Chapitre deux : Swallowed by the Night


« In my shade no flowers bloomed
I was cursed and I was doomed
But what falls will also land
Mother nature took my hand »

https://youtu.be/gBnYmRM51q8


Lorsqu'ils montèrent dans le bus, Éloi fut légèrement agacé de se coltiner Sören encore trente minutes. Il avait échangé plusieurs fois avec lui et Sören s'était même risqué à lui parler en plein cours d'espagnol. Il l'avait alors fusillé du regard pour le remettre à sa place.

- Du coup, tu habites à Hvall(1) depuis longtemps ? demanda le jeune homme en s'asseyant à côté d'Éloi.

- Depuis ma naissance.

- Ah ouais ? Et ça t'embête pas de vivre dans un endroit aussi reclus ? Pour sortir voir des potes, ça doit être compliqué, non ?

- J'ai réglé le problème facilement : j'ai décidé de ne pas avoir de potes.

Sören ne put retenir un rire à la fois moqueur et doux.

- J'ai presque failli te dire « ah bon ? », puis je me suis ravisé.

Éloi regarda le jeune homme d'un air agacé. Sören avait des cheveux châtains en bataille sur sa tête, surmonté d'un épi colossal qui semblait au moins aussi incontrôlable que ses bavardages. Malgré tout, et malgré lui, Éloi le trouva sympathique. Bien qu'il se montre fermé, Sören ne semblait pas lui en tenir rigueur ni le juger pour cela.

Él, qui accordait une grande importance à la politesse et au fait de ne pas déranger, se risqua alors à dire :

- Ecoute, la plupart du temps, j'aime bien écouter de la musique dans le bus pour rentrer chez moi... C'est un moment de la journée auquel je tiens... Du coup...

- Aucun souci ! Je comprends tout à fait ! Je fais la même chose quand je suis dans les transports ou que je marche. C'est apaisant.

Les deux garçons sortirent leurs téléphones et branchèrent leurs écouteurs sans plus attendre. Éloi fut surpris par l'absence de critique de la part de Sören. Cela le toucha. Tout en se replaçant confortablement contre le siège du bus, il enfonça ses écouteurs dans ses oreilles et lança une musique folk(2). Sören semblait en faire de même. Sa main tenait son téléphone et ses yeux étaient fermés, la tête contre le dossier.

Éloi fronça les sourcils et regarda furtivement le titre de la chanson qu'écoutait Sören. Il avait lancé « War Eternal » d'Arch Enemy. Le brun ouvrit la bouche en voyant cela. La plupart des gens de son âge écoutaient de la pop ou de la musique de fête, ou du rap... Jamais, dans les couloirs, il n'avait entendu quelqu'un parler de métal. C'était si saugrenu pour lui qu'il resta les yeux fixés sur le téléphone de Sören un peu trop longtemps.

Ce dernier s'en rendit compte et le regarda, étonné. Éloi détourna la tête et se plongea dans le paysage doux de ce début d'automne.

***

Les jours qui suivirent furent pour le moins surprenants. Éloi s'acclimata à la présence de Sören dans ses pattes dès le matin. Les deux garçons n'échangeaient presque aucun mot en dehors du « bonjour » traditionnel avant de monter dans le bus. Ils s'asseyaient simplement l'un à côté de l'autre et écoutaient leurs musiques jusqu'à l'arrivée au lycée. Une fois là-bas, Sören suivait Éloi comme son ombre et ne lui parlait qu'en cas de nécessité.

Le mercredi de la semaine suivant l'arrivée de Sören s'écoula tranquillement. Éloi prit parfois quelques minutes pour réexpliquer des notions que le jeune homme avait ratées afin qu'il puisse suivre l'avancée des cours. Mme Hannier avait prévenu les enseignants de la classe qu'elle avait confié le nouveau à Éloi et qu'il fallait leur autoriser quelques bavardages nécessaires au cas où Sören ne comprenne pas un élément du cours.

Lorsque la sonnerie du midi retentit, au lieu de suivre tous les autres élèves à l'extérieur du lycée comme il était de coutume le mercredi, les deux garçons prirent la direction de la cantine.

- Si j'ai bien compris, cet après-midi, tu veux qu'on aille à la bibliothèque ? demanda l'anglais en suivant Éloi.

- Oui. Il faut vraiment que tu rattrapes les cours en maths, je vais pas pouvoir toujours te réexpliquer un truc et risquer de ne pas comprendre la suite.

- 'Je m'appelle Éloi et je suis si sérieux', mima Sören en fronçant fortement les sourcils avant de rire.

Le jeune homme, en guise de réponse, leva les yeux au ciel puis poussa la porte battante de la cantine. Il n'y avait presque personne à cette heure-ci.

- Moque-toi mais en attendant, sans moi, tu serais totalement largué.

- Oui, oui, je sais. C'est juste que tu prends jamais la mouche, donc j'en profite.

- Pourquoi faire ? Les gens pensent ce qu'ils veulent, ça ne m'intéresse pas beaucoup.

- Roh, Capitaine Je-m'en-fous, tu pourrais être plus drôle quand même !

Éloi attrapa son plateau et se mit à la suite des quelques élèves présents. Il soupira d'aise lorsque le silence s'installa entre lui et Sören.

Il demeurait pourtant agréablement surpris : la remarque du jeune homme à son égard était réciproque, s'il ne prenait jamais la mouche, c'était aussi le cas de Sören qui lui excusait nonchalamment ses silences.

***

Après le repas, ils se mirent en route vers la médiathèque qui se trouvait à un petit quart d'heures de marche. Les deux garçons échangèrent quelques mots sur le programme de l'après-midi. Éloi insista déjà pour recommencer le mercredi suivant afin que le rattrapage ne traîne pas trop. Sören râla mais comprit l'importance de cette démarche.

Il se demandait simplement si, une fois tous les cours repris, Éloi prendrait des distances avec lui. Pour le moment, il n'avait pas pris le temps de discuter avec d'autres personnes, ou il l'avait fait de façon assez limitée. Aussi, il craignait de se retrouver soudainement seul. Vraiment seul. Bien qu'Éloi ne soit pas le plus accueillant, il appréciait tout de même sa compagnie. Plus que fermé et crispé, Éloi était surtout très calme. Cela apaisait Sören qui se savait d'un tempérament plus anxieux. L'idée qu'il s'éloigne de lui l'embêtait.

- Dis-moi, Él, pourq...

- Él ? coupa le jeune homme.

- Éloi. Désolé. J'aime bien les diminutifs.

Sören baissa la tête et continua de marcher à côté du garçon. Ce dernier haussa des épaules.

- Ça m'a surpris. Mes parents sont les seuls à m'appeler ainsi.

- Désolé, je ne voulais pas te mettre mal à l'aise.

- Y'a pas de mal. Ça ne me dérange pas que tu m'appelles « Él ». Je n'aime pas trop mon prénom complet, donc ça me va.

- Il est cool et rare ton prénom, un peu vieillot mais c'est sympa.

- Je n'aime pas sa signification.

Sören pencha la tête vers lui dans l'attente d'une explication. Il croisa furtivement le regard d'Éloi qui prit une grande inspiration.

- Ça vient de eligius qui veut dire « élu ».

Sören eut un léger rire inattendu. Éloi le regarda, circonspect.

- C'est juste que c'est drôle, la prof de français t'a élu pour t'occuper de mon intégration, et du coup, je trouve ça ironique.

Éloi ne put retenir un minuscule ricanement qui le surprit lui-même, la remarque n'étant pas spécialement drôle. Sören écarquilla les yeux et se plaça devant le jeune homme en marchant à reculons.

- J'ai bien entendu ce que j'ai entendu ?! Tu viens de rire ?!

- Non, c'était une portière qui se fermait quelque part dans la rue.

Sören explosa de rire et continua de marcher en arrière, se fichant bien des obstacles qui arrivaient.

- Menteur !

Sur ce mot, il se prit les pieds dans un déchet laissé par terre. Éloi le rattrapa de justesse par les bras, l'empêchant de s'étaler ridiculement sur le sol.

- Fais attention, merde !

- Pas tombé ! répondit spontanément Sören en se redressant. Merci pour le sauvetage, Él.

Les deux garçons restèrent immobiles quelques secondes. Éloi jeta un regard sombre à Sören, lui signifiant très clairement qu'il était stupide. En retour, le jeune homme lui sourit à moitié, comme s'il s'excusait et s'en fichait en même temps.

Éloi reprit le chemin et demanda à son accompagnateur de ne plus faire n'importe quoi jusqu'à ce qu'ils arrivent à la bibliothèque. Suite à quoi Sören demanda si, une fois dedans, il pourrait recommencer.

***

- I'm bored out of my mind (J'en ai marre)... soupira Sören en étalant le haut de son corps sur la table de la bibliothèque. What's the time, please ? (Il est quelle heure, s'il-te-plaît ?)

Él arqua un sourcil en se tournant vers lui. Sören le regarda curieusement, se demandant où était le problème avant d'écarquiller les yeux.

- Désolé, j'étais en Angleterre ces dernières années et du coup, j'ai encore des réflexes, surtout quand je suis fatigué.

- Tu parles anglais ?

Sören sourit à cette question, se disant que c'était sans doute la première fois qu'Él se montrait curieux à son égard depuis près d'une semaine qu'ils se fréquentaient.

- Ma mère était anglaise, mon père, français. On a pas mal voyagé par le passé à cause du métier de mon père, mais Cambridge est l'endroit où je suis resté le plus longtemps et où je suis né.

- Je croyais que tu étais suédois.

- Aussi.

Éloi sembla ne pas comprendre.

- Les parents de ma mère sont suédois et ont immigré en Angleterre, là où elle a vécu presque toute sa vie. Mon père, lui, est en partie suédois, et né en France. Ils se sont rencontrés à un mariage d'amis de leurs familles en Suède. Comme aucun des deux ne parlaient couramment la langue locale, ils ont vite accroché. Et comme mon père vivait à Londres à ce moment, well (Eh bien)...

Sören confia tout cela avec une facilité qui déconcerta Éloi.

- Tu... commença ce dernier, tu parles de ta mère au passé, est-ce que...

- Ouais, elle est morte, il y a six ans. Tumeur foudroyante.

- Désolé...

- Merci.

La conversation devint plus grave. Éloi observa le visage de Sören se perdre dans le vide. Cependant, le jeune homme chassa sa réaction très vite et ajouta :

- Tant qu'on en est à se poser des questions, Él, dis-moi, j'ai remarqué que tu ne retirais jamais tes mitaines, y compris pour manger... Pourquoi cette extravagance ?

Éloi plaça soudainement ses mains sous la table, les plaquant sur ses genoux. Il sentit ses épaules se contracter et sa mâchoire se serrer. Voilà pourquoi il ne voulait pas traîner avec des gens : ils posaient des questions. Ils posaient de mauvaises questions auxquelles il ne voulait absolument pas répondre et dont ils ne voulaient même pas supposer qu'elles puissent être posées. Il voulait qu'on l'ignore. Qu'on ignore ses mitaines. Qu'on le laisse tranquille.

- J'ai rien demandé ! s'exclama soudainement Sören, provoquant un « chut » dans la salle où ils se trouvaient avant de reprendre dans un murmure : J'ai rien demandé, oublie.

Éloi n'osa pas le regarder, mais il sentit que le jeune homme se pencha doucement pour parler d'une voix tranquille.

- Ecoute, je suis quelqu'un d'assez curieux et j'aime beaucoup poser des questions, mais si jamais je te demande des choses qui te semblent inconfortables, dis-le moi et je ferai attention. Je respecterai le fait que tu ne veuilles pas répondre et je ne t'en voudrais absolument pas.

Éloi ne répondit rien mais releva sa tête et parvint à échanger un regard avec Sören. Il vit alors son air soucieux. Cela le remua. Il ne s'était pas attendu à une réaction si bienveillante.

Était-il vraiment en train de prendre soin de lui, d'accorder de l'importance à ce qu'il pouvait ressentir ? Était-il vraiment en train de ne pas le juger ?

- Moi aussi, ajouta l'anglais, il y a des questions auxquelles je n'aime pas répondre, donc je comprends tout à fait.

- Ok. Merci. Désolé.

- T'as pas à t'excuser.

Sören se détendit et se recula sur son siège pour s'étirer. Il changea alors de sujet.

- Bon, je pige rien au cours que je viens de recopier, est-ce que tu peux m'en dire plus ?

***

Éloi rentra chez lui silencieusement. Il venait de laisser Sören à l'arrêt de bus. Tous deux habitaient dans des directions opposées du village, ce qui le rassurait. Il pouvait au moins préserver quelques minutes solitaires, à marcher avec ses écouteurs pour essayer de se détendre.

Depuis que Sören lui avait parlé de ses mitaines, il se sentait nauséeux. Tout le trajet du bus s'était déroulé dans un silence lourd. Ils s'étaient tous deux isolés dans leur monde, Sören s'étant simplement assoupi contre le dossier du siège. Éloi l'avait observé de temps à autres puis s'était perdu dans ses pensées, se souvenant de choses dont il ne voulait pas se souvenir.

Ses mains, il faisait tout pour les oublier, elles qui défaillaient si souvent, le handicapaient par moments et qui pouvaient le trahir. Elles qui étaient si laides désormais, avec leurs énormes cicatrices au creux des paumes.

Son angoisse vint se loger dans son ventre aux souvenirs de ses blessures. Elle était trop grande et il sentit qu'il ne pourrait l'ignorer ce soir. Son souffle s'accéléra en arrivant devant sa maison. Il lui fallait quelques minutes de plus avant d'oser rentrer et d'affronter ses parents. Ils lui demanderaient comment sa journée s'était passée et ils parleraient de son après-midi, trop enthousiastes à l'idée que leur fils ait passé du temps avec un ami. Ils l'appelaient déjà « ton ami », ce qui le dérangeait et en même temps... En même temps, cela amenait une pointe de réconfort en lui.

Sören n'avait pas insisté à la bibliothèque. Il lui avait demandé d'oublier sa question et il était passé à autre chose, comme si la réaction d'Éloi n'avait pas été bizarre. Comme si tout était ok. Pourtant, depuis qu'il était revenu chez lui, trois ans plus tôt, les quelques personnes avec qui il avait discuté s'étaient montrées réticentes et n'avaient pas su quoi faire lorsqu'il s'était soudainement mis à angoisser. Él ne s'était jamais habitué à tous ces regards de compassion, alourdis par les pensées curieuses des gens. Il dérangeait.

Depuis, il apprenait à contrôler ses émotions, à contrôler ce qui se passait dans sa tête et pour éviter le moindre impact négatif, il évitait les autres. Il refusait le contact. Communiquer était un risque. Le risque qu'on lui parle, voire qu'on pose des mains sur lui. Et ça, c'était insupportable.

Déjà ce midi, il s'était choqué en rattrapant Sören avant qu'il ne tombe. Jamais il ne s'approchait physiquement de quelqu'un. Même ses parents ne pouvaient obtenir d'affection de sa part, ou très peu.

Parfois, sa mère parvenait à passer une main sur sa joue, ou à l'embrasser sur le haut de la tête. Son père aussi essayait de lui témoigner un peu de douceur, mais Él restait fermé. Il ne rendait aucun geste. Il ne pouvait plus le faire depuis ce qui lui était arrivé.

En sortant les clés de la maison de la poche de son sac, il sentit qu'il tremblait.

Ce soir, rentrer était un combat, même s'il souhaitait simplement atteindre son lit et s'enfoncer dans ses couettes pour y disparaître et ne plus se révéler au monde.

Il repensa alors aux conseils de sa psychologue. Il s'assit sur le banc placé sous le porche. Il s'obligea à respirer doucement. Une inspiration de quelques secondes, suivit d'un blocage tout aussi long, puis d'une expiration de la même durée. Il prit plusieurs minutes, se berçant au son d'un black metal lancinant, tendre, mélancolique mais profondément apaisant. La musique l'aida à reprendre son souffle, à détendre ses épaules. Ses souvenirs s'éloignèrent doucement, ne l'envahirent plus. Il les chassa, leur ferma la porte au nez et regarda le soleil bas derrière les arbres.

Le souvenir de la douleur à ses mains le crispa encore une fois avant qu'il ne parvienne à retenir le moindre flot d'émotions en lui. Cette crise d'angoisse lui demanda plus d'efforts, mais il ne voulait pas sortir sa boîte de médicament. Il en avait assez des anxiolytiques à la moindre défaillance.

Une fois plus calme, il finit par se relever, ouvrir la porte de la maison, et s'aventurer à l'intérieur. Ses parents l'attendaient.

***

Éloi hurlait et pleurait en même temps, suppliant pour que tout s'arrête, suppliant même de mourir. Son dos le faisait souffrir, son corps entier était secoué par ses sanglots et sa peur. Mais cela n'empêchait pas la silhouette près de lui de serrer davantage les cordes autour de ses poignets, ni de répéter en boucle les mêmes prières, comme hypnotisée. La silhouette terrifiante. Si terrifiante.

En relevant doucement la tête, il vit ce qu'elle tenait entre ses mains. Puis elle lui fit mal.. Il sentit que ses cris pouvaient lui déchirer les cordes vocales tant ils étaient désormais inhumains...

- Él ! Él ! Réveille-toi ! Él !

Le jeune homme revint à la surface en entendant la détresse de sa mère. Elle était assise sur son lit, les mains posées sur ses épaules et elle le fixait avec angoisse. Lorsqu'il la sentit si près, il se dégagea instinctivement avant de comprendre et de la laisser le serrer contre elle. Les lumières de sa chambre étaient allumées.

- C'était un cauchemar mon chéri, c'était un cauchemar.

Il laissa ses bras, pantelants, sur les côtés. Sa mère le relâcha rapidement, sachant qu'il ne supportait pas le contact physique. Elle passa malgré tout une main sur son front couvert de sueur.

Éloi aperçut alors son père, debout, près du lit, dans un état tout aussi inquiet. Il fixait son fils d'un air triste, impuissant.

Bien sûr qu'ils étaient impuissants... Comment ne pas l'être ? Personne ne pouvait comprendre ce qu'il vivait, ce qu'il ressentait, ce par quoi il était passé. Il n'y avait que des traces qui demeureraient sur lui et que les observateurs pouvaient interpréter, mais jamais ressentir comme lui avait pu les ressentir.

- D-Désolé... Je vous ai réveillés, désolé...

- Él, ce n'est pas grave, on est là pour toi, on est là aussi pour ça...

- Il s'est passé quelque chose aujourd'hui pour que tes cauchemars reviennent si soudainement ? demanda son père.

- N-Non, enfin, si, peut-être. Quelqu'un m'a parlé de mes mains et ça m'a angoissé...

Éloi, sachant qu'il retirait ses mitaines une fois les lumières éteintes, les attrapa soudainement sur sa table de nuit pour les remettre. Il ne voulait pas voir les cicatrices, pas après ce cauchemar.

- Demain tu vois Sandrine et tu lui en parleras. Tu avais bien progressé à ce sujet, c'est important que tu puisses retravailler là-dessus.

- Désolé, papa, de ne pas être une liste de tâches à accomplir avec succès en ce qui concerne mes traumas, répondit agressivement Éloi, presque malgré lui.

- Ce n'est pas ce que je sous-entends.

Él se pinça le haut du nez. Il était gêné.

- Excuse-moi... C'est juste que... Je suis fatigué, en fait...

- Mon chéri, c'est normal, ne t'en fais pas, répondit sa mère en se penchant vers lui. Sandrine t'aidera à y voir plus clair demain. Ton père a raison, c'est important que tu lui en parles.

- Je parle toujours à ma psy maman, t'inq...

Son père le coupa, agacé.

- C'est faux. Nous savons parfaitement que tu ne dis presque rien. Ça va faire trois ans que tu gardes tout pour toi et que tes cauchemars finissent toujours par revenir.

Ils échangèrent un regard froid. Ce même regard de colère qui saillait tant à Éloi lorsqu'il voulait chasser tout inconnu autour de lui.

- Éloi, ne me regarde pas comme ça. On subit aussi ce que tu as vécu, l'état dans lequel tu es, et si tu finissais par enfin écouter tes thérapeutes, peut-être que tu pourrais progresser, plutôt que de te renfermer comme tu le fais !

- Valentin, s'il-te-plaît, il est fragile, laisse-le respirer...

- Papa. Merde.

Excédé, son père sortit de la chambre en claquant brutalement la porte.

Il était épuisé, complètement vidé de voir son fils ainsi et que celui-ci ne daigne même pas lui parler, lui faire confiance ni faire confiance à qui que ce soit. Il avait terriblement peur pour lui, pour ses réactions qui pouvaient alterner entre l'indifférence et la colère, en passant par la perte de sens. Et il aurait tant voulu le secouer pour voir si Éloi finirait par réagir, par aller mieux, mais il ne souhaitait certainement pas le blesser ou lui faire peur. Cela, il ne pourrait jamais se le pardonner.

La majeure partie du temps, Él était respectueux et calme, toujours en contrôle. Il n'y avait que dans des moments de vulnérabilité qu'il pouvait se montrer si désagréable. Désagréable pour quoi ? Pour repousser tout le monde. Pour repousser ceux qui se souciaient de lui.

En tant que père, Valentin ne savait même pas s'il pourrait continuer de supporter son impuissance face à cet enfant, désormais âgé de seize ans, et totalement perdu dans les limbes de ces longs mois passés en captivité...


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(1) Hvall : nom de village breton totalement inventé, parce que le réalisme absolu ne m'intéresse pas. Ils habitent vers un vrai village, en revanche, qui s'appelle Landerneau, mais que je réinvente en partie. J'emprunte juste le nom.

(2) Connaissant bien El, je sais qu'il écoute Faun. Voici une chanson pour vous en faire une idée :

https://youtu.be/8Nlw0oqpO5g

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