Chapitre trente-deux : Ce soir

https://youtu.be/yXWLIamvjTY

« Ce soir nos deux corps se mêlent
Fiers d'une étreinte parfaite
Et, si elle veut la vie
Moi, je lui donne la mienne
Elle a su m'affranchir
De mes souvenirs
Nos deux corps se mêlent
Elle cogne dans ma tête »


— Tu sais que tu pourras mettre des lentilles, à terme ? questionna Éloi tandis qu'il avançait, main dans la main, avec Sören, en direction du chalet.

Ils passaient une semaine de vacances ensemble, dans les Alpes, sans personne autour d'eux pour les voir. Ils avaient choisi un abri plutôt reculé, petit, mais confortable, à plus de mille-trois-cents mètres d'altitude. La canicule qui sévissait plus bas ne les atteignait presque pas. Il profitait d'une vie d'ermites, entourés des sapins et du son des animaux.

Éloi avait obtenu le permis mi-août, quelques jours avant leur périple en montagnes. À un point près, il le ratait. Ces derniers mois n'avaient pas fait de lui l'élève le plus studieux de la conduite, d'autant plus qu'il trouvait cela écologiquement problématique. Malgré tout, vue qu'il souhaitait un jour travailler dans l'associatif et rejoindre des équipes de défenses du droit des animaux, ou de défense de la forêt, eh bien, il s'était dit qu'il aurait parfois besoin de se déplacer à quatre roues. Ses parents avaient eu peur, le jour de l'examen, que les convictions politiques de leur fils ne lui fassent rater le permis et qu'il se retrouve en difficulté pour se rendre dans les Alpes avec son petit ami.

— Ouais, je sais, mais je vais m'y faire, répondit Sören en remontant pour la énième fois ses nouvelles lunettes sur son nez.

Il avait choisi un modèle plutôt large, mais aux montures discrètes. Cela lui donnait un air d'intello dont Éloi s'était moqué plusieurs jours de suite, afin de détendre l'atmosphère. En réalité, il le trouvait craquant.

La diminution de sa vue l'avait rendu triste. Sören ressortait de ces mois passés en Angleterre avec des séquelles moins graves que ce qu'il aurait pu avoir, mais des séquelles tout de même. Le fait de moins voir le fatiguait davantage. Quant à la perte de l'usage de son auriculaire et de son annulaire de la main gauche, eh bien, c'était handicapant, bien que limité. Il devait surtout se montrer plus prudent. Et oublier le piano. Ce qui était davantage douloureux.

Le plus dur était, en quelque sorte, les plaintes qu'il avait déposées contre son père et son grand-père. Soutenu par Oskar et ses proches bretons, Sören s'était décidé à faire payer à ceux qui lui avaient fait du mal. Maintenant, ils étaient entre les mains de la justice. Et lui aussi, par la même occasion.

Cette semaine dans les Alpes était son échappatoire face à une vie compliquée. Il devait sans cesse ressasser ses souvenirs, les raconter, et prouver qu'il avait été victime de violences. C'était lourd à supporter, mais Él l'accompagnait toujours, soutenant la moindre de ses démarches et n'hésitant pas à faire comprendre à n'importe quel interlocuteur qu'il allait trop loin lorsqu'il sentait Sören se crisper. Il prenait soin de lui. Ils prenaient soin l'un de l'autre.

— J'ai faim, grommela Sören en approchant du chalet.

— J'ai entendu ça.

Le ventre de l'anglais manifestait un certain mécontentement depuis près d'une demi-heure. Ils avaient marché toute la journée, faisant plusieurs centaines de mètres de dénivelé qui faillirent faire rendre l'âme à Sören, et causer des crises de panique à Éloi et son vertige.

L'anglais lui avait même reproché d'être responsable de cette situation : c'était le brun qui avait choisi délibérément les Alpes alors qu'il avait connaissance de sa phobie.

Ils entrèrent dans leur chalet en baillant et en se précipitant sur la kitchenette. Tout était aménagé en une seule pièce, excepté les toilettes et la salle de bain. Éloi adorait ce confort minuscule, ces meubles en bois chaleureux, la présence d'une petite cheminée qui ne servait, malgré tout, à rien en plein été, et surtout, il aimait le fait de pouvoir tout embrasser d'un seul regard sans craindre quelques monstres cachés derrière les murs.

Le lit était encore défait du matin. Tandis qu'Éloi préparait à manger en écoutant la musique de Faun, Sören replaçait correctement les draps. Il rougit en voyant les plies des couvertures, se rappelant que chaque jour ils s'enlaçaient amoureusement ici avec son petit ami.

Ils étaient libres de faire l'amour. Libres de faire du bruit. Libres de se toucher perpétuellement. Certains matins, il semblait même difficile de distinguer où le corps de l'un commençait et où celui de l'autre s'arrêtait, tant ils étaient emmêlés et incapables de se dissocier.

Leurs nuits étaient fraîches et noires. Ils adoraient manger dehors jusqu'à ce que les étoiles apparaissent. La pollution atmosphérique était moins importante à la montagne, aussi, observer la Voie Lactée devint un rituel quotidien avant de s'emmitoufler dans les draps et se reposer.

— Tu mets la table, please, Sö ?

Ce dernier ouvrit la porte du chalet en emportant avec lui le nécessaire. Il coinça un morceau de pain entre ses dents, trop affamé pour attendre la salade de tomates que terminait de faire Éloi.

Ils prenaient un rythme de couple plutôt sage, ce qui leur faisait plaisir. Vivre ensemble, à deux, durant toute une semaine, était une expérience rassurante compte tenu du fait qu'ils allaient prendre un appartement dès septembre, à Rennes, pour faire leurs études.

Certains de leurs amis critiquaient le fait qu'ils ne soient pas très « funs », mais les deux garçons s'en fichaient éperdument. Après tout ce qu'ils avaient vécu, ils n'aspiraient qu'à une chose : la simplicité. Si cela signifiait avoir plus de points communs avec des couples de quarante ans qu'avec les jeunes adultes de dix-huit ans, tant pis. Ils se passeraient des drames, des histoires, des soirées, des cuites et des erreurs. Leur adolescence leur avait été volée, mais ils la rattrapaient comme deux introvertis heureux de partager leur solitude ensemble.

Lorsqu'ils étaient à Hvall, ils passaient du temps à jouer sur la Playstation que Sören avait eue pour son anniversaire. Ils écoutaient beaucoup de métal et se prévoyaient des festivals, des concerts, et des voyages à faire, principalement en France selon la volonté d'Éloi qui détestait les avions et le tourisme de masse. Ils sortaient marcher, faire du vélo, et ils s'occupaient avec des films, des séries, des livres. Sören chantait beaucoup pour se perfectionner. De temps en temps, ils voyaient leurs amis, mais jamais sans être ensemble.

On les trouvait parfois trop attachés l'un à l'autre, mais ils peinaient à se remettre de leur brutale séparation de février. Au début de leurs retrouvailles, ils se rendaient presque malades lorsque l'un d'eux disparaissait du champ de vision de l'autre. Ils se suivaient inconsciemment, passant d'une pièce à une autre en entraînant toujours celui en retrait dans son sillage. Les parents Barzh, autant qu'Oskar et Sara, faillirent s'inquiéter de cette proximité absolue, doublement plus forte qu'avant la séparation. Cependant, les deux jeunes hommes leur avaient demandé de cesser d'intervenir, de cesser d'analyser cela ou de tenter de le comprendre. Ils ne se faisaient aucun mal, donc pourquoi questionner cette codépendance ? Ils avaient d'autres problèmes plus douloureux en tête pour s'en créer un comme celui-ci.

Bien sûr, ni Sören, ni Éloi ne disaient que cette façon de fonctionner était saine. Ils se doutaient qu'elle ne convenait pas à tout le monde et pouvait, parfois, créer de vrais difficultés. Cependant, eux, ils en avaient besoin. Peut-être qu'un jour ils parviendraient de nouveau à faire des activités l'un sans l'autre, mais pour le moment, depuis deux mois que Sören était revenu, c'était hors de question d'envisager le monde autrement.

Lorsqu'ils terminèrent la salade et le dessert préparés par Éloi, ils partirent s'allonger sur le banc installé contre l'un des côtés du chalet. Il faisait face au massif de montagnes, la vue totalement dégagée. Ils discutèrent, Éloi sur Sören, la tête posée contre son cœur, tout en regardant le soleil descendre derrière les pics montagneux.

Ils avaient aménagé le banc de manière à le rendre confortable, avec des plaids, des coussins et de quoi se tenir au chaud.

Le chalet le plus près se trouvait plusieurs dizaines de mètres en contre-bas, invisible pour eux de là où ils se trouvaient.

Dans deux jours, ils allaient devoir plier bagage et rentrer à Hvall, la tête chargée de souvenirs et de silences ressourçants.

Lorsque les étoiles commencèrent à se faire plus nombreuses dans le ciel, les deux garçons se turent. Sören câlinait gentiment le dos de son petit ami, qui aurait presque pu ronronner tant le geste lui faisait du bien. Il sentait les doigts de Sören faire des cercles, glissant sur ses omoplates et sur le haut de sa colonne vertébrale. C'était apaisant. En retour, sa main caressait doucement le cou et les cheveux de l'anglais. Il évitait de brusquer cette partie du corps de Sören, la sachant encore fragile de l'étranglement subi.

Dans un soupir, il tourna sa tête de manière à poser son menton sur le torse de Sören.

— Quoi ? demanda ce dernier, un petit sourire au coin des lèvres.

Éloi remonta du mieux qu'il le put, faisant rire Sören tant cela était laborieux, puis il l'embrassa sur la bouche.

— T'as fait quoi ? J'ai pas bien senti.

Le brun ne se fit pas prier et posa à nouveau ses lèvres sur celles de l'anglais. Il sortit sa langue afin de faire comprendre ce qu'il attendait. Elle trouva rapidement celle de Sören qui laissa le baiser s'approfondir, se faire plus sensuel et chaleureux. Il remonta ses mains dans les cheveux d'Éloi afin de l'empêcher de rompre ce rapprochement agréable.

Quelques minutes plus tard, le brun se redressa et parvint à s'asseoir à califourchon sur les cuisses de Sören. Il tira sur le t-shirt de l'anglais afin de le lui faire passer par-dessus la tête. Ce dernier se laissa faire, travaillant ses abdos pour réussir à se débarrasser de son haut. Il retomba sur le banc avant la fin, bloquant ses bras et sa tête dans le t-shirt. Éloi explosa de rire au lieu de l'aider.

Quand Sören émergea de sous le tissu, il était rouge à cause de l'effort.

— On ne serait pas mieux à l'intérieur ? demanda-t-il en regardant son petit ami retirer son propre haut.

Ce dernier posa ses mains sur le torse de Sören pour le maintenir allongé. L'anglais caressa ses bras, passant sur les contours du tatouage de son bras gauche.

— J'ai envie de le faire dehors, répondit Éloi en se penchant à nouveau.

Il embrassa Sören et le plongea dans une confusion inattendue. Quand le baiser s'interrompit, l'anglais prononça un « Really ?! » qui fit rire le brun. Ce dernier acquiesça et déboutonna le jean de Sören avant de le faire glisser de quelques centimètres. Puis, il l'embrassa dans le cou, laissa sa langue glisser le long de la clavicule, pour descendre au fur à mesure sur son torse et son ventre. Éloi se retrouva rapidement assis sur les genoux serrés de Sören qui, immobile, soupira lorsqu'il sentit son petit ami poser sa bouche sur son boxer.

« Hell » feels like Heaven, right now, dit-il. I love being in Hell. (L'Enfer ressemble au Paradis, tout de suite, dit-il. J'adore être en "Enfer")

You're not in yet, s'amusa Éloi avant de se taire en s'attelant à sa tâche. (Tu n'es pas encore dedans)

Fuck, fuck, fuck !

Depuis qu'ils s'étaient retrouvés, ils étaient davantage assoiffés de sexe. Leurs paroles, aussi, se libéraient. Ils étaient moins prudes, plus fermes, davantage confiants.

Sören passa ses mains dans les cheveux d'Éloi, sa poigne se serrant par moment lorsqu'il sentait la bouche de son petit ami s'activer brillamment sur la partie la plus sensible de son corps. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, prêt à exploser. Et il voyait les étoiles, au-dessus, dessiner la forme de la Voie Lactée. Une Voie Lactée aussi blanche que la peau d'Éloi qu'il chercha du bout des doigts lorsque celui-ci remonta vers lui. Il tira sur le short du jeune homme qui finit par se mettre debout pour terminer de se mettre nu. Sören en fit de même. Ils jetèrent leurs vêtements par terre, se fichant totalement de l'endroit où cela atterrissait. Puis Sören, sans brusquerie, plaça Él sur le banc, l'allongea et vint se mettre au-dessus de lui.

L'anglais, cependant, s'immobilisa en fronçant les sourcils. Éloi s'inquiéta et lui demanda ce qu'il se passait. Sören lui dit de ne pas bouger d'un millimètre et se leva pour disparaître dans le chalet. Il revint quelques secondes plus tard, satisfait, les mains prises par leur nécessaire. Il déposa cela au sol et s'exclama :

Better be extra gentle ! (Mieux vaut être délicat !)

Éloi acquiesça et laissa faire Sören, se rendant totalement entre ses mains. Le châtain avait déjà franchi le cap de la passivité depuis son retour, mais ce soir, Él voulait simplement se laisser porter par ce désir qu'il avait provoqué. Il ferma les yeux tandis que Sören s'appliquait à faire en sorte que tout se déroule sans douleur. En même temps que sa main préparait Éloi, il l'embrassait sur le ventre, le torse, dans le cou, imitant les gestes tendres que le brun avait eus pour lui quelques minutes plus tôt. Il l'écouta gémir, le vit ouvrir les yeux quelquefois, ravissant des étoiles au passage et se mordant les lèvres.

Quand il fut temps, d'une jambe, il prit appui sur le sol et passa une de ses mains derrière le genou d'Éloi afin de plier sa jambe et la coincer, sans brusquerie, contre son épaule, tandis que l'autre se positionna sur le dossier du banc. Le brun se laissa faire et accueillit Sören en lui, grimaçant à peine tant il s'était habitué à cette sensation, sans pour autant s'en lasser.

L'anglais était doux, comme toujours, traitant le corps d'Él comme quelque chose de délicat et de fragile. Il ne voulait rien précipiter, et toujours prendre le temps de l'aimer plus que de lui faire l'amour. Et cela était réciproque. Ensemble, ils ne cherchaient pas à se satisfaire mais à construire une bulle dans laquelle être unis. L'attirance, le désir, le jeu, les sens étaient des clés pour ouvrir cette intimité qui les entrelaçait.

Et le visage de Sören, dont les cheveux brillaient presque à la lueur de la lune et des étoiles, formant comme un halo, permettait à Éloi d'imaginer le monde. Les sapins, au loin, qui grimpaient la montagne où ils s'étaient abrités, lui envoyaient des messages personnels. Les odeurs estivales, la sueur de leurs corps, tout se mêlait dans un empressement sensuel, fait de gestes d'amour et de vitalité. Sören ne bougeait qu'au rythme que lui susurrait Éloi. Et chaque fois que le brun ressentait du plaisir, celui de l'anglais se multipliait.

Lorsqu'ils eurent fini de faire l'amour, Sören se laissa tomber entre les bras du jeune homme. Son corps colla contre celui d'Él mais il apprécia le contact animal de leurs peaux humides et frissonnantes. Les senteurs terreuses de la nuit qui s'installait finirent de les cajoler. Les deux jeunes hommes se respiraient et existaient parmi les bois feuillus, enlacés sur une montagne gardienne de leur respect mutuel.


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Voilà, c'était le dernier chapitre du roman. Vendredi, je posterai l'épilogue.

Je suis toute émue d'être arrivée là. Et je suis émue que ces personnages m'aient tant apporté durant cette année compliquée. Je ne l'ai pas démarrée comme je la termine en ce mois de décembre... Et franchement, je suis touchée de voir que Sö et El reçoivent de la visite par ici. Merci infiniment. Ce roman, c'est mon pansement. Tout le processus est une guérison pour moi, donc <3

Bref, je pleurerai vendredi, en bonne hypersensible x)

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