envie de souffrir à nouveau. Il n'avait presque pas été physiquement maltraité depuis son arrivée. Le jeu en valait-il la chandelle ? Si c'était pour le renvoyer en France, alors oui, cela valait la peine, mais il devrait partir ce soir. Tout de suite. Ne pas attendre une minute. Il devrait fuir avec Ms Wilson et la laisser le protéger. Ce qui semblait ridicule aux yeux de Sören.

Pourquoi le protégerait-elle urgemment ?

Where would I go if you should place me somewhere ? (Où irai-je si vous deviez me placer quelque part ?) demanda-t-il à la femme lorsqu'elle rangea son stylo.

Elle s'apprêtait à rappeler Nils.

We don't have many charges against your father. So, I think you'll stay here and we'll meet again at some later time. Or, if you feel unsafe in your father's home, your records say you have your mother's parents in Cambridge. So, we could place you... (Nous n'avons pas grand chose contre votre père. Donc, je pense que vous resteriez ici et que nous nous reverrions une autre fois. Ou, si vous ne vous sentez pas en sécurité chez votre père, votre dossier dit que les parents de votre mère vivent à Cambridge. Donc, nous pouvons vous placer...)

No, thanks, (Non merci,) répondit Sören sans hésitation. I'm staying here... (Je reste ici...)

La femme acquiesça et alla toquer à la porte où elle avait vu Nils s'enfermer. Ce dernier sortit, fixa froidement son fils en venant s'installer à ses côtés. Ms Wilson l'interrogea sur la façon qu'il avait de s'occuper de Sören. Il se montra relativement honnête, mais n'alla pas dans les détails. Il admettait être un père autoritaire et n'avoir pas hésité à punir physiquement son fils lorsque cela était nécessaire, mais il ne parla pas des coups les plus récents, occultant totalement le fait qu'il continuait encore de le frapper. Sören n'osa rien dire. Il n'y avait pas de loi qui interdisait cela en Angleterre, donc Ms Wilson ne pouvait que noter les informations dans son dossier et conclure qu'elle reviendrait dans un mois pour voir comment Sören se sentait. Elle signala aussi que la majorité du jeune homme arrivant, elle ne reviendrait plus après le mois de juin. Nils acquiesça, expliquant qu'il comprenait tout à fait sa démarche et qu'il était ravi que des instances s'occupent de préserver l'intégrité des enfants.

Sören secoua la tête en l'entendant parler. Il avait totalement manipulé la femme. Cette dernière, d'ailleurs, ne semblait pas indifférente au charme de l'homme. Cette posture assurée pouvait faire croire qu'elle était rassurante. Or, il n'en était rien. Sören soupira lorsque la porte se ferma et que son père revint dans le salon.

— De quoi se mêlent-ils ? C'était quoi cette visite ? Incroyable.

Il était énervé. Sören baissa la tête, n'osant pas affronter son regard.

— Qui a pu faire une chose aussi absurde ? De la maltraitance ? Et puis quoi encore ? Tu es nourri, logé, éduqué. Je te paye des professeurs particuliers. Je fais en sorte que tu deviennes un adulte raisonnable, droit et que tu réussisses ta vie. Qui a pu avoir une idée aussi absurde en lançant les services sociaux sur moi ?!

Il marqua une pause, regarda autour de lui puis fixa à nouveau son fils.

Pour Sören, c'était stupéfiant de constater à quel point son père était convaincu de bien faire, de bien agir. Certes, lui aussi avait parfois cru que c'était normal que Nils soit ainsi, mais désormais, c'était autre chose. Il s'était mentalement échappé de cette violence.

— Ingrat. Je t'ai entendu parler. Tu étais à deux doigts de t'en aller, n'est-ce pas ? Profiter de la visite de cette femme pour retourner en France ?

Sören ferma les yeux. Il ne voulait pas répondre. C'était évident qu'il avait eu envie de partir et d'utiliser la présence de l'agente pour le faire. Mais lorsqu'elle avait mentionné ses grands-parents, il avait préféré se rétracter.

— Réponds-moi !

— J'y ai pensé, oui.

Sa tête s'enfonça dans ses épaules. Il ferma les yeux en attendant la suite.

— Il n'y a vraiment aucun bon sens dans ta petite tête ! C'est incroyable ! Je te donne tout ce qu'il te faut et toi, tu veux simplement rejoindre des personnes totalement irresponsables ?!

Nils s'arrêta de parler et s'approcha de Sören. Il lui demanda de relever la tête vers lui. Lorsque le garçon le fit, il lui ordonna froidement de partir dans sa chambre et de l'y attendre. Sören ouvrit la bouche, éberlué par l'annonce. Juste après la visite d'une agente de la protection des enfants...

— C'est pour ça que tu t'es ramassé le British Council au cul ! répliqua-t-il à son père en se levant. Tu comprends pas, non ? Ils ont raison ! Tu me maltraites !

Nils le gifla avec force. Sören tituba sur le côté, manquant de tomber. Rarement un coup au visage n'avait été si douloureux. Il était persuadé d'en garder une marque les prochains jours.

— Dans ta chambre. Tout de suite.

Le jeune homme jeta un regard noir à son père. Il se tut mais le fixa de longues secondes avant d'obéir et de partir dans sa chambre. À quoi bon lutter, hein ? C'était tout ce à quoi il pouvait penser tandis qu'il s'attendait, encore une fois, à finir dans un état pitoyable.


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Si quelqu'un passe par ici et a des connaissances sur le système britannique, je suis preneuse. J'ai fait quelques recherches, mais rien de concluant et j'aime bien être validée...

On approche de la fin :) Ca me fait bizarre ! Happy Ever After ? Ou vais-je être cruelle ?

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