Chapitre 1 - Ma vie est une sitcom
On a tous, au moins une fois dans sa vie, regardé une sitcom, le temps d'observer un groupe de jeunes adultes se retrouver, souvent dans les mêmes endroits, parlant régulièrement des mêmes choses, et usant toujours de blagues convenues suivies de rires pré-enregistrés. Ces rires placés au bon moment pour dicter un rire chez les téléspectateurs, parfois produits après un running gag tellement usé qu'il en devient fade. Un peu comme ce "lol" utilisé à l'époque par des personnes qui savaient encore rire, mais qui signifie maintenant un léger haussement de sourcil. Les sitcoms, ce genre de théâtre filmé, où le décor est aussi vide que l'âme des acteurs qui s'y produisent... Ok, c'était gratuit et méchant, je suis médisant, mais disons bien que c'est vrai ! Je peux me permettre de l'être, car, croyez le ou non : ma vie est une PUTAIN de sitcom. Laissez moi vous expliquer.
Je me présente, je m'appelle - non pas Henry, mais - Albert Lyons, fils ainé de Francis Maxime Lyons. Si vous portez ce nom de famille alors votre avenir est tout tracé. Pourquoi ça me diriez-vous ? Parce que ce nom porte malheur, il signifie le devoir, le devoir à accomplir, une mission à réussir. Pas de princesse à la clé ou une grosse fortune à gérer... Non-non juste des bouts de chiffons et des ivrognes... Dit comme ça, ça n'a pas l'air très prestigieux, tout simplement parce que ça ne l'est pas ! Ce nom signifie que vous allez devenir tavernier, celui du GRAND théâtre de marionnettes de la GRANDE famille des Lyons. Vous deviendrez le GRAND LION quand on vous passera le flambeau, et à votre tour, quand le moment sera venu, vous remettrez à vos enfants une flammèche asphyxiée de lassitude.
Et là vous allez me dire "mais Albert, ça n'a aucun rapport avec une sitcom ton histoire", et je vous répondrai : c'est très malpoli d'interrompre les gens quand ils vous parlent !
Dans cette galère qui est de gérer un théâtre qui fait aussi bar, je ne suis pas seul... Seulement mal accompagné. Il y a mon petit frère, Maxime, qui lui - la chance qu'il a ce petit veinard - n'a pas hérité du titre de grand Lion, et vous savez ce qu'il veut le plus au monde ? Me rendre la vie difficile vous dites ? Oui, mais il veut surtout ce titre, LE titre dont il n'a pas hérité mais dont J'AI hérité, et ça, monsieur, ça le rend vert de jalousie, n'est-ce pas ? Il a déjà hérité du prénom de papa ! Moi aussi j'aurais préféré hériter de son prénom et non pas du titre ! Et puis il est toujours avec ses jogging et ses t-shirts en V, et regardez moi ces lunettes de soleil... Non mais on est à l'intérieur là, à quoi elles te servent ?! Tu vas te prendre quelqu'un ! HO ! Et laisse les clientes tranquilles, arrête de les coller, t'as bien de la chance qu'elles n'aient pas déjà fui le bar. Parce que je te JURE que si elles partent, je te dégage, et à coup de pied dans le cul, je te préviens, je ne vais pas me retenir, tu auras Nike gravé sur tes fesses ! Et j'espère que tu as de quoi payer ses verres que tu leur offres parce que moi...
— Ho ! Albert !
— Hein quoi ? Qu'est ce qu'il y a ?
— Bah ça fait bien cinq minutes que tu marmonnes tout seul et c'est bizarre... me dit Ulysse. Qu'est-ce qu'il se passe ?
— Non c'est rien...
Ulysse ? C'est mon frère, même si on n'a pas le même père, ni la même mère. C'est tout comme, on a grandi ensemble, dans le même quartier, on a surmonté les galères ensemble et si ça continue comme ça on est sur la bonne voie pour mourir ensemble. Il m'aide beaucoup pour le bar, sans lui j'aurai pas de serveur et comme il est plutôt mignon - et faut dire qu'il a un beau cul aussi, mais il n'aime pas qu'on lui fasse remarquer - ça ramène pas mal de clientes. Je me demande si Maxime n'est pas jaloux de son fessier. Comment ça se fait qu'avec un cul comme ça, cet homme soit toujours célibataire ?!
— Mais si il y a quelque chose, dis-moi ! insiste Ulysse.
— Oui j'avoue, allez dis le ! C'est quoi ? C'est une fille ? Oh c'est la petite anglaise qui est passée l'autre soir ?! C'est ça ?!
— Mais non Nina, c'est pas du tout ça... C'est... C'est...
— C'EST UN MEC ! crient Ulysse et Nina en même temps.
— Mais non, mais pas du tout, vous dites n'importe quoi, c'est Maxime là !
— Mais Albert, dit Ulysse, Maxime... C'est ton frère...
— Je sais bien que c'est mon frère...
— C'est pas très légal ça !
— Ah t'es con Ulysse, lui lance alors Nina en s'esclaffant.
Nina ? C'est comme ma petite soeur, quand on était petit avec Ulysse, on aimait bien jouer avec elle, parce qu'on avait les mêmes délires. Peut-être aussi parce qu'elle avait du mal à se faire des amis, elle était d'une timidité maladive. Et paradoxalement, elle faisait déjà tourner des têtes sur son passage, elle avait et elle a toujours un charme à faire chavirer tous les bateaux d'un port de religieux - et ça, ça ramène pas mal de clients - mais, dommage pour eux, Nina elle, ce sont les filles qui l'intéressent.
— Non je voulais dire que j'en ai ras le bol de Maxime ! Il est là à rien faire, à part draguer la clientèle.
— Roh mais c'est bon, de toutes manières, il n'a jamais ramené personne chez lui non ? demande Ulysse.
— Oui bah c'est pas une raison, et en attendant les verres qu'il offre ne sont pas payés !
— T'inquiète, je suis sûre qu'il va les payer... Un jour... dit Nina d'une manière peu convaincante.
— Oui, et puis on a fait pas mal de recette ce soir, m'affirme Ulysse. C'est pas comme si le bar ne marchait pas !
— Mais oui, les affaires vont bien ! Allez, après la fermeture, on se la colle ? T'as bien mérité ça Albert !
Que je hais ce métier. Ils ne peuvent pas comprendre ce que c'est d'être le gérant de ce bar. La très bonne, que dis-je, l'excellente réputation que mon père avait en tant que Grand Lion me fait porter une immense pression sur les épaules. Je ne sais pas s'ils s'en rendent bien compte... Je suis incapable de réaliser la moitié de ce que papa a accompli.
Mais bon, heureusement qu'ils sont là pour me soutenir... Je ne saurais pas expliquer ce lien qu'on a entre nous, mais ce que je sais c'est qu'il s'est renforcé à la mort de maman. Je m'en souviens encore, c'était quand j'avais 7 ans, c'était la première fois que je voyais papa pleurer. Pour qu'on se sente moins seul Maxime et moi, pendant les premières semaines après la mort de maman ; on pouvait inviter des amis à dormir chez nous. Maxime, lui, n'a invité personne et moi... Et bien j'ai invité Nina et Ulysse. C'est comme ça qu'aujourd'hui on se retrouve tous les soirs dans ce bar, à parler des mêmes choses, à faire les même blagues débiles et à fabuler sur notre avenir, alors qu'on sait très bien tous les trois qu'on va finir ici pour le restant de nos vies. Avant de trouver une autre porte de sortie, il va bien falloir tenir la barque... Tiens... voilà deux fois que je fais une référence aux bateaux. Vous avez vu ? Je peux même en faire une autre : les navires sont aux marins ce que les problèmes sont au Grand Lion : l'un sans l'autre n'existe pas. C'est navrant pour moi mais sûrement très marrant à voir de l'extérieur.
— Bon je vais aller voir Maxime. Il va encore me sortir une excuse bidon...
— Comme l'histoire TONITRUANTE de Jack Black ? demande Nina avec passion.
— T'as encore roulé tes r Nina... dis-je avec un sourire.
— Ho oui c'est vrai c'est vraiment trop mignon ! se moque Ulysse.
— Hé ! Vous aviez dit que vous alliez arrêter avec ça !
— Ha non jamais ! Je meurs devant tant de sex appeal... s'esclaffe Ulysse en feignant de s'évanouir.
— Bon je vous parlais de Jack Black et de Maxime là !
— Tu veux dire : la fois où il a sauvé Jack Black de la noyade ou la fois où c'est Jack Black qui l'a sauvé de la noyade ? Lui demande alors Ulysse.
— Uhm vu comment les filles se marrent, je pense que c'est la fois où il a sauvé Jack Black, affirme Nina.
— Je ne voudrais pas faire ma raclette, mais Jack Black l'a vraiment sauvé, je vous signale ! J'étais là !
— Non, arrête Albert ! On t'as déjà dit que c'était pas lui... Hein Ulysse ! Mais dis-le lui toi... Ah non, ne me dis pas que tu y crois toi aussi ?!
— Hé ne m'accuse pas j'ai rien dis !
— Mais... Déjà qu'est-ce que foutrait Jack Black sur une plage de Bretagne ?!
Non mais oui c'est vrai ! Nina a raison, qu'est-ce que Jack Black foutrait sur une plage de Bretagne... Mais je vous assure que c'était lui ! Vous me croyez vous non ? Je peux vous le jurer sur la vie de...
— Papa ! crie Maxime d'une voix qui vrille.
— Papa ?
— Et bien Albert, tu ne dis plus bonjour à ton vieux Père ?
Oh le con, il s'est glissé dans le bar sans que je m'en rende compte ! Et c'est quoi ce chapeau de paille ridicule qu'il porte ?! Je sais qu'on est bientôt en été mais c'est pas du tout son style...
— Francis ! Oh comme je suis contente de vous voir ! On ne vous a même pas entendu arriver, lui dit Nina en lui faisant la bise. Ça fait longtemps que vous êtes là ?
— Il n'y a pas si longtemps que ça à vrai dire, je viens à peine d'arriver, comment vas-tu ma petite Nina ?
— Et bien pas grand chose... La routine... La fac tout ça... Et vous...
— Les amours ? Lui demande papa en l'interrompant avec un petit sourire.
— Euuuuh...
Quand Nina, reste bloquée comme ça, c'est qu'elle panique et qu'elle a besoin d'aide. Papa n'est pas au courant que Nina aime les filles. Enfin, Nina ne lui a pas encore dit. Elle ne sait pas comment il le prendrait... Moi je pense qu'il s'en fiche et qu'il est même au courant, ça doit le fait rire de lui poser ce genre de question pour la mettre mal à l'aise. C'est vrai que c'est drôle. Je devrais faire ça plus souvent. Quoi ? Comment ça c'est méchant ?
— Et vous Francis, comment ça va les amours ? intervient Ulysse.
Heureusement qu'il est là, un peu plus et Nina serait tombée dans les pommes !
— C'est pour draguer le chapeau de paille ? lui demande-t-il.
— Ah ce chapeau ?! Il est beau hein ?
— Très beau papa ! Il te va à ravir, c'est pour draguer ? plaisante Maxime, qui s'est lui aussi faufilé à notre insu.
— Maxime, Ulysse vient de me faire la même blague, lui rétorque papa en riant. Mais bon, ça tombe bien que tu sois là, j'ai quelque chose de très important à vous annoncer !
Quoi ?! Que tu vas reprendre le bar et que du coup je pourrais... Je pourrais... Faire ce que je veux de ma vie ?! C'est ça ? Hein ! C'est ça ?!
— Mon petit Albert tu marmonnes encore, ça va ? Tu devrais consulter tu sais...
— Oui papa, ça va très bien ! Dis nous ce qu'est cette nouvelle ?
— Bon, vous savez tous je pense, à quel point je suis très fier de votre travail avec le bar. Les affaires vont bien, les clients sont contents, que demander de plus ?
— Tu es venu ici pour nous dire ça ? l'interroge Maxime.
— Non, bien sûr que non... Je suis venu vous dire que je m'en vais...
— Que tu t'en vas ? disais-je avec les autres.
— Et vos pleurnicheries n'y pourront rien changer...
— Mais tu t'en vas où ?
— Comme dit si bien Verlaine au vent mauvais...
— Oh ! Arrête avec Gainsbourg !
— Je suis venu vous dire que je m'en vais...
— PAPA ! m'exclamais-je avec Maxime.
— Vous ne savez pas apprécier LA musique. Bref, je m'en vais en vacances, j'ai pris les billets ce matin.
— Oh mais c'est génial ça ! s'exclame Nina.
— Et je m'en vais demain matin ! Mais ne vous inquiétez pas, je vous laisse entre de bonnes mains.
— Oh... S'inquiète Ulysse.
Non ! Mon Dieu ! Non ! Oh Mon Dieu ! S'il vous plaît, non, non, non ! Noooooooon ! Tout mais pas elle ! Ne me dis pas que c'est elle ! Non... Non... Papa non !
— J'ai dit à tata Sylvie, qu'elle pouvait...
— NON ! Oh pardon... s'excuse Ulysse.
— Donc, où en étais-je ? Ah oui ! J'ai dit à tata Sylvie qu'elle pouvait passer de temps en temps pour vous donner un petit coup de pouce pendant mon absence !
— Mais pourquoi t'as fait ça ? lui demande Maxime.
— Oh vous savez, depuis qu'elle est à la retraite elle s'ennuie beaucoup, et puis elle m'a pas mal aidé quand je tenais le bar. Je suis sûr que vous allez bien rigoler. Allez la jeunesse, moi j'ai des valises à faire !
Il est parti, comme ça, sans rien dire de plus... Il est parti ! Et il nous laisse avec Sylvie ! SYLVIE ! Je sens que cet été va être long... Très long...
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