Chapitre 6


« Je ne peux pas aller plus loin, annonça le fermier en arrêtant son tracteur devant une étendue d'herbe bien verte. Il faudra continuer à pied. Votre Gaston habite dans le vieux quartier pavé. »

   Blandine acquiesça et remercia le vieil homme avant de reprendre son chemin à travers l'herbe fraîche. Bientôt la verdure s'estompa pour laisser place à de la terre compacte. Elle comprit qu'elle était arrivée au cœur du village en voyant le nombre de passants qui s'agitaient dans un sens ou dans l'autre.

   Il y avait une grande place avec une fontaine au milieu, beaucoup plus élégante que celle de Bonbourg. Tout autour de la fontaine se trouvaient des pavés de pierre qui débouchaient sur une grande allée dallée. Blandine la suivit et le brouhaha de la place devint lointain. Elle se retrouva dans un petit rassemblement de maisons entourées de mur de pierres.

   Blandine regarda autour d'elle. Quelle maison était celle de Gaston ? A qui demander ? Elle songea à revenir sur ses pas en espérant que quelqu'un aurait une réponse à sa question mais elle n'eut pas besoin de faire quoi que ce soit. Quelqu'un s'avançait déjà dans sa direction.

   C'était une femme plutôt élégamment vêtue, peut-être trop pour une campagnarde. Elle marchait d'un pas rapide, tenant entre ses mains une boite ronde, et passa devant Blandine en l'ignorant complètement. La jeune femme tenta alors une approche.

« Excusez-moi.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle visiblement dérangée.

— Je cherche la maison de Gaston. J'ai un gâteau pour lui. »

   La femme la jaugea de haut en bas d'un air méfiant.

« Il se trouve que je suis sa tante. Je vais me charger de ce gâteau si vous voulez bien. »

   Blandine eut un geste de recul et baissa la tête.

« C'est-à-dire que, je préfèrerais lui offrir en main propres.

— Oh, vous n'êtes pas au courant ? fit-elle d'un air faussement désolé. Gaston est parti pour la ville afin de se trouver une femme. »

   À ces mots, Blandine fronça les sourcils. Alors il était parti. C'est pour cela qu'il ne venait plus lui rendre visite. Pourquoi n'était-il pas venu lui dire au revoir ?

   Devant la mine attristée de Blandine, la tante cacha son contentement. Elle regarda silencieusement la jeune pâtissière s'éloigner quand une voiture noire aux chevaux blancs comme la neige fit son entrée dans la rue. Elle croisa le chemin de la petite brune et s'arrêta devant la maison. L'étrangeté de l'évènement n'éveilla pas pour autant l'esprit de Blandine.

Au même instant, la porte de la maison s'ouvrit. Gaston, ayant vu depuis sa fenêtre sa tante discuter avec quelqu'un caché derrière le mur de pierres, s'était laissé emporter par la curiosité.

« À qui parlais-tu ?

— Personne d'intéressant mais la voiture est là. Tes bagages sont faits ? »

   La tante de Gaston s'impatienta tandis que le garçon s'emparait de ses affaires. Il plaça sa valise à l'intérieur du véhicule et leva un regard morne sur la rue qu'il connaissait si bien. Elle était déserte.



   Soudain, Blandine s'arrêta. De tels carrosses étaient faits pour les longs trajets, pas pour circuler dans le village. Curieuse, elle revint sur ses pas et aperçu la femme de tout à l'heure se tenir devant la voiture. Elle discutait avec la personne qui se trouvait à l'intérieur.

   Pendant un instant, Blandine espéra que c'était Gaston qui revenait de la ville et qu'il allait sortir d'un moment à l'autre mais personne ne sortit. Non, le carrosse ne revenait pas. Il partait.

   Déçue, Blandine soupira. Elle se sentait bête d'avoir pu croire une telle chose. La tante remarqua la présence de l'intruse non loin et claqua la porte du véhicule sans plus attendre.

« Allez-y, ordonna-t-elle au cocher. Et ne vous arrêtez sous aucun prétexte. »

   Le carrosse démarra sous le hennissement des chevaux. Gaston n'eut pas le temps de questionner sa tante sur son comportement soudain qu'il se trouvait déjà à quelques mètres d'elle. C'est alors qu'il aperçut une petite silhouette à l'autre bout de l'allée. Son cœur fit un bon dans sa poitrine quand il crut reconnaître les longs cheveux bruns qui volaient derrière elle. Puis la voiture tourna à l'angle de la rue et il la perdit de vue.

« Arrêtez-vous ! s'écria-t-il aussitôt.

— Mais votre tante...

— Je vous ordonne de vous arrêter ! s'énerva Gaston. »

   Le cocher ne l'écouta pas, ayant bien plus peur de la revanche de la femme plutôt que de celle de Gaston. Ce dernier n'hésita pas une seconde. Il ouvrit la porte du carrosse pour sauter sous les yeux ébahis du conducteur. Puis il se releva péniblement et se mit à courir en sens inverse, espérant à tout prix ne pas avoir rêvé.

   D'abord intriguée, Blandine devint inquiète face à la réaction de la tante. Pourquoi souhaitait-elle tellement que la voiture parte aussi vite ?

   Sa première pensée fut que c'était un secret qui ne la regardait pas. Mais en voyant le regard méprisant que lui lança la femme, le cœur de Blandine se mit à battre plus fort. Le nom de Gaston lui frôla les lèvres et elle se mit à observer le carrosse s'éloigner sans bouger, avant de se mettre à marcher à toute allure.

   Quand le véhicule tourna, elle crut apercevoir à travers la vitre un visage pâle aux cheveux sombres et bien peignés.

« Gaston ! s'exclama-t-elle en commençant à courir. »

   Mais cela ne servait à rien. Il était déjà loin et elle arrivait seulement au niveau de la tante au sourire moqueur.

« Petite sotte ! Retourne chez toi, mon neveu vaut beaucoup mieux qu'une pauvre petite pâtissière. »

   Et sur ce, elle lui tourna le dos pour rentrer dans sa demeure. Blandine sentit ses forces lâcher et dut s'asseoir pour ne pas tomber. Elle se recroquevilla sur elle-même et observa son gâteau avec des yeux humides.

« Je voulais juste lui offrir ce gâteau, dit-elle d'une voix presque inaudible qui se brisa. C'est tout. »

   Le cerveau de Gaston, lui, bouillonnait. Le garçon comprenait enfin à qui parlait sa tante un peu plus tôt. Gaston connaissait la cruauté de sa tante et s'inquiéta pour Blandine. Que lui avait-elle dit pour la repousser ? Était-elle seulement encore là ou sa tante avait-elle réussit à la faire fuir ? Il serait bientôt fixé.

   Gaston tourna dans la rue qu'il connaissait tant et s'arrêta de respirer. Personne. Avait-il rêvé ? Après tout, pourquoi Blandine aurait-elle été dans sa rue ? Elle ne savait pas où c'était. Sans oublier qu'elle devait être bien trop occupée à offrir son gâteau parfait à son âme sœur.

Les bras ballants, Gaston s'apprêta à retourner tranquillement vers la voiture qu'il avait abandonné quand quelque chose attira son attention. Sa tante l'observait discrètement depuis la fenêtre de sa chambre. Si ce qu'il avait vu était bien une illusion, pourquoi avait-elle été aussi pressée ? Et pourquoi continuait-elle de le surveiller ainsi ? Clairement, elle voulait s'assurer que son neveu retournerait sagement au carrosse en pensant avoir rêvé.

   Sentant une nouvelle force l'envahir à cette révélation, Gaston se mit soudain à courir pour traverser la longue rue le plus vite possible. Il ne prit pas le temps de jeter un œil à sa tante. Mais il put facilement s'imaginer sa réaction outrée et sourit. Il se sentait plus libre que jamais.

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