Chapitre sept : Mad World
https://youtu.be/Y6Had_4bbrc
« And I find it kind of funny
I find it kind of sad
The dreams in which I'm dying
Are the best I've ever had »
Les garçons reprirent la randonnée dans le calme.
Éloi parlait à Sören avec le plus de neutralité possible. Non pas en ignorant les secrets qu'il venait de lui être révélés, mais parce qu'au fond de son cœur, il savait que son ami voulait être traité normalement, et non comme une personne blessée, même si c'était le cas.
Et cela, Él le comprenait. C'était une des raisons pour lesquelles il ne parlait pas de son passé à qui que ce soit, et essayait de s'en éloigner le plus possible.
Il était très admiratif de Sören qui venait de verbaliser, sans doute pour la première fois, ce qu'il avait vécu. Il n'était pas entré dans les détails et n'avait pas été explicite, mais il l'avait dit. Et Éloi se rendit compte pour la première fois que Sören était sans doute tout aussi solitaire et isolé que lui. Simplement, il n'avait pas cherché à l'être. C'était une victime dans un silence qu'il n'aurait pas voulu ; tandis qu'Éloi s'était placé de lui-même dans un silence pour ne pas ressentir le fait d'être une victime.
Leur conversation, depuis qu'ils avaient repris la marche, était assez douce. Bien sûr, Él voyait bien que Sören tremblait encore un peu et se sentait nu devant lui, vulnérable.
Quant à lui, il avait été stupéfait par ses propres actions. Serrer quelqu'un contre lui tel qu'il l'avait fait... C'était inédit. Et en même temps, il se disait que leurs passés ressemblants justifiaient peut-être cette facilité déconcertante à se tenir près l'un de l'autre. Deux personnes brisées, qui se reconnaissent, parviennent peut-être plus facilement à se comprendre. Se consoler. Se regarder.
Il avait aimé la force avec laquelle Sören l'avait serré dans son dos, lui signifiant à quel point cette étreinte lui était bénéfique et essentielle. Il avait eu envie d'y répondre encore plus, sentant bien que cela lui faisait du bien aussi. C'était comme si, en se confiant, Sören avait aussi révéler une partie de ses propres plaies.
— On est encore loin de chez toi ? demanda Sören au bout d'un certain temps.
— Non, une dizaine de minutes je dirais... Tu ne reconnais pas le gros rocher en forme d'œuf, juste là ? répondit le garçon en montrant du doigt une énorme pierre.
Sören se sentit rougir. Lors des premières minutes de marche, il avait surtout observé Éloi qui avançait devant lui tout en parlant de musique. C'était incontrôlable. La silhouette de son ami était comme un aimant. Il l'avait fixé en s'interrogeant, répondant partiellement aux questions d'Éloi sur ces groupes de folk et de métal favoris.
Et désormais qu'il venait de se confier à lui et de se blottir entre ses bras. Il avait l'impression qu'il ne lui manquait qu'une légère réflexion honnête pour accepter l'inévitable sentiment qui grandissait en lui et le terrifiait.
Même si ce fut une épreuve que de révéler ses secrets ainsi, il savait qu'il avait réussi à le faire grâce à la tendresse qu'avait déployé Éloi à son encontre. Des bras aussi fermes et doux, qui l'encerclaient dans un espace limité mais protecteur...
— Si, si, je le reconnais, mais je ne me souvenais plus que c'était proche de ta maison.
Éloi se tourna vers lui et rigola doucement.
— Tu prendras tes repères au fur et à mesure. Tu verras. On apprend vite à reconnaître la forêt et à la trouver plus claire et simple qu'une ville avec des noms sur les murs.
— Parce que tu accepteras que je revienne avec toi une prochaine fois ?
— Bien sûr ! Quelle question idiote !
Ils continuèrent d'avancer et lorsqu'ils arrivèrent à la lisière de la forêt. Éloi les stoppa tous deux et fit face à Sören.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
Le regard suspect de l'anglais amusa Éloi. Ce dernier retira son sac et prit la gourde d'eau qui y était accrochée. Il demanda à Sören de verser une partie du contenu sur ses mains.
— Mais tes mitaines vont être trempées...
— T'en fais pas. On est chez moi dans quelques minutes. Je les changerai en arrivant.
Sören haussa des épaules et obéit, versant l'eau sur les mains du jeune homme.
— Maintenant, regarde-moi, dit Éloi.
Il releva son visage vers lui d'un air suspicieux.
— T'as une tête de déterrée... conclut le brun en passant soudainement ses mains sur les joues et le front de Sören, effaçant les traces des larmes qui avaient marqué son visage.
Le jeune homme sursauta au contact de l'eau fraîche mais apprécia le geste malgré tout. Il se laissa faire et ferma les yeux quand il sentit les mitaine humides venir les essuyer.
L'action était inattendue mais bienvenue. Lorsqu'Éloi termina et inspecta le visage de Sören d'un air satisfait, le garçon se sentit rougir.
— C'est déjà mieux. Mes parents t'auraient demandé ce qui t'étais arrivé pour être dans cet état. Là, tu pourras simplement raconter que tu as eu chaud et que tu n'es pas habitué à marcher aussi intensément.
Éloi se remit en marche en ignorant ses mitaines mouillées. Sören le rattrapa en le tirant par le bras. Il se mit à sa hauteur et sans lui lâcher la manche, il prit la parole :
— Merci. Vraiment, merci. Merci pour ce que tu as fait et pour ton écoute...
Le brun, soudainement pris d'une audace qu'il ne se connaissait pas, s'empara de la main de Sören et le fit avancer afin de rentrer plus vite.
— Ne me remercie pas. C'est plutôt moi qui te remercie de m'accorder ta confiance. Et je suis heureux de voir que j'ai rencontré quelqu'un de si courageux.
L'anglais écarquilla les yeux mais n'osa rien dire. Il marcha simplement derrière Éloi, sentant ses doigts encore humides serrer sa main. Son cœur rata sans doute plusieurs battements avant de se stabiliser et d'accepter, naturellement, que deux amis puissent se tenir ainsi.
Une fois face à la maison, Éloi lui montra comment se débarrasser de la boue collée aux chaussures. Puis il ouvrit la porte et fouilla dans un placard pour sortir deux joggings. Il en jeta un dans les bras de Sören et commença à défaire son pantalon avant de se stopper.
— Est-ce que... Enfin... Ça t'embête pas qu'on se tourne le dos le temps de se changer ?
Sören se rendit compte qu'il était en apnée depuis qu'il avait vu Éloi commencer à se déshabiller. Aussi, il fut soulagé de se détourner. Son visage avait sans doute pris une teinte rouge et vive. Il en profita pour se changer aussi avant de prêter attention à l'odeur délicieuse de nourriture qui envahissait la petite maison des Barzh.
Lorsqu'ils avancèrent dans le couloir pour arriver dans la pièce principale, Sören fut ravi par la chaleur qui se dégageait de ces pièces ouvertes. La cuisine donnait sur la salle à manger qui donnait à son tour sur un salon minuscule et cocon. De nombreuses plantes étaient posées sur les étagères ou pendaient depuis le plafond. Il eut l'impression d'être de retour dans la forêt. Un arbre en pot trônait fièrement près du canapé, empêchant quiconque de voir par la fenêtre, mais sans empêcher la lumière d'entrer pour autant. Tout était tapissé dans des tons jaune moutarde, ou vert prairie. Cet environnement était une cachette.
— Vos pièces à vivre sont vraiment très belles, dit-il lorsqu'il se tourna vers les parents d'Éloi dans la cuisine.
— Merci ! C'est gentil ! s'enthousiasma M. Barzh. Alors, la randonnée était bien ?
Sören acquiesça, heureux.
— Super ! répondit l'homme. Je sais qu'Él crapahute beaucoup, et en voyant les heures tourner, je me suis demandé s'il n'essayait pas de te dégoûter de ses expéditions.
— Pas du tout ! J'ai adoré me promener dans la forêt, c'est apaisant et rassurant. Protecteur...
Éloi était parti vers la cuisine pour sortir de quoi mettre la table.
— Ah, j'ai appelé Oskar et il m'a dit que tu étais évidemment bienvenu chez nous ce midi !
— Et il ne vous a rien demandé en échange pour cette autorisation ?
M. Barzh le regarda avec amusement avant de faire un signe négatif de la tête.
— Bon, Sören, j'espère que tu aimes manger végétarien, parce que tu es dans une maison d'antispécistes qui essaient d'assumer leurs convictions.
— Ah ! Vous l'êtes donc tous les trois ?! J'avais remarqué qu'Él ne mangeait ni de viande ni de poisson et qu'il semblait préférer crier famine plutôt que de se nourrir de ça.
— Effectivement. C'est lui qui nous a convertis il y a... un an et demi, je dirais. Son objectif est de nous faire passer de végétariens à végétaliens, mais on a encore besoin de temps.
Éloi arqua un sourcil en direction de son père alors qu'il installait les assiettes sur la table.
— Les animaux, eux, n'ont pas de temps.
— Tu es végétarien depuis longtemps ? interrogea Sören en se tournant vers lui.
— Él n'a jamais aimé la viande. Petit, c'était une bataille pour lui en faire manger, intervint Mme Barzh en venant déposer les verres. Quant aux poissons, ce n'était même pas la peine d'essayer !
— Merci pour le calvaire. Si vous vous étiez informés plus tôt, j'aurais peut-être eu la chance de ne jamais mettre d'êtres vivants dans mon estomac.
— Déjà, ils ne sont pas vivants quand on les mange ; ensuite, à l'époque, ce n'était pas courant d'entendre parler de végétarisme ou de véganisme.
Sören rit doucement en observant l'échange entre les trois membres de la famille. Malgré ce qu'Éloi lui avait dit, sur le fait de ne pas se sentir proche de ses parents, il ne pouvait s'empêcher de constater qu'une belle complicité existait entre eux. Une complicité à laquelle Él n'était pas très réceptif, c'était vrai, mais une complicité tout de même.
Il se sentit malgré tout pâlir en repensant à la confidence qu'Éloi lui avait faite dans la clairière. Il lui avait dit qu'ils se ressemblaient...
Sören regarda M. Barzh tendit qu'il proposait à tout le monde de s'installer à table. Il amenait des entrées. Cet homme avait l'air normal, totalement normal. Sören ne pouvait pas imaginer qu'il soit l'auteur d'agressions à l'encontre de son fils. Et quand il regarda Mme Barzh, il ne parvint même pas à se dire qu'une mère pouvait être monstrueuse à l'égard de son enfant. Pour lui, c'était improbable que ses parents aient abusé de lui... D'autant plus qu'Éloi, assez fuyant et rude, ne serait pas aussi calme et détendu à leurs côtés. Certes, il ne riait pas aux éclats et n'était pas le plus dynamique de la pièce, mais tout de même...
Les interrogations de Sören le poursuivirent une bonne partie du repas avant qu'il ne baisse la garde. Éloi le regardait à la dérobée de temps à autres, et lorsque cela arrivait, Sören ne pouvait s'empêcher de retenir un sourire en pinçant ses lèvres, ce qui accentuait doucement ses pommettes. Quand il sentait qu'Él avait une réaction similaire, il le voyait soupirer et prendre appui sur le dossier de sa chaise pour basculer sur les deux pieds arrières.
— Él... La chaise... Deuxième fois... Tu vas te briser quelque chose un jour, lui dit sa mère sur un ton sérieux.
Le garçon se remit correctement sur les quatre pieds et continua de manger d'un air pensif.
Lorsque le repas se termina, M. Barzh proposa à Sören de le ramener en voiture jusqu'à chez lui, ce qui déconcerta le garçon. Il n'habitait qu'à une dizaine de minutes de marche.
— Y pleut, lui dit Éloi en faisant un signe de la tête vers la fenêtre du salon.
Et effectivement, une belle pluie d'automne était en train de s'abattre sur les carreaux. Il faisait sombre dans la maison. Sören se sentit stupide de ne pas s'en être rendu compte.
— Je n'avais pas vu... Du coup, oui, ok, je veux bien que vous me rameniez. Merci beaucoup.
Valentin acquiesça et laissa sa femme et son fils faire la vaisselle dans la cuisine. Sören salua Mme Barzh et demanda à Éloi s'ils allaient bientôt se revoir.
— Je t'enverrai un message et on pourra retourner marcher ou faire du vélo, si ça te dit.
L'anglais approuva l'idée et lui fit un petit signe de la main en guise d'aurevoir. Il retrouva M. Barzh dans l'entrée et commença à remettre ses chaussures.
— Non, attends, elles sont pleine de boue. Emprunte les vieilles baskets d'El. Je pense que vous devez faire à peu près la même taille.
— Il est un peu plus petit que moi.
— Il sera toujours plus petit que tout le monde, ricana M. Barzh avant d'entendre son fils râler depuis la cuisine. Essaie-les quand même et tu nous les rapporteras dans la semaine.
Sören s'exécuta et se rendit compte que les chaussures étaient à peu près à sa taille. Il suivit ensuite le père d'Éloi sous l'abri où se trouvait la voiture. Il prit place sur le siège passager non sans siffler en voyant les rideaux de pluie qui tombaient.
— Fichu temps... soupira M. Barzh en prenant place au volant. Tu es attaché ?
Sören acquiesça. La voiture démarra.
Durant quelques secondes, les deux individus n'échangèrent pas un mot. Puis, tout en prenant son courage à deux mains, Valentin Barzh prit la parole.
— Je te remercie pour mon fils... Depuis que tu es là, il change beaucoup et est bien plus heureux...
Sören resta muet. Il en allait de même pour lui depuis qu'il était arrivé en France.
— Él n'est pas un grand bavard, tu t'en es sûrement rendu compte, reprit le père, aussi, je ne sais pas s'il t'a beaucoup parlé de lui et de son passé...
— N-Non. Pas vraiment.
Le garçon était perplexe, un peu effrayé sans trop savoir pourquoi.
— Ecoute, je ne veux pas te révéler des faits sur mon fils qu'il ne se sent pas capable de dire, mais c'est important pour moi que tu saches qu'il est sujet à des angoisses très fortes et à des épisodes dépressifs lourds...
— Je l'ai déjà vu faire une crise d'angoisse, avoua Sören en croisant les bras sur sa poitrine.
M. Barzh acquiesça tout en tournant vers la rue où habitait le garçon. Lorsqu'il s'arrêta, il prit une grande inspiration pour se donner le courage de parler à Sören.
— Él a des symptômes post-traumatiques conséquents. Il les a développés suite à... se coupa-t-il, les mains encore crispées sur le volant. Bon, il n'y a pas trente-six façons de te le dire de toute façon... Éloi a été enlevé lorsqu'il avait treize ans et on ne l'a retrouvé que dix mois plus tard, très abîmé. Beaucoup d'habitants, que ce soit de Hvall ou de Landerneau, le savent. Je me permets de te le dire pour que tu ne sois pas surpris si tu l'apprends avant qu'Él ne t'en parle, s'il t'en parle un jour...
Sören garda la bouche ouverte. Tout à coup, ces dernières semaines auprès d'Éloi prirent une tournure plus nette. Il comprenait pourquoi le garçon était sauvage, pourquoi les gens ne s'en formalisaient pas, pourquoi les adultes étaient doux avec lui, même quand il se montrait hermétique à tout contact. La bonté de ses parents. Toutes ces personnes savaient. Est-ce que Marlène et les autres étaient aussi au courant ?
— Normalement, Éloi aurait dû intégrer un autre lycée que Fanny Raoul. Cependant, comme il voulait être dans un endroit où un maximum de gens ignoraient son histoire, eh bien, a priori, seuls ses enseignants ont connaissance de cela. Maintenant, Sören, je voudrais vraiment que tu fasses quelque chose pour moi.
L'anglais se tourna vers le père d'Éloi, ne sachant pas quel service il pourrait lui rendre.
M. Barzh sortit une carte de visite et un stylo de sa boîte à gants. Rapidement, il écrivit quelques numéros au dos du papier avant de les tendre à Sören.
— Tu es le premier ami qu'Éloi se fait depuis qu'il est revenu parmi nous. Inutile de te dire que tu dois énormément compter à ses yeux et... Mon fils étant ce qui m'est de plus cher au monde, je voudrais que tu gardes précieusement mon téléphone, ainsi que celui de ma femme, et qu'au moindre problème quand tu es avec Él, tu n'hésites pas à m'appeler. Même si c'est pendant une connerie. Je m'en fiche. Je veux juste la sécurité de mon fils. D'accord ?
La pluie diluvienne s'était transformée en simple pluie durant la dernière minute.
— Je ferai mon possible pour ne pas vous décevoir, répondit Sören.
— Merci, et... Tu as le droit de répéter à Éloi ce que je t'ai dit, surtout s'il te le demande, il sera sans doute plus en colère contre moi que contre toi. Et ça, je sais gérer.
Sören acquiesça puis ils se dirent aurevoir d'une façon plus nonchalante, M. Barzh récupérant un peu de sa bonhomie.
Lorsque le jeune homme arriva dans sa maison en ayant esquivé un maximum de gouttes, il se sentit presque défaillir.
Ainsi, Éloi avait été enlevé et séquestré quelque part durant presque une année... Qu'avait-il pu vivre ? Que s'était-il passé ?
Le cœur de Sören se serra dans sa poitrine. Il avait déjà une vague idée de ce qui avait pu se passer, compte-tenu de ce qu'Éloi lui avait avoué à demi-mots alors que lui-même pleurait entre ses bras. Il aurait voulu rejoindre tout de suite le garçon et lui dire qu'il était désolé d'avoir craqué comme ça face à lui, que ce n'était rien à côté de...
Ou si, c'était similaire et différent malgré tout. Pas comparable et pourtant si proche.
Sören ne passa que très peu de temps avec son oncle et sa tante avant de monter dans sa chambre et s'écrouler sur son lit. Ce qu'il venait d'apprendre le déstabilisait, mais il décida que ces informations ne changeaient en rien le regard qu'il portait sur Éloi. Après tout, il était bien placé pour savoir que ce que l'on a vécu de pire ne peut pas nous définir entièrement...
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