Chapitre 4 - Odeur de salive
Après avoir flâné dans le magasin pendant une bonne heure, une certaine scène de honte m'empêchant de me concentrer sur ma tâche, je reviens au bar avec deux gros paquets de bonbons. Je n'ai pas vu le temps passer avec toute cette histoire, j'espère vraiment que tata Sylvie n'est pas arrivé. Mais vous savez quoi, plus on espère qu'une chose n'arrive pas, plus elle arrive fatalement. Eh bah ça n'a pas loupé ! Arrivé aux abords du bar, j'aperçois une camionnette depuis laquelle un conducteur - un homme plutôt rustre avec une moustache bien fournie, appelons-le Richard - discute avec... Tata Sylvie. Mais bordel, qu'est-ce qu'il se passe ?! Qu'est-ce qu'elle manigance encore ?
Tout va bien se passer, je vais la voir et je lui annonce droit dans les yeux qu'elle peut partir. Merci, mais non merci, au revoir Sylvie ! On a la situation bien en main ! C'est ce qu'elle disait.. Non ! Chut ! Pas le temps de rigoler ! Bon garde ton calme, elle n'est plus qu'à une dizaine de pas... Respire, tout va bien se passer. Merde, les bonbons ! Si elle me voit avec, elle va me les piquer ! Où est-ce que je peux me cacher ?! La rue est complètement vide, il n'y a qu'elle, cette camionnette, Richard et moi... MOI avec deux énormes paquets de bonbon ! Là ! Une poubelle !
— Ok, c'est bon, je vais attendre ici le temps qu'elle s'en aille et peu importe si je dois rester là toute la journée !
Mais pourquoi je dis ça à voix haute ?! Est-ce qu'elle est encore là, si je me lève doucement... OH MERDE ! Elle est encore là... Est-ce qu'elle m'a vu ?
Brrr Brrr Brrr
— Qu'est-ce que... Quoi ?!
Brrr Brrr Brrr
— Putain mon téléphone ! OUI ALLO ?!! Merde... oui allo ?
—C'est moi... me dit une voix féminine
— Moi ? Moi qui ? Qui c'est ?
—C'est Ni...
— JEANNINE ! me crie dessus une vieille dame, qui passait par la ruelle.
— AAAHH ! Mais qui êtes vous ?
—C'est Nina je te dis... Allo tu m'entends ?
— Jeannine ! J'habite ici ! me dit la vieille dame.
— Vous m'avez fait peur... Bordel...
—Comment ça je t'ai fait peur ? Et pourquoi tu me vouvoies ?
— Mais non pas toi... Je parle de... de... ?
— Jeannine ! Oui c'est moi ! Surveillez votre langage jeune homme !
—Mais c'est qui Jeannine ? Non en fait j'ai pas le temps pour...
— Je sors mes poubelles ! continue-t-elle en me criant dessus.
— D'accord j'ai compris ! Mais faite moins de bruit s'il vous plaît...
— Allô ? Albert ? Viens vite il y a...
— J'essaye de me cacher de quelqu'un...
— Dans mes poubelles ?! Vous n'êtes pas un punk à CHIEN ?!
— Quoi ? Un punk à chien ? Euh non, non...
—Un punk à chien... Mais où est-ce que tu es ? Faut vite que tu...
— Je vous dis que j'essaye de me cacher de... TATA SYLVIE !
— ALBERT ! me crie Tata Sylvie, apparaissant derrière la vieille dame.
— JEANNINE ! enchaîne la vieille. C'EST MOI !
—Voilà... Je suppose que tu l'as croisée...
— Qui c'est à l'appareil ? Donne-moi ce téléphone !
— Non attend c'est mon...
A peine le temps de dire "téléphone" qu'elle l'a déjà à l'oreille
— Oui allô ? Qui est au bout du fil ? Nina ? Ah ma petite Nina, occupez vous du billard, voilà, il faut qu'il brille pour ce soir ! D'accord mon choux ? Oui voila, bisous, allez, à tout de suite !
— Un billard ? Un vrai billard ? Pourquoi ? Attends-moi ! Reviens... Tata Sylvie ! Mon téléphone...
Ne traîne pas ! Il faut l'installer avant que les premiers clients n'arrivent, c'est un bordel pas possible pour le moment. Tiens, ouvre-moi cette porte, j'ai froid aux mains et puis, c'est fou comme les poignets sont sales, je n'arrive pas à croire que quiconque ose les toucher ! Il va falloir me changer ça, mon petit, bon allez ouvre-moi cette porte !
— Euh... de quoi ? Changer la porte ? Le billard euh...
— Ouvre !
— Euh oui oui, j'arrive !
J'ouvre donc la porte, trop confus pour répliquer quoi que ce soit, et me pétrifie à la vue d'un billard, un vrai billard, avec ses queues et ses boules... Au milieu de mon bar... Ulysse me regarde d'un air : "Hé... Va falloir faire avec". Mais... Je peux toujours demander à Richard de le repren... Attendez, sa camionnette a disparu ! Et lui avec ! Oh non, l'autre folle vient d'arriver et marque déjà des points d'autorité. Et elle est en train de se diriger vers le comptoir pour harponner Ulysse ! Vite, je peux pas le laisser. Je me dépêche de la rejoindre, et constate qu'elle examine d'un air circonspect la moindre poussière traînant à ses pieds. Elle arrive devant Ulysse et laisse un silence s'installer, comme si quelque chose de grave s'était produit. C'est qu'elle me ferait presque peur, cette mégère ! Mais... Elle est pas en train de sourire là ?
— Elle n'est pas là, la petite... Hum comment est-ce qu'elle s'appelle déjà, celle-là ? Vous savez, la sale chipie qui traîne dans votre sillage ? demande-t-elle en pianotant le bar avec ses doigts ornés de grosses bagues multicolores.
— Euh, Nina ?
— Oui, celle-là même ! Je me demande bien comment j'ai pu oublier un prénom aussi ridicule, dit-elle en marmonnant, quel prénom de gourdasse... Bon alors, où est-elle ?
— Ulysse et moi échangeons un regard, et il en profite pour me faire signe des yeux vers ses pieds. Le dessous du comptoir ? Attends, qu'est-ce que tu veux me dire là ?!
— Euh... Elle est partie. Avant que vous arriviez. Elle est sûrement occupée. Répond Ulysse avec peu d'assurance.
La tension monte... Et les mots d'Ulysse me font tiquer étrangement... C'est pas possible, Nina m'a téléphoné pour m'annoncer l'arrivée de Sylvie il y a CINQ minutes ! Elle a dû se cacher dans le coin... Mais ça va être difficile de mentir en improvisant sur le tas... Surtout que Tata Sylvie prend un malin plaisir à flairer la peur des gens...
— Oh, comme c'est dommage, je voulais annoncer une bonne nouvelle... dit-elle tout en soupirant et en jouant avec ses bagues.
— Ah bon ? Quelle bonne nouvelle ?
— Cette Nina... Elle est encore en cours c'est ça ?
— Euh, oui !
— Tu n'as pas répondu pour la bonne nouvelle...
— Et elle finit bientôt ?
Un NON déterminé et un oui furtif sortent respectivement de la bouche d'Ulysse et de la mienne. Et merde... On est grillés. Tata Sylvie nous observe balbutier avec un sourire grandissant.
— La bonne nouvelle... Je ne vais pas la dire, il faut que vous soyez tous les trois présents... Après tout vous êtes tous les trois les gérants du bar ! se réjouit-elle en claquant des mains.
— Peut-être pouvez-vous revenir plus tard... propose Ulysse.
— Oui ! Très bonne idée, reviens plus tard tata Sylvie.
— Non je vais l'attendre ! rétorque-t-elle avec un grand sourire.
Après une bonne minute à se regarder dans les blancs des yeux, Nina se montre enfin, sortant honteusement de derrière le bar. Oh mon dieu, laissez-moi mourir de honte. Je n'ai jamais connu pire. Quoique... Il y a même pas dix minutes je me suis fait surprendre par une vieille dame, caché derrière les poubelles avec deux gros paquets... de...
— ET MERDE ! Pardon... J'ai oublié... Un truc...
Nina et Ulysse me regardent avec de gros yeux, mais Tata Sylvie, quant à elle, semble se réjouir. Je le vois dans ses yeux mesquins, malgré sa moue compatissante. Non serpent ! Je ne veux pas de tes bisous magiques ! Je suis sûr qu'elle connaissait cette Jeannine et que tout ça n'était qu'une machination pour me subtiliser les bonbons !
— Albert, mon petit Albert, tu marmonnes encore ! Reviens parmi nous ! me dit-elle en me tapotant la joue.
— Tata arrête ! Bon dis-nous ce que tu avais à nous dire !
— Oui. Mais hum... Maintenant que j'y pense, s'arrête-elle d'une voix faussement pensive, il manque encore une personne à tout ce beau monde !
— Maxime ? Non mais c'est bon tata, Maxime n'en fait pas une, on lui dira plus tard ! S'il veut être tenu au courant en même temps que les autres, il n'a qu'à être présent quand il est censé l'être.
— Mais je ne te permets pas ! crie alors Maxime du fond du bar, caché derrière le billard.
Mais depuis quand il est là lui ?! Il m'a foutu les jetons !
— Est-ce que vous pourriez tous arrêter de débarquer de nulle part, nom de dieu ?!
— Bah faudrait savoir, d'après toi je ne suis "pas assez présent"! Bien sûr que je fais des choses pour ce bar ! Affirme-t-il en se rapprochant de nous. Qui c'est qui a monté le billard, hein ? MOI ! Tu te plains, mais personnellement je t'ai pas beaucoup vu aujourd'hui, MONSIEUR-PRÉSENCE-CONSTANTE ! me crie-t-il dans l'oreille après être arrivé à ma hauteur.
Attendez, mais... Outre le fait qu'il ait réduit mon audition d'au moins 70%, il a quelque chose sur le visage, un... Un énorme œil au beurre noir ?! Qu'est-ce qu'il a encore fait, ce con ?!
— Haaannnn, comment tu t'es fait ça mon chou ? Laisse moi voir ça, oh oui c'est un gros bobo ça...
— Ah non, arrête, tu sais bien que je déteste quand tu me fais ça Tata !
Oh non, c'est dégoûtant ! Elle humecte le bout de son pouce, et le frotte sur l'hématome de Maxime. A croire qu'elle pense encore qu'on a cinq ans, et même à cette époque-là, je savais que ça ne fonctionnait pas... C'est juste gênant et désagréable, et après on se traîne une vieille odeur de salive ! Alors oui pour une fois, j'ai un peu de compassion pour ce pauvre Maxime, même s'il vient de me postillonner sa rage sur le visage.
— Mais, arrête, tata !
— Roh très bien... Si l'on ne peut plus s'occuper de ses petits enfants... Bref maintenant que Maxime est sorti de derrière le billard et Nina de derrière le comptoir, dit-elle sournoisement, je vais enfin pouvoir vous annoncer la nouvelle. Comme vous le savez, chaque année, durant la période estivale, se déroule un événement, qui est très important, un événement qu'on a raté l'an dernier, et celui d'avant aussi ailleurs. Un événement qui me tient très à coeur, et je l'espère à vous aussi. Parce qu'après tout, le plus important n'est-il d'agir par passion ? Et non pour une soi-disant récompense complètement dénué de sens émotionnel ET qui ne permet d'ailleurs pas de...
— Bon tu vas cracher le morceau ?!
— Enfin Albert, un peu de patience ! Et arrête de parler avec si peu de respect, c'est vexant ! Bref... Tout ça pour dire que cette année, notre bar a été sélectionné pour participer au petit festival des grands bars !
— Quoi ? Sérieusement ?! On a vraiment été sélectionné ?! s'écrie Maxime.
— Oui, et le gagnant empoche une coupe officielle et un sacré pactol ! Et... Euh... Je veux dire... Le plus important c'est bien votre passion les enfants !
Passion ? Pour ce bar ? Ha, elle est bien bonne ! Non avec cette argent, je pourrai justement partir d'ici ! Voire même laisser une part aux autres pour ne pas les laisser dans la galère ! En plus grâce au trophée, les clients ne risquent pas de partir. OH MON DIEU, c'est l'occasion ou jamais !
— Le juré peut passer à n'importe quel moment, alors il va falloir enflammer chaque soirée comme si c'était la dernière les enfants !
— Un thème pour l'année, ce serait peut-être pas mal ! propose Nina. Un fil rouge, une soirée déguisée, peut-être faire des blind-test...
— On peut, peut-être, reprendre les pièces... Comme on faisait avant... Enchaîne Maxime.
— On a plus de comédien... Et avec le billard on a plus la place... Répond Ulysse.
— Est-ce que tu sais quel sont les autres bars qui participent ? dis-je à Tata Sylvie
— Oui, il y en a deux, mais cela importe peu. Puisque je sais qui nous évaluera ! Cette personne, je la connais personnellement. Je l'ai même dans mon petit carnet d'adresse, affirme-t-elle en faisant danser dans ses mains le dit-carnet. C'est un homme de mon âge. Il est très raffiné ! Une personne qui a du goût.
Mais ma parole, c'est qu'elle recommence ! Elle laisse un petit temps avant de reprendre ses phrases, elle nous veut pendus à ses lèvres...
— On a étudié ensemble, continue-t-elle. Un homme vraiment charmant. Jean-Vi...
— BON TATA ÇA SUFFIT TU VAS LA CRACHER TA SOUPE ?! ... Heu je veux dire...Heu... C'est qui finalement ? Jean-Victor? Jean-Vincent ? Patrick ?
— HUM ! Je t'ai déjà demandé de me montrer plus de respect jeune homme ! Puisque c'est ainsi, vous ne le saurez pas bande de petits fripons ! S'égosille t-elle avant de tourner les talons, en nous laissant pour seule réponse son parfum âcre saveur hibiscus et jacinthe pourris.
— Bien joué Albert. Toujours le mot juste. On était à ça de savoir qui allait être notre juré et puis il a fallut que tu interviennes. Je ne te félicite pas.
— Oh c'est bon ! Ferme ta gueule Maxime !
— WOW WOW WOW ! On se calme...
— Comment tu veux ?! Mon idiot de frangin a grillé notre seule chance !
— Pas forcément ! Lui répond Ulysse. J'ai peut-être une idée... Mais ça ne va pas vous plaire...
— Comment ça ?
— Eh bien, je pourrais... Enfin à vrai dire ça ne me réjouit pas non plus mais...
— Oh non... Non... NOOON ! Ne fais pas ça ! Commence Nina.
— Si... Je suis le seul qui puisse le faire...
— Non ! Mais c'est... C'est... Beurk...
— Quoi ?! Faire quoi ? Qu'est-ce qui est beurk ? dis-je, inquiet.
— Ooooh je crois que j'ai compris... affirme Maxime avec un grand sourire.
— Mais FAIRE QUOI ?!
— T'as toujours pas compris, il va coucher avec tata Sylvie pour lui soutirer des informations.
— Oui Maxime... Oui... Chuchote Ulysse le regard dans le vide. Quoi ?! sursauta Ulysse. Mais non mais pas du tout ! Je ne vais pas coucher avec elle... Nina tu pensais à ça toi aussi ?
— Bah... C'est ce que j'ai cru comprendre...
— Mais... NON !
— Alors c'est quoi ? demande tout le monde.
— Bah lui voler son carnet ! Vous êtes vraiment tordus !
Ulysse nous a expliqué son plan. Il n'a rien de sexuel, ce qui a beaucoup déçu Maxime. Enfin, il doit quand même passer un peu de temps avec tata Sylvie. Le but est de l'éloigner le plus longtemps possible de son appartement. Assez de temps pour qu'on s'infiltre chez elle, trouve le nom du juré et reparte comme si de rien n'était. Pour cela, il doit l'inviter à boire un café en bas de la rue, l'auberge de Kaffa. Pourquoi ce café particulièrement me diriez-vous, et bien c'est très simple : de un, c'est LE meilleur café de la ville. De deux, tata Sylvie ADORE le café. De trois, elle adore CE café. D'ailleurs, quand elle y va accompagnée, elle se débrouille toujours pour "oublier" son sac et se faire inviter. Notre plan est donc parfait : Ulysse prétexte une excuse bidon pour la voir, et Nina et moi nous rendons dans son appartement. Maxime n'a pas voulu se joindre à nous, sûrement parce que notre plan ne comporte pas assez de filles à draguer. Enfin ! Le coup est prévu pour après demain, et on a préféré ne pas en informer Maxime, on ne sait jamais.
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