IV- La prisonnière


AVERTISSEMENT: ce chapitre contient une scène de torture explicite.

Wattpad refusant de dédier correctement, je me contenterai d'écrire comme ça: je dédie donc ce chapitre à Yumy_the_kitsune , pour sa cover, son avis, et ses encouragements. Merci infiniment!


   Je ne vois pas le bout du chemin. Les seules choses que je suis capable de percevoir, ce sont le gouffre devant moi et les lames qui me frôlent le dos.

   La peur assiège mes sens.

   Les cordes me tranchent les poignets.

   Je vous en supplie, montrez-moi la sortie.


   La lune était ancrée dans le ciel et refusait de bouger. Logan avait les mains crispées sur les barreaux et c'était eux qui brillaient.

   Si on lui avait demandé, elle n'aurait pas dit qu'elle avait eu une belle vie. Elle était une fille simple, ni belle ni laide, cinquième-née d'une fratrie de sept. Ses aînés n'avaient rien accompli de remarquable, et nul ne lui demandait d'en faire plus. En fait, personne n'avais jamais attendu quoi que ce soit d'elle, à part un sacrifice. Logan était partie en deuxième ligne lors du massacre des Landes Grises, où elle avait cru mourir, pour finalement se réveiller chaînes autour des poignets. Pourquoi les Alathirs l'avaient-ils épargnée, elle qui n'avait pas la moindre valeur?

   Logan considérait avoir assez souffert comme ça. Elle avait vu ses camarades se faire abattre par des démons hurlants ou déchiqueter par des soldats. Où qu'elle regarde, sa vision était troublée par l'ombre des corbeaux. Une fin sans douleur lui paraissait comme un rêve. Elle aurait aimé avoir le courage de ces légendes qui se laissaient mourir de faim en signe de défi.

   Ses pensées fut interrompues par un bruit de pas, qui résonnait dans le couloir qu'elle voyait à travers les barreaux qui formaient la porte. Les autres murs étaient d'une pierre grise et brute, qui l'écorchait quand elle passait la main dessus. À l'exception de la fenêtre grillagée, par laquelle entrait une pâle lueur argentée. La lumière de braise du couloir, provenant d'une torche qu'elle ne pouvait voir qu'en collant sa face aux barreaux, projeta sur le mur d'en-face deux silhouettes noires et prolongées. Logan se rencogna au fond de sa cellule. Parce que les cages, en plus d'empêcher les gens de sortir, empêchent aussi les monstres d'entrer.

   Elle se sentit misérable en voyant ses interlocuteurs. L'homme et la femme portaient tous deux des vêtements élaborés composés plusieurs couches, qu'elle voyait dépasser à leurs poignets et chevilles. La prisonnière pour sa part n'était vêtue que d'une robe simple à bretelles, qu'on lui avait donné pour remplacer sa tenue de combat. Elle reconnut la femme comme la gardienne des prisons, aussi austère que les lieux. Quelques pas en retraits, il y avait également l'homme, et ce fut lui qu'elle remarqua principalement. Plutôt jeune, sûrement davantage qu'elle-même, mais il avait une expression étrange, qui frisait la folie. On aurait dit les drogués traînant autrefois devant chez Logan, les fantômes qui marchaient sans savoir où ils allaient.

   « Tu as tué mon père. », dit-il.

   Elle ne sut comment réagir, et se confina dans un silence. Elle n'avait tué qu'une seule personne, dans une bataille précédente à laquelle elle avait survécu par miracle, et c'était une femme.

   « Réponds! »

   La frappe qu'il asséna aux barreaux résonna dans le couloir entier, et quelques instants après, des ricanements rampèrent jusqu'à eux, probablement depuis les cellules d'un couloir voisin. La prisonnière ignorait s'il s'agissait d'autres Vhor dans la même situation qu'elle.

   « Ce n'est pas moi, se défendit-elle sans conviction.

   - Si ce n'est pas toi, c'est un des tiens. Si c'est un des tiens, c'est toi. Tu es coupable dans tous les cas. »

   Comment se défendre face à ça? Logan lui adressa un regard de bête acculée. Elle se sentait craintive, mais pas farouche. Elle ne l'avait jamais été.

  « Dis quelque chose! », exigea-t-il.

   Quelque chose émanait de lui, une sorte de désespoir, une attente, à laquelle elle était seule à pouvoir répondre.

   « Je suis désolée... de l'avoir tué. »

   Rien ni personne ne pourrait faire entendre raison à une âme en deuil, peu importe à combien elle se sentait ridicule à s'excuser pour un crime dont elle n'était pas coupable.

   « Ça ne suffit pas! »

   Logan sentit son cœur se serrer quand la gardienne des prisons, qui n'avait pas prononcé un mot, glissa une petite clef dans la serrure qui pendait de l'autre côté. La porte s'entrouvrit sous son propre poids, et les deux entrèrent.

   Logan fut contrainte de s'agenouiller, tandis que ses mains étaient liées par une épaisse corde qui lui serrait les poignets, dont le bout fut entouré au pied d'un des barreaux et logé dans une encoche du métal. Elle avait remarqué cette dernière plus tôt, mais sans comprendre à quoi elle servait. À présent, elle comprenait mieux, de même qu'elle saisissait enfin la raison de sa présence en ces lieux.

   La position la contraignait à arc-bouter son dos, exhibant du même coup ses épaules. Lever la tête maintenait sa nuque dans un angle désagréable, elle ne pouvait du coup que la conserver courbée vers l'avant, aux pieds de la femme aux yeux insensibles.

   Le couteau dans les bras de celui qui l'avait accusée était absurdement long.

*****

   Il existe bien des mots pour décrire la douleur, mais le vocabulaire de Logan ne fut pas à la mesure de ses sens. Elle ne put qu'hurler jusqu'à en tousser du sang, pendant que ses larmes se diluaient dans la flaque écarlate qui se formait sous elle. Ses épaules furent striées de marques qui débordaient de l'intérieur, et par trois fois, ses côtes transpercées au point que la lame crisse contre les os. Les chairs mutilées gonflaient au niveau des blessures, formant des amas sanguinolents d'où parfois, tombaient des lambeaux informes.

   La souffrance montait en flèche, fluctuait, puis se résorbait un instant, avant de reprendre d'autant plus, au même rythme que ses suppliques. Son visage se crispait de toutes les nuances de la laideur, tandis que de désespoir, la prisonnière tirait sur ses liens. Mais au lieu de se libérer, elle ne put que mutiler ses poignets, arrachant la peau par bandes entières à force de se convulser. Des bracelets de peau ornaient ses poignets vifs, diverses nuances de rouge s'étalaient à ses pieds, formant par ondes visqueuses des peintures sur le sol. Des frissons l'agitaient et plissaient son visage, l'effet d'une souffrance qu'elle n'avait pas voulue, elle était la perdante aux os qui dépassaient.

   Logan oublia qu'elle pouvait parler, car les seuls sons qu'elle produisit étaient des pleurs et des hurlements qui lui tuaient la gorge, et lui donnaient l'impression que la torture atteignait l'intérieur de son corps. Ses vêtements déchirés tombaient en pluie à ses côtés, ou pendaient le long de son corps malmené. Ses cheveux voilaient sa vision à cause de son cou incliné, mais en-dessous, ses yeux étaient grands ouverts, deux orbes liquides et immenses aux pupilles dilatée. Visibles entre deux mèches un peu écartées, ils étaient hagards et vains, vaguement pensifs, car la prisonnière, avec l'esprit qui lui restait, s'interrogeait sur ce qui l'avait menée à ça.

   Son bourreau s'adossa à une des parois de façon à ne pas voir Logan, tandis qu'elle haletait d'une respiration rendue sifflante par ses poumons encombrés. Elle ne pleurait plus, et se sentait vidée de tout: sa force, son honneur, ses larmes, son sang. La gardienne était encore là, et avait assisté à tout avec une curiosité morbide. Ce fut elle qui brisa le silence, car les autres prisonniers s'étaient tus, sans doute horrifiés par les sons qui s'étaient répercutés sur les parois.

   « Pourquoi? »

   Logan ne leva pas la tête pour voir la réaction de l'homme, mais dans tous les cas, il ne bougea pas, ni ne répondit. L'ancienne insista, car bien qu'elle ait obéi aux ordres qu'on lui avait donnés, ceux selon lesquels les différents Vhor enfermés étaient à qui viendrait les réclamer, les actions de cet Alathirs lui étaient incompréhensibles.

   « Pourquoi l'avoir torturée? »

   Il avait le visage entre les mains, et pleurait un peu. Le corps de Logan ne tint plus le coup, et elle s'affala sur le côté, sans même réussir à empêcher ses cheveux poisseux de sueur de lui rentrer dans la bouche et le nez. Elle se mordit les lèvres dans le mouvement, mais c'était tellement minime comparé au reste qu'elle ne s'en rendit même pas compte.

   Le petit bruit sourd que produisit la prisonnière sembla le ramener à la réalité, et il écarquilla les yeux. Elle tourna dans sa direction un regard épuisé, et à sa vision, elle comprit deux choses. La première, que la folie furieuse n'était pas tournée vers elle personnellement, mais vers le peuple Vhor entier. La seconde, que si c'était à refaire, il le referait.

   Enfin, il répondit à la gardienne, d'une petite voix, comme celle d'un garçon qui se rend dans la chambre de ses parents après un cauchemar.

   « Parce qu'elle aurait fait la même chose. »

   La vieille femme détailla Logan avec une pitié lasse. Cela faisait trop de scènes de ce genre qu'elle avait vues. Familles déchirées, deuils et orgueils, passions vengeresses ou sadisme total; peu importe ce qui menait les hommes et les femmes dans ces prisons, la fin était toujours la même.

   « Je ne crois pas, non. », souffla-t-elle.

   Logan n'arrivait pas à fermer les yeux, mais elle ne voyait plus la moindre lumière. La gardienne posa ses doigts sur ses paupières et le fit pour elle, tout en murmurant une prière. Puis elle aida l'homme à se relever, de la même façon qu'elle bercerait un enfant malade, et le conduisit au-dehors de la cellule, qu'elle ne prit pas la peine de refermer.


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