Chapitre 14 - Inspecteur Albert

La fin de soirée s'est déroulée tranquillement. Les gens sont partis comme ils sont arrivés, petit à petit. Enfin, il y avait toujours les piliers de comptoirs qu'il fallait pousser vers la sortie, mais je chipote. J, quant à lui, est parti quelques minutes après nous avoir donné sa carte. Il est resté au fond du bar, seul, le temps de siroter son cocktail à la liqueur de fraise. C'est vraiment un étrange personnage, aussi fascinant qu'effrayant. Je ne l'avais pas remarqué au début, mais il a une petite cicatrice qui lui traverse la joue gauche... Peut-être un coup de couteau ou une chute de vélo, et vu le personnage je penche plutôt pour la première option. En partant il s'est offert le luxe de nous laisser un gros... Un très gros pourboire à la limite du pot-de-vin. Bon ce n'est pas assez pour que je puisse faire le tour du monde, mais assez pour paraître louche. Un tas de billets donné généreusement comme celui là n'a pas pu être gagné honnêtement. Et ce tatouage, qu'est-ce qu'il peut bien signifier ? Si je fais le point, j'ai vu ce sigle dans la résidence abandonnée, sur la photo de tata Sylvie, sur les cartes à collectionner et sur le poignet de J... J, pourquoi ce pseudonyme ? Il doit bien signifier quelque chose.

— Et dis-moi Albert, tu le connaissais ce vieux ? me demande Ulysse.

— Non...

— Il est flippant non ? Ou c'est juste moi ? rajoute Nina.

— Si si il est flippant...

— Flippant peut être, mais il paye ! Regardez moi tous ces billets, se réjouit Ulysse.

— Putain ! Ça fait un sacré paquet, il y en a pour combien à votre avis ?

— 400.

— PARDON ?! demandent Nina et Ulysse en même temps.

— Ouais 400, j'ai compté deux fois, répond Maxime en sortant de la réserve.

— Oh bordel ! Mais depuis quand t'es là toi ? Et quand est-ce que tu as eu le temps de compter ça ?

— Là n'est pas le problème, si j'étais vous je ne ferais pas confiance à ce mec, j'vous l'dis : il est pas net. Bref je vous laisse, à plus.

— Mais tu vas où comme ça ?

— Bah vu qu'on a loupé le concours... Je vais me remettre à mes... activités. Allez ciao les nazes ! Nous lance-t-il en partant.

— Ses activités ? s'interroge Nina, à cette heure-ci ? Il n'est pas gigolo ?

— Non, il va jouer à un match de scrabble clandestin chez le chinois.

— Sérieusement ? m'interroge Ulysse la bouche grande ouverte.

— Chez les chinois ? insiste Nina.

— Oui, j'ai aussi eu du mal à le croire au début.

D'ailleurs j'ai aussi du mal à croire que je suis d'accord avec Maxime : J n'est pas net. Plus j'y réfléchis et plus je pense que c'est une mauvaise idée d'être en partenariat avec lui. Il faut que j'en sache plus... Si ça se trouve c'est un grand criminel - ce qui expliquerait le pseudonyme, et ce pourquoi il a "beaucoup" voyagé ou plutôt "cavalé" - sur lequel pèse une grosse prime de capture ! Voilà, je la tiens ma sortie de secours.

— Vous en pensez quoi vous ?

— Je n'aime pas le dire et je ne le dis pas non plus souvent, mais Maxime a raison, conclu Ulysse.

— Putain oui Maxime a raison ! Mais qu'est-ce qu'on va faire de tous ces billets ? On ne va pas lui rendre quand même ?

— Je ne sais pas encore, il faudrait que j'enquête sur lui.

— Enquêter ? Haha ! se moque Nina. Attention tout le monde, Inspecteur Albert est dans la place !

— Ouuuuh monsieur le policier j'ai été très vilain, pouvez vous m'arrêter ?

— Est-ce qu'on peut être sérieux un petit instant ? S'il vous plaît...

— Roh c'est bon, on ne peut plus rigoler... Monsieur se prend trop au sérieux, depuis que monsieur veut partir et faire sa vie tout seul ! Lance Nina sur un ton plus furieux qu'amusé.

— Euh Nina, arrêtons-nous là... Je pense qu'il a compris.

— QUOI ? Mais tu le défends en plus ?!

— J'essaye juste de calmer le jeu, je ne pense pas que ce soit la bonne solution de s'engueuler.

— Attends, Ulysse, ça ne te fait rien qu'Albert décide, et ça sans même nous en parler avant, de nous abandonner lâchement, comme ça ?

— Si bien sûr que ça m'énerve, mais la colère n'est pas, comme je l'ai dit, la bonne solution !

— PUTAIN MAIS VOUS ME CASSEZ LES OVAIRES TOUS LES DEUX ! Lui qui se barre pour on ne sait quelle raison et toi là, à faire comme si de rien n'était !

— Nina, calme toi s'il te plaît, lui dis-je en m'approchant d'elle.

— NINA ! NINA ! Mais tu sais ce que j'endure moi pour ce bar ?! Tu crois que ce n'est difficile que pour ta petite personne ?!

— Non mais, Nina, c'est... C'est...

— Putain si tu dis "c'est compliqué", tu vas t'en prendre une. Tous les soirs je suis là, tous les jours je bosse ici, quand je suis pas en cours je suis au Grand Lion. Mon rythme de vie est tellement chaotique que je ne sais plus ce que c'est qu'une bonne nuit de sommeil ! Tu te rends compte au moins ? Avec Ulysse on se tue tout autant que toi à la tâche ! Quand tu étais à l'hôpital, nous on était là pour s'occuper du bar ! Regarde comment je me suis habillée pour ce PUTAIN de bar ! Alors oui, c'est dur, oui c'est fatiguant, mais tant pis, et tu sais pourquoi ?!

— Non...

— Parce qu'on se serre les coudes dans cette galère. On se l'était promis putain. C'est pour ça que je continue à bosser ici plutôt que de consacrer du temps pour moi, parce qu'être avec vous ça surpasse toute les merdes qui peuvent nous arriver ! Alors oui je jure beaucoup, mais bordel, j'en reviens pas Albert que tu ne nous en aies même pas parlé ! Tu viens et tu nous balances comme ça : "je m'en vais" sans même nous en parler, sans même nous consulter, comme si on en avait rien à FOUTRE ! Comme si TU n'en avais rien à foutre !

...

— Mais dis quelque chose toi aussi ! Au lieu de rester comme ça les mains dans les poches ! crie-t-elle à Ulysse.

— Je pense que nous sommes tous très fatigués, et à bout de nerf... Le mieux ça serait d'en parler demain matin la tête reposée.

— C'est tout ? Tu n'as que ça à dire ? Sérieusement ? Je vous considère comme ma famille, MOI ! Ma seule PUTAIN de famille, dit-elle avant de fondre en larme.

— Hé... Nina, qu'est ce qu'il y a ?

Mince... C'est la première fois que je vois Nina pleurer comme ça. C'est peut être une fille qui paraît timide, mais pourtant c'est la personne la plus endurante et la plus forte que je connaisse. Elle a subi des moqueries et des crasses inimaginables, mais elle a toujours gardé la tête haute et réagi avec classe et humour. Alors si elle s'effondre comme ça... Putain, Albert t'as vraiment fait fort là...

— Je me suis fait virer, nous répond elle, la tête dans les bras.

— Mais virer d'où ?

— Mon père ! Il m'a mise dehors !

— Mais pourquoi il ferait ça ?!

— À ton avis ?!

— Mais je croyais qu'il le savait et qu'il l'avait accepté...

— Il... Il m'a dit qu'il se forçait durant toutes ces années, et maintenant il m'a foutue dehors...

— Hé... Nina... Calme toi, on est là, lui dit Ulysse en la prenant dans ses bras et en m'invitant à faire de même.

— Mais si tu t'en vas Albert, qu'est ce qui dit qu'Ulysse va rester, hein ? Et moi, je vais faire quoi ? Je vais me retrouver toute seule...

— Non, Nina, Nina ne dis pas ça... dis-je en rejoignant le câlin collectif. Tu... Tu as raison, vous en faites autant que moi et je vous en remercie. J'aurais dû vous en parler, mais tu sais... J'avais peur de votre réaction et puis.. Est-ce que je veux vraiment partir finalement ? Je sais pas, je... Il faut que je réfléchisse mais... Ne pleure pas d'accord ?

Nina est rentrée avec Ulysse. Elle va loger chez lui en attendant de trouver un appartement et de stabiliser sa situation. C'était une fin de soirée chargée en émotion. Comment je me suis débrouillé pour ne pas m'apercevoir tout ce qu'ils avaient entrepris pour le Grand Lion ? Ça m'a permis d'ouvrir les yeux : je ne suis qu'un gros con. Je pense que je devrais mettre de côté cette histoire de partenariat, de sigle, de complot. Je devrais plutôt me concentrer sur eux, sur le bar, voir le verre à moitié plein.

Allez, il est temps pour moi de rentrer et de fermer le bar... Pourquoi j'ai l'impression d'avoir oublié quelque chose ? Et merde... Le chat des chinois ! Je vais devoir le jeter seul... Mais quelle connerie cette histoi- Non Albert ! Tu as dit que tu allais voir le côté positif des choses ok ?! L'avantage, c'est qu'à cette heure-ci, personne ne se trouve dehors. Voilà ! Je n'ai qu'à faire ça vite fait, bien fait !

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