Chapitre dix : Let me be sad
https://youtu.be/8ju4H6fT-1Q
TW : violences physiques. Mentions de tortures, de viol.
« Can you see it in my eyes I've been distant?
'Cause I can't tell if it's the end or the beginning
I know I haven't been myself, I'll admit it
And I put up walls, so if I burned any bridges just know
I'm doing everything i can to try and fix it »
Lorsque la rentrée arriva, Marlène ne mit pas longtemps à comprendre que la dynamique entre les deux garçons avait changée, évoluée. Elle les regarda descendre du bus, tout sourire. Jamais, en classe de Seconde, elle n'avait vu Éloi ainsi. Il était bouleversant de lumière. Sören le faisait briller. Ils ne se tenaient pas loin l'un de l'autre et discutaient bruyamment tout en arrivant vers elle.
- Salut Marlène ! lui dit Él en arrivant à sa hauteur. Tu as passé de bonnes vacances ?
- Salut ! Et oui, c'était très chouette ! Même si je n'ai pas vu Paul pendant deux semaines...
Elle grimaça, un peu déçue.
- Mais bon, ajouta-t-elle, vous, vous avez l'air particulièrement heureux de revenir.
- Oh, pas plus que ça, dit Sören, mais on est plutôt heureux, ouais, c'est sûr.
Marlène écarquilla les yeux une seconde tout en pinçant le bout de son nez pour retenir un rire.
- Attendez, là, attendez... Est-ce que c'est ce que je pense qui vous rend heureux ?
- On lit pas dans les pensées, lui dit Éloi.
- Vous. Vous deux. Vous ?
Sören, sans aucune discrétion, déposa un baiser sur la tempe d'Éloi. Ce dernier se recula légèrement, non préparé à cette soudaine démonstration. Et Marlène manqua de les prendre dans ses bras, mais se retint au dernier moment.
- Oh la la, j'aimerais tellement que ça se passe comme ça pour moi et Paul... C'est trop bien pour vous en tout cas ! J'étais pas trop sûre de moi, mais je l'avais un peu senti avant les vacances, vous aviez une étrange alchimie, donc j'ai supposé que... Enfin bon...
- Eh bien, tu supposais bien, et tu nous as sans doute devancé là-dessus, expliqua Sören.
- Ah ouais ?
- Ça nous a pris mille ans à comprendre tellement on peut être cons...
- Deux semaines, ça n'est pas ce que j'appellerais « mille ans » mais je comprends ce que tu veux dire.
Tous trois se mirent en route vers le hall du lycée. Ils trouvèrent leurs amis et aucun d'entre eux ne fit de remarque en voyant Sören et Éloi se tenir par la main.
Si des homophobes se cachaient parmi eux, ils auraient vite fait de s'en débarrasser. Le tri, en plus, c'est écologique, se dit Éloi en regardant à tour de rôle chacune de leurs connaissances.
Cependant, rien ne se passa. Ils parlèrent normalement, faisant mine de n'avoir rien remarquer. Seul Paul finit par blaguer gentiment lorsqu'ils allèrent vers leur salle de cours. Éloi et Sören s'étaient légèrement éloignés, se rendant compte qu'ils n'avaient pas besoin d'imposer leur relation pour qu'elle soit vue.
***
Toute la semaine qui suivit fut une continuité d'actions simples, de petits bonheurs quotidiens qui enlacèrent les deux garçons. Éloi créait du lien avec les autres personnes qui l'entouraient et ne sembla même pas se rendre compte que sa conversation se faisait de plus en plus fluide, avec de plus en plus de personnes. Marlène et Mina, tout particulièrement, retenaient son attention. Elles avaient chacune un caractère bien différent, mais elles se complétaient. Éloi appréciait la vivacité de Marlène et il trouvait Mina accessible, malgré le fait qu'elle soit plutôt introvertie. D'ailleurs, ils échangeaient beaucoup à ce sujet. La jeune fille aimait s'informer sur les différentes personnalités, sur les caractéristiques récurrentes. Elle lisait des articles et adorait les exercices de développement personnel. Sans pour autant l'avouer, elle s'était mise en tête de décrypter Éloi et de lui donner des conseils pour qu'il continue de s'épanouir.
Marlène aussi bénéficiait des connaissances de Mina. C'était grâce à elle qu'elle savait prendre soin de ceux qui l'entouraient, et évitait d'être trop directe. Au fil des jours, la psychologue du groupe devint une personne proche d'Éloi. À tel point que durant un weekend de novembre, Sören se montra un peu jaloux.
Les deux garçons étaient en train de réviser dans la chambre de ce dernier, assis sur le lit. Depuis qu'ils étaient arrivés, Él constatait que son petit ami était boudeur.
- J'aime pas trop Mina, déclara Sören après qu'Éloi lui ait demandé ce qu'il avait.
- Pourquoi ?
- J'aime pas comment elle se rapproche de toi. J'aime pas... J'aime pas que tu sois si content de la voir non plus. Et sa tête quand elle te regarde, ça m'énerve.
Éloi ouvrit les yeux en grand et attrapa une main de son ami.
- T'es jaloux ?
Sören haussa des épaules en fuyant le regard qui était posé sur lui.
- Il y a une part de moi qui veut exploser de rire en découvrant ça, expliqua Él, une autre qui est un peu contente, et une dernière qui a terriblement envie de t'embrasser pour te rassurer.
- T'es bête.
- Non. Toi, tu es bête. J'apprécie beaucoup Mina, c'est certain, mais crois-moi que je ne la regarderai jamais comme je te regarde toi. Elle est gentille, intelligente et on s'entend bien, mais ça n'a strictement rien à voir avec ce qui nous lie tous les deux.
- Je savais même pas que je pouvais être jaloux... soupira Sören. Ce n'est pas une sensation que j'apprécie parce que je sais que je te fais confiance et que je ne veux absolument pas t'isoler des quelques amis que tu commences enfin à te faire... Je m'en veux d'avoir cette émotion. C'est du poison.
Éloi plaça la main de Sören qu'il tenait contre sa bouche et embrassa doucement ses doigts.
- Tu es tellement bienveillant. Et la jalousie n'est pas forcément un mauvais sentiment...
- Chez mon père, c'était terrible. Il pensait sans cesse que ma mère se servait de ses absences pour voir d'autres hommes. Ils se disputaient beaucoup à ce sujet et... C'est aussi pour cela que dès qu'une de ses missions devait durer longtemps, il nous obligeait à le suivre.
- On en a déjà parlé, mais ton père est un homme toxique, c'est tout. Il est toxique avec toi. Il a été toxique avec ta mère. Ce n'est pas quelqu'un qui sait aimer.
Sören soupira, méditant.
- Je sais que tu as raison, mais je ne veux pas lui ressembler. Ça m'agace d'être froid avec toi parce que je n'arrête pas d'imaginer la tête de Mina à tes côtés...
- Je ne connais pas ton père, mais le peu que je sais sur lui me permet de t'assurer avec conviction que tu ne lui ressembles absolument pas. Il t'a juste fait grandir en insinuant en toi de l'insécurité et de la peur. Ta jalousie n'est pas méchante, elle est même raisonnée parce que tu sais très bien que Mina ne représente rien par rapport à toi.
Sören enlaça son petit ami sans prendre la peine de répondre. Él avait raison. Bien sûr qu'il avait raison. À bien y réfléchir, jamais il ne l'avait vu esquisser un geste vers Mina. Tout comme il continuait de garder ses distances avec tout le monde, sauf lui. Certes, il lui souhaitait de réussir à serrer d'autres personnes dans ses bras, à accepter que l'on puisse poser une main sur son épaule, dans son dos... Mais il aimait aussi le privilège d'être le seul à pouvoir toucher Éloi. Cela lui apportait un certain réconfort égoïste.
Ils finirent par s'embrasser, tout en s'allongeant sur le lit, Sören se plaçant légèrement au-dessus d'El. Ils s'entraînaient beaucoup à ce petit jeu depuis le jour où ils avaient escaladé le chêne. Ni l'oncle et la tante de Sören, ni les parents d'Éloi ne les voyaient faire puisqu'ils se cachaient pudiquement à leurs familles, mais dès qu'ils se retrouvaient seuls... Là, c'était autre chose.
Sören prit appui sur son coude et contempla quelques secondes le garçon qu'il avait contre lui. Éloi lui sourit, l'air moins naïf qu'avant. Il releva une main et caressa le visage de l'anglais, avant de plonger ses doigts dans ses cheveux. Sören soupira d'aise et embrassa à nouveau son compagnon, avec plus d'envie que la fois précédente.
Il voulait se fondre contre son corps, ne faire qu'un avec Éloi. S'il pouvait entremêler leurs respirations, il le ferait sans aucune hésitation tant il se sentait connecté à lui. Soigné.
Il mordilla légèrement la lèvre inférieure d'Éloi tout en faisant glisser sa main le long de la taille du garçon. Le brun trembla doucement en sentant ce contact soudain, mais il parvint à accentuer son baiser. Leurs langues finirent par se toucher timidement. Sören continua de caresser Éloi de sa main libre et lorsqu'il tenta de la passer sous le pull de son petit ami pour frôler sa peau, ce dernier se crispa.
L'anglais se détacha et le regarda avec inquiétude.
- Ça va ?
Voyant qu'Él fronçait les sourcils et ne semblait pas capable de formuler une phrase, il décida de se redresser, se plaçant sur ses genoux. Le brun, déboussolé, pris appui sur ses coudes et s'excusa d'avoir réagi ainsi.
- Non, c'est moi qui suis désolé... Je me suis emporté et je n'aurai pas dû avoir ce geste sans te demander la permission... Je me sens bête...
Éloi s'assit et plaqua doucement ses mains sur les joues de Sören.
- Hey, ne culpabilise pas... Tu n'y es pour rien si j'ai mal réagi. J'y suis pour rien non plus. La responsabilité est entièrement celle de... du connard qui m'a enfermé dans sa cave pendant tous ces mois.
Il déglutit avec difficulté en s'entendant parler de lui.
Sören acquiesça. Il laissa Éloi le tirer vers lui et ils s'allongèrent à nouveau sur le lit, s'étreignant totalement. D'un geste habile, l'anglais attrapa le plaid qui était posé derrière Él et le jeta sur leurs deux corps. Puis, les deux garçons se placèrent de manière à se toucher des pieds à la tête. Sören chantonna doucement à l'oreille d'Éloi, laissant des mots anglais traverser ses lèvres. Son petit ami en eut la chair de poule. Il se laissa porter par cette voix douce et les deux garçons fermèrent les yeux.
Les premières semaines, il ne se passait rien.
Éloi se trouvait dans une cave, plongé en quasi permanence dans le noir. Son ravisseur venait lui rendre visite une à deux fois par jour. Il lui donnait de quoi manger puis vidait et rapportait le seau qu'il lui avait donné comme toilettes.
Au départ, à chaque visite, le garçon se blottissait contre un mur, assis sur le matelas qui lui servait de lit. L'homme essayait de l'amadouer comme un animal, en lui tendant des barres de céréales ou des morceaux de chocolat. Éloi ne disait rien et ne prenait pas les cadeaux qui lui étaient faits.
Au fil des jours, sentant son estomac gronder douloureusement, il craqua et accepta de manger la nourriture offerte.
N'ayant pas de couverts, il dévorait les plats avec ses doigts sales et buvait dans un bol qui avait tout d'une gamelle pour chien, l'eau coulant parfois sur son cou.
Le ravisseur prit peu à peu confiance, lui aussi, et vint plus souvent lui rendre visite.
Éloi lui demandait ce qu'il faisait là et pourquoi il ne le relâchait pas, mais l'homme ignorait ses questions, se passant la main dans les cheveux d'un air gêné. Il ne faisait que lui demander de finir ses assiettes. En dehors de cela, il l'observait, le scrutait. Il arrivait qu'Éloi se réveille et que l'homme soit déjà là avec lui, en train de le regarder.
Le garçon finit par perdre toute notion du temps, à force de vivre dans le noir, sans heure, sans certitude du jour et de la nuit. Il avait l'impression de perdre la tête. Ses parents lui manquaient, ses amis aussi. La peur initiale avait cédé la place à l'angoisse et à la terrible sensation de solitude.
Un jour, tandis qu'il entendait des bruits venir de la porte de la cave, tout en haut des escaliers, Éloi se cacha près de l'entrée, et lorsque son ravisseur ouvrit, il lui bondit dessus, déterminé à s'enfuir de là et à retrouver ses parents. Il ne voulait pas croupir dans ce lieu toute son existence, à manger des choses qu'il trouvait dégoutantes et à se sentir de plus en plus instable.
Mais il avait douze ans, et l'homme était plus fort.
Ce dernier parvint à attraper Éloi d'un bras, le soulever et fermer la porte derrière lui avant de descendre les escaliers et jeter le garçon contre le matelas. Éloi cria et se releva immédiatement, se battant avec rage contre celui qui le retenait. L'homme lui bloqua les bras et le jeta plus violemment contre le matelas, tête la première. Sonné, Éloi ne bougea presque pas, sentant ses larmes de rage monter à ses yeux. Il entendit un bruit de frottement, la voix de son ravisseur et alors qu'il s'apprêtait à repartir à l'assaut, une douleur soudaine lui déchira le dos. Il s'immobilisa dans un cri.
Des coups se mirent alors à pleuvoir sur lui, et il n'entendait plus que l'homme lui hurler des phrases incohérentes, lui disant que c'était de sa faute et qu'il l'obligeait à le punir, qu'il aurait dû rester sage, silencieux. Éloi hurlait à plein poumon, à la fois de douleur et de peur. Il était terrorisé par ce qu'il se passait.
Lorsque cela s'arrêta, il n'entendait plus que ses sanglots qui s'étouffaient dans le matelas crasseux. Il avait mal au dos, aux fesses, aux cuisses. Tout n'était plus qu'une brûlure.
L'homme lui reparla, d'un ton plus posé, mais Éloi n'entendit rien. Il tremblait.
Puis les pas s'éloignèrent et il se retrouva de nouveau dans le noir, le corps complètement endolori, la solitude le consumant encore plus violemment qu'avant qu'il n'agisse.
Él se réveilla en sursaut, déboussolé. Il mit du temps à intégrer le lieu où il se trouvait. Sören était assis près de lui, le visage figé dans une grimace d'inquiétude. Le brun sentait son cœur battre contre sa poitrine, comme s'il allait en sortir et s'exploser sur le mur en face.
- Tu... commença Sören d'une voix faible, tu... T'as commencé à pleurer et trembler... J'ai essayé de te réveiller mais tu ne répondais pas. Je savais pas quoi faire.
Éloi reprit doucement son souffle, essayant de fuir le souvenir qui venait de l'habiter. Il sentait encore l'odeur d'urine et d'humidité de la cave. La sueur de l'homme. L'enfer glacial des mois passés là-bas.
- D-Désolé... J-J'ai revu des trucs et... Bref, ça m'arrive parfois. Les souvenirs reviennent et je n'arrive pas à les contrôler.
- Je comprends, ne t'excuse pas, je comprends totalement. Est-ce que je peux te tenir contre moi ? J'ai eu peur. Je ne savais pas comment t'aider.
Éloi dévisagea Sören avec tendresse, désemparé. Il accepta sans hésiter l'invitation à se blottir contre lui. Les bras de Sören l'enlacèrent, une de ses mains glissant contre son dos d'un geste apaisant. Cependant, Él entendit le cœur de son petit ami battre presque aussi fort que le sien et il essaya d'autant plus de ralentir son pouls frénétique, afin que tous deux parviennent à se calmer.
Au bout de quelques minutes, il prit la parole avec vulnérabilité.
- J'ai... J'ai revu les premiers temps de ma captivité... Je crois que c'est parce que je l'ai mentionné tout à l'heure ou parce que j'ai pensé à lui. D'ordinaire, je fuis ce sujet pour éviter que ces cauchemars n'arrivent... Je suis désolé de t'avoir fait peur comme ça.
- Moi aussi je fais des cauchemars. Ce n'est pas de ta faute. Comme tu le disais, c'est la faute de ceux qui nous ont fait du mal.
Él ferma les yeux. En lui, plusieurs émotions se battaient. Il voulait tout enfouir et ne plus y repenser ; il voulait aussi expliquer à Sören le paradoxe de cette captivité. Justifier son cauchemar.
- Il... Il n'était pas méchant, au début, continua Éloi. Pendant plusieurs semaines, je crois, peut-être quelques mois, il ne me faisait rien, ne disait presque rien. Je pense que c'est pour ça que j'ai survécu. Il n'a pas tout de suite... Ça n'a pas commencé tout de suite. Mais... Là, je me suis souvenu de la première fois, d'une partie de la première fois. J'avais essayé de m'enfuir, de profiter du fait qu'il n'était pas si méchant, voire qu'il était un peu bête. Je voulais lui échapper. Et il m'a frappé pour ça. Je n'avais encore jamais eu aussi mal de toute ma vie. Je n'arrivais même pas à bouger... C'était pitoyable. Et à ce moment-là, j'ignorais encore ce qu'il voulait, ce qu'il allait faire.
Éloi cessa de parler, sentant sa gorge se nouer. Jamais il n'avait autant révéler d'éléments de sa captivité. Ni à ses parents, ni à ses psys. Ni. Jamais. Il s'était contenté de tout cacher, de tout placer sous un tapis, en espérant ne plus jamais le soulever. Mais le tapis se levait tout seul. Et, une petite voix, au fond de lui, se demanda s'il n'était pas tant d'oser regarder ce qu'il y avait dessous en proposant à Sören d'y jeter un œil avec lui.
- Si tu veux que je me taise, dis-le moi, avoua-t-il afin de préserver son petit ami.
L'étreinte de Sören se resserra et il lui murmura de faire ce qu'il souhaitait, qu'il était prêt à tout entendre s'il le fallait, ou à ne jamais rien savoir si c'était son souhait.
Éloi ferma ses yeux et se concentra sur les battements du cœur de Sören. Il savait qu'il ne pourrait pas tout dire, pas aujourd'hui, pas si vite, mais il se sentait au moins la force de révéler certaines blessures.
- Il était complètement fou et plein de contradictions. À la fois, il m'obligeait parfois à prier Dieu avec lui, tout en répétant mon prénom en boucle, disant que c'était le prénom de l'élu... C'est pour ça que j'ai du mal avec mon prénom complet... Il me donnait à manger aussi, à boire, de quoi avoir chaud. Il lui est même arrivé de m'apporter des tenues de rechange... Il me disait souvent que j'étais précieux, important, que j'étais amené à faire de grandes choses... Et à la fois, il devenait violent, méprisant, terrifiant... Il me frappait régulièrement... Et un jour il, il a fini par m'obliger à... Peut-être à la moitié de ma captivité, je ne sais pas, il m'a demandé de me déshabiller et il m'a inspecté, scrutant tout mon corps. Je pleurais, ne comprenant pas ce qu'il faisait. J'avais encore des plaies et des bleus qui me faisaient mal. Et, en voyant que je ne me calmais pas, il m'a jeté par terre et a appuyé sur certaines de mes blessures encore douloureuses. Et c'est là... En fait, c'est à partir de là que je l'ai vu se déshabiller aussi et qu'il m'a hurlé que j'étais une tentation malsaine, que j'étais dégoûtant et que c'était honteux de le forcer ainsi. Il m'a... violé une première fois ce jour-là.
Sören ne disait rien, il le berçait, silencieux, profondément présent, ancré avec lui. Il sentait sa main caresser ses cheveux, glisser sur les quelques centimètres rasés au-dessus de sa nuque avant de s'enfouir dans les longueurs. C'était apaisant. C'étaient des gestes humains.
- Ça n'a fait qu'empirer à partir de là. Les coups, les agressions, les délires religieux... Il perdait de plus en plus la tête. Il m'accusait de le tenter puis me priait d'exaucer ses vœux, s'agenouillant devant moi. Si je réagissais, il se redressait, me giflait et recommençait à me frapper avant de me demander pardon. Il était imprévisible. Parfois, je ne le voyais pas pendant plusieurs jours et j'étais persuadé que j'allais mourir de faim et de soif. Puis il revenait et il restait des heures dans la cave, à jouer avec moi. J'en devenais fou moi aussi, au point où j'ai commencé à essayer de me faire mal exprès, pour que ça s'arrête. Mais...
La voix d'Éloi se bloqua quelques secondes. Sören déposa un baiser sur sa tête.
- Mais il ne me laissait pas faire. Quand je me suis rendu compte que me blesser l'obligeait à rester plus longtemps, j'ai cessé de le faire. Ça ne servait à rien... Jusqu'à ce qu'il...
Éloi se tut, se sentant se recroqueviller. Son pouls accéléra davantage. Il fermait si fort ses yeux qu'il en avait mal à la tête. Mais il ne pleurait pas. Il n'y arrivait pas. Il avait juste mal. Mal dans son corps, sa chair, son cœur.
- Peu de temps avant qu'on me retrouve, il s'était mis en tête que je devais suivre le même parcours que Jésus. Et... Putain, Sören, ça, je sais pas comment le raconter... Je sais pas si je peux...
- Shh. You don't have to tell me anything. Tell me what you want, but nothing more. Tu n'es obligé à rien. Et tu es en sécurité. Safe. Remember ?
Éloi acquiesça. Il avait envie de disparaître entre les bras de Sören, de s'y faire le plus petit possible pour ne jamais en être délogé. C'était ça son abri. Son lieu sûr.
- Je peux pas tout raconter... Mais mes mains... Mes mains, c'est la dernière blessure avant que la police arrive. Il m'a attaché à une grande croix en bois qu'il avait fabriquée devant moi. Je me souviens que j'étais maintenu, allongé dessus, par des cordes et que je hurlais, sachant exactement ce qu'il s'apprêtait à faire. Et il l'a fait. Il a juste fait mes mains, mais il l'a fait. C'est ça mes cicatrices. Il a enfoncé des clous dans mes paumes et a transpercé mes mains... J'aurais tellement voulu m'évanouir ce jour-là...
- C'est terminé... Il ne peut plus rien te faire. Il n'est plus là... murmura Sören, le nez dans les cheveux du jeune homme, respirant la fraîcheur de son shampoing. Je te protège aussi, je te protégerai. Et je ne laisserai personne te faire du mal.
Et sans qu'Él ne le sente venir, il craqua. Pour la première fois en trois ans, il pleurait contre quelqu'un et non tout seul. Il s'entendit sangloter comme un enfant, sangloter comme Sören, quelques semaines plus tôt, lorsqu'il lui avait raconté ses secrets. Et l'anglais le félicitait, lui disait que c'était une bonne chose, que c'était important de pleurer. Il lui disait qu'il ne le lâcherait pas et qu'il pouvait continuer aussi longtemps que nécessaire.
Alors, Éloi s'abandonna.
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