Chapitre un : Shadow of the Day
https://youtu.be/cEgsUUhqdlg
Première partie : Rise Again
« Oh dear world can you see me now?
There's no more air left here to breathe
I don't know what to believe
Won't you hear me screaming out?
I feel so lost and numb inside
Will I ever rise again? »
https://youtu.be/05Z-DNcgRB8
Chapitre un : Shadow of the Day
« I close both locks below the window
I close both blinds and turn away
Sometimes solutions aren't so simple
Sometimes goodbye's the only way, oh »
Cela n'arrivait pas souvent, mais parfois, le père d'Éloi l'emmenait jusqu'au lycée en voiture. Lorsqu'il avait un engagement à tenir à Brest, il déposait toujours son fils sur le chemin, se disant que c'était un moment propice pour créer du lien entre eux. Mais Éloi n'aimait pas cela. Éloi préférait prendre son bus de campagne, s'installer confortablement contre une fenêtre et contempler la route, les arbres qui défilaient et le lever du soleil à l'horizon, toujours enchanteur à ses yeux. Il aimait mettre sa musique et simplement disparaître aux yeux du monde. Cependant, il ne le disait pas à son père et acceptait que celui-ci l'emmène. Simplement, la conversation lui manquait.
— Tu termines à quelle heure aujourd'hui, déjà ? demanda M. Barzh sans lâcher la route des yeux.
— Hm, dix-huit heures. Pourquoi ?
— Ah, bon, il faudra que tu reprennes le bus, je serai sûrement encore à la ville à cette heure-là, sauf si tu préfères m'attendre ?
— Non, je prendrai le bus. Pas de problème.
Un silence suivit ce court échange. M. Barzh soupira et jeta un œil à son fils.
Tourné vers la fenêtre, Éloi avait les bras croisés et semblait absorbé par le paysage. Son père ne pouvait voir que ses cheveux noirs coupés très courts au-dessus de la nuque et partiellement recouverts par les cheveux plus longs du dessus. Il ne savait même pas comment on appelait cette coupe, qu'il trouvait originale, et qui saillait bien à son fils.
— Él ?
Le jeune homme se tourna furtivement vers lui, surpris. Ainsi, M. Barzh put mieux le regarder. L'expression d'Éloi était assez fermée, proche de l'indifférence. Il croisa son regard gris, caché derrière ses lunettes de vue qu'il n'aimait pas porter.
— Ça se passe bien au lycée ? Tu ne nous en parles presque pas...
— Parce qu'il n'y a pas grand-chose à dire. On n'est même pas encore fin septembre.
— Tu te fais des amis cette année, quand même ?
Éloi s'était à nouveau tourné vers la fenêtre. Du coin de l'œil, M. Barzh perçut qu'il haussait les épaules.
— Ce serait bien pour toi, non ? Ta thérapeute t'a conseillé de créer plus de liens avec les autres élèves cette année...
— J'en crée. Je réponds quand ils me parlent.
— Et aucun ne t'a invité ou proposé une sortie ? À la cantine, tu manges avec des gens ?
— Non.
M. Barzh soupira. Son fils était hermétique au contact humain. Il ne supportait que très peu les gens et encore moins la foule. Le moindre contact physique le faisait presque sursauter. Les seules choses qu'il semblait faire avec enthousiasme, c'était du vélo dans la campagne et partir randonner en forêt. En dehors de cela, lorsqu'il était à la maison, lui et sa femme ne le trouvaient que la tête dans ses livres de classe ou dans des romans qu'il empruntait ou demandait parfois à ce qu'on les lui achète.
— J'aimerais que tu fasses des efforts pour sympathiser avec d'autres personnes de ton âge. C'est important.
— C'est un ordre ?
M. Barzh se figea légèrement, les mains moites sur le volant. Il mit son clignotant pour tourner dans la rue où se trouvait le lycée Fanny Raoul.
— Non, ce n'est pas un ordre, c'est une demande...
Éloi ne répondit rien. Lorsque son père se gara près de l'entrée, il détacha sa ceinture et ouvrit la portière tout en saisissant son sac à dos qui était entre ses jambes.
— Je ferais ce que je peux pour répondre à ta demande, mais cela m'est inconfortable.
M. Barzh ferma les yeux, attristé par la déclaration de son fils. Il acquiesça et lui souhaita une bonne journée. Éloi lui rendit son salut et il claqua la porte avant de partir en direction de la grille du lycée. Lorsque M. Barzh le vit s'asseoir sur un banc dans la cours de l'établissement et sortir un livre de son sac, il soupira une seconde fois et redémarra la voiture.
Il se promit d'appeler la professeure principale de son fils dans la matinée, afin de trouver un moyen pour qu'Éloi puisse se sociabiliser. Le garçon était suivi par une psychiatre et une psychologue depuis plusieurs années. Toutes deux disaient que le jeune homme avait besoin de créer des liens sociaux, qu'il ne pourrait pas rester éternellement cloitré dans son refus de faire confiance aux autres. Il ressemblait à une bête sauvage depuis qu'il leur était revenu. Une bête sauvage polie, respectueuse et sérieuse, mais une bête sauvage malgré tout.
***
Éloi vit la voiture de son père s'éloigner.
La conversation qu'il venait d'avoir fut pénible. Ses parents insistaient de plus en plus pour qu'il s'ouvre et se montre moins impitoyable dans ses rapports aux autres. Pourtant, il pensait déjà bien faire en ne disant rien alors même qu'il avait souvent envie de hurler et de pousser tout le monde loin de lui.
La présence de cette foule bruyante de lycéens lui faisait mal à la tête. Il détestait cela. Lorsqu'il n'était pas en cours, il préférait clairement porter ses écouteurs pour ne pas entendre les cris, les rires, les discussions. À chaque interclasse, il souffrait. Et il souffrait encore plus lorsqu'il se retrouvait dans un cours où l'enseignant ne parvenait pas à tenir la classe.
L'an dernier, en seconde, il avait subi cela durant toute l'année en Histoire-Géo. Le prof était jeune et n'avait pas su se positionner. Très rapidement, les trente-cinq élèves l'avaient écrasé. Il avait fini par se faire une raison et n'avait fait cours que pour ceux qui l'écoutaient et se plaçaient devant, c'est-à-dire Éloi et deux ou trois autres personnes.
C'était une des raisons pour lesquelles Él détestait l'idée de parler avec ces jeunes. Leurs bruits, leur manque de respect, leur absence de bon sens lui paraissaient grotesques. Pendant plusieurs mois il avait été privé d'école et d'enseignement, ce qui lui avait retourné le cœur. Pour lui, l'apprentissage était primordial. En manquer l'avait blessé. D'aussi loin qu'il se souvienne, il avait toujours été une éponge à connaissances, doté d'une grande curiosité pour différentes matières. Toujours bon élève, plein de volonté. Lorsqu'il avait été coupé du monde, cela l'avait déchiré. Se cultiver était son refuge, de la même manière que la nature bretonne, son sol et ses bruyères, ses landes et ses côtes sauvages le maintenaient vivant.
Depuis qu'il était revenu et avait pu intégrer le lycée après avoir pris des cours supplémentaires pour rattraper son retard, il était intransigeant. Il voulait apprendre, apprendre et apprendre, toujours. Se blottir dans l'odeur des pages, loin des gens, protégé d'eux. C'était donc le meilleur moyen pour lui de se sauver, de se protéger de ses horribles souvenirs.
Ça et les romans. Les romans de fantasy, en particulier, l'envoyaient dans des mondes alternatifs qui l'empêchaient de penser à la cruauté réelle. Les grands paysages, les batailles, les personnages aux pouvoirs extraordinaires, les intrigues pleines de rebondissements le soulageaient du poids que son ventre ne digérerait jamais.
***
Au début de l'après-midi, juste après avoir mangé, Éloi prit la direction de sa salle de classe. La sonnerie n'avait pas encore retenti mais il souhaitait doubler le monde qui s'amoncellerait en quelques minutes.
Les écouteurs enfoncés dans ses oreilles, il grimpa les escaliers et arriva discrètement dans le couloir du deuxième étage. Cependant, lorsqu'il croisa son enseignante de français, en avance elle aussi, il baissa les yeux, mal à l'aise. Elle s'arrêta devant lui.
— Tes écouteurs Éloi. Pas à l'intérieur.
Il les retira et les rangea dans la poche de sa veste. La prof continua sa route et ouvrit la salle dans laquelle il ne tarderait pas à s'installer.
Les gens parlaient forts maintenant qu'ils étaient presque tous montés. Il entendait des élèves râler sur les premières évaluations qui arrivaient en ce début d'année scolaire ; d'autres qui parlaient déjà du bac et se demandaient exactement ce qui allait leur arriver. C'était usant.
Éloi comprenait en partie ce qu'ils ressentaient, mais il aurait préféré qu'ils les murmurent, ou les taisent. Qu'ils interrogent au bon moment.
Il se rassura malgré tout en se souvenant que son enseignante de français était très douée. Elle savait obtenir le calme dans sa classe. Ainsi, il était certain de passer les deux prochaines heures dans un silence solennel.
Lorsqu'il entra dans la salle, il s'installa au fond, près du mur, comme à son habitude. À son grand soulagement, personne ne prit place près de lui. Il sortit ses affaires, posa son roman sur le bord de la table, et le cours commença tranquillement. Él n'avait plus d'inquiétude à avoir jusqu'à la sonnerie. C'était déjà bien.
Quelques minutes après le début de la séance, quelqu'un toqua à la porte. Mme Hannier prononça un « Oui ? » destiné à ce que l'intru se montre. Tout le monde se leva avec un enthousiasme limité en apercevant la CPE. Les élèves se rassirent presque aussitôt suite à ses ordres. Elle était accompagnée d'un garçon inconnu, un gars à la peau assez claire, les cheveux châtains et le regard baissé. Les deux femmes échangèrent quelques mots avant que la CPE ne reparte. L'enseignante se présenta au nouveau venu et le fit avancer dans la salle.
— Tu veux dire quelques mots à la classe ou je le fais ? demanda-t-elle avec douceur.
Le garçon jeta un œil sur les rangs devant lui d'un air gêné.
— Vous, dit-il doucement en serrant la lanière de son sac à dos sur son épaule.
Mme Hannier sourit et se tourna vers nous.
— Je vous présente Sören Rosberg. Il intègre la classe pour cette année et j'espère que vous saurez l'accueillir chaleureusement.
Elle s'arrêta. Le silence régnait. Él sentit que le nouveau était mal à l'aise. Tous ces regards posés sur lui... Il en frissonnait d'horreur rien qu'en s'imaginant à sa place. Cela l'angoissa.
Mme Hannier scruta la salle et son regard se posa alors étrangement sur lui. Il fronça les sourcils tout en se redressant sur son siège, étant avachi depuis le départ de la CPE, son stylo tournoyant entre ses doigts avec expertise.
— Tiens, il y a une place à côté d'Éloi.
Elle pointa un doigt vers lui et invita le nouveau à avancer vers sa table.
Quelques visages se tournèrent vers le brun, un peu surpris. Il y avait d'autres possibilités que celle-ci.
— Vous n'avez pas dit qu'il fallait l'accueillir chaleureusement, Madame ? fit remarquer un élève des premiers rangs.
Des rires discrets fusèrent. Éloi soupira mais ne se sentit pas blessé. Après tout, il considérait qu'il avait raison. Mme Hannier venait d'envoyer ce petit nouveau auprès de l'unique personne qui ne lui accorderait aucune attention, ni aucune aide.
— Paul, tu peux garder tes remarques pour toi, non ? Ou tu préfères que je fasse disparaitre ton prochain mercredi après-midi ?
Éloi vit le garçon lever les mains pour montrer son innocence. Il ne répliqua rien, sachant parfaitement que cette petite jeune femme à lunettes ne mentait pas.
Sören arriva près de la table qui lui était indiquée et, du coin de l'œil, Éloi le vit s'installer et sortir ses affaires. Le nouveau était un peu perdu, nerveux. Son bloc de feuilles devant lui, il entreprit de suivre le cours. Lorsqu'il sentit le regard d'Éloi se poser sur lui, il se tourna aussi. Le jeune homme le dévisagea une seconde et Sören lui sourit pour témoigner de sa sympathie. Él détourna aussitôt les yeux et se remit devant son ordinateur pour noter ce que l'enseignante venait d'écrire au tableau.
***
Les deux heures s'écoulèrent sans encombre majeure. Sören prenait des notes et même si son écriture brouillonne semblait désorganisée aux yeux d'Éloi, il n'exprima rien d'autre en dehors d'un soupir.
Pas une seule fois les garçons n'échangèrent un mot, y compris lors de la pause alors que d'autres personnes s'étaient agglutinées autour de leur table pour se présenter à Sören. Ce-dernier s'était montré sympathique mais évasif quant à son arrivée tardive dans la classe.
À la fin de l'heure, Él rangea ses affaires rapidement et se dépêcha de marcher en direction de la sortie. Cependant, Mme Hannier le stoppa avant qu'il ne s'échappe.
— Éloi ?
Il lui jeta un regard curieux.
— Peux-tu venir cinq minutes, s'il te plaît ?
— Bien sûr.
Il s'approcha et, tandis qu'une grande partie de la classe s'en allait, elle appela Sören pour qu'il les rejoigne.
Une fois tous les trois seuls dans la salle, Éloi sentit une forme de pression prendre possession de son abdomen. Il ne comprenait pas ce qu'il faisait là.
— Bon, c'est très simple, commença Mme Hannier, Éloi, j'aimerais que tu aides Sören à rattraper les cours qu'il a manqués depuis la rentrée, si cela ne t'embête pas ?
Le garçon resta muet. Elle continua :
— Je te connais depuis la Seconde. Tes cours sont toujours exemplaires et tu es un élève très sérieux, c'est pour cela que je te le demande. J'aimerais beaucoup que tu acceptes.
Éloi acquiesça passivement. Son expression restait la même mais semblait, malgré tout, indiquer son manque de plaisir à l'idée de se charger du nouveau venu. C'était un contact humain qu'il n'avait pas sollicité.
— Tu pourras faire visiter le lycée à Sören et l'aider à s'acclimater à votre emploi du temps, ce serait une bonne chose. La majorité de vos cours sont en commun.
Mme Hannier leur envoya un large sourire, ravie par son idée.
— De plus, j'ai vu sur ton dossier, Sören, que tu habites à Hvall et il me semble que c'est aussi dans ce village que tu résides Éloi ?
Le jeune homme se figea davantage. Il sentit un courant glacial remonter le long de son dos et se planter comme un poignard.
Nerveusement, il répondit :
— Ouais, oui. Oui, j'habite là-bas, mais c'est minuscule.
— Clairement ! répliqua Sören en se tournant vers lui. J'ai jamais vécu dans un si petit village. Mon oncle m'a dit que pour aller à la boulangerie la plus proche, il fallait soit prendre la voiture, soit prendre le vélo.
Éloi le regarda mais resta murer dans son silence, sans expression.
Le regard de Sören le déstabilisa, semblant vouloir le percer, mais son sourire contrastait, rayonnant. C'était un enfer aux yeux du jeune homme réservé.
— Très bien, s'enthousiasma Mme Hannier, alors c'est réglé, non ?
Elle regarda rapidement sa montre et ajouta :
— Bon, ça va bientôt resonner, donc filez à votre prochain cours que nous puissions prendre au moins cinq minutes de pause !
Elle jeta les deux garçons dehors sans aucune autre mesure. Encore sous le choc, un peu sonné, Éloi vit Sören se tourner vers lui pour lui parler :
— Eh beh, elle est directe !
Voyant que cela ne provoquait aucune réaction chez son interlocuteur, il reprit :
— T'as pas l'air très bavard, mais j'espère que tu vas quand même me montrer le chemin jusqu'à notre prochain cours.
— Oui, désolé. Comme tu l'as sans doute entendu, je ne suis pas forcément le plus qualifié pour te proposer un accueil chaleureux.
— Juste un accueil, ça m'ira très bien !
Sören marqua une pause et se rendit compte de l'aspect intrusif de cette situation. Après tout, il n'avait pas vraiment entendu Éloi accepter la proposition de leur enseignante. Il s'inquiéta et s'empressa d'ajouter :
— Enfin... Tu voudras bien m'aider comme elle l'a dit ? Parce que je ne suis pas forcément en grande confiance quand je découvre un nouvel environnement. C'est dur d'arriver seul quelque part.
— Pas de problème, répondit mécaniquement Éloi. Je ferai ce qu'elle m'a demandé.
— Super ! Merci !
Sören suivit des yeux le garçon qui venait de se mettre en marche. Il fronça les sourcils en se demandant si c'était véritablement une bonne idée de le confier à ce brun totalement crispé. Il se sentait vulnérable et voulait par-dessus tout reprendre à zéro, être accueilli positivement ici. Il ne cherchait pas forcément à se faire un ami, mais au moins une connaissance qui lui permettrait de s'intégrer plus facilement.
Sören n'avait jamais vraiment su créer d'attache, ayant énormément déménagé dans sa vie. Aussi, la perspective d'avoir un garant pour son arrivée au lycée Fanny Raoul le soulageait. Encore plus en sachant que ce garçon vivait exactement dans le même village que lui.
Il espérait simplement que tout se passerait bien et qu'il saurait, à terme, au moins le faire sourire.
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