Chapitre 16 - Épisode final
Apparemment, mon très cher père est rentré hier soir... Génial. Pas de nouvelles, pas de coup de fil, même pas un petit SMS... Et je le retrouve en train de siroter tranquillement un petit thé, assis nonchalamment sur le canapé à franges et somme toute, affreux de Tata Sylvie, alors qu'une psychopathe en liberté provisoire doit sûrement renifler les traces que j'ai laissées derrière moi.
— Tu aurais pu prévenir que tu revenais, tu ne crois pas ?
— Albert... Je suis rentré très tard hier soir... J'étais fatigué, et tu sais comme on dit : "Pas de nouvelles, bonnes nouvelles."
— Mon petit Albert, laisse donc ton vieux père tranquille.
— Ecoute Tata Sylvie, je ne t'ai rien demandé. J'ai une discussion avec mon père là.
Voilà que tu fais encore une fois preuve de ton impolitesse, me dit-elle en se servant un thé avec un sucre. Sache qu'on frappe avant d'entrer chez les gens. Ca releve d'un bon sens tout à fait classique, ajoute-t-elle en rajoutant un sucre dans son eau bouillie.
– Mais sais-tu ce qu'est le bon sens après tout ? Parce que la plus classique des politesses serait déjà d'apprendre à ne pas s'introduire chez les gens par effraction, continue-t-elle avec un sourire narquois. Alors quand tu auras assimilé ses règles basiques, peut-être te laisserai-je avoir des discussions père fils comme un adulte, sans interventions de ma part te rappelant ce qu'est la politesse et le fait d'être un adulte finalement. Parce que oui mon cher Albert, tu es encore très loin de faire un-
— Oh ça suffit avec tes jérémiades ! Je suis désolé mais ce n'est franchement pas le moment ! Vous croyez que c'est le moment de prendre un thé ? Vous n'avez aucune idée de ce qu'il vient de se passer !
— Est-ce que ça m'intéresse ?
— Oh très chère, laissons-lui au moins une chance, ce qu'il a à nous dire est sûrement très intéressant, répond papa en riant.
— Papa, je ne suis pas d'humeur à rigoler... Et je n'arrive pas à croire que tu sois encore de son côté !
— Je ne suis du côté de personne Albert, ta tante a elle aussi le droit de s'exprimer. Mais trêve de conflits absurdes, dis-nous ce qui t'amène ici.
Je leur explique donc le plus calmement possible qu'une mystérieuse femme m'a menacé dans le parc, et qu'elle en avait après la mallette. J'en profite pour leur rappeler que la mafia chinoise en avait elle aussi après cette dernière, et que je constate de plus en plus que les efforts mis en en place pour retrouver une simple mallette contenant des pauvres cartes à collectionner sont complètement disproportionnés ! Je veux bien croire que ces cartes sont très rares, mais rien est assez rare - à mon humble avis - pour menacer de tuer une famille toute entière ! Et pris dans mon élan d'incompréhension et de terreur, je leur en raconte bien plus que je ne le voulais : comment je me suis débarassé de la cinglée, cette voix étrange que j'entendais de temps en temps, J, sa proposition de partenariat mais surtout de son tatouage et de tous les endroits où j'avais reconnu ce sigle... Je leur parle même, sans aucune raison valable, de Lisa, cette fille aux cheveux roses, et de la peur qu'elle... Non que dis-je, de l'effroi qu'elle insuffle dans mes veines...
Et après ce crachat gargantuesque et grotesque de tout ce qui a pu me traverser l'esprit ces derniers jours, papa reste impassible. Il trifouille sa moustache d'un air pensif, et tata Sylvie, comme à son habitude, joue avec ses bagues. Pourquoi ne réagissent-ils pas bordel ?!
— Alors, qui sont vraiment ces gens, vous allez me le dire à la fin ?!
— Non non non Albert, commence Tata Sylvie. Tu n'es clairement pas prêt pour entendre ce que tu veux qu'on te dise, je suis désolée, mais tu es beaucoup trop immature.
— TATA ! Est-ce que tu veux bien, s'il te plait, arrêter de prendre des décisions sur MA vie, à MA place?!
— Regarde-toi, Albert ! Ta réaction illustre tout à fait ce que je viens de dire. Tu es beaucoup trop colérique et instable.
— La seule personne qui est instable ici, c'est toi ! Vieille folle !
Pendant une demi-seconde, Tata Sylvie semble choquée par mes propos, mais un masque d'élégance froide se dessine rapidement sur son visage.
— Je suis peut-être folle, oui. Mais, contrairement à toi mon cher Albert, je ne suis pas une pauvre inconsciente qui vient sans doute de déclencher une guer-
— Ça suffit, nous interrompt papa. J'entends bien ce que tu dis Sylvie, mais soyons honnêtes. Il est grand temps pour Albert de connaître la vérité... Il se pose tout un tas de questions, ce qui est fort compréhensible, et j'ai bien peur qu'il aille chercher leurs réponses dans les élucubrations de personnes peu fréquentables, si nous n'y répondons pas tout de suite. Alors veux-tu bien, je t'en prie Sylvie, reprend-il avec un doux sourire, me donner la photo ?
— Mais enfin Francis, tu ne penses pas sérieuse-
— Si je le pense, et je pense même que je suis plus à même de prendre une telle décision étant donné qu'Albert est mon fils, Sylvie.
— Si tu penses qu'il est prêt... rétorque-t-elle en allant chercher une vieille photo, qu'elle donne ensuite à Papa.
C'est celle que j'avais subtilisée la fois dernière, mais Tata Sylvie ne l'a pas remise à sa place. Je me demande bien pourquoi.
— Regarde bien cette photo, et dis-moi ce que tu vois.
— Et bien... Là c'est tata Sylvie et... Deux autre personnes...
— Tu ne les reconnais pas ?
— Bah... Le mec au milieu ne me dit rien, par contre l'autre dame, je me suis dit qu'elle ressemblait drôlement à... Oh... Mais...
— Je crois que tu commences à comprendre.
— Oui ! Elle ressemble à Lisa ET à l'autre folle qui m'a agressée dans le parc !
— Oui, celle que tu as croisé dans le parc est Zoë.
— Mais c'est qui cette fille ?
— C'est la sœur de Lisa. Et les personnes que tu vois aux côtés de ta tante sur cette photo sont leurs parents : Nicholas et Kath Lawson.
— D'accord. Mais par rapport à l'histoire qui nous concerne, ça veut dire quoi ?
— Leurs filles ont... Comment dire ? Connu une enfance difficile... Enfin l'une plus que l'autre et je crois qu'elles sont en quête de vengeance...
— De vengeance ?! Et qu'est-ce qu'elles me veulent ? Pourquoi moi ? Qu'est-ce que je leur ai fait moi ?
— Moi, moi, moi ! marmonne tata Sylvie. Il n'y a que toi au centre de ton monde, tu te crois spécial c'est ça ? Tu crois que c'est après toi qu'elles en ont ?! HA ! Je vois que ton ego, est toujours aussi... disproportionné, mon petit Albert.
— Ce que veut dire ta tante, j'en suis sûr, c'est qu'elles n'en ont pas forcément après toi. Enfin ça a un lien avec toi mais.. Elles en ont après Le Grand Lion.
— Ha... Haha... Le Grand Lion ? C'est... C'est une blague c'est ça ? Non parce que là je ne comprends plus RIEN, déjà qu'avant je ne comprenais pas grand chose...
— Hum... Il est vrai que cette caractéristique te définit plutôt bien, chuchote tata Sylvie.
— Quand je dis Le Grand Lion, je ne parle pas du bar, ni même du titre, je parle de la carte !
— Oh non ! Vous allez pas encore me parler de ce maudit jeu de cartes ! J'en peux plus à la fin.
— Très bien ! S'interpose tata Sylvie, arrêtons-nous en là dans ce cas, ton père en a déjà assez dit comme ça.
— Hein ? Mais ça ne m'a pas du tout éclairé votre histoire ! Qu'est-ce que ça veut dire quoi pour nous à la fin ?!
— Nous ? Comment ça nous ? Il n'y a rien à faire, c'est une histoire de famille qui ne nous concerne pas... me répond papa.
— Francis, tu le sais parfaitement que l'on peut faire quelque chose...
— Non Sylvie... Je te l'ai dit et je le répète : ce sont des affaires qui ne nous concerne pas !
— SI ! Cela me concerne moi ! Il y a des erreurs de mon passé que j'aimerai bien réparer et c'est peut-être le moment venu.
— Mais vous voulez bien m'expliquer à la fin ! m'indigné-je.
Toc toc toc.
On vient de frapper à la porte. Tout le monde a sursauté... Enfin à vrai dire, j'étais le seul, Papa et Tata Sylvie se sont juste retournés vers l'entrée.
— Vous... Attendiez quelqu'un ?
— Pas à ma connaissance, veux-tu bien aller ouvrir s'il te plait Albert ?
Je me dirige d'un pas hésitant vers la porte. Ma main, tremblante et frêle, agrippe la poignée tant bien que mal. On frappe de nouveau, ce qui me fait sursauter une fois de plus.
— Mais bon sang ! Tu vas l'ouvrir cette porte oui ou non ? me souffle tata Sylvie depuis son fauteuil.
– Police, ouvrez la porte s'il vous plaît.
— Et bien... Qu'est-ce que tu attends Albert ? Ouvre-leur la porte.
Je m'exécute et me retrouve en face de deux hommes, pas d'uniforme de police, pas d'insigne, pas d'arme... Du moins à première vue. L'un des deux est plus grand que l'autre, il a une mâchoire bien carrée, une barbe mal rasée et des lunettes de soleil... Bizarrement, on dirait une version plus charismatique et plus musclée de Maxime. L'autre, c'est tout le contraire, une peau de bébé, des cheveux bien coiffés et pas un seul poil. J'ai beaucoup de mal à croire que ces deux personnes fassent partie de la police, étrangement, cette idée ne me dérange pas tant que ça. Est-ce que mon cerveau vient d'accepter une information aussi contradictoire ?
— Veuillez nous excuser du dérangement, mais nous sommes à la recherche d'une personne et tout porte à croire qu'elle réside ici-même.
— C'est elle ! chuchote le plus petit à son collègue.
— Elle ? dis-je, intrigué.
— Madame... Marcelline, Sylvie Marcelline ? C'est bien vous ?
— Oui, c'est bien moi. Mais mademoiselle, pas madame. Que me vaut l'honneur de votre visite, Messieurs... Les policiers ?
— Nous avons tellement de questions à vous poser, nous permettez-vous d'entrer ? répond le petit avec beaucoup trop d'enthousiasme.
Devant tant de politesse, tata Sylvie n'a pas pu décliner leur demande. Ils nous ont alors rejoint autour de la table à thé, tandis que Papa faisait chauffer un peu plus d'eau.
— Je pense que vous savez pourquoi nous sommes venus jusqu'à vous mademoiselle.
— Je crois deviner.
— Moi aussi, ajoute papa en soupirant.
— Euh... Pas moi ! Si quelqu'un veut bien m'expliquer.
— Aidez nous à les arrêter, avant qu'il ne soit trop tard !
— Pouvez-vous nous dire tout ce que vous savez sur elles ? S'il vous plaît...
— Vous ne pouvez pas savoir à quel point vous tombez à pic messieurs. Il est vrai qu'il est grand temps d'en finir, et je vais vous donner les renseignements que vous désirez messieurs. Albert, si tu restes ici, tu devras en assumer les pleines responsabilités et agir en conséquence. Tu peux encore partir, il n'est pas trop tard, la porte est ouverte. Ton père et moi ne t'en voudrons pas, mais sache que si tu décides de rester, tu ne pourras pas revenir sur ta décision.
— Oui oui, je reste, je veux savoir !
— Tu devras aussi te joindre à nous et donc abandonner le bar. Ce qui implique fatalement, de rompre le contact avec tes amis. Des vies sont en jeu. Suis-je bien claire ? ajoute-t-elle.
— Euh attends quoi ?
— Alors ? As-tu fais ton choix, Albert ?
— Non je euh... Je... Je me suis promis de laisser tomber cette histoire de sigle, de carte et de je ne sais quoi... Si j'étais venu ici au début c'est parce que j'étais en panique... Et... Il semble que vous avez la situation bien en main. Je ne sais pas de quoi il s'agit, mais si savoir veut dire tout laisser tomber, alors que je viens à peine de commencer à comprendre à quel point je me suis trompé sur le bar, et Ulysse et Nina.. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. En plus, je ne suis clairement pas fait pour tout ça, je ne ferais que vous ralentir...
— Donc cela veut dire que tu t'en vas ?
— Si vous me promettez que personne n'est en danger, alors oui, je m'en vais.
— Tu n'as pas à t'inquiéter Albert. On peut se charger du reste, tu as fait du très bon boulot, m'affirme mon père.
Je franchis la porte d'entré avec un sentiment étrange. Je ne sais pas trop comment le décrire... Est-ce de la lâcheté ? De la faiblesse ? De la perspicacité ? Ou un peu des trois ? Je pense sincèrement que Tata Sylvie a raison, toute cette histoire me dépasse complètement. Ai-je pris la bonne décision en quittant cette pièce ? J'ai peur de le regretter mais... Avec tout ce qu'il s'est passé, j'ai enfin compris... Peut-être est-ce justement grâce à l'ultimatum de Sylvie que je l'ai enfin compris. Ma place n'est pas avec eux... Mais avec Ulysse et Nina.
Je n'arrive pas à croire que tout ce qui m'est arrivé me soit arrivé. Je n'ai toujours pas saisi de quoi il s'agit, je suis toujours autant dans le doute, mais ce que je sais, c'est que je n'ai pas ma place dans cette pièce. Je ne fais pas partie d'une quelconque oeuvre de fiction, je ne suis ni un soldat, ni un espion, ni un super-héro. Je suis un barman. Et cette pièce que je quitte, elle représente ce que je ne suis pas et ce que je ne veux pas être. Oui, je suis finalement un homme lambda qui souhaite tout simplement une vie normale, une vie de sitcom.
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