Chapitre 8


   Blandine observa le tracteur s'éloigner puis jeta un coup d'œil autour d'elle. Elle était revenue à la grande plaine près du petit pont. Les trois filles qu'elle avait abordé plus tôt étaient toujours là et elles gloussèrent en l'apercevant, elle et son gâteau.

   Blandine, épuisée par toutes ces moqueries se dirigea d'un pas lent vers un banc installé à sa droite. Elle y déposa sa tarte avant de s'y assoir. Puis elle expira fortement, à bout de force, et ses yeux se posèrent sur un morceau de verre brisé sur le sol. D'une main tremblante, elle le ramassa et l'amena à son visage.

   Pour la première fois, elle discerna son reflet. Elle avait des yeux ronds et ternes, une peau blanchâtre recouverte d'un mélange de farine, de boue et de poussière. Ses épais cheveux étaient tout crasseux et ébouriffés. Les autres filles avaient raison. Elle était loin d'être un modèle de beauté. Certainement était-ce cette laideur qui lui avait valu l'animosité des villageois.

   Absorbée par cette vision d'épouvante, Blandine n'aperçut pas le jeune homme qui sortit des champs à vive allure. C'était Gaston.

   Il ignora les trois cadettes du tailleur qui lui faisaient des signes de la main en se dandinant et ne tarda pas à poser les yeux sur Blandine.

   Il fut immédiatement soulagé de l'avoir enfin retrouvée et s'approcha avec précaution. Et si ce n'était qu'une illusion, prête à partir en fumée à tout moment ?

   Gaston vint s'accroupir devant Blandine. La jeune fille sursauta et le bout de verre tomba à ses pieds. D'abord amusé par cette réaction, le sourire de Gaston s'effaça quand il remarqua les yeux embués de la petite pâtissière.

« Gaston ? dit-elle en ouvrant des yeux ronds d'étonnement. Je veux dire, Monsieur. Vous n'êtes pas parti pour la ville ?

— Appelez-moi Gaston, répondit-il avec un sourire doux. J'étais bien sur le point de partir mais j'ai entendu dire que vous me cherchiez. »

   La demoiselle se sentit tout à coup terriblement gênée. Pourquoi était-elle venue ? Tout cela n'avait été qu'une idée stupide. Elle s'empara de son dessert et se leva en bégayant des excuses.

   Gaston resta étonné de sa réaction un bon moment avant de la rattraper. Il lui barra la route devant le pont et Blandine fut contrainte de s'arrêter. Cependant, elle baissa la tête pour cacher sa laideur.

« Qu'est-ce ? demanda Gaston en désignant le gâteau couvert d'un chiffon que Blandine serrait précieusement contre elle. Auriez-vous enfin réussi à cuisiner ce gâteau parfait ? »

« C'est que... » commença Blandine, confuse.

   Mais elle fut incapable de trouver une excuse valable et Gaston profita de son désarroi pour s'accaparer sans gêne la pâtisserie. Il dénoua le chiffon avec appréhension. À quoi pouvait bien ressembler ce gâteau parfait ?

    Le dénommé Gaston resta abasourdi. Devant lui se trouvait une tarte au citron alléchante recouverte d'une crème onctueuse. Un prénom accompagné d'un cœur était inscrit en chocolat sur le dessus. Son prénom.

    Blandine ne tarda cependant pas à reprendre ses esprits. Honteuse, elle arracha le dessert des mains de Gaston avec la ferme intention de s'enfuir. Seulement, dans sa précipitation, elle trébucha sur le chemin pavé et le gâteau lui échappa.

    Gaston eut le réflexe de retenir Blandine pour l'empêcher de chuter. Malheureusement, la tarte de Blandine n'eut pas autant de chance. Malgré les efforts de la jeune fille pour maintenir cette pièce unique en bon état et tous les obstacles endurés sur le chemin, son gâteau parfait vint s'étaler sur son visage.

   Blandine était livide. Et pourtant, Gaston se mit à rire. Il passa deux doigts sur la joue de la pâtissière puis porta ce qui restait de la tarte à sa bouche.

« C'est vraiment le gâteau parfait, sourit-il.

— Non, pas du tout ! s'exclama Blandine au bord des larmes. Il est ruiné !

— Ruiné ou pas, je n'ai jamais rien goûté de si délicieux. »

   Blandine observa avec curiosité Gaston tremper son doigt dans la crème qui pendait sur sa joue.

« Monsieur ! s'écria-t-elle avant de tourner la tête, rouge de gêne.

— Vous comptez appeler votre âme-sœur Monsieur ? » la taquina-t-il.

   Blandine ne s'était jamais sentie aussi embarrassée. Et cela ne fit qu'empirer quand elle remarqua que les trois filles la pointaient du doigt en ricanant. Elle devait être horrible à voir avec du glaçage citronné sur tout le visage.

    Décidée à fuir cette situation inconfortable, Blandine contourna Gaston et longea la rivière en direction du pont. Elle n'eut même pas le temps d'atteindre celui-ci qu'elle glissa sur le sol boueux qui bordait l'eau. Blandine s'étala de tout son long dans la boue et pria pour que tout cela ne soit qu'un mauvais rêve.

« Ne me regardez pas ! s'exclama-t-elle quand Gaston s'approcha pour vérifier qu'elle ne s'était pas fait mal.

— Ma chère Blandine, sourit Gaston. C'est trop difficile de ne pas vous regarder. »

   Il l'invita doucement à relever le visage et laissa échapper un rire en la voyant ainsi couverte de boue. Blandine voulut se cacher à nouveau mais Gaston passa ses doigts sur son front. Puis il les déposa sur son propre museau, y laissant de larges traits marron.

   Gaston espérait ainsi montrer à la pauvre Blandine qu'il se fichait bien qu'elle ait l'air ridicule et que son rire n'était pas méchant. La pâtissière comprit son geste et riposta sans attendre. Elle referma sa main sur une bonne poignée de boue qu'elle jeta allègrement au visage du beau paysan.

   Les trois filles qui observaient avec attention la scène s'approchèrent discrètement en voyant Gaston et Blandine disparaître sous le pont. Quelle fut leur surprise de retrouver le fameux Gaston en train de jouer dans la boue avec cette villageoise minable.

« Regardez ce qu'elle a fait à notre Gaston ! se plaignit la plus jeune des sœurs. C'est répugnant ! »

   Un projectile gluant la frôla et elle s'écarta avec dégoût. Ce fut donc sa sœur qui se prit la terre visqueuse en pleine face. Ses cris hystériques éveillèrent l'attention de Gaston qui ne manqua pas de rire, faisant déguerpir les trois sœurs mortes de honte.

   Gaston n'avait jamais été aussi heureux qu'en cet instant. Qui aurait cru qu'à son âge il pourrait encore goûter à la joie de s'amuser dans la boue ?

   Il regarda Blandine qui était devenue marron de la tête aux pieds. Sans doute devait-il être dans le même état qu'elle. Ils marchèrent alors jusqu'à la rivière pour rincer la terre de leurs habits et leurs cheveux. Ils ne s'y attardèrent pas bien longtemps car l'eau n'était pas très chaude.

   Gaston serra alors Blandine contre lui pour laréchauffer et luis pressa le pas en direction de plusieurs petites maisons àl'entrée du village. L'une d'elle avait un écriteau en bois sur lequel étaitgravé le mot « Tailleur » et ce fut précisément dans cette demeure que Gaston les fit entrer.

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