Visite et contrariétés.
Je me dépêchai de me préparer pour la visite de la faculté. Mon premier souvenir avait duré près d'une demi-heure, ce qui faisait que nous étions presque en retard. Ma salle de bain était pleine de buée lorsque je sortis de la douche. J'essuyai de la main l'eau qui recouvrait le miroir. Je pouvais enfin voir mon corps, légèrement flouté. Sec. Ce fut le premier mot qui me vint à l'esprit. Le deuxième fut : grand. Grand et sec. Pas vraiment de muscles apparents même si une fine ligne traçait les pourtours de mes abdominaux. Mon visage paraissait dur et fermé. Je tentai un sourire pour l'éclairer et fus ravi du résultat. Mes dents blanches faisaient ressortir l'éclat sombre de mes yeux. Mes cheveux noirs étaient mi-longs et éparpillés en mèches folles autour de mon visage. Je passai la main dedans pour leur donner un semblant de structure mais renonçai vite à cause de leur humidité.
J'étais relativement content de mon corps. Je me savais beau dans le nuage, mais mon enveloppe charnelle sur Terre était différente. J'étais moins...resplendissant. Moins charismatique. Mais, Dieu, mon père m'avait offert un cadeau que je ne pouvais qu'apprécier. Je le remerciai d'une pensée légère comme le vent, fine flèche de reconnaissance.
- Athanios ! Nous sommes en retard ! Dépêche-toi !
- J'arrive, grognai-je, peu enclin à lui obéir.
Finalement, après m'être habillé d'un jean simple et d'une chemise blanche (mon père avait vraiment tout prévu : mon dressing pouvait faire pâlir d'envie n'importe quel addict de la mode), je rejoignis Réam dans la voiture. Il démarra et nous prîmes la direction de l'université.
L'établissement en vue, Réam se gara et nous entrâmes dans la fac. Je n'étais pas spécialement ravi de la visiter mais, encore une fois, je n'avais pas vraiment le choix. Alors je suivis mon 'oncle' et nous arrivâmes jusqu'au bureau de la veille. Madame Lebrun nous attendait, de la paperasse plein les bras.
- Vous voilà ! Bon, vous êtes en retard ! Le groupe est déjà parti. Je vous attendais pour vous guider. Mais, dépêchons-nous, je n'ai pas que ça à faire.
Et elle partit, ne nous laissant même pas le temps de la saluer. Je regardai Réam qui souriait bêtement et lui donnai un coup de coude dans les côtes qui lui arracha une grimace.
- Qu'y a-t-il ?
- Tu as un sourire stupide collé sur le visage depuis que nous sommes entrés. Évite de nous faire passer pour des hurluberlus.
- Je ne peux pas m'empêcher de sourire.
- Alors je continuerai à te donner des coups de coude.
Réam me lança un regard triste avant de rejoindre Madame Lebrun. Je soupirai en les suivant de loin. Cette journée s'annonçait longue, très longue.
Alors que Réam entamait la conversation avec sa conquête, je décidai de m'éloigner pour les laisser profiter et surtout pour éviter d'entendre la mièvrerie qui ne manquerait pas de découler de leur tête-à-tête. Je tournai dans un couloir et commençai ma propre visite. Je passai devant les laboratoires de physique-chimie et à voir certains murs, certaines expériences avaient laissé leurs marques.
Je continuai ma route, observant les quelques tags qui ornaient les portes. J'entrai dans une salle de classe qui devait servir aux études géographiques. Je m'approchai de la carte du monde, étonné de voir autant de frontières, autant de pays. Depuis le nuage, je ne me penchais que rarement au-dessus de la Terre puisque cette planète ne faisait pas partie de mes préoccupations premières. Je traçai du doigt les contours du continent américain observant les capitales. Je remarquai ensuite, une punaise rouge plantée sur la France. Une autre carte était accolée à celle face à moi. La suivante représentait une vue plus générale de ce petit pays. Une nouvelle punaise était fichée dans le département de la Vendée.
Nous étions donc près de la côte, au pays de la baguette et des grenouilles. Certes de vieux clichés mais il s'agissait des stéréotypes les plus connus qui me venaient à l'esprit. Je n'étais pas trop mal tombé. Et il se disait sur le nuage que la gastronomie française faisait des ravages... Je me sentais assez gourmand, surtout depuis que j'avais goûté cette orange et cette pomme qui avaient ravivé un souvenir. Peut-être qu'en croquant dans un croissant, je me rappellerai des bouts de mon passé.
La sensation du souvenir laissait un goût d'une extrême douceur dans mon corps et j'espérai sincèrement revivre ce genre d'émotion.
Je sortis de la salle de classe et continuai ma déambulation dans les couloirs vides. Personne ne venait troubler le bruit de mes pas. J'appréciai cet instant de solitude et de silence. Sur le nuage, nous n'avions que très peu d'intimité et les quelques recoins tranquilles étaient vite pris d'assaut.
Finalement, je poussai une lourde porte en bois et débouchai dans la bibliothèque de l'université. Pas très grande, ni très spacieuse, elle me semblait pourtant très accueillante, à l'image de l'entrée de la faculté. Des fauteuils disposés un peu partout, des chaises et des bureaux, des machines avec un écran et, bien évidemment, des livres de toutes sortes. En rapport avec les études, bien sûr. J'inspirai profondément et l'odeur des vieux livres me ravit.
J'étais toujours devant la porte de la bibliothèque lorsque quelqu'un l'ouvrit assez brusquement, me poussant à terre. C'était la deuxième fois en moins de quarante-huit heures que je me retrouvais au sol. Et cela m'agaçait sérieusement.
- Vous ne pouvez pas faire attention, non ?
La femme qui venait d'entrer me dévisagea d'un air sévère. Ses cheveux blonds étaient ramassés en un chignon strict et pas une mèche n'avait échappé au nuage de laque qu'elle avait dû pulvériser le matin même. C'était une belle femme. Très belle. Tellement qu'elle en paraissait cruelle. La femme me regarda et je me sentis devenir larve sous son regard noir. Puisque je me trouvai à terre, la sensation n'était pas exagérée. Ses yeux, maquillés à outrance, lançaient des éclairs et lorsqu'elle prit la parole, sa voix dénuée d'émotion me glaça plus sûrement que si j'avais sucé un glaçon au fin fond de l'Arctique.
- Vous n'avez strictement rien à faire là. Et je vous prierai de surveiller le ton que vous employez avec moi. Je n'apprécie guère qu'on me crie dessus.
Et sans me laisser le temps de répliquer, elle me contourna et entra dans un petit bureau vitré qui faisait partie de la bibliothèque.
J'en conclus que je venais de me mettre à dos la bibliothécaire... Je me relevai et sans jeter un regard vers la femme, je disparus de son lieu de travail. Je repris mes déambulations toujours énervé contre cette femme. Je poussai quelques portes, descendis plusieurs escaliers et finis par me retrouver dans le restaurant de l'université, à moins que ce ne soit la cafétéria.
J'y aperçu un petit groupe. Je pus discerner Réam qui me fit de grands signes. Je le rejoignis.
- Mais où étais-tu ?
- Aux toilettes.
- Ah... Bon, nous avons visité une bonne partie de l'université. Elle n'est pas très grande, il sera facile de s'y retrouver.
Je notai qu'il avait pris le tic de madame Lebrun mais ne lui en fis pas la remarque. Je regardai les autres personnes présentes : il y avait là six personnes, hormis nous deux. Le président ou proviseur comme disait madame Lebrun, était très certainement cet homme en costume gris, tout endimanché, monsieur Palermo si j'avais bien retenu son nom. A ses côtés, la future conquête de Réam qui nous jetait des coups d'œil fréquents. Les quatre autres personnes devaient être de nouveaux étudiants : trois garçons et une fille. La fille d'hier pour être plus précis. Elle écoutait attentivement le président de l'université et souriait constamment. Elle prenait parfois quelques notes et mordillait le capuchon de son stylo. Elle tourna la tête et m'apercevant, voulut me faire un signe. Ce faisant, elle lâcha ses feuilles de notes qui s'éparpillèrent un peu partout, jusqu'aux pieds de monsieur Palermo.
Elle se précipita, les joues rouges, ramassant ses papiers. Personne ne songea à l'aider vu la vitesse à laquelle elle récupéra ses feuilles. Elle s'excusa, bredouillant d'inaudibles paroles et se recula le plus loin possible du groupe.
- Voilà, j'espère que vous vous plairez dans notre établissement. A la moindre question, n'hésitez pas à me consulter ou à consulter ma collègue Stella. Nous nous ferons un plaisir de vous aider. Je compte sur votre assiduité tout au long de l'année. N'oubliez pas que vous travaillez d'abord pour vous et votre avenir. Je vous souhaite une bonne journée et une bonne année scolaire.
Le président, ou proviseur, s'en alla, nous laissant dans le restaurant de la faculté. Nous allions faire de même lorsque madame Lebrun nous retint :
- Bon, maintenant que vous avez visité notre établissement, je vais récupérer vos fiches d'inscriptions. Je dois mettre vos dossiers à jour.
Après avoir récupéré nos papiers, elle nous quitta en nous indiquant la sortie. Réam parut déçu de ne pas pouvoir rester en sa compagnie mais ne fit aucune remarque et je l'en remerciai intérieurement.
La fille blonde se dirigea vers moi, timidement.
- Salut !
- Salut ! répondis-je.
Réam me tapa sur l'épaule et me laissa avec la fille en me faisant un clin d'œil appuyé. Elle resta à mes côtés attendant sans doute que je prenne la parole mais je n'avais aucune idée de ce dont je pouvais lui parler. Le silence entre nous sembla s'épaissir et je tentai de le briser :
- Tu es tombée aujourd'hui ?
Elle me regarda comme si j'étais un idiot fini puis éclata de rire. Un rire légèrement crispé.
- Non, aujourd'hui, je n'ai que renversé ma tasse de café, trébuché sur un tapis. Je me suis aussi cogné plusieurs fois dans les portes et pour finir, j'ai lâché mes feuilles tout à l'heure.
J'étais assez étonnée qu'elle me raconte tout ça mais apparemment, elle était maladroite de nature alors peut-être que cela faisait ressortir sa naïveté.
Puis, j'eus un déclic. Mais si elle était si maladroite, peut-être était-ce dû à un souci plus profond qu'elle ne le pensait... Peut-être que l'âme esseulée était là sous mes yeux. Peut-être que l'âme avait trouvé sa place ici. Peut-être que ma mission allait bientôt prendre fin. A cette pensée, j'eus un sourire. J'allais garder un œil sur cette fille pour confirmer mes suppositions. J'attendrai un peu avant d'en parler à Réam. Je ne voulais pas lui donner une nouvelle raison de se moquer de moi si j'avais tort.
La jeune fille se dirigea vers la sortie et je la suivis tel un chasseur traquant sa proie. Oh non, je n'allais pas la laisser s'échapper. Malheureusement, elle monta dans la voiture de son père et disparut sans que je puisse en savoir plus sur elle.
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