Chapitre 1
Il était une fois, dans le paisible petit village de Bonbourg, une jeune fille discrète et naïve du nom de Blandine. Sa mère, la pâtissière du village, avait été tuée par la terrible épidémie qui avait frappé quelques mois auparavant, laissant Blandine seule avec son père. Comme celui-ci était marchand, il partait souvent pendant des mois pour faire ses livraisons ou recharger ses stocks. Blandine vivait donc seule la plupart du temps.
Au premier abord, Blandine ne semblait pas différente des autres filles de son âge : elle était allée à l'école, avait participé à toutes les fêtes du village et avait même aidé sa mère dans son travail.
Cependant, depuis la mort de celle-ci, elle passait ses journées et ses nuits enfermée dans sa cuisine sans que jamais rien n'en sorte. Elle ne quittait la maison que pour aller au marché et emplir son panier d'œufs frais, de farine et de lait.
Tous les habitants commençaient à se poser des questions. Son comportement étrange fit rapidement le tour du village et des rumeurs en tout genre commencèrent à circuler. Désormais, les villageois ne pouvaient s'empêcher de changer de chemin lorsqu'ils la croisaient ou de faire des détours pour éviter de passer devant sa maison. Quelques enfants curieux et sans peur s'étaient risqués à toquer à sa porte, mais tout ce qu'ils entendirent fut un entrechoc métallique. Son écho leur apparut comme le bruit sinistre d'une chaîne qu'un prisonnier fantôme traînait derrière lui.
Personne n'avait alors, depuis ce jour, osé ne serait-ce que s'approcher de « l'antre de la sorcière ».
Ce village de Bonbourg avait un voisin de même envergure : Belleville. C'est là que vivait Gaston, le fils de feu Willy le bûcheron. C'était un beau jeune homme, sans nul doute, et tout le monde l'appréciait, que ce soit pour son charme, sa gentillesse ou sa générosité. Serviable, il était l'homme de la situation en cas de problème. Tout le monde le connaissait dans les deux villages et personne ne manquait de le saluer à son passage.
Un beau jour de printemps, Gaston vint faire un tour dans Bonbourg. Il avait besoin de réfléchir. Ses parents étaient morts il y a bien longtemps et s'il avait pu arriver où il en était aujourd'hui, c'était grâce à sa tante qui l'avait élevé. Mais, aujourd'hui, sa tante lui avait exposé clairement ce qu'elle attendait de lui. Il était un homme désormais et avait l'âge de se trouver une femme, il en convenait. Seulement, sa tante exigeait qu'il épouse une femme de bonne famille.
« Regarde-toi, lui avait-elle dit. Avec ton charme, tu devrais en profiter pour séduire une dame de la ville et faire honneur à notre pauvre petite famille. »
Mais la ville ne l'attirait pas. Une seule fois il y était allé et avait compté chaque secondes avant d'en sortir. La ville était emplie de bruits assourdissants, d'hommes vils et égoïstes et de femmes tellement pouponnées que cela en devenait ridicule. La ville n'était pas faite pour un campagnard comme lui.
Toutefois, que ce soit pour le bien de sa tante dont la santé se faisait fragile ou pour honorer le souvenir de ses parents, Gaston avait toujours accepté ce destin. Depuis tout petit, c'était évident pour lui : il irait à la ville et gagnerait beaucoup d'argent pour en faire profiter tout le village.
Mais désormais en âge de se marier et de partir, il s'était rendu compte que ce n'était pas tout. Il y avait une chose que ses parents possédaient, une chose plus précieuse encore que tout l'argent de la ville, une chose à laquelle il se refusait de renoncer : l'amour.
Les parents de Gaston s'étaient aimés d'un amour fort et sincère, et cela comptait plus que tout à ses yeux. Il avait en horreur l'idée de se marier à une quelconque dame de la ville dans l'unique but de rapporter de l'argent. Mais avec ce raisonnement-là, ne faisait-il pas tout simplement preuve d'égoïsme ?
Gaston soupira. Il ne savait que faire et tous les sourires qui se dessinaient sur son chemin. Tous les compliments et les petits cadeaux que les villageois lui offraient ne purent retirer la frustration de son visage. Il était si contrarié qu'il finit par ne même plus faire attention à l'endroit où ses pas le guidaient. C'est ainsi qu'il rentra dans un petit garçon qui courait à toute allure, l'air apeuré.
« Que t'arrive-t-il, mon garçon ? demanda-t-il.
— C'est mon ballon, répondit le garçon, il est tombé sur le toit de la sorcière.
— La sorcière ? s'étonna Gaston.»
L'enfant désigna alors de son doigt la demeure de la pauvre Blandine, lui expliquant que c'était l'antre d'une sorcière maléfique qui passait ses journées à concocter des potions et qu'il ne pouvait donc pas s'y aventurer.
Gaston avait déjà entendu parler de la sorcière de Bonbourg mais il avait toujours pensé que ce n'était qu'une légende pour faire peur aux enfants désobéissants. Il n'aurait jamais imaginé que cette sorcière eut une maison.
Sa curiosité éveillée, il déclara alors :
« Attends-moi ici, je vais chercher ton ballon. »
Et, sous le regard admiratif du petit garçon, Gaston mit un pied dans le jardin de la sorcière puis avança d'un pas déterminé.
L'enfant trembla de peur quand le jeune homme toqua à la porte. Aucune réponse ne se fit entendre mais l'on pouvait discerner des bruits métalliques signalant une présence.
Comme la porte était ouverte, Gaston entra en prenant soin de la fermer derrière lui. Il se trouvait à présent dans le hall de la petite maison, rien de plus banal.
« Il y a quelqu'un ? appela-t-il. Eh-oh ! »
N'obtenant aucune réponse, il se laissa guider par le seul son qui retentissait dans la maison. Il passa le salon, remarqua que celui-ci ne ressemblait en rien à l'antre d'une sorcière, et se retrouva devant une porte entrouverte par laquelle s'échappait de la lumière ainsi qu'une bonne odeur de pâtisserie. Curieux, il ouvrit la porte sans un bruit pour observer le spectacle.
Une jeune femme en tablier se tenait là, de profil, et remuait d'un geste devenu automatique la pâte jaune qui se trouvait dans un grand bol en fer. Le fouet, en cognant contre le rebord, le faisait cliqueter à intervalle régulier.
Quelques mèches des longs cheveux bruns de la jeune femme, rapidement coiffés en une tresse, tombaient devant ses yeux. Elle était concentrée et semblait plus que motivée, ce qui eut le don d'intriguer Gaston.
Il s'éclaircit la gorge :
« Bonjour. »
Blandine sursauta, regarda l'individu puis observa sa pâte d'un air paniqué.
« J'ai perdu le rythme ! fit-elle. Je dois tout recommencer ! »
Et c'est ce qu'elle fit. Elle nettoya tous ses ustensiles jusqu'à ce qu'ils brillent et sortit tous les ingrédients nécessaires. Une fois assurée de ne manquer de rien, elle se remit au travail, reprenant depuis le début.
Gaston la contempla avec curiosité faire tout cela à une vitesse impressionnante. Il ne fallait pas être un génie pour voir que cette pièce de la maison n'avait plus aucun secret pour la jeune femme.
« Et puis-je vous demander ce que vous préparez avec tant d'acharnement ? demanda Gaston.
— Un gâteau, répondit-elle. Je dois faire le gâteau parfait.
— Que d'ambition vous avez là ! Et pour quelle raison, sans être indiscret ?
— Pour mon âme sœur.
— Et qui est-ce ?
— Je ne sais pas encore. C'est pour cela que je dois terminer ce gâteau au plus vite.
— Je vois... »
Il l'observa un petit moment, intrigué et peiné par tant de naïveté. Où était-elle allée chercher cette idée ? La réponse restait un mystère pour le moment et Gaston n'osa demander de peur de l'importuner de trop.
« Au fait, est-ce que vous avez une échelle ? Un enfant a fait tomber son ballon sur votre toit. »
Blandine jeta un regard sur le jeune homme sans pour autant s'arrêter de mélanger la pâte puis acquiesça.
« Elle doit être quelque part contre le mur de la maison. »
Il la remercia et sortit, penseur. Il fut surpris de trouver un petit troupeau d'enfants devant la demeure, se tenant tout de même à une distance raisonnable. Quand ils l'aperçurent, certains écarquillèrent les yeux, d'autres ouvrirent grand la bouche et d'autres encore l'applaudirent.
Gaston ne put que rire devant ce spectacle. Il adressa un petit signe de la main au groupe avant d'aller chercher l'échelle qui se trouvait, comme Blandine l'avait dit, contre le mur de droite. Il fit le tour de la maison et grimpa là où le ballon était coincé. Les enfants l'accueillirent avec tant d'enthousiasme et d'admiration lorsqu'il leur tendit le ballon que pendant un court instant, il se sentit tel un héros malgré lui.
« Tu as vu la sorcière ? A quoi elle ressemble ? Elle t'a fait boire ses potions ? »
Des questions en tout genre fusèrent, faisant rire tendrement Gaston.
« Une sorcière ? Il n'y a pas de sorcière dans cette maison, je peux vous l'assurer. Tout ce qu'il y a, c'est une charmante jeune femme qui aime beaucoup cuisiner. C'est tout, vous n'avez rien à craindre. »
Ils ne semblèrent pas le croire tout de suite mais, du moins, ils commencèrent à y songer.
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