Chapitre neuf : Can't help falling in love

https://youtu.be/PDboeQfAsww


« Take my hand

Take my whole life, too

For I can't help falling in love with you »


Bien que novembre se soit froidement installé, la deuxième semaine des vacances prit une direction assez similaire à la première. Les garçons se retrouvaient tous les jours et ne réclamaient même pas d'aller en ville pour s'amuser. Bien au contraire, ils préféraient largement se promener dans la nature et apprendre le nom des plantes et des arbres.

Ils s'aventuraient toujours plus loin, Éloi partageant ses connaissances avec une passion non simulée. Sören, réceptif, apprenait à se repérer et à observer la nature. Il regardait les sols, reconnaissait les traces des sangliers et des cerfs. Il prenait plaisir à patauger dans la boue grâce à ses chaussures de randonnée. Il escaladait, avec l'aide d'Éloi, quelques rochers pour avoir une vue plus large sur la forêt. Cette solitude partagée qu'il découvrait, cet entrain pour le silence bruyant des bois vivifiants, il avait l'impression que cela le guérissait.

Éloi n'en pensait pas moins. Lors d'un repas improvisé dans la forêt, alors qu'ils étaient assis dans une petite clairière, le garçon avait été obligé de retirer ses mitaines pour la première fois devant Sören. Elles étaient sales et il avait oublié d'en prendre d'autres pour se changer. Or, manger avec des mains crasseuses le dégoûtait trop. Il s'était sondé intérieurement avant de se dire qu'il pouvait faire confiance à Sören et montrer ses plaies.

— Je te préviens, c'est pas beau du tout...

— Je m'en fiche, sens-toi libre.

Éloi acquiesça, prenant une grande inspiration avant de libérer ses mains de ses mitaines. Il fut surpris par le contact de l'air sur sa peau et détourna les yeux immédiatement. Sören ne regardait pas, respectant les peurs de son ami.

— Si... Si jamais tu les voies, c'est pas grave, je ne t'en voudrais pas... Juste, dis rien... Non, en fait... Tu as le droit d'en parler si jamais tu es mal à l'aise.

Sören tourna sa tête et lui demanda s'il pouvait, sans baisser les yeux, tenir ses mains entre les siennes. Éloi, maladroitement, se laissa faire. Avec douceur, Sören passa ses doigts dessus, caressant tendrement ses paumes, l'interstice de ses doigts, et leur longueur. Il n'avait pas réagi lorsqu'il avait senti les morceaux de chair abimée sur le dessus et dans le creux de sa main. Après quelques secondes, il entrelaça ses doigts à ceux d'Éloi. Il n'avait, pas une seule fois, regardé ce qu'il touchait.

Él avait le cœur ouvert, prêt à éclater tant il était stupéfait par l'attitude de Sören. Jamais il n'aurait pu imaginer que l'on prendrait ainsi soin de lui. Il sentit les larmes monter à ses yeux et il ne put réprimer une grimace de douleur en repensant à celui qui avait abimé ses mains.

— Él, tu es en sécurité ici, tu sais ?

Le garçon répondit par l'affirmative, essayant de se ressaisir. Il était rare qu'il parvienne à contrôler la montée de ses angoisses lorsqu'il repensait à son ravisseur. Mais il pouvait le faire, pour Sören, pour ces doigts parcourant tendrement ses blessures depuis longtemps fermées mais toujours béantes dans son esprit. Tout en prenant une grande inspiration, il regarda vers le bas pour voir ce que Sören faisait. Il vit simplement que le garçon ne lâchait pas ses mains, malgré les boursouflures, malgré leur aspect sec et dégradé.

Ses cicatrices lui parurent moins laides lorsqu'il vit le contact qu'elles gardaient avec la peau douce de Sören. Rien de son ami ne pouvait le salir ou le rendre misérable. Bien au contraire. Il embellissait tout.

À cette pensée, Éloi se sentit presque défaillir, se rappelant d'une discussion qu'il avait eue, la veille au soir, avec sa mère. Elle lui avait dit qu'elle adorait Sören et qu'elle les trouvait très attachants l'un avec l'autre. Il lui avait répondu que ce n'était pas ce qu'elle pensait et, avec un regard très innocent, elle avait répliqué : « Je ne pensais à rien de particulier mon chéri, toi si ? ». Et juste avec cette question, elle avait chamboulé le cœur de son fils. Il avait repensé à toutes ces journées en compagnie de Sören, à la façon qu'il avait de le regarder en permanence, de chercher son contact. Et ses mots doux, ses propos rassurants en plus de son humour maladroit. Sören était sa porte de sortie vers la réconciliation avec le monde. Il était son monde et il l'était devenu si vite qu'Éloi en avait eu le tournis. Une fois dans sa chambre, seul, il avait tourné et retourné la question de sa mère dans sa tête avant d'arriver à une conclusion terrifiante, mais excitante : il ne s'était pas vu, pas un seul instant, tomber amoureux de Sören alors que c'était d'une évidence absolue pour quiconque les observait.

Ainsi, lorsqu'il regarda les mains de Sören posées sur ses cicatrices, qu'il sentit son regard aux yeux bleus qui l'enlaçait délicatement, il ne pouvait contenir le fait que son amour débordait davantage que sa détresse. Sören le protégeait du pire.

You are safe. You don't have to worry about anything, ajouta Sören dans son anglais si chantant. (Tu es sain et sauf. Tu n'as pas besoin de t'inquiéter de quoique ce soit.)

Éloi se pencha doucement en avant à ces paroles et posa son front contre celui du jeune homme. Il murmura des remerciements et ferma les yeux, apaisé.

Lorsque les deux garçons se séparèrent, Éloi sortit de quoi se laver les mains et laver celles de Sören par la même occasion. Puis, avec banalité, ils commencèrent à manger leurs sandwichs. C'était le père d'Éloi qui les leur avait préparés, sachant qu'aujourd'hui, il était prévu qu'ils fassent la plus longue randonnée des vacances. Le temps s'était un peu gâté depuis quelques jours mais ce jour, exceptionnellement, était ensoleillé. Quelques nuages venaient parfois gâcher la chaleur, mais rien de menaçant n'apparaissait à l'horizon.


Dans le courant de l'après-midi, lorsqu'ils empruntèrent le chemin qui les ramènerait vers Hvall sans pour autant faire demi-tour, ils se tinrent parfois par la main pour passer quelques obstacles : des pentes ou des zones boueuses qui pouvaient faire glisser, voire les deux en même temps. Éloi n'avait pas remis ses mitaines, estimant que seul avec Sören, il pouvait se permettre d'être plus naturel.

Le garçon avait fait comme si de rien n'était afin de ne pas lui rappeler la présence de ses cicatrices.

Lorsqu'ils arrivèrent à mi-chemin de la dernière phase de la randonnée, Sören souffla de fatigue.

— J'en peux plus, ça va faire sept heures qu'on marche...

— Tu manques encore d'entraînement.

— Ouais. Je sais. Pourtant, depuis le début des vacances, je pense que je n'ai rien lâché.

— Clairement. Tu as été hyper courageux. Randonner n'est pas quelque chose de si simple que cela, et malgré ton manque de pratique et de matériel, t'as été un compagnon parfait !

— Pourquoi tu parles au passé ? Tu crois que tu vas te débarrasser de moi si vite ?

— Oula... Ça n'est pas mon intention, clairement.

Ils avaient ralenti le pas, ce qui permit à Sören de reprendre davantage son souffle. Depuis une heure, le sol semblait n'être qu'une pente douce. Cela le terrassait.

Après quelques foulées supplémentaires, il finit par apercevoir un immense chêne aux couleurs automnales particulièrement belles. Sans demander son reste, il courut jusqu'à l'arbre et commença à grimper sur la première branche accessible.

— Qu'est-ce que tu fais ?! s'écria Éloi en s'approchant.

— T'as vraiment besoin que je te le dise ? Ça n'est pas évident ?

Éloi écarta ses bras, rempli d'incompréhension.

— Je croyais que tu étais fatigué !

— Bon, tu grimpes ou je dois redescendre te chercher ?

Sören était désormais perché à plus de trois mètres de haut, assis les jambes dans le vide, de chaque côté d'une branche et le dos posé contre le tronc de l'arbre.

— C'est plutôt sympa ici, je te conseille de venir tester.

— T'es chiant Sören !

Él, sans aucune grâce, commença à grimper en essayant d'imiter ce que son ami avait fait. La courte ascension lui demanda plus d'efforts mais il parvint minablement sur la branche ou se trouvait Sören, le ventre à plat dessus et la tête penchée vers le vide.

— Oh mon dieu...

— T'as le vertige ?

— Oui, Dingo !

Du mieux qu'il le put, Sören l'aida à se stabiliser. Éloi parvint à passer une jambe de chaque côté de la branche et faire face à l'anglais, non sans laisser son pied gauche reposer sur la branche de dessous, celle depuis laquelle il venait de se hisser. Il tremblait légèrement et regardait des deux côtés, ayant davantage l'impression d'être en haut d'une montagne plutôt qu'à trois mètres et demi du sol. Il s'agrippa fermement à la branche sur laquelle il était assis.

Calm down, Él, grab my hand. (Calme-toi, Él, prends ma main.)

— Non. Non. Je. C'est tellement haut. Pourquoi tu m'as entraîné ici ?

Sören explosa de rire et força son ami à se rapprocher de lui en pressant ses mains sur sa taille. Peu à peu, Éloi se laissa glisser et se retrouva bientôt presque collé à Sören qui n'avait pas retiré ses mains de là où il les avait fermement placées.

Lorsqu'Éloi parvint enfin à cesser de regarder vers le bas pour relever la tête vers l'anglais, il écarquilla légèrement les yeux. Ils étaient très proches.

Il sentit une légère rougeur s'installer sur ses joues et constata qu'il en allait de même pour Sören qui détourna le regard.

Ce fut, en toute vraisemblance, une nouvelle preuve que les sentiments qu'il venait de comprendre en lui étaient partagés. Comment pourrait-il en être autrement ? Ils ne se comportaient pas seulement comme des amis, pour sûr, et si Sören ne ressentait rien, jamais il ne le toucherait comme il le faisait maintenant. Et jamais il ne serait si intimidé non plus.

D'un geste peu assuré mais ferme, Éloi osa s'accrocher aux épaules de Sören. Ce dernier tressaillit à son contact sans le repousser. Encore une preuve.

— Sö ?

— Hm ?

L'anglais ne le regardait pas. Éloi sentit son cœur accélérer ses battements. Il s'apprêtait à essayer quelque chose de dangereux, dans une position dangereuse, et dans une situation angoissante. Maintenant, il ne savait plus s'il tremblait à cause de son vertige ou grâce à Sören.

Il refusa de réfléchir plus longtemps et d'une main, attrapa doucement le menton de l'anglais pour remettre son visage face à lui. Lorsque leurs regards se posèrent enfin l'un sur l'autre, Sören ouvrit légèrement la bouche, comme pour parler, sauf qu'il ne parvint pas à le faire. Le regard gris d'Éloi se fixa sur le sien, et il pinça ses lèvres nerveusement.

Sören ne savait pas s'il fallait briser ce moment en faisant n'importe quelle action, pourvue qu'elle soit intelligente, ou s'il devait simplement profiter de la vue, d'Él qui tremblait légèrement mais ne baissait pas les yeux, attendant... attendant quoi ?

L'anglais eut la réponse. Avec douceur, Éloi avança davantage son visage vers lui. Il avait cessé de se mordre les lèvres et il s'apprêtait à les poser sur celles de Sören. Celui-ci sentit ses doigts s'enfoncer dans la taille d'Él, incontrôlables.

Éloi se recula un peu, posant une question muette à Sören. Une question qui aurait pu être « Est-ce que tu le veux bien aussi ? ». Et sans réfléchir, le garçon répondit à l'attente d'Él et posa ses lèvres sur les siennes. Il ferma les yeux, savourant tout simplement la douceur du baiser qu'il était en train d'échanger avec Éloi. Cela dura quelques secondes. Et lorsqu'ils détachèrent leurs lèvres, ils se regardèrent furtivement avant de se serrer dans les bras l'un de l'autre, en riant.

Tous deux se sentirent terriblement soulagés. Et extatiques par la même occasion. Electriques. Leurs cœurs battaient aussi fort l'un que l'autre. Sören laissa aller son dos contre le tronc d'arbre tandis qu'Éloi s'écrasait contre son torse, la tête blottie sous son menton.

— À la question, « tu sais que deux amis, et encore moins deux garçons, ne se comportent pas comme ça ? », je crois qu'on a trouvé la réponse, déclara Éloi en se serrant davantage contre Sören.

Ce dernier rit de bon cœur et déposa un baiser dans les cheveux d'El.

— Bon sang, je pensais que j'étais le seul...

Éloi se recula légèrement.

— Tu sais, je m'en suis seulement rendu compte hier, parce que je suis un peu long à la détente.

Sören ricana à nouveau, faisant craquer son ami.

— Jamais je n'aurais osé agir si ça n'était pas venu de toi...

— J'ai mis du temps quand même, c'est assez stupide.

Sören le fit taire en l'embrassant à nouveau, cette fois-ci avec plus d'avidité. Il se recula à nouveau et lui répondit :

— Et maintenant on a tout le temps du monde pour rattraper ça et j'ai hâte de le passer en t'embrassant...

Éloi scella à nouveau leurs lèvres et se sentit encore plus complet qu'il ne l'avait été. Il se laissa totalement aller à cet amour naissant, ce besoin de caresses et d'affection, cette merveille de douceur après toutes les blessures qu'il avait reçues. Et il savait que Sören ressentait probablement la même chose, lui qu'on avait aussi abimé. Son corps maltraité par deux hommes possessifs et dégoûtants. Éloi voulait le couvrir de gestes doux pour effacer le passage des oppresseurs. Et il voulait que Sören en fasse de même, qu'il retire la crasse coincées dans ses cicatrices. Personne d'autre au monde ne pouvait mieux comprendre que lui ce que cela faisait que d'être souillé et personne d'autre au monde ne pouvait savoir comment le soigner. C'étaient des secrets qui leur appartenaient.

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