L'erreur est humaine.

J'ai failli à ma tâche. Une des premières que l'on m'ait confiée. Dieu, mon père, a décidé, un jour, que je devais aider les effaceurs.

Il voulait que je comprenne le fonctionnement de tout le pays. Je devais donc participer aux tâches ingrates afin de mieux gouverner plus tard.

J'ai tout d'abord intégré l'unité des trieurs, chargés de dispatcher les âmes arrivantes dans les différents recoins de l'Enfer.

Puis, l'unité des concepteurs a eu l'immense honneur de disposer de ma présence. Nous avons développé des secteurs pour la création des nouvelles âmes. Ce fut extrêmement complexe. J'ai cru que la difficulté résiderait dans le fait de créer une âme. Mais, non. Le plus dur fut de maintenir la petite flamme, fragile et fascinante, de l'âme, allumée.

Ensuite, j'ai rejoint l'unité des compteurs. L'unité la moins intéressante à mes yeux. La plus ennuyante. Il faut compter, compter et compter. Combien d'âmes arrivent, combien partent. Combien restent et combien choisissent la dissolution. Bref, une histoire de chiffres pas très intéressante.

Et ma dernière mission était donc l'unité des effaceurs. La tâche à exécuter reste assez simple. Les trieurs nous envoient certaines âmes qui vont retourner sur la Terre afin de poursuivre leur office. Mais, avant le grand retour, il faut bien évidemment effacer tous les souvenirs de l'âme.

Dieu, mon père, m'a expliqué qu'au début, ils renvoyaient les âmes avec leur mémoire avant de se rendre compte de leur erreur. Les humains, dont l'âme possédait encore ses souvenirs de sa vie précédente, devenaient fous. Totalement et irrémédiablement fous.

Alors, mon père a décidé de retirer tous les souvenirs des âmes. L'unité des arracheurs a donc été créée. Mais, le résultat fut catastrophique. Les âmes sans souvenirs mouraient plus vite et revenaient au pays de Dieu en masse. Ils ont fini par comprendre qu'ils devaient simplement effacer les souvenirs. La mémoire restait là, au fond de l'âme, mais inaccessible. Ainsi, l'âme conservait son intégrité et rien ne lui était arraché.

Cela a fonctionné. Les effaceurs ont donc remplacés les arracheurs et tout est rentré dans l'ordre. Comme quoi, même au pays de Dieu, les bévues existent.

Ces premières activités ne m'ont pas particulièrement enchanté. Tout ce qui m'intéresse, c'est de gouverner. Ce qui m'intéressait. Même si, aujourd'hui, je ne dirais pas non au trône, ce n'est plus mon but premier. J'ai effectué ces besognes sans rechigner, écoutant les conseils des dieux mineurs afin d'en finir au plus vite. Après quelques...maladresses, je pouvais diriger les âmes, les créer et les compter.

Il ne me restait plus qu'à intégrer l'unité des effaceurs pour finir les premières tâches confiées par Dieu, mon père. Je savais qu'il y en aurait d'autres, afin que Dieu puisse me voir accomplir toutes les corvées possibles et constater ma résistance et mon self-control lorsque je me sentais bouillir intérieurement face aux remarques des dieux mineurs.

Lorsque j'ai commencé dans l'unité des effaceurs, j'étais déjà à bout. Je l'avoue, toutes les petites réflexions, bienveillantes ou non, des dieux mineurs, avaient mis mes nerfs à rude épreuve. Cela ne m'excuse en rien. J'essaye juste de restituer ma faute.

Dès le début, j'ai senti que cette besogne ne serait pas de tout repos. Les âmes sont libres et vont et viennent à travers l'Enfer, dérivant joyeusement dans les courants de feu. Il faut donc les faire venir jusqu'à nous afin de pouvoir atteindre leurs souvenirs. L'effaceur censé m'aider dans ma tâche, me guida pour que je puisse mener à bien mon premier effacement.

- Appelle l'âme que tu veux effacer. Concentre-toi sur elle et elle devrait normalement venir si tu l'appelles.

C'est ainsi que je me fixai sur une âme particulièrement brillante à mes yeux. Sa lumière bleutée pulsait lentement, comme un doux battement de cœur. Je me concentrai sur elle, envoyant des pensées positives et l'appelant doucement :

- Viens là ! Viens à moi ! Viens petite âme ! Approche !

Mais l'âme ne semblait pas vouloir me rejoindre. Elle restait hors de portée, voguant paisiblement sur les brumes fumantes.

- Viens, ici ! Allez ! Bouge-toi un peu !

Je ne suis pas réputé pour ma patience et là, je commençais à m'échauffer sérieusement, surtout que l'âme ne paraissait pas faire cas de mes appels.

- Mais viens ! Viens par là que je t'attrape ! Allez !

C'est à ce moment-là que j'entendis les rires. Me retournant, j'aperçus une dizaine de dieux mineurs, tous pliés en deux, rigolant à qui mieux mieux. Je comprenais à présent pourquoi l'âme ne bougeait pas d'un iota. Le dieu mineur s'était bien moqué de moi. Je le distinguais, caché derrière les autres. Il croisa mon regard glacial et stoppa son rire. Il se rendit compte qu'il n'aurait pas dû faire ça. Surtout à moi.

Je m'approchai doucement de lui, repoussant les autres qui petit à petit se calmèrent, sentant que la situation venait d'évoluer, au grand dam du dieu mineur plaisantin.

- Comment t'appelles-tu ?, lui demandai-je de ma voix grave et dure. Quel est ton nom, misérable ?

- Dieu Réam, grand dieu. Je vous présente mes plus plates excuses pour ce qui vient de se passer. Cela ne se reproduira plus.

Réam me supplia du regard. Ma réputation n'était plus à faire et tous connaissaient mes sautes d'humeur.

- Très bien, Dieu Réam. J'accepte vos excuses. Veuillez me montrer la suite des événements, que je puisse en finir au plus vite avec cette unité de farceurs.

Je lui offris mon plus beau sourire, même si mon corps semblait cuire de l'intérieur. Je n'avais qu'une envie, envoyer ce beau-parleur dans le plus sombre des recoins de l'Enfer et lui faire passer sa soif de plaisanterie. Mais, je réussis à prendre sur moi, m'employant à ne rien laisser paraître. Cela fonctionna, car Réam me regarda d'un air incrédule. Il hésita sur la conduite à tenir, mais voyant que je ne faisais pas mine de l'empoigner et de lui en coller une, il se reprit :

- Merci, grand Dieu Athanios pour votre mansuétude. Je vais vous montrer comment attraper les âmes.

Ce faisant, il se tourna vers l'âme que j'avais tenté, en vain, d'attirer vers moi. Réam tendit le bras devant lui et claqua des doigts. L'âme s'arrêta de voguer de-ci, de-là, et vint se poser délicatement dans la main du dieu mineur.

Un claquement de doigts. Juste ça. Effectivement, j'aurais pu attendre longtemps avant que l'âme ne vienne à moi.

Je jetai un coup d'œil à Réam. Un léger sourire flottait sur ses lèvres. Fierté ? Joie ? Moquerie ? Je ne saurais dire. Toujours est-il que ma patience atteignait les zéro degrés. Je tentai de garder mon calme et au prix d'un immense effort, je lui demandai d'une voix presque calme:

- Et après ? Qu'est-ce qui se passe ? Comment s'effacent les souvenirs ?

- Et bien, il faut faire très attention. Une fois que vous lâchez l'âme, celle-ci retourne sur Terre directement. Alors tenez-la bien. Fermement. Pour atteindre la mémoire de l'âme, il faut presser délicatement le centre, doucement, jusqu'à ce que l'éclat central devienne blanc. Une fois cela fait, vous pourrez la relâcher et elle partira d'elle-même. C'est tout.

- Montrez-moi, ordonnai-je, je ne veux pas me... tromper à nouveau.

J'insistai sur la fin de ma phrase, afin de bien faire comprendre à ce facétieux Réam, que je n'accepterais pas une autre plaisanterie du même acabit. Celui-ci dû comprendre le sous-entendu puisqu'il éleva l'âme face à ses yeux et de sa main libre, il y entra progressivement jusqu'à atteindre le centre lumineux de l'âme. Puis, méticuleusement, il pressa la douce lueur bleutée. Il appuya, de plus en plus fort, au point que la lumière finisse par devenir d'un blanc laiteux. Après ce changement de couleur, Réam retira sa main et relâcha l'âme dans les courants enflammés de l'Enfer. Celle-ci s'élança joyeusement et disparut aux yeux des dieux.

Rien de bien compliqué pour moi.

- C'est à vous grand dieu Athanios, je serai là s'il y a le moindre problème.

Je le regardai d'un air dubitatif et me tournai vers une nouvelle âme, relativement proche de moi. Sa couleur était d'un jaune puissant et me faisait penser à une petite boule de feu. Je claquai des doigts, prêt à recevoir l'âme au creux de ma main. Elle s'approcha doucement, hésita, s'arrêta puis, finalement, se posa sur ma paume ouverte.

Très délicatement, je répétai les mêmes gestes que mon précepteur. Je pinçai l'éclat de l'âme, doucement et juste avant qu'il ne devienne blanc, je lâchai l'âme qui s'envola avant de s'évanouir dans la vapeur fumante.

Content de ma vengeance, je lançai un regard triomphant à Réam qui me contempla, stupéfait et horrifié.

- Mais... Mais qu'avez-vous fait ? Miséricorde ! Vous ne vous rendez pas compte ?

- Une douce vengeance, mon cher. J'espère que vous l'appréciez à sa juste valeur.

- Une douce vengeance ?!, explosa Réam. Vous n'avez aucune idée de ce que vous venez d'imposer à cette pauvre âme, ma parole !

- Non, aucune. Et cela ne m'intéresse pas. Après tout, vous ne m'avez pas vraiment expliqué comment procéder afin d'effacer les souvenirs de cette âme. Je pense que mon père, Dieu, n'appréciera pas que vous laissiez son fils se débrouiller seul. Surtout lorsqu'il s'agit des souvenirs d'âmes.

Ma parole contre la sienne. Il avait voulu jouer à mon encontre et maintenant, il devait faire face à un énorme problème.

- Je ne comprends pas, je me suis excusé, pleurnicha Réam. Ce n'était qu'une petite blague, rien de méchant.

- Vous moquer de moi à mes dépens, vous appelez cela rien de méchant ? Laissez-moi vous expliquer, une dernière fois avant que mon père ne vous châtie, JE suis le fils de Dieu. Vous me devez respect et soumission. Je vous suis supérieur et rien de ce que vous pourrez dire ne m'atteindra car je suis irrépréhensible.

Dans ma voix résonnait le triomphe et l'orgueil. J'allais faire un exemple de ce misérable Réam et ainsi, je pourrai continuer les besognes confiées par Dieu, sans être gêné par ces miséreux.

Et, sur ces entrefaites, mon père, Dieu, arriva.

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