Chapitre six : Hurts like Hell


https://youtu.be/EynTqV3SPuw


TW : mentions de violences physiques dans ce chapitre.


« How can I say this without breaking?
How can I say this without taking over?
How can I put it down into words?
When it's almost too much for my soul alone »



Le dimanche matin, Sören marcha jusqu'à la maison d'Éloi. C'était la première fois qu'il allait s'approcher si près de la demeure du garçon. Bien sûr, il était déjà passé devant une paire de fois et Oskar lui avait dit que c'était la maison des Barzh, mais là, il s'apprêtait à peut-être y entrer en attendant qu'Él soit prêt.

Lorsqu'il sonna à la porte, il fut accueilli presque immédiatement par une femme brune, assez petite, au regard pétillant. Il ne mit pas longtemps à comprendre qu'il s'agissait de la maman de son ami.

Ils se ressemblaient beaucoup.

- Tu dois être Sören ? dit-elle. Que tu es mignon, dis donc ! Viens, entre !

Le garçon obéit sans trop savoir quoi répondre. Il se présenta poliment et commença à défaire ses chaussures avant d'être interrompu par Éloi qui semblait surgir de nulle part.

- Pas la peine, on va y aller tout de suite.

- Roh, Él, tu pourrais au moins proposer à ton ami quelque chose à boire ! le réprimanda sa mère.

- T'as soif ?

Sören fit non de la tête, trop intimidé de se trouver dans un environnement inconnu.

- Parfait. On peut y aller.

- Minute Papillon ! les arrêtèrent une nouvelle voix, cette fois-ci masculine.

Un homme de stature moyenne, aux cheveux tout aussi noirs que ceux de sa femme et de son fils, apparut dans l'entrée. Il salua rapidement Sören et lui dit qu'il était ravi de faire sa connaissance.

L'anglais fut stupéfait lorsqu'en serrant la main de l'homme, il retrouva dans ses yeux le même gris bleuté qu'Éloi.

- Je ne sais pas si mon fils te l'a dit, mais je suis plutôt bon cuisinier et ce midi, je suis en charge du repas, donc si tu souhaites te joindre à nous après la randonnée, tu es le bienvenu Sören.

Le jeune homme fut touché par la proposition mais resta muet.

Éloi regarda son père en plissant les yeux.

- Quoi, Él ? Ce n'est pas tous les jours que tu nous ramènes un ami à la maison ? On a bien le droit d'en profiter, non ?

- Je... Je ne suis pas sûr que mon oncle soit d'accord.

- Tu es le neveu d'Oskar et Sara, non ? Je les connais un peu. J'appellerai ton oncle dans la matinée pour lui en parler, je suis sûr qu'il acceptera ! Après tout, vous êtes en vacances !

- Vous avez le numéro de mon oncle ?

- Oui, on a l'occasion de travailler ensemble parfois.

Sören fronça les sourcils, ne comprenant pas ce qu'un banquier et un restaurateur pourraient faire ensemble.

- J'organise la plupart des repas de sa banque lorsqu'ils ont des occasions particulières.

- Ah, ok, très bien. Eh bien, je...

Sören regarda Éloi mais ne trouva qu'un air résigné sur le visage de son ami. Il lui laissait le choix d'accepter ou non, l'invitation.

- Si mon oncle est d'accord, je resterai avec grand plaisir !

- C'est réglé dans ce cas ! s'enthousiasma M. Barzh. Bon, maintenant, file avec Él avant que celui-ci ne décide de tout annuler.

Éloi soupira et termina de faire les boucles de ses chaussures. Il attrapa une écharpe et l'enroula autour de son cou. À cette occasion, Sören put enfin le regarder de bas en haut et constater que le jeune homme était intégralement vêtu de noir, avec un sweat-shirt représentant un groupe de musique allemand nommé Faun. Au lycée, ses tenues étaient plus passe-partout, or, ici, il semblait davantage révéler ses goûts.

- Ton haut. Il est incroyable ! dit-il après avoir souhaité une bonne matinée aux parents du garçon.

Ils firent quelques pas dehors et Éloi se tourna vers lui.

- Tu connais ce groupe ?

- Je les adore !

Éloi sentit son sourire s'élargir. Il était ravi de savoir que Sören connaissait aussi ce groupe de néofolk, d'inspiration celtique et médiévale. C'était une musique qui lui était très chère et qu'il adorait écouter lorsqu'il s'aventurait dans la forêt.

- J'aime bien mettre leurs chansons quand je suis dehors. Tu sais, la nature, c'est important pour moi. Il n'y a rien qui puisse me faire autant de bien que les grands espaces libres, loin des hommes, de préférence. C'est pour ça que j'adore Hvall. C'est petit, il n'y a presque pas d'habitants et surtout, on a cette gigantesque forêt pour nous.

Sören suivit d'un pas pressé son ami. Il était surpris de l'entendre aligner tant de phrases à la suite. C'était rare qu'il s'exprime aussi longtemps.

Ils entrèrent dans la forêt en suivant un sentier de randonnée classique. Les premières minutes furent immédiatement apaisantes. Sören sentit une partie de son anxiété le quitter tandis qu'il regardait Éloi prendre une grande inspiration en respirant les odeurs de ce monde sauvage. Il était dans son élément ici.



- En Angleterre aussi tu dois voir de beaux paysages, dit Él au bout de deux bonnes heures de marche.

Sören lui avait raconté certains de ses voyages les plus mémorables et des différents endroits où il avait vécu, parfois très furtivement, à cause du travail de son père. Cette instabilité avait d'ailleurs été une des raisons pour lesquelles Sören avait été envoyé chez son oncle en France.

- Oui, les paysages d'Angleterre sont beaux, mais ce ne sont pas mes préférés. J'aime bien l' Écosse par exemple, surtout l'île de Skye qui est un véritable bijou. Ma mère m'y avait emmené quelques mois avant de mourir...

- Tu n'es pas obligé de parler de cela si ça te fait mal au cœur, répondit Éloi en voyant que Sören se refermait doucement.

- Oh, t'en fais pas, parler de ma mère me rend triste mais je préfère cela plutôt que de taire les souvenirs que j'ai d'elle. C'était une chouette maman...

- Je n'en doute pas.

Él lui sourit doucement. L'anglais sentit son cœur accélérer et son corps se réchauffer. Décidément, chaque fois que son ami se montrait aussi tendre, c'était un baume qui passait sur ses émotions contrariées, lui qui n'avait cessé de se dénigrer depuis l'appel de son père la veille au soir.

- On arrive ! s'enthousiasma Éloi en prenant un sentier plus discret qui partait vers la gauche.

Sören le suivit, intrigué, et après quelques courtes minutes de marche, ils débouchèrent sur une grande clairière éclairée par un soleil d'automne encore suffisamment chaud pour être réconfortant.

Un étang était au centre de la clairière, entouré de rochers et d'herbes hautes.

Éloi retira le sac qu'il portait, l'ouvrit et étala une couverture au sol, de manière à ce que, lorsque les garçons s'assirent, ils puissent voir en contrebas l'étang et les oiseaux qui s'y baignaient.

- J'adore venir ici... Souvent, je lis quelques pages ou prends mon vrai petit-déjeuner.

Sur ces mots, il sortit de son sac un thermos et deux tasses.

- Un peu de thé ?

- Du thé ?

- Je ne savais pas si tu aimais le café ou si tu aurais voulu du sucre, ou je ne sais pas... J'ai choisi la facilité. C'est du thé avec un parfum de fruits rouges.

Sören approuva Éloi et se saisit d'une tasse. Lorsqu'il fut servi, il sentit la chaleur agréable qui réchauffait ses mains. Décidément, Él avait pensé à tout. C'était incroyable. Il lui ouvrait vraiment la porte en grand pour l'emmener dans son territoire naturel et intime.

Cela émut l'anglais qui décida de rester silencieux, le cœur habité par une petite lumière rassurante.

Les deux garçons ne dirent plus rien pendant plusieurs minutes, laissant leurs pensées flotter. Sören divaguait, sirotant son thé et regardant à la dérobée la sérénité d'Éloi.

En plus d'un mois, il n'avait jamais eu l'occasion de voir le garçon si heureux et adoucit. Ses lèvres formaient un léger sourire qui ne disparaissait pas tandis qu'il regardait cette nature de plus en plus rousse.

Sans trop comprendre pourquoi, Sören sentit ses yeux le piquer. Il avait envie de rejoindre ce monde calme et apaisé dans lequel Éloi se promenait en ce moment. Un immense sentiment de solitude vint l'envahir et il ne put retenir quelques larmes de couler sur son visage. Sa mère lui manquait, les rares amis qu'il avait eus lui manquaient, son enfance lui manquait aussi. Tous ces moments passés dans les bras de sa mère, à l'écouter lui raconter des histoires, lui lire des mythes et des légendes celtes, à en inventer, à chantonner des balades...

Et puis sa mort si soudaine, si brutale. Cette maladie qui l'avait terrassée en quelques semaines à peine, le laissant éteint dans une famille qui ne prenait pas soin de lui.

Son père, dont il n'avait jamais été proche, et qui se retrouvait le seul en charge de son fils. Si seulement ça avait été l'inverse...

Les pensées tristes et amères de Sören le prirent par surprise et il s'entendit renifler. Il s'en voulait. Éloi se tourna vers lui et se rapprocha immédiatement en se rendant compte que son ami pleurait.

- Qu'est-ce qui se passe ?

Le ton d'Él était plein d'inquiétude et de douceur.

- Que se passe-t-il, Sö ? insista-t-il.

- Je... Je viens de penser un truc horrible et... Je me suis pas rendu compte que je pleurais...

Il essuya ses larmes d'un coup sur la manche de sa veste. Rapidement, il rapprocha ses genoux de son torse et posa son menton dessus, avant d'entourer ses jambes de ses bras.

Éloi le regarda, déboussolé. Sören sentit d'autres larmes rouler sur ses joues. Il ne savait pas s'il devait se dérober à cet instant ou s'il devait, au contraire, révéler ce qu'il avait sur le cœur à son ami.

Prenant une grande inspiration, il finit par demander à Éloi :

- Est-ce que je peux te révéler mes secrets ?

Le brun acquiesça et se rapprocha. Sören tourna son visage vers lui et chercha ses mots.

- J'étais très proche de ma mère quand j'étais petit. Elle était mère au foyer et c'était un peu ma meilleure amie, puisque mon père nous emmenait toujours avec lui lorsqu'il devait vivre ailleurs. Elle était la seule personne fixe de mon existence, aussi, je restais accroché à elle en permanence. On était très complices. Ça agaçait mon père, parce qu'il trouvait que ce n'était pas approprié pour un garçon d'être à ce point dépendant de sa mère...

Il marqua une pause, sans pour autant cesser de regarder Éloi.

- Parfois, il nous séparait et me punissait si je pleurais trop après elle. Malgré tout, comme il finissait toujours par être occupé par son travail, il nous laissait nous réunir et ma mère me consolait. Elle me disait que j'étais fort, intelligent et très gentil. Elle me disait que rien ne l'empêcherait jamais de m'aimer absolument et que ce n'était pas un défaut d'aimer tendrement et encore moins d'aimer sa mère...

La voix de Sören trembla un peu. Quelques larmes roulèrent encore et il tenta d'enfouir son visage entre ses genoux, honteux de pleurer ainsi.

Éloi passa une main dans son dos et tout doucement, dessina des cercles avec sa main, de manière à apaiser le garçon. Sören se détendit et il décida de changer de position. Il s'installa à son tour en tailleur et son genou droit se posa sur le gauche d'Éloi. Ce dernier continuait de caresser son dos. Il avait à peine frémit en sentant le rapprochement.

- Du coup, quand elle est morte, ça a été un enfer... La cérémonie s'est déroulée dans une atmosphère froide. Les parents de ma mère, qui vivaient aussi en Angleterre, ont tout organisé. C'était formel, presque professionnel. Ils étaient tristes, mais pas tant que ça. Tout comme mon père... Après, je dis peut-être n'importe quoi parce que j'ai, encore aujourd'hui, l'impression d'être celui qui a le plus souffert de sa mort, et si ça se trouve, j'ai surréagi par rapport à ça...

- Euh... C'est impossible de surréagir à la mort d'un proche... Rassure-toi... l'interrompit Éloi d'une voix assurée.

Sören regarda l'étang en contrebas et eut un sourire triste.

- T'as peut-être raison... Mais quoiqu'il en soit, mon père a décidé de se fixer davantage en Angleterre, près de chez ses beaux-parents. En raison de son veuvage, il a demandé à ce que ses déplacements soient allégés pour pouvoir m'éduquer... Et c'est à partir de là que, moi qui pensais avoir vécu un cauchemar en perdant ma mère, je suis entré dans l'horreur.

Les larmes reprirent de plus bel. Éloi, se rapprocha encore plus de son ami. Il posa son bras dans son dos et le serra, laissant son menton trouver une place contre l'épaule la plus proche de Sören. Son autre bras vint finir d'enlacer Sören en se posant contre son ventre. L'anglais, ému, répondit à son étreinte en serrant ce bras contre lui tout en entrelaçant ses doigts à ceux d'Éloi.

- Prends tout le temps dont tu as besoin pour parler, murmura le brun.

Sören acquiesça et reprit son récit, sentant qu'il n'aurait pas la force de continuer s'il se laissait bercer par Éloi sans rien dire. Il pourrait enfouir, encore une fois, cette histoire-là.

- Mon père a décidé d'accorder une importance particulière à mes résultats scolaires. C'est devenu une obsession pour lui, surtout qu'après la mort de ma mère, j'étais totalement détaché de l'école. Déjà que j'en avais fréquenté beaucoup sans créer de liens avec qui que ce soit, alors, quand j'ai été scolarisé pour de vrai dans la ville de mes grands-parents où nous nous étions installés, je n'ai pas su m'adapter et mes résultats ont chuté. Je suis descendu en dessous de la moyenne et mon père ne l'a pas supporté.

L'étreinte d'Éloi était plus forte. Sören sentait ses larmes s'accumuler sur ses joues et son menton. Il se sentait misérable.

- Et, reprit-il en se concentrant sur le paysage et la chaleur d'Él, c'est à partir de là que mon père a commencé à se montrer de plus en plus violent. Au début, c'était juste quelques claques lorsqu'il trouvait que je n'étais pas assez sérieux ou qu'il n'appréciait pas la façon dont je le regardais, puis il a fini par me frapper avec sa ceinture dès qu'il le jugeait nécessaire.

Sören sentit Éloi se crisper contre lui. Sa respiration était profonde mais il faisait de son mieux pour demeurer le plus calme possible.

- Mais c'est même pas le pire, craqua Sören. Oh... Je ne sais même pas si je peux t'en parler sans que tu me juges...

Sören perdit son souffle en pensant à son autre secret. Éloi changea doucement de position et attrapa plus vivement son ami. Il le blottit contre lui, le laissant totalement s'écrouler entre ses bras. La tête de Sören se posa sur son cœur et il l'enserra tout en le berçant doucement.

- Rien de ce que tu pourras me dire ne me fera changer d'avis sur le fait que tu es quelqu'un de bien. Vraiment. Et si tu le souhaites, seulement si tu le souhaites, tu peux tout me dire et me faire confiance pour te tenir contre moi.

Sören passa ses bras dans le dos d'Éloi et s'accrocha à lui. Il sentit le menton du garçon se poser sur le haut de son crâne et ses bras continuer de le rassurer, sans retenue.

- Mon père a choisi cette ville pour que, lorsque... Lorsqu'il quitte les lieux pour le travail, je puisse aller chez mes grands-parents...

Sören se sentit hyperventiler. Éloi l'aida à respirer. Il lui proposa de fermer les yeux et lui dit à nouveau de prendre tout son temps.

Lorsqu'il se sentit assez détaché de lui-même et rassuré par le corps et la présence d'Éloi. Il reprit son récit, plus calmement malgré les horreurs qu'il s'apprêtait à dire.

- Ils s'occupaient mal de moi... Entre mes onze ans et jusqu'à l'an dernier, jusqu'à ce que mon grand-père me trouve trop vieux, eh bien, il... Je... Je sais plus trop dans quel ordre raconter ça... Mais le soir, lors de mes séjours chez eux, il arrivait à mon grand-père de se glisser dans ma chambre et de me demander, en me disant que si je n'acceptais pas, il dirait à mon père que j'avais fait une bêtise, eh bien, je, eh bien... Il... Il me demandait des faveurs... And It was awful !

Sören explosa en sanglots.

- Oh mon dieu, qu'est-ce que je t'ai dit Él, what did I tell you !

Éloi s'était à son tour mis à pleurer silencieusement et murmurait à Sören de respirer, de s'apaiser. Il lui disait ce qui pourrait le consoler. Les consoler.

- Je suis là Sören, je suis avec toi, tu es loin d'eux. Loin. Tu es en France. Ils ne peuvent pas te faire de mal ici, aucun d'eux ne peut te faire du mal... Tu m'entends ?

Sören remuait doucement la tête entre deux sanglots.

- Je veux plus les revoir, pitié, je veux plus les revoir...

- Tu es en sécurité ici, et dans cette clairière encore plus qu'ailleurs... Ici, il n'y a que nous deux et je te tiens, et je te protège.

Éloi recula doucement Sören de son torse pour prendre son visage entre ses mains. Il passa ses pouces sur les joues du garçon pour chasser les larmes qui s'étaient accumulées et continuaient de ruisseler.

- Je te protège, crois-moi.

Le jeune homme lui fit un petit oui de la tête. Il tenta de le remercier mais ne parvint qu'à une chose : lui demander de ne pas le lâcher.

Éloi le reprit contre son cœur et l'embrassa tendrement dans les cheveux.

Ces gestes, si affectueux, brisèrent le cœur de Sören. Il n'avait plus connu une douceur aussi consolante depuis que sa mère était morte. Elle était la seule à le tenir précieusement contre sa poitrine et à le câliner lorsqu'il avait mal.

Au bout de longues minutes, Éloi, bouleversé par ce qu'il venait de se passer, prit la parole, lorsqu'il sentit que Sören s'était apaisé :

- Je n'ai pas encore ta force pour parler, mais sache qu'on a plus de points communs que tu ne l'imagines Sören... Et je n'ai pas simplement de la compassion pour ce que tu m'as raconté... Je le comprends dans ma propre chair...

Sören écarquilla les yeux et serra plus fort ses bras dans le dos d'Éloi.

Il ne voulait plus le lâcher. Il voulait le garder contre lui pour toujours et le protéger de la même façon qu'il lui avait offert sa protection...

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