Chapitre quinze : Freak on a Leash
https://youtu.be/jRGrNDV2mKc
« Something takes a part of me
You and I were meant to be
A cheap fuck for me to lay
Something takes a part of me »
Éloi revit plus régulièrement sa psychiatre et sa psychologue. Elles ne nommèrent jamais sa dépendance à Sören comme étant un problème, puisque les deux garçons ne se faisaient aucun mal, mais tout comme Valentin et Maïwenn, elles voulaient qu'il en prenne conscience et travaille dessus. Ainsi, il se retrouva avec des « devoirs » prenant différentes formes. Il devait, par exemple, au moins une fois par semaine, faire une activité extérieure sans Sören et sans rester seul. Cela pouvait être une promenade, un cinéma, du shopping, une partie de jeu vidéo... Peu importait tant qu'il créait du lien avec d'autres et apprenait à vivre autrement qu'en ne comptant que sur Sören. Le travail était laborieux, mais il s'appliqua en espérant pouvoir récupérer davantage son petit ami. Cependant, Oskar avait décidé de punir Sören en lui interdisant de voir Éloi en dehors du lycée pendant une durée indéterminée. Maïwenn avait tenté de dissuader leur voisin d'agir ainsi, mais il n'avait pas voulu céder. Et Sören retomba dans des travers qu'il avait pourtant mis de côté depuis qu'il était arrivé en France. Il séchait de plus en plus de cours pour marcher sans but dans Landerneau et faisait preuve de moins de douceur lorsqu'il s'adressait à son oncle et à sa tante. Il se sentait profondément seul et ne supportait pas non plus qu'Él fasse d'autres activités sans lui, même si ce dernier lui assurait qu'il préférerait largement le voir.
Une part de Sören craignait que leur histoire s'arrête brutalement, alors qu'il avait profondément besoin de ses bras, de son contact. Un jour d'octobre, tandis qu'il quittait le lycée avant la fin des cours, Éloi le suivit devant l'établissement, inquiet de voir encore une fois son petit ami s'enfuir.
— Tu vas encore sécher ?
Sören acquiesça, affichant une expression vide et triste.
— Pourquoi tu fais ça ? On pourrait être ensemble en cours, là...
— Je sèche que les cours où on est séparés d'ordinaire.
— Je sais, mais là...
— J'ai envie de marcher et de me vider l'esprit...
— Pour tes études, c'est pas terrible de sécher comme ça. On peut te passer les cours, mais quand même, Sören, ce n'est pas sérieux... Et ça ne nous aidera pas si Oskar et Sara l'apprennent.
Le garçon sentit qu'il voulait pleurer. Il refoula son émotion.
— Él, je veux juste qu'ils regrettent de nous éloigner l'un de l'autre. Je veux qu'ils prennent conscience qu'ils ont pris la mauvaise décision.
Éloi posa ses mains sur le visage de Sören et l'embrassa doucement.
— Mon amour, maintenant je sais qu'il faut simplement que l'on prenne notre mal en patience. L'an prochain, quand on fera nos études, on pourra se prendre un appartement et vivre tous les deux. À ce moment-là, ils ne pourront plus nous empêcher de faire comme on le souhaite. On sera majeurs et libres.
— Avec quel argent ? Et qui te dit que mon père acceptera que je fasse mes études en France ?
Sören se recula d'Éloi.
— Moi, j'ai peur de chaque minute qui passe sans toi parce que je ne sais pas si mon père ne va pas m'arracher à ma vie d'ici. Peut-être que demain, il pourrait m'ordonner de rentrer et dans ce cas, je ne serai plus avec toi. Et ça, ça m'est insupportable.
Éloi vit la détresse de son petit ami et le tira vers lui pour le serrer contre son cœur.
— Pleure pas... Et ne te projette pas ainsi. Un jour prochain, ton père n'aura plus aucun pouvoir sur toi et nous serons libres. Il faut que tu le comprennes. Moi, c'est cette perspective qui me fait tenir, écouter mes psys et arrêter de m'opposer à mes parents.
— J'ai peur... murmura Sören dans le cou d'Éloi. J'ai peur de te perdre. Je sais le mal que ça fait et je ne veux pas revivre cela et me retrouver seul avec eux là-bas... Je ne veux pas...
— Je te protégerai, ne t'en fais pas. Ici, tu es en sécurité. Tu te souviens ?
Sören acquiesça contre lui et serra davantage son étreinte.
— Ne sèche pas aujourd'hui et je demanderai à mes parents de parler avec Oskar pour qu'ils nous laissent nous revoir davantage. Ça fait bientôt trois semaines qu'on vole des moments plus qu'on en partage, je pense qu'il a dû s'adoucir depuis...
— T'es sûr que tes parents accepteront ?
— Mais oui... Je fais tout ce que les psys me demandent de faire. Mes médicaments ont été réaugmentés et je me montre sérieux.
— D'accord...
— Viens, allons en cours, dit Éloi en se reculant. C'est important de réussir notre année pour pouvoir choisir notre orientation et vivre ensemble.
Il attrapa la main de Sören et ils rentrèrent dans le lycée. Ils arrivèrent quelques minutes en retard en Histoire mais furent acceptés. L'anglais était toujours triste bien que plus calme. Il faisait confiance à Éloi et savait qu'il avait raison. Il devait faire attention, écouter et se projeter dans une vie à deux, qui ne tarderait pas tant à arriver. C'était tout ce qui comptait.
***
Les adultes assouplirent effectivement leurs règles. Oskar pardonna à Sören de s'être éclipsé comme il l'avait fait en septembre et lorsque les vacances de la Toussaint arrivèrent, les deux garçons purent se revoir davantage. Leurs retrouvailles en dehors du lycée leur firent un bien fou. Bien sûr, ils ne passaient plus toutes leurs nuits ensemble, mais une à deux fois par semaine ils obtinrent le droit de dormir chez l'un ou l'autre. Cette fois-ci, la nouvelle fut davantage acceptée et même accueillie.
Tant qu'Éloi continuait de créer du lien avec d'autres personnes de son âge, ni Valentin, ni Maïwenn, ni ses psys ne s'opposèrent à ce qu'il puisse rester auprès de Sören une bonne partie du temps qui lui restait. Ils repartirent en randonnée durant les vacances, reprenant leur routine de l'an dernier, paisiblement.
Lorsqu'ils allaient dans la clairière pour se reposer, Sören emmenait parfois une enceinte afin de mettre un peu de musique. Depuis le début du mois, il était obsédé par Korn et n'arrêtait pas de rediffuser leurs albums en boucle tout en bougeant la tête en rythme avec la musique. Cela plaisait à Éloi. Ils ranimaient ainsi des souvenirs de leur concert d'Arch Enemy au printemps dernier. Sören essayait parfois de grawler mais échouait lamentablement à chaque fois. Éloi s'y risqua et y parvint plus facilement, ayant une voix naturellement plus grave que celle de l'anglais. Cependant, il chantait faux. Donc tous deux ne pouvaient que rire de leurs échecs respectifs.
Éloi assumait de plus en plus sa personnalité, affichant au lycée, comme en ville, qu'il aimait le métal. Pour ses dix-huit ans, il avait demandé à ses parents de le laisser se faire tatouer le bras qui portait le plus de cicatrices. Il aimait l'idée de les couvrir, voire de les esthétiser pour ne plus souffrir leur présence. C'était en pourparlers avec Valentin et Maïwenn, mais il avait bon espoir de réussir à les convaincre. En attendant, il se contentait de ses sweats, ses quelques bracelets en cuir et ses jeans noirs. Quant à Sören, hormis le fait que ses cheveux poussaient dans tous les sens et qu'il envisageait sérieusement de les laisser faire, rien chez lui n'indiquait que sa personnalité était plus sombre. Si tenté qu'un métalleux soit réellement sombre... Ce n'était pas le cas, mais avec leurs parcours, il y avait une part de vérité dans le cliché. Simplement, ils ne considéraient pas qu'écouter du métal et du folk soit une conséquence de leurs passés, mais plutôt un moyen de s'en soigner. Le fait qu'ils partagent ce point commun ne faisait que les rapprocher et donc les rendre plus heureux.
Ce jour-là, après quelques minutes d'écoute intensive de musique, Éloi baissa le son pour discuter sérieusement avec Sören.
— Tu ne parles plus beaucoup de ton père en ce moment, est-ce que c'est un bon signe ou un mauvais ?
L'anglais soupira et prit le temps de réfléchir à sa réponse.
— Peu de nouvelles de lui. Il n'est pas revenu depuis l'été dernier, après mes dix-sept ans, et ne m'a pas réclamé. Comme mon année s'est bien passée et que le bac de français a été un succès décent, il m'a laissé tranquille. On dirait que, finalement, il se débarrasse de moi et ce n'est pas plus mal.
— Ok, ça me rassure.
Éloi se souvint du mois de juin. Il avait fêté l'anniversaire de Sören avec la boule au ventre. Le père de l'anglais l'avait appelé pour lui annoncer qu'il viendrait dans la semaine afin de passer du temps avec son fils. Les journées s'étaient déroulées douloureusement pour les deux garçons, qui avaient encore une fois dû prétendre n'être que de simples amis. Mais Nils Rosberg n'était pas resté longtemps. Il avait demandé à Sören s'il souhaitait rentrer un peu en Angleterre durant l'été mais le garçon avait décliné l'offre. Son père semblait en avoir été soulagé. Puis, en dehors de quelques appels, de plus en plus espacés, Sören avait perdu l'habitude de parler de lui.
Il s'émancipait de cette relation. Sa toxicité avait moins d'emprise, même si elle grondait toujours en arrière-plan de son paysage mental.
— Dans une semaine, ça fera un an qu'on est ensemble, que veux-tu qu'on fasse ce jour-là ? questionna-t-il pour changer de sujet.
— Hm... Je ne sais pas... Retourner au chêne, déjà ? Ça serait chouette.
Sören acquiesça, appréciant l'idée.
— On peut envisager un pique-nique là-bas, non ?
— Ça dépendra du temps, mais je suppose que ça pourrait être sympa.
— Sinon, on peut essayer de s'arranger avec nos parents pour être seuls dans l'une des maisons ?
Éloi sourit en entendant la proposition. Cela le séduisait, bien entendu, mais il n'était pas certain que ce soit réaliste. En revanche, il fut ému d'entendre Sören nommer indirectement Oskar et Sara « ses parents ».
— Il me semble que mon oncle et ma tante voulaient partir en weekend prochainement, peut-être que je peux les convaincre de s'en aller la semaine prochaine. Ça fait longtemps qu'ils n'ont pas partagé de moment juste tous les deux, en amoureux.
— Et tu penses qu'ils seront assez empathiques face à ta demande ?
— Peut-être... Ça va quand même beaucoup mieux depuis quelques jours. Surtout avec Oskar. On a eu plusieurs grosses discussions et... c'étaient de belles discussions.
Éloi tourna la tête vers lui, interrogateur.
— Il m'a dit qu'il m'aimait comme si j'étais son propre fils. Et il m'a dit que tant que je le voudrais, je pourrais rester avec lui et Sara. Il a aussi ajouté que ma tante tenait énormément à moi. Ils sont heureux depuis que je vis avec eux.
— Pourtant, Oskar a été franchement chiant avec toi dernièrement...
— Je crois qu'il a peur de mon père, lui aussi, et qu'il ne veut pas le décevoir, donc il me surveille beaucoup. Il me l'a plus ou moins sous-entendu. Et il m'a dit qu'il voulait relâcher la pression là-dessus. Bien sûr, il ne veut pas qu'on soit sans cesse collés l'un à l'autre, toi et moi, mais il préfère savoir ce que je fais plutôt que je me cache.
Éloi s'allongea sur la couverture qu'ils avaient pris avec eux. Sa tête se posa sur les cuisses de Sören. Ce dernier passa alors distraitement ses doigts dans les cheveux du garçon et il le regarda fermer les yeux, l'air paisible.
— Je suis content pour toi, que tu aies Oskar et Sara. Ils prennent soin de toi. C'est bien.
— Je devrais leur faire plus confiance.
Éloi acquiesça puis devint silencieux. Sören regardait le paysage en continuant de caresser les cheveux de son petit ami. Il contemplait ce même étang qui avait accueilli ses confessions, un an plus tôt.
Il était plus beau aujourd'hui. C'était un symbole de la force qu'il portait en lui, de sa capacité à affronter son histoire et à se reconstruire.
Il rapprenait à vivre doucement, sans se sentir en danger, même quand Éloi n'était pas à ses côtés. Rien n'était évident, certes, mais c'était un bon début. Ici, il était non seulement protégé par son amour, mais aussi par ceux avec qui il créait de beaux liens. Oskar, Sara, Marlène, Paul, Mina... Ils étaient nombreux à l'aider à se reposer de ses craintes. Tout était sur la bonne voie.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top