La folie des incertitudes.

Je tendis la main pour l'aider à se relever, époussetant au passage mes vêtements. Elle continuait de rire, les larmes s'échappant de ses yeux gris et coulant sur ses joues rebondies. Elle rejetait sans cesse ses longs cheveux blonds dans son dos. Je ne comprenais absolument pas l'hilarité de la situation et je sentais que ma patience s'envolait sous les rires sans fin de la fille.

- Bon, vous restez-là à rire ou je vous aide ?, lui demandai-je d'une voix excédée, la main toujours tendue.

Elle s'arrêta pendant une trentaine de secondes, le temps de me fixer avant de repartir dans un fou rire. Réam me rejoignit aussi indécis que moi. Il me chuchota :

- Qu'est-ce qu'il lui arrive ? Elle a mal ?

- Non, elle pleure de rire, Réam, soupirai-je. Et je ne sais pas pourquoi.

Finalement, la jeune fille s'arrêta, reniflant sans la moindre délicatesse et se releva.

- Oh ! Merci !, dit-elle en se tenant les côtes. Ça fait du bien. C'est la troisième fois que je tombe aujourd'hui. Je suis excessivement maladroite, je dois avoir deux pieds gauches. Je préfère en rire, sinon je passerai mon temps à pleurer. Et vu votre tête, heureusement que je n'ai pas pleuré. Et, surtout, vu que vous êtes nouveau, évitez de dire 'bon'. C'est l'expression de Madame LeBrun. Mais vous avez dû le remarquer si vous l'avez rencontrée.

Réam hocha vigoureusement la tête, un grand sourire aux lèvres. Je soupirai de nouveau.

- Je vous laisse, je viens m'inscrire, enfin, me réinscrire. Je venais voir Madame LeBrun. La vie est tellement belle. A bientôt sûrement.

Et avant que je n'aie pu lui dire quoi que ce soit, elle s'engouffra dans le bureau d'accueil en un tourbillon de cheveux blonds. Décidément, les humains me semblaient plus dérangés que je ne le pensais. Je ne savais pas si j'allais tenir un mois à ce train là mais je n'avais malheureusement pas le choix.

- Allons-y Athanios. Autant rentrer, remplir ces papiers et nous reposer pour demain.

J'hochai la tête et le suivit jusqu'à notre tacot. En ouvrant trop vite la portière (côté passager, bien sûr), celle-ci vint cogner la voiture voisine, laissant une grande rayure souriante sur la carrosserie. Comme par hasard, le propriétaire de la dite voiture, était assis au volant. L'homme tourna son visage vers moi. Je m'empressai de m'engouffrer dans l'auto et fermai la portière. Le propriétaire sortit de la sienne et vint toquer à ma fenêtre. Réam qui n'avait rien vu et était assis au volant, se pencha par-dessus mes jambes et ouvrit ma fenêtre.

- Non ! Réam !, criai-je. Démarre.

- Qu'est-ce que tu racontes ?, me demanda-t-il. Puis ajoutant, à l'intention de l'homme : Oui, monsieur ? En quoi puis-je vous aider ?

L'homme, grand et baraqué, aux cheveux châtain, regarda Réam de ses yeux bleu profondément cernés et lui sourit franchement :

- Vous n'auriez pas vu ma fille ? Elle vient s'inscrire, enfin se réinscrire à la fac. C'est tellement incroyable ! Ma fille va faire des études. Je suis si fier d'elle. Vous avez dû la rencontrer, une magnifique blonde, pas très grande... Enfin, bref, je ne vous embête pas plus longtemps. Bonne journée messieurs.

Et sans plus de cérémonie, il remonta dans sa voiture. Ce faisant, il ferma sa portière avant d'avoir rentré son pied à l'intérieur. Après une légère grimace, il claqua la porte et entreprit de pianoter sur le volant, un grand sourire aux lèvres. Je regardai Réam, ne comprenant décidément rien à ces humains. Cela me fatiguait et je n'imaginai pas une seconde me mettre à leur place dans leur petite vie si misérable, si routinière, si inintéressante. Réam dû sentir mon désarroi car il tenta de me tranquilliser :

- Allez, Athanios. Un mois ce n'est pas grand-chose. Le temps passe vite, tu verras.

- Sans toi, je serais chez moi, là-haut, lui répondis-je d'un ton hargneux. Pas ici, dans ce corps pitoyable, dans cette voiture ridicule, dans cette ville miséreuse, avec ces gens tous plus stupides les uns que les autres. Alors, épargne-moi tes paroles réconfortantes et ramène-moi chez nous.

Réam resta silencieux quelques secondes, un air interrogateur dans le regard. Je levai les yeux au ciel.

- Réam, quand je dis chez nous, c'est dans notre maison, dans cette ville. Seul Dieu peut nous ramener dans notre vrai chez nous.

- Ah ! Excuse-moi ! Tu n'es pas facile à comprendre parfois, alors... Et ton corps n'est pas si moche. Je pense que tu devrais profiter de cette mission pour découvrir, enfin redécouvrir, les plaisirs de la vie.

- Quels plaisirs de la vie ?, demandai-je, curieux.

- Enfin, Athanios ! Je ne vais pas te faire un dessin non plus. Les filles, ou les hommes si tu as une préférence, l'amitié, l'amour... J'ai bien l'intention de faire la cour à madame LeBrun, avant de rentrer chez nous.

Je rougis légèrement, honteux de ne pas avoir compris les sous-entendus de Réam. Certes, mon âme a mille ans, j'ai dû connaître les plaisirs de la vie mais je n'en n'avais aucun souvenir. Je voulus changer de sujet espérant détourner Réam de ses pensées pour madame LeBrun. Mais impossible de l'arrêter. Il continua durant tout le trajet à blablater sur la beauté de la femme, ses yeux pétillants de bonheur. Écœuré par tant de mièvrerie, je regardai par la fenêtre, laissant mes propres pensées vaguer au gré de leurs envies.

Et je fus surpris lorsque mon esprit, pourtant brillant, se focalisa sur l'image d'une blonde aux yeux gris.

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