Chapitre quatre : My Demons
https://youtu.be/nkll0StZJLA
« I cannot stop this sickness taking over
It takes control and drags me into nowhere
I need your help, I can't fight this forever
I know you're watching, I can feel you out there »
Le mercredi du cinéma arriva assez rapidement.
Les derniers jours s'étaient déroulés sans encombre, sur le même rythme que les garçons s'étaient instaurés. Ils avaient même usé d'une partie du weekend pour aller à la bibliothèque afin que Sören achève de reprendre les cours manqués et puisse profiter du cinéma le jour J. Il avait signifié à Éloi l'importance de ce travail, expliquant que son père, bien qu'absent, était très soucieux de sa réussite. Él avait acquiescé et c'était mis en tête que sa mission serait de faire de Sören le deuxième de la classe, juste derrière lui.
Lorsqu'il avait vu les premières notes du garçon, il s'était dit qu'il y avait du boulot mais que ça n'était pas non plus impossible. D'autant plus qu'il apprenait à voir chez le jeune homme une détermination surprenante.
Le midi, ils mangèrent pour la première fois tous deux dans le centre-ville de Landerneau(1). Ils trouvèrent un traiteur asiatique et Sören observa que l'option végétarienne était définitivement permanente dans la vie d'Él. Au lycée, il n'y avait pas cette possibilité et, à chaque fois, il voyait son ami bouder la viande dans son assiette pour ne se concentrer que sur les pâtes ou les légumes.
— Du coup, commença Éloi en s'installant sur un banc non loin du traiteur, ton père est hyper à cheval sur les études ?
Sören déballa son plat et sortit ses baguettes. Il était content de profiter des derniers jours chaleureux en ce début d'automne.
— Ouais. Faut dire que, sans être non plus un cancre, j'ai jamais rien fait pour être un élève exemplaire.
— J'ai du mal à t'imaginer faire n'importe quoi.
— Bah, détrompe-toi. Je n'ai jamais fait les choses bien. Je suis de nature anxieuse et l'an dernier, j'ai séché régulièrement les cours et parfois, j'ai essayé de ne pas rentrer à la maison, que ce soit celle de mon père ou celle de mes grands-parents.
Sören toussa sur ce dernier mot. Il n'aimait pas parler d'eux. Déjà, parler de ses parents lui était pénible, mais mentionner les vieux, c'était presque pire. Éloi sentit plus qu'il ne vit la crispation du garçon.
— Si tu veux on peut changer de sujet.
— Ouais, ça serait sympa.
Sören se pencha pour croquer une part de nems sans en mettre partout et se tourna ensuite vers Éloi pour lui sourire. C'était sa façon de le remercier poliment.
Malgré tout, il sentait qu'il avait envie de se confier à Él, qu'il comprendrait son mal-être et ses peurs, qu'il ne le jugerait pas. C'était un sentiment étrange, mais son intuition lui disait de faire confiance.
— T'es content d'aller au cinéma ? demanda-t-il finalement à Éloi.
— Je ne sais pas encore. Je n'ai plus l'habitude de me sociabiliser. J'aime pas trop ça.
Il se stoppa et regarda son plat d'un air absent.
— T'es sans doute le seul à qui j'arrive à parler.
Sören fut touché par cette confession. Il ne s'y était pas attendu. Son cœur se serra dans sa poitrine. Ainsi, Éloi s'ouvrait légèrement à lui et à personne d'autre. Il n'avait réellement aucun autre ami, aucune personne à qui raconter son quotidien en dehors de son foyer.
— T'es proche de tes parents ? demanda l'anglais tout en cachant son sourire derrière la fin de son nem.
— Pas tant. Enfin... Eux sont proches de moi, mais moi je ne me sens pas proche d'eux. Je ne sais pas si ça te semble clair ou logique, mais c'est ce que je ressens.
— Oh si, ça me parle, si-si, Él, ça me parle.
Ils se regardèrent en silence et se sourirent. Sören sentit à nouveau cette vague de connexion et de compréhension qui le traversait lorsqu'il échangeait un regard avec Éloi.
— Je te raconterai mes secrets, dit-il alors au jeune homme tout en continuant de le fixer, je pense que je peux te les confier et que tu les garderas. Est-ce que tu voudras les entendre quand j'en aurais le courage ?
Éloi acquiesça silencieusement tout en gardant ses yeux gris posés sur Sören. Il ne savait plus où se mettre. Il était à la fois bousculé par cette déclaration et en même temps heureux de l'entendre. Malgré tout, il ne se sentait pas capable de faire comme lui, de lui révéler ce qu'il avait vécu. Ou peut-être que si ? Non. Il ne voulait pas qu'un jour, dans les yeux de Sören, il ne trouve plus que la pitié, que ceux qui savaient, déposaient sur lui. Non. Il n'en voulait pas.
***
Le film fut ronflant et compliqué.
Éloi avait patienté plus de trente minutes avec un groupe de cinq personnes parmi lesquels se trouvaient Paul et Marlène. Les deux s'étaient montrés agréables et avaient tenté de prétendre qu'il était normal de le trouver là, mais il s'était senti de trop malgré ces efforts. Ou du moins, il avait senti qu'eux, il savait ce que Sören ignorait. Mais il n'en avait aucune certitude. Il doutait sans cesse des gens de son âge, se demandant s'il connaissait une partie de son passé ou non.
Au collège de la ville voisine, oui, beaucoup savaient parce que son retour avait fait la une des journaux locaux et avait même eu sa place lors du JT du 20h. Les médias avaient parlé de lui et avait souhaité savoir. Savoir quoi ?
Savoir ce que ça faisait de rester près d'un an entre les mains d'un kidnappeur.
Bon sang.
Il s'en voulut de penser à cela durant la séance.
Il sentit son cœur accélérer. Il n'avait nulle part où se cacher pour couvrir son émotion. Il commença presque à étouffer, comme si une main venait d'appuyer sur sa gorge tout en tirant sur sa mâchoire.
Sören, à côté de lui, s'en rendit compte et lui demanda s'il voulait prendre l'air. Él lui fit signe qu'il en avait effectivement besoin. Il attrapa sa sacoche et suivit Sören d'un pas peu stable.
— Est-ce que tu veux te tenir à mon bras ?
Le jeune homme se figea, perdant la face alors même que sa panique continuait de s'accentuer. Il ne voulait pas tomber.
C'était ridicule. Qu'est-ce qui, dans ce film, avait pu réveiller l'angoisse ? Il n'avait pas eu l'impression que le scénario était un risque. Le film parlait de superhéros.
À moins que ça ne soit le lieu ? Le fait d'être enfermé dans le noir, contraint de ne plus bouger pour ne déranger personne ?
À cette pensée, il sentit un haut le cœur remonter le long de son œsophage. Il retint la bile et attrapa le bras de Sören fermement.
Ce dernier l'aida à avancer et ils sortirent du cinéma. Él respira un grand bol d'air frais avant de se mettre dos au mur, le cœur continuant de palpiter frénétiquement, comme s'il allait exploser et le laisser mourir. Le courant d'air lui rafraîchit les tempes. Il sentit la sueur sur son front sécher. Sören était à côté de lui, calme et concerné.
— Respire doucement, dit-il en tournant tout son corps vers Éloi de manière à ce que seule son épaule gauche repose contre le mur. Est-ce que tu veux que je t'aide ?
Él acquiesça encore une fois, incapable de prendre la parole. Il sentait ses yeux le piquer, comme s'il allait se mettre à pleurer. La peur le blottissait contre ses cauchemars. Il était à deux doigts de sortir ses médicaments mais il avait l'impression que ce serait un abandon, un échec face à ses crises d'angoisse. Bien sûr, c'était faux, mais il le vivait ainsi. Il voulait exister dans un monde où penser à son ravisseur ne lui coûterait pas autant.
Sören se mit à respirer de façon très visible tout en se rapprochant de lui, sans le toucher pour autant. Il prit une grande inspiration et compta, avec ses doigts, jusqu'à quatre. Éloi reconnut rapidement l'exercice et bloqua sa respiration quatre secondes avant de la relâcher, au même rythme que Sören.
Il était stupéfait que le garçon connaisse cette technique.
Durant quelques minutes, ils ne firent que s'observer et respirer. Peu à peu, le pouls d'Éloi se calma et ses yeux se fermèrent, soulagés. Il entendit la voix de Sören le féliciter, lui dire qu'il se débrouillait bien, qu'il fallait continuer ainsi.
La douceur de sa voix le rassura et l'adoucit davantage. Il reprenait peu à peu ses esprits et le souvenir qui venait de remonter était retourné se cacher dans une pièce au fond de sa mémoire. Il plaça un cadenas dessus, craintif, parce qu'il savait que tôt ou tard, l'ordure derrière saurait défoncer la porte.
— Encore une petite minute ainsi, continua de lui dire Sören. Inspire. Expire.
Lorsque l'exercice arriva à sa fin et qu'Éloi se sentit plus fort, il osa prendre la parole.
— Merci. Infiniment...
— De rien, c'est normal.
— Où as-tu appris à faire ça ?
— Eh bien, c'est grâce à ma mère. Quand j'étais petit, je faisais des crises d'hyperventilation lorsque je pleurais trop. Elle m'a appris à contrôler ma respiration et j'ai gardé précieusement ses conseils depuis.
— Donc il faudrait que je remercie ta mère, alors ?
— Ouais. C'était elle le génie du calme. Toujours présente pour guérir les chagrins.
Éloi risqua enfin un regard sur son ami. Il ouvrit doucement les yeux et vit que Sören avait la tête tournée vers la rue, l'air vague.
— Si tu fais une crise d'angoisse juste après moi, on sera quitte, répondit Él en essayant de dédramatiser la situation.
Sören le regarda à nouveau et lui envoya un sourire doux.
— Pas faux. En plus, tu tiendras déjà ma main pour me rassurer.
Les yeux d'Éloi s'ouvrir en grand et là, il sentit. Il serrait la main du garçon entre ses doigts. Il le lâcha immédiatement, stupéfait.
— C'est toi qui... Enfin.... Jamais je ne t'aurais touché durant une crise comme ça, je sais que le contact physique peut être difficile. Mais toi, t'as fini par m'attraper et je t'ai laissé faire.
— Je suis désolé. Je ne m'en étais pas rendu compte.
— T'as pas à t'excuser, je reprendrai ta main quand tu veux et quand tu en auras besoin.
Éloi baissa la tête, ne sachant pas comment interpréter cette phrase. Ses sourcils se froncèrent et il sentit Sören soupirer et se reculer du mur.
— Ok, je garde l'info en mémoire. Merci, finit-il par dire avant que son ami ne se sente repoussé.
Lorsqu'il parvint à relever la tête vers lui et lui faire face, il ne put retenir un léger sourire qui fit écho à celui de Sören.
Leur amitié se scellait avec originalité. Cependant, Éloi ne savait pas comment interpréter son geste. Lui qui ne supportait presque plus le contact physique, il n'avait même pas senti qu'il tenait la main de Sören. Et le pire, c'est qu'il avait regretté la relâcher une fois qu'il s'en était rendu compte.
***
— Vous êtes là ! On s'est inquiétés en ne vous voyant pas revenir !
Marlène retrouva rapidement Sören et Éloi qui étaient assis devant le cinéma, sur la petite place qui lui faisait face. L'anglais avait convaincu son ami qu'il ne serait pas poli de s'éclipser ainsi, que ça n'était pas très sociable et que, de toute façon, il n'y avait aucun bus pour Hvall d'ici deux heures. Él avait craqué et accepté d'attendre leurs camarades.
— Désolé, je ne me sentais pas bien et j'avais besoin d'un peu d'air.
— J'ai vu ça, répondit Marlène, j'ai failli vous suivre puis je me suis dit que ça ne te plairait peut-être pas. Mais j'étais inquiète.
Éloi ouvrit la bouche, surpris qu'une quasi inconnue, qui l'avait plus souvent vu fuir le contact, voire repousser autrui, puisse s'inquiéter pour lui.
La jeune fille s'assit à ses côtés et, avant que les autres personnes n'arrivent, asséna d'un coup :
— N'interprète pas ça comme de la drague, ok ? Aucun de vous deux ne m'intéressent. Moi, c'est Paul que je veux. En revanche, oui, je suis une personne soucieuse pour les gens en général, même quand je les connais mal.
Le garçon se sentit étrangement soulagé et en même temps reconnaissant.
— C'est vraiment gentil de ta part.
— J'espère qu'on apprendra à te connaître, toutes et tous. C'est bien que tu sois venu aujourd'hui.
Le groupe les avait presque rejoint lorsqu'elle demanda :
— Maintenant, je veux ton honnêteté : est-ce que tu te sens assez à l'aise à l'idée de venir boire un café avec nous ? Ou est-ce que tu préfères que je vous réinvite plus tard pour le faire ? Sache qu'il n'y a aucune mauvaise réponse.
Sören se pencha vers Marlène.
— Ok, toi, tu vas devenir ma meilleure pote.
Elle ne put retenir un rire.
— Alors ? Qu'en penses-tu ? réinterrogea-t-elle à l'intention d'Éloi.
— Je... Je pense que je peux essayer. Mais pas trop longtemps. J'aimerais bien prendre le premier bus qui passera.
— Ça me va aussi ! ajouta Sören. Faisons comme ça !
Ils se levèrent tous trois au moment même où le groupe se recréa. Un peu plus confiant, Éloi avança à côté de Marlène pour discuter de tout et de rien. C'était une fille pleine de fraîcheur, peut-être un peu trop vive pour lui, mais il se sentait capable de lui parler à nouveau lorsqu'il reviendrait au lycée.
Derrière lui, Sören le regardait, fasciné par la transformation d'Éloi. Il ne le connaissait pas depuis très longtemps, mais il savait, au moins à travers le regard des autres qui était régulièrement posé sur la silhouette du garçon, qu'il changeait. Il s'ouvrait et était en train d'apprendre que tout le monde n'était pas une menace et qu'il existait des gens agréables à découvrir. Tout en parlant avec une autre fille nommée Mina, il ne cessait de jeter un œil sur Éloi sans pouvoir contenir son sourire.
Notes:
(1) La ville existe, mais je ne respecte rien de la réalité, parce que.
Musique utilisée : Starset, Transmissions, « My Demons », 2014
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