Chapitre 7 - Cocktail du jour

Pourquoi revoir cette fille ne me réjouit pas du tout ? Mon corps semble me dire de fuir. Pourquoi tout me parait si lent ? Pourquoi son sourire me glace le sang ? Pourquoi j'ai l'impression qu'elle veut me faire du mal ? Prends garde à toi Albert. Encore cette voix ?! Ok, respire, tout va bien se passer, ce n'est rien, juste de la fatigue... Voilà, respire calmement !

— Eh bah Albert... Elle est accompagnée... Pas de chance mon gars ! Ah tu sais ce qu'on dit hein : une de perdue, dix de retrouvées ! Hé mais dis moi, ça va te faire un nom de plus pour l'arb-

— Chut ! Tais-toi !

— Ok ok, monsieur est de mauvais poil ! Si on ne peut plus rigoler...

Mon coeur bat beaucoup trop vite, je ressens chaque battement comme un coup de poignard en pleine poitrine, j'ai l'impression que mon torse va exploser, il faut que.... Il faut que... Respire Albert. RESPIRE. Que je trouve une solution, ça devient urgent. Il faut que je sorte d'ici...

— Albert, ça va ? Tu marmonnes encore, me dit Nina.

— Je crois que vous avez raison... J'ai besoin de repos. Je vais... j'vais y aller... dis-je d'une voix tremblante en m'avançant vers la sortie d'un pas chancelant.

— Euh... Fais attention à toi hein et envoie-nous un message quand tu seras arrivé !

— Tu veux que je t'accompagne ?

— Non non c'est bon merci Nina.

Je passe la porte du bar et me sens immédiatement soulagé, comme si un poids venait de tomber de mes épaules. Mais également coupable. Parce que je les ai abandonnés avec cette... Chose ? Mais je ne peux pas rentrer à nouveau dans cette pièce ou tout va recommencer. Mon coeur bat à une allure raisonnable, mon souffle est revenu à la normale, tout semble être rentré dans l'ordre. Ma place n'est pas à l'intérieur. Mais en dessous de l'olivier. Je le sens. A nous deux l'arbre ! Tu ne me fais plus peur depuis bien longtemps, je m'avance vers toi plus déterminé que jamais. Mes pas s'enchaînent aussi rapidement que les battements de mon coeur ont pu le faire précédemment. Me voilà bientôt sous tes vieilles branches sinueuses, entrelacées les unes aux autres comme dans une danse ténébreuse. On va voir ce que tu caches à l'intérieur de ton tronc... Je plonge tout mon bras dans ton antre, me courbe, m'enfonce, sentant sous mes doigts ta terre humide, ton bois craquelant, tes toiles d'araignée filandreuses. Rien de bien effrayant. Quelle est cette sensation de toute puissance qui m'envahit ?

Soudain, je reprends mes esprits. Qu'est-ce que... Qu'est-ce que je fais plongé dans l'arbre ? Je sors rapidement mon corps de là, je dois vraiment avoir l'air d'un con. Je n'ai aucune idée de la raison qui m'a poussé à venir explorer l'olivier, mais je sais en revanche que le maudit papier de Nina n'est pas à l'intérieur. Comment ça se fait ? Il est nettoyé cet arbre ? Et quand bien même, qui le nettoie et pourquoi ? Trop de questions se bousculent dans le petit pois qui me sert de cerveau, je crois que j'ai une belle migraine. Il faut que je dorme, la fatigue me fait imaginer beaucoup trop de choses. Je rentre.

Je profite du chemin pour m'aérer l'esprit, la nuit m'apaise souvent avant même qu'elle ne m'accueille dans les bras du marchand de sable. Je n'ai pas souvent l'occasion de me promener la nuit par pur plaisir, maintenant que je dois m'occuper du bar. La dernière fois doit remonter à l'été dernier, avec Nina et Ulysse. On avait rencontré ce type sur son scooter, en plus d'être complètement bourré, il fumait comme un pompier. Il voulait absolument que Nina essaye son engin : la technique de drague la plus pétée que j'ai jamais vu, étant donné que son scooter était à deux doigts de rendre l'âme. Nina, bien trop gentille, a fini par accepter. Après deux allers-retours dans la rue, le scooter ne voulait plus démarrer. On en a profité pour s'enfuir comme des lâches, et Nina s'en est voulue pendant deux semaines entières.

Cette petite promenade solitaire me remémore pas mal de souvenirs maintenant que j'y réfléchis. Comme cette nuit, où complètement pompettes, nous avons eu la brillante idée de nous infiltrer dans une résidence à la porte d'entrée mal fermée. Plus nous nous enfoncions à l'intérieur, plus le noir nous enveloppait. Tous les bruits que nous produisions étaient comme étouffées par les murs qui nous enclavaient. La panique commençait à nous gagner : personne ne semblait vivre ici, pas une lumière, pas un son. Après quelques minutes passées à dériver dans l'obscurité, nous faisions demi-tour pour retrouver la sortie, sur laquelle était placardée une note. On y trouvait un petit sigle étrange et familier à la fois, qui représentait une main ouverte, mais dont le pouce était plié et traversé par un trait; et une phrase pour le moins flippante : "Veillez à bien garder cette porte fermée pour que rien ne puisse sortir d'ici. La main des Dieux." Alors que nous lisions la note tant bien que mal dans le noir, un grand bruit sourd s'est fait entendre derrière nous, et comme des lâches, nous nous sommes encore une fois enfuis.

On était jeune et inconscient à cette époque... Bon cette époque, c'était il y a même pas un an... Et on est toujours jeune et inconscient. Enfin je crois ? Ce qui est sûr c'est que ces petites anecdotes me redonnent de l'énergie, je me sens un peu mieux. Bon j'ai tout de même besoin d'une bonne nuit de repos, j'ai un peu perdu la boule aujourd'hui. Oui. Mais... Mais je vais faire encore un petit détour, j'aime cette nuit calme et fraîche... Un peu trop fraîche d'ailleurs. Ouais c'est pas raisonnable, j'ai fait des choses étranges tout à l'heure et je me les caille. Rentrons ! En même temps, il suffit que je mette mes petites mains dans mes petites poches pour me réchauffer. Oui on va faire ça ! Tiens... qu'est ce que c'est que j'ai là ? Hé mais c'est la carte de visite du bar chinois ! Apparemment c'est à peine une demi-rue... Ce serait pas ça le fameux détour à effectuer ? Ca serait l'occasion de les espionner un peu... Après tout, ils se sont bien permis de rentrer dans MON bar sans ma permission, non mais oh ! Je marche en direction de chez eux, hors de question de me défiler. Ah bah, j'aperçois déjà leur devanture. Il serait peut-être temps d'envoyer un message aux autres, on sait jamais : "Si jamais vous n'avez pas de nouvelles de ma part d'ici demain soir, c'est que je me serais fait séquestrer par la mafia chinoise !" Et hop, envoyé ! Allez, maintenant on rentre dans leur QG.

Hum... L'ambiance est plutôt calme, quoique un peu clichée : des illustrations asiatiques, une petite musique aux sonorités orientales et un énorme lustre auquel est accrochée une multitude d'ampoules. Je vais m'installer... Près de la sortie...

Ho je viens de recevoir un message de Nina : "Me dis pas que t'es allé dans leur bar ? Qu'est-ce que tu fais pauvre fou ? Rentre chez toi !" Mais comment a-t-elle deviné aussi vite ? "Ce n'est pas ce que tu crois, je disais ça juste comme ça." Ce n'est pas possible d'être aussi perspicace ! "Très bien. C'était juste au cas où. Rappelle-toi ce qu'on a à faire demain, ne prends aucun risque !" Oui oui merci Nina, je ne suis pas prêt d'oublier qu'on est sur le point de cambrioler tata Sylvie !

— Bonsoir monsieur, vous avez fait votre choix ? me demande une serveuse que je n'avais pas vu arriver. Si vous voulez plus de temps, je peux revenir dans quelques instants. Tenez c'est notre carte des cocktails.

— Euh... Bonsoir, vous... Vous me conseillez quoi ?

— Je peux vous conseiller le cocktail du jour, c'est selon l'humeur du barma-

— Haha et s'il est de mauvaise humeur ?

— Notre barman est toujours de bonne humeur, me dit-elle sèchement sans même même m'accorder un sourire. En outre, je peux vous assurer qu'il n'y a pas de raison de douter de ses compétences, notre bar a gagné deux années consécutives le petit festival des grands bars, vous savez.

— Ah très bien. Dans ce cas je vais prendre le cocktail du jour. Ou plutôt du soir. Euh non rien, oubliez ce que je viens de dire, le cocktail suffira. Merci.

Bon c'est la première et la dernière fois que je viens ici. C'est aussi la dernière fois que je tente de faire de l'humour. Et puis cette ambiance est si calme... Ça en devient oppressant, j'ai l'impression que quelqu'un m'observe... Comme le mec au bar là-bas, tout seul. Depuis tout à l'heure, il n'arrête pas de se tortiller sur son tabouret. Merde j'ai croisé son regard ! Il me lève son verre. Je... je vais faire de même pour ne pas paraître louche. Il sourit maintenant, oh non, il croit que je le drague ? Non mon vieux, je ne suis pas intéressé ! Bon regardons ailleurs pour stopper tout de suite cet échange de regards ! Allez, un coup d'oeil au bar, sur mon verre, dehors... Putain mais... C'est Maxime ! Et les trois chinois de la dernière fois ! Et ils viennent par ici ! Ne me dîtes pas que... Et merde ils rentrent dans le bar ! Bah oui, imbécile, si ce sont les chinois de la dernière fois, c'est forcément leur bar ! Je vais faire comme si je ne les avais pas vus... Parfait, la serveuse m'amène mon cocktail ! Une belle diversion que voilà... Elle pose le verre. Je lui lance un "merci" discret. Elle me regarde d'un air mécontent. Je m'enfonce dans mon siège. Elle tourne les talons. Je regarde les nouveaux arrivants du coin de l'oeil. Ils se dirigent vers le comptoir. Je sens Maxime se tourner discrètement vers moi, est-ce qu'il a senti mon aura... de frère ? Ouais ça parait peu probable. Il hoche la tête vers moi l'air de dire : "Ne t'inquiète pas, tout va bien se passer". Bah j'espère bien ! Et puis qu'est-ce que j'en ai à faire de tes histoires moi de toute façon ? Allez, je bois ça cul sec, je dépose ma monnaie et je m'enfuis comme un lâche jusqu'à mon petit lit douillet ! Et merde ! C'est vrai qu'il était pas mal ce cocktail...

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