Chapitre 10


   L'hiver commença à approcher et le père de Blandine rentra chez lui après une saison de vente catastrophique. De nouveaux concurrents s'étaient installés en ville et il n'avait réussi à vendre que la moitié de son stock. Il franchit l'entrée de Belleville à l'aube avant de finalement arriver à Bonbourg et ne manqua pas de remarquer la boutique de pâtisserie remise à neuf.

   Le soleil s'était montré en entier quand le père de Blandine passa le pas de la porte. Il avait hâte de féliciter sa fille pour son initiative et décida d'aller la réveiller sans attendre. Il n'allait pas tarder à se raidir devant ce qui l'attendait.

   Avec l'arrivée imminente de l'hiver, les nuits se faisaient de plus en plus froides. Dormir dans le salon, comme Gaston l'avait fait jusque-là, devint alors fort inconfortable. Blandine eut pitié du pauvre Gaston et, cette nuit-là, elle l'invita à dormir dans sa chambre qui était mieux isolée du froid.

   Gaston s'était rapidement endormi au pied du lit, imaginant le délice que cela serait quand il se réveillerait pour voir la belle pâtissière endormie non loin de lui. Mais il n'avait certainement pas imaginé qu'il serait réveillé par le père de celle-ci.

   Furieux de voir un inconnu dormir si près de la couche de sa fille, le père de Blandine attrapa le garçon par l'oreille et le tira sur ses pieds. Gaston se débattit et aurait riposté si Blandine ne s'était pas soudain exclamée :

« Père !

— Comment oses-tu entrer dans la chambre de ma fille espèce de vermine ! s'écria le père qui tenait toujours Gaston par l'oreille.

— Ce n'est pas ce que vous croyez, Monsieur.

— Père, je t'en prie, laisse-le.

   Le père observa sa fille d'un air curieux. Puis, remarquant sa détresse, il relâcha sa prise sur l'homme. Gaston prit le temps de se remettre de ses émotions avant de se présenter convenablement.

— Je suis Gaston de Belleville, fils de Willy le bûcheron. C'est un honneur pour moi de vous rencontrer enfin, Monsieur. J'espérais pouvoir vous demander la main de votre fille dès votre retour mais je crains n'avoir pas réussi à faire bonne impression.

— Gaston ? J'ai déjà entendu parler de toi en passant par Belleville. J'ai entendu dire que tu as abandonné ta tante, celle qui t'a élevé, logé et nourri pendant toutes ces années. Je ne suis pas sûr que tu mérites la main de ma Blandine.

— Ma tante voulait que je m'en aille pour la ville, Monsieur. Mais j'ai décidé de rester pour votre fille.

— Et je peux savoir pourquoi tu te trouves dans la chambre de ma fille ?

— Je lui ai dit de venir, intervint Blandine. Je ne voulais pas qu'il tombe malade en dormant dans le salon. S'il te plaît, ne le renvois pas de la maison. »

   Elle continua à argumenter, racontant comment Gaston l'avait approchée alors que tout le monde l'évitait et comment il l'avait aidée à faire revivre la boutique.

   Le père s'accorda un moment de réflexion avant d'acquiescer. Sa fille ne lui avait jamais rien demandé, elle avait toujours fait ce qu'il lui disait de faire, alors comment pouvait-il lui refuser sa toute première requête ?

— Merci beaucoup de votre générosité, Monsieur, prononça Gaston en s'inclinant. Je vous suis tellement reconnaissant. Mais vous revenez d'un long voyage ! Vous devriez vous reposer. Je vais m'occuper de vos chevaux. »

   Gaston fit de son mieux pour obtenir les bonnes grâces du père de Blandine. Il se rendit utile et fit tout le travail qu'il lui donnait. Il évita aussi tout contact physique avec Blandine pour lui prouver sa bonne foi.



   L'hiver passa ainsi mais le père de Blandine ne montrait toujours aucun signe d'accord ou d'éventualité d'un mariage, au grand damne de Gaston.

   Cependant, alors qu'ils dinaient tous les trois, la veille de son départ pour la ville, le père lança enfin le sujet.

« Tu veux toujours épouser ma fille ? demanda-t-il.

— C'est mon vœux le plus cher ! répondit immédiatement Gaston.

— Je vais t'accorder une chance de prouver la sincérité de tes sentiments : pars à la ville à ma place. Si tu veux toujours la main de ma fille à ton retour, je te l'accorderais. »

   Sa proposition laissa les deux amoureux alarmés à la simple pensée de devoir se séparer pendant plusieurs mois. Blandine voulut faire comprendre à son père qu'une telle décision n'était pas nécessaire mais Gaston lui coupa la parole d'un « C'est d'accord » déterminé.

« Comment ? s'exclama Blandine.

— J'irais vous remplacer à la ville si c'est ce que vous désirez. Sachez que je ferais tout pour avoir la chance d'épouser votre fille, Monsieur. »

   Le lendemain, les deux hommes chargèrent la carriole et attelèrent les chevaux tandis que Blandine prépara le déjeuner de Gaston qu'elle emballa soigneusement. Le jeune homme était fin prêt à se mettre en route et la pâtissière lui offrit son repas avec les larmes aux yeux.

« Soyez prudent, lui souffla-t-elle à demi-mot.

— Je le serais, ne vous en faites pas pour moi. »

   Elle éclata alors en sanglot et se réfugia dans ses bras.

« Vous allez me manquer, renifla-t-elle.

— Vous aussi, ma chère Blandine, vous allez me manquer... »

   Blandine se recula pour admirer le visage de Gaston. Ses beaux yeux marrons étaient humides eux aussi et ses lèvres s'étendaient en un sourire forcé. Il l'embrassa sur le sommet du crâne puis se mit en scelle.

   De retour près de son père, Blandine regarda le chariot descendre la colline. Elle sentit son cœur se serrer à cette vue.

« Père, je sais que ce n'est pas le moment, que vous n'avez pas encore approuvé Monsieur Gaston mais serait-il possible que nous échangions un baiser avant qu'il ne parte ?

— Un baiser ? Tu sais très bien que je ne peux pas l'autoriser ! s'offusqua le vieil homme. Je rentre, tu ferais mieux de courir. »

   Il se dirigea sans attendre vers la maison et un sourire se plaqua sur le visage de Blandine quand elle comprit ce qu'il venait de dire. Elle se mit alors à courir vers Gaston en lui criant de s'arrêter.

   Le garçon, qui s'efforçait de regarder droit devant lui pour ne pas se laisser emporter par les sentiments, s'arrêta net quand il entendit la voix de sa chère et tendre. Il descendit de sa monture en la voyant accourir vers lui.

« Qu'y a-t-il ? s'affola-t-il.

— Cela ne me dérangerait pas, lui avoua Blandine avec un sourire timide.

— Quoi donc ?

— Que vous en goûtiez un bout, cela ne me dérangerait pas, répondit-elle en sentant ses joues s'enflammer.

— Oh Blandine, ne me tentez pas comme cela ! Votre père nous regarde et je mourrais si jamais il décidait de ne pas m'offrir votre main. »

   Mais Gaston leva les yeux en direction du haut de la colline, le père de Blandine n'était nulle part en vue. Il dévisagea alors la petite pâtissière et son regard se posa sur ses lèvres roses.

   Alors qu'il hésitait encore Blandine se leva sur la pointe des pieds et, le cœur battant, apposa ses lèvres sur celles du garçon. D'abord étonné, Gaston ne tarda pas à enlacer sa pâtissière contre lui et répondit à son baiser maladroit par un autre, plus tendre.

« Tu m'attendras ? » demanda-t-il ensuite.

   Elle hocha la tête et il sourit avant de reprendre sa route, comme sur un nuage.

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