Chapitre 8 - La tanière du Dragon
Il fait tellement chaud dans cette chambre... Je ne peux même pas allonger ma grasse matinée, alors que je ne souhaite que ça depuis que j'ai récupéré le bar ! Le bar... Tiens, j'ai l'impression qu'un détail important de ma vie essaye de refaire surface dans ma mémoire... Ah je crois que ça commence à venir, oui un rapport avec le bar... Ulysse... Tata Sylvie... Oh non j'aurais préféré ne pas m'en souvenir finalement... Je dois rentrer par effraction dans l'appartement de la plus dangereuse mégère au monde ! Et mon dieu, mais comment peut-il faire aussi chaud ? Il est quelle heure ? QUOI ?! Quatorze heures moins le quart !? J'ai dormi aussi longtemps que ça ?! Mais c'est pas possible, je vais être en retard !
— Oui, allo, Ulysse ?
— Qu'est-ce que tu fais ? C'est bientôt l'heure !
— Désolé, j'étais fatigué...
— Fatigué ou non, Nina t'attend depuis plus de 30 minutes !
— Ça va ! Je me douche vite fait et j'arrive.
— T'as plus le temps de prendre une douche, grouille-toi ! Elle est là !
— Comment ça elle est là ? Qui est là ?
— À ton avis ?
— Putain elle est arrivée tôt cette conne, bon t'as raison j'ai pas le temps de prendre une douche, Nina n'aura qu'à se boucher les narines !
— Je lui ai donné les clés, t'as pas besoin de t'en préoccuper.
J'ai jamais couru aussi vite de toute ma vie, il faut vraiment que je me remette au sport... Est-ce possible d'autant transpirer ? Je ne suis pas du tout à l'aise, ça fait à peine 5 minutes que je cours et mon coeur est déjà au bord de l'explosion. Tant pis, il faut que je tienne sinon le plan tombera à l'eau par ma faute. Et puis, on est pas très loin Albert, c'est pas comme si tu courais un marathon, alors arrête de te plaindre ! Allez, allez, plus que cette place, cette rue, tiens je vais prendre mon raccourci, un petit chemin, et j'aperçois Nina me faire de grands gestes d'un air pressé. Oui c'est bon j'arrive !
— Désolé Nina, mais...
— Je m'en fiche ! Pas le temps de discuter, on y va !
— Mais où en est Ulysse ? T'as eu des nouvelles ?
— Il en est encore à la première phase, d'après son dernier message. Allez viens, j'espère que tu te souviens de l'étage.
Bien sûr que je me souviens. Je ne suis venu que deux fois chez Sylvie, mais ça m'a permis de vivre des instants inoubliablement horribles. La première fois, elle m'a demandé de lui ramener ses affreuses bagues qu'elle porte constamment le long de ses doigts griffus. Elle m'a dit les avoir oubliées, ce que j'ai trouvé assez louche étant donné la relation de dépendance qu'elle vit envers ces bijoux de pacotille : oublier ses bagues pour Tata Sylvie équivaut à sortir nu pour le commun des mortels. Je pense plutôt qu'elle cherchait à me pourrir la vie, mais je ne pouvais pas vraiment refuser : elle n'était pas la seule à compter sur moi. Nous étions tranquillement en train de profiter d'une soirée organisé par papa, quand elle a fait son entrée. Son parfum putride et sa voix stridente ont aussitôt envahi toute la pièce et elle s'est empressée de radoter des anecdotes n'ayant jamais eu lieu pour paraître intéressante. Seulement voilà, la situation a encore empiré quand elle a constaté de ne pas avoir pris ses bagues et sa mauvaise humeur a alors contaminé toute l'assemblée, qui priait pour que l'on rende ses anneaux à Tata Sylvie et qu'elle ferme enfin son clapet. Donc oui, j'ai dû me taper tout le chemin à pied vers son appartement, dans le noir et le froid, pour ces espèces de pierrailles surchargées qui lui servent de bagues. Autant vous dire que je n'ai pas oublié ce merveilleux souvenir de ma première visite chez Tata Sylvie, mais qui n'est rien à côté de ma deuxième. Eh oui ! Car cette fois-là, elle était si grippée, qu'elle devait rester dans son lit et être chouchoutée par ses proches, ce dont elle n'a pas manqué de profiter en se comportant comme une vieille princesse capricieuse. Il fallait se plier à ses quatres volontés ou alors, elle nous menaçait de mourir. OUI de mourir !
"Ma mort pèsera sur votre conscience pour le restant de vos jours, pauvres fous !!"
Et ses mots résonnaient comme une malédiction dans nos têtes, nous, pauvres enfants, qui devaient rester à ses côtés tandis qu'elle nous présentait chacun de ses raclements de gorge comme le râle de la mort venant la faucher. Non mais je vous jure, il fallait la voir ! Enfin nous, on préférait oublier ce qu'on a vu... Et quand je dis nous, je veux bien sûr parler d'Ulysse et moi, puisqu'on était les seuls qui avaient du temps libre pour s'occuper d'elle. Maxime travaillait en tant que lutin du père Noël au centre commercial et Nina a prétendu être malade, c'est donc nous seuls qui avons dû supporter Tata Sylvie. Heureusement, elle nous a trouvés tellement incompétents qu'elle nous a virés de chez elle après deux jours seulement de calvaire. Enfin quand je dis "seulement"... C'était déjà beaucoup trop ! Devoir la border, faire sa vaisselle, lui faire boire sa soupe... J'entends encore sa bouche toute fripée produire ce bruit ignoble de succion qui me... Erk !
— Qu'est-ce qu'il y a Albert ? C'est moi ou tu as eu un frisson ? Me demande Nina.
— Non c'est rien... Je repensais juste à la bouche de tata Sylvie...
— Ah ! mais pourquoi tu ferais ça ?!
— Je ne sais pas moi ! Et puis parle moins fort, maintenant qu'on est devant son palier faut être discret... Peut-être qu'elle est de mêche avec les voisins...
— Mouais... Bon tu es prêt ? Il n'y a plus qu'à franchir sa porte d'entrée...
— Oui, et tu sais tu peux partir si tu veux, il est encore temps.
— Hé Albert ! Jamais je ne t'abandonnerai, jamais je vous abandonnerai !
— ...D'accord...
— Quoi ? Ça te gêne que je dise ça ?
— Non... Non, enfin... C'est pas le sujet ! Ils en sont où, nos deux tourtereaux ?
— Deuxième phase, mais il y a peu de gens au café. Ils sont déjà servis et pour nous c'est la merde !
— OK, trêve de blabla, faut qu'on se dépêche. Entrons dans la tanière du dragon !
Je pousse la porte, et je me rends compte que j'avais complètement oublié à quel point l'appart de Tata Sylvie était moche. C'est comme si le temps s'était arrêté. Tout est calme et la déco sort tout droit du siècle dernier. Tout est kitsch, son papier peint, sa moquette, son petit coucou accroché au mur du salon, son carrelage blanc et bleu, ses ustensils de cuisine et même sa télé. Mais fait surprenant, on ne s'est même pas fait agresser par son parfum, pourtant qu'est-ce que ça puait la dernière fois que je suis venu ! Et maintenant, c'est carrément une odeur de pomme cannelle plutôt agréable qui embaume le séjour.
— Ça sent vraiment trop bon ici ! se réjouit Nina, comment ça se fait qu'elle ne sente pas comme ça ?
— Parce qu'elle s'imbibe de son parfum... Je suppose...
— Oui mais on devrait sentir son parfum là !
— Mais j'en sais rien moi Nina !
— J'adooooore l'odeur de pomme cannelle ! Je pourrais rester ici toute la journée !
— Oui bah justement on ne peut pas !
— Tata ? Tu es déjà revenue ? demande une voix venant de la chambre.
— Putain mais ça serait pas Maxime ?! me chuchote fort Nina.
— Si je crois bien, mais qu'est-ce qu'il fout là ce con ?! Toujours là quand il ne faut pas !
— Je crois qu'il vient par ici, qu'est-ce qu'on fait ?
—Je ne sais pas Nina ! Cachons nous derrière le canapé, comme ça on peut le voir arriver !
— Tata Syl-
À peine ce pauvre Maxime entré dans la pièce que Nina se jette sur lui le coude en avant !
— Putain mais Nina t'es folle ? Tu l'as tué !
— Mais non, regarde. dit-elle en se recoiffant, il respire encore... Enfin je crois...
— Pourquoi t'as fait ça ?
— J'ai paniqué, OK ?! Ça arrive à tout le monde !
— À ton avis, qu'est-ce qu'il fait ici ?
— J'en sais rien... Il venait de la chambre, on n'a qu'à aller voir.
— On ne va pas le laisser par terre comme ça ? Si ?
— Il ne risque pas d'aller plus loin...
— Bon ok, tu n'as qu'à y aller pendant que je cherche le carnet...
Impossible de trouver son satané sac à main, j'ai tout retourné, cherché sous tous les meubles mais rien ! Est-ce que cette vieille folle a flairé le coup ? Il faut vite qu'on se barre, ça devient chaud... Mais bon qu'est ce qu'on va faire de Maxime... On ne va pas le laisser là quand même... Est-ce que je continue quand même de chercher ? Je commence à paniquer ! Mais en même temps j'ai même pas fouillé ce meuble-télé... Enfin ça m'étonnerait qu'elle y mette son sac. Bon allez je regarde quand même et ensuite on s'enfuit comme des lâches. Au point où j'en suis. Oh tiens, un album photo de tata Sylvie. C'est qu'elle était plutôt pas mal la tata Sylvie quand elle était jeune ! Des photos d'elle à l'armée, il y a des petites notes derrière, mouais pas très intéressant. Encore une photo d'elle à l'armée, mais il y a que de ça à l'intérieur, faut pas que je m'égare ! Rangeons ça et vite, merde j'en ai fait tomber une. C'est qui ce mec avec tata Sylvie ? C'est son copain ? Ou plutôt c'était son copain ? Elle nous ne parle pas souvent de ses amours tata Sylvie... Non c'est pas lui, il y a une autre fille sur la photo... Elle ressemble drôlement à... Lisa, ou plutôt à sa mère. Oh tiens le mec porte un pendentif ? Trop chelou... On dirait... Mais oui putain c'est le même sigle que sur la porte de la résidence abandonnée !
— AAAAAAAAH ! crie Nina.
— NINA ! Qu'est-ce qu'il y a ?!
— Albert ! Viens voir ce que j'ai trouvé !
— Putain Nina ! Ne refais plus jamais ça ! Tu m'as fait peur ! Mais c'est la ma-
— OUI ! C'est la mallette ! Elle était sous le lit ! me coupe-t-elle toute souriante.
— Mais bordel, pourquoi elle est ici ?
— Je sais pas, mais on va pouvoir l'ouvrir !
— Tu crois vraiment que c'est une bonne idée ?
— Mais oui c'est notre destin ! Regarde, elle est revenue à nous...
— Nina on a pas le temps !
— Ok ! Mais alors je la prends !
— NON !
— S'te plait ? me supplie-t-elle en faisant les yeux doux.
— Elle sait que je ne peux pas résister à cette tête, personne ne peut !
— Bon ok ! Mais alors aide-moi à retrouver le carnet !
Finalement, on a fini par trouver ce putain carnet, elle l'avait caché entre les lattes de son lit et son matelas, comme si elle savait que quelque chose clochait. Dans le doute, j'ai noté toutes les personnes qui se nommaient "Jean quelque chose", ce qui nous fait quatre personnes en tout, puis j'ai remis le carnet à sa place. Il faudra encore quelques investigations pour trouver lequel des Jean est NOTRE Jean.
Après avoir remis en ordre l'appartement de Sylvie, on a fini par installer Maxime sur le lit.
— On a tout là ? C'est bon on peut y aller ?
— Oui oui, c'est bon on peut y aller ! Attends, merde ! Ils rentrent !
— Comment ça ils rentrent ?
— Bah Ulysse et Sylvie ! Ils reviennent !
— Déjà ?!
— Mais oui j'ai complètement oublié de regarder mon téléphone, tu aurais pu faire gaffe au tien !
— Il est sur silencieux !
— PUTAIN ILS SONT EN BAS DE L'IMMEUBLE !
— QUOI ?!
— Mmmm... AaaAah... Ma tête... gémit Maxime en se tortillant sur le lit de tata Sylvie.
— MERDE MAXIME !
— Hein quoi ? C'est toi Alb-
BOOM !
—Désolé...
— Putain mais Nina ! Pourquoi tu l'as frappé avec la mallette !
— Aïe...
— Tu ne l'as même pas assommé... Il bouge encore...
— Je suis vraiment désolé Maxime... s'excuse Nina avant de lui redonner un coup sur la tête.
— MAIS STOP NINA ! TU VAS FINIR PAR LE TUER !
— T'inquiète, il est juste dans les vapes !
On s'est caché à l'étage supérieur le temps que tata Sylvie et Ulysse arrivent. Il fait déjà très chaud dans les communs, mais se mettre sous les combles ne fait qu'empirer la situation. Le stress nous noue l'estomac, chaques craquements de planche produits par les pas de tata Sylvie résonnent en nous comme un coup de marteau. A tout moment quelqu'un peut sortir de son appartement et nous surprendre agenouillés devant sa porte, ce qui va alerter le dragon.
— Nous sommes pris au piège, chuchote Nina.
— Jean-François Piège ?
— Quoi ?
— Quoi quoi ?
— Mais tu crois que c'est le moment de rigoler ?
— Désolé je stresse !
Heureusement pour nous Ulysse use de ses charmes pour écourter les salutations sur le palier. Il réussit l'exploit d'esquiver une invitation à boire le thé - comme si on pouvait encore boire un thé après un café gourmand, et en plus par cette chaleur - Il ne nous restait plus qu'à fuir cet immeuble comme des lâches avant qu'elle ne découvre Maxime inconscient dans son lit.
Au vu des risques que nous avons pris, je pense que nous pouvons être fiers de ce que nous avons accompli. En résumé, nous avons : Maxime, qui a probablement une commotion cérébrale à l'heure qu'il est ; la mallette, que nous lui avons de nouveau subtilisée ; le nom des personnes qui sont susceptibles d'être notre jury et... Cette photo de tata Sylvie et de ces deux inconnus. Je ne sais pas encore pourquoi je l'ai volée, mais mon petit doigt me signale qu'elle aura son importance.
— Tu as bien fait Albert.
Ah... encore cette voix...
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