B comme Boissons chaudes et autres charmes d'automne

Like a sweet song of a fire

You light my morning sky

With burning love

Rien ne pouvait plus valoir qu'une chanson d'Elvis Presley en fond sonore. L'ambiance du café, autant que les chocolats qui y étaient servis, réchauffait bien des cœurs. Peu importait d'où l'on venait, on se sentait nécessairement à l'aise dans cette grande salle arrangée selon la mode des années soixante. Outre le carrelage en damier noir et blanc, les tables blanches ainsi que les chaises et les banquettes au rouge flamboyant, il ne fallait surtout pas omettre l'élément phare de l'établissement qui en faisait toute sa renommée : le jukebox. Car en plus de servir de délicieuses boissons chaudes, le propriétaire mettait tout son cœur à garantir à ses clients une atmosphère conviviale, de celles qui font oublier les feuilles d'imposition qui attendent sur la table du salon, les collègues de boulot exécrables et les études compliquées. Le jukebox était la pièce maîtresse qui contribuait à effacer les problèmes du quotidien.

Ce jour-là, Roxane tentait justement d'échapper à sa routine. Les cours avaient repris quatre ou cinq semaines auparavant et elle se sentait déjà ployer sous le rythme et la pression que ses études lui imposaient. De nombreux projets tournaient sans cesse dans son esprit et elle faisait toujours en sorte de les garder en tête pour ne pas perdre sa motivation, mais il arrivait parfois que son ambition faiblisse et lorsque ces moments de fatigue intellectuelle survenaient, elle devait batailler ferme pour retrouver le droit chemin. Bien heureusement, Roxane avait trouvé un moyen infaillible pour se remettre de ses émotions, quelles qu'elles soient.

Franchir le seuil du Vieux Café. Un nom banal pour un lieu des plus singuliers.

Attablée face à la vitre, la jeune femme pouvait laisser ses pensées vagabonder selon leur bon vouloir. La lassitude qu'elle avait ressentie avant de prendre place à cette table la quittait à mesure qu'elle laissait l'amertume du café submerger ses papilles. Elle avait besoin d'être seule, parfois. Recharger ses batteries en focalisant son attention sur elle-même et surtout en prenant son temps pour réfléchir sur ce qui l'entourait. Roxane n'avait pu que remarquer que le temps se jouait d'elle. Il était soit trop rapide, soit trop lent mais jamais à la bonne vitesse quand il le fallait. Alors parfois elle essayait simplement de profiter de l'instant présent.

Il avait bien existé une époque où le temps n'était pas aussi capricieux, lorsque Roxane avait commencé à fréquenter le Vieux Café. La première fois qu'elle y avait mis les pieds, elle était accompagnée d'une bande d'amis rencontrés à peine une semaine avant. C'était Alexis qui avait proposé l'idée de s'y rendre, prétextant une fin de période d'examens à fêter. Le concept vintage avait séduit la joyeuse troupe qui avait ensuite établi son repère autour d'une table au fond de la salle. Entre autres, une de leurs coutumes était de finir leur rendez-vous par une partie de baby-foot, garçons contre filles la plupart du temps, la musique des années soixante berçant leurs discussions enthousiastes.

Roxane ne pouvait s'empêcher de sourire à ce souvenir. C'était là qu'elle avait appris à apprécier Presley, Sinatra et Bowie.

La vibration de son portable posé sur la table la tira de ses réflexions. Tout en terminant son café, elle jeta un coup d'œil au message qui venait d'arriver et laissa échapper un nouveau sourire à sa lecture. Alexis lui proposait de le retrouver chez lui, maintenant qu'il était revenu de son boulot. La jeune femme enfila son trench beige, alla régler l'addition au comptoir et sortit du café en s'enroulant dans son écharpe rouge. On était en plein automne et il semblait vouloir faire l'annonce d'un hiver rude. Cela faisait en effet quelques jours que le vent et le froid se poursuivaient dans une course folle, les feuilles des arbres changeaient de couleur à vue d'œil et se hâtaient de tomber, à croire que les trottoirs goudronnés offraient un meilleur confort que la suspension de l'air. De son côté, la pluie faisait régulièrement une apparition rapide, comme pour être certaine qu'on ne l'oublie pas, ce qui ne risquait pas d'arriver, à en juger l'état des bottines de Roxane après chaque sortie. Elle ne se plaignait pas de tous ces aléas climatiques car elle y trouvait beaucoup d'inspiration pour ses dessins. Roxane avait un sacré coup de crayon, du moins c'est ce qu'on lui avait répété maintes fois. Ses amis avaient même tenté de la convaincre de se rediriger vers des études de graphisme, mais elle savait bien qu'il ne s'agissait là que d'une passion qui ne dépasserait jamais le stade de l'amateurisme. En fait, plus elle y pensait, plus elle se rendait compte à quel point elle avait apprécié ses amis pour leur simplicité et l'attention qu'ils portaient envers chaque membre du groupe.

Un éclair de nostalgie pinça le cœur de Roxane qui en oublia de s'écarter d'une flaque d'eau.

Car depuis l'époque de ces souvenirs, le sablier avait laissé s'écouler bien des grains. Trois années avaient permis la construction d'une amitié solide, mais un été avait suffi pour que les chemins se séparent, la faute à des projets d'étude différents. Des cinq compères il n'en restait plus que deux, dont les liens s'étaient resserrés instinctivement.

Roxane arriva chez Alexis plus tôt qu'elle ne l'avait prévu. Elle n'avait pas envisagé que ses pas aient pu être aussi pressés de parvenir chez lui. Du bout de ses doigts engourdis par le froid, elle appuya sur la sonnette de la porte d'entrée et écouta le son aigu se propager à l'intérieur de la maison, essayant par la même occasion de calmer sa respiration qu'elle jugeait trop rapide par rapport à l'effort fourni. D'ailleurs, est-ce que son écharpe était bien mise ?

Empruntant un air renfrogné, Roxane enfonça son nez dans l'épaisse laine rouge. Elle estimait avoir passé l'âge d'avoir un comportement irrationnel.

Des pas se firent soudain entendre de l'autre côté de la porte, une clé tourna dans la serrure, la poignée fut abaissée et un visage espiègle apparut dans l'entrebâillement.

_ Tu n'as pas su résister à l'appel des crêpes ? sourit Alexis.

Roxane secoua la tête d'un air coupable et un rire émergea des profondeurs de son écharpe.

Alexis se décala pour laisser son invitée entrer se mettre au chaud et l'entraina dans le salon. Il avait posé sur la table basse une assiette débordante de crêpes et deux tasses fumantes patientaient à côté.

_ Je sais que tu sors juste du Vieux Café, mais tu te laisseras bien tenter par une boisson chaude par ce temps ? grimaça Alexis.

_ Connaissant tes talents culinaires, je suis prête à tout, avoua Roxane.

La jeune femme enleva ses bottines pour ne pas tout salir sur son passage et s'installa dans le canapé en repliant ses pieds sous elle. Après avoir pris place à son tour, Alexis lui tendit la première des tasses et la regarda tremper ses lèvres dans la boisson avant de l'imiter.

Un chocolat chaud à la cannelle. Le parfum préféré de Roxane.

Leurs yeux pétillants se rencontrèrent un instant et ils tournèrent leur regard en direction de la cheminée.

Contrastant avec la monotonie de l'automne, un feu allumé un peu plus tôt chantait une douce chanson.

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