Chapitre 6: Insomnies
Avant même d'ouvrir les yeux, Elewen sut qu'elle se trouvait dans son appartement.
La première chose qu'elle reconnut fut les sons. Le grondement constant de la foule en contrebas, les cris enjoués des enfants qui se balançaient dans les échafaudages jamais retirés quelques mètres plus haut, le chuintement des lignes de trams qui passaient juste au-dessus, l'album de Shroudbreaker du voisin d'à côté qui faisait trembler les murs. Jamais il n'y avait un instant de temps mort dans cette symphonie chaotique et inarrêtable, et bien qu'elle n'aimait pas particulièrement ça, c'était chez-elle. Elle était enfin rentrée à la maison.
L'anticipation faisait battre la chamade à son cœur. Elle ouvrit l'entrée de l'appartement d'une main tremblante et arriva directement dans la pièce à vivre, où elle fut accueillie par les léchouilles endiablées de ses chiens, le crachotement de la radio et l'odeur riche d'un jambalaya qui fit gronder son estomac. La vue de la pièce exiguë et aux meubles noyés sous les babioles glanées au fil des ans lui arracha un sourire nostalgique: absolument rien n'avait changé. Ni les murs couleur jaune moutarde, ni l'affreux tapis qui recouvrait le sol, ni le mur à souvenirs, constellés de dizaines de photos tout comme le ciel était constellé d'étoiles.
Attablée à la vieille table, recouverte de la même nappe à fleurs depuis des années, toute la famille se servait dans son vacarme habituel, les louches et les cuillères s'entrechoquant dans les plats et les saladiers: son père, encore habillé dans son uniforme de travail, sa mère, les cheveux tirés en un chignon grisonnant, et toute la famille Cortez, qui logeait sous le même toit afin de diviser le prix du loyer qui ne cessait de croître. Seule une place demeurait vide: la plus proche de la porte-fenêtre menant au minuscule balcon. La sienne.
Tout le ménage se tourna vers elle quand la porte se ferma derrière elle et sa mère lui intima de prendre place à table avec un grand sourire. Elewen fut surprise de voir qu'on avait mis de la vaisselle pour elle, comme si elle n'était jamais partie.
Elle saisit sa fourchette, piqua quelques morceaux de légumes et de viande et émit un bruit de satisfaction quand le goût du plat brûlant se répandit sur sa langue. Malgré les années qui passaient et les légumes frais de plus en plus difficiles à trouver, sa mère réussissait toujours à faire le mieux de ce qu'elle avait dans ses placards et son frigo. S'il y avait bien une chose qui lui manquait depuis qu'elle était partie en mission dans l'espace, c'était bien l'ingéniosité qu'elle mettait dans ses plats.
— «Elewen, tu dois nous raconter tout ce que tu as découvert quand tu étais dans l'Icarus!» s'exclama son père entre deux grosses bouchées, ses yeux se plissant pour laisser voir ses pattes d'oies. «Alors, c'est beau l'espace? Tu as rencontré des aliens?
— La vue est magnifique de là-haut... et c'est si grand. Tu peux faire des millions de kilomètres sans rencontrer personne ou voir une planète.
— C'est sûr que ça peut pas être plus étroit que la Terre!» ricana Martín, le fils aîné des Cortez.
Après un éclat d'hilarité, le repas continua, durant lequel Elewen partagea tout ce qu'elle avait rencontré durant sa longue absence: les collègues avec qui elle travaillait, les nouveaux organismes qu'elle avait pu étudier, toutes les choses qu'elle n'avait jamais vu avant d'entrer dans l'Icarus. Alors qu'elle contait son histoire, la tablée écoutait sans rien dire, les yeux brillants et le sourire au bord des lèvres. Même le petit Camilo, qui d'habitude ne tenait pas en place assez longtemps pour finir son assiette, avait arrêté d'utiliser ses couverts comme batterie improvisée pour l'écouter.
Elewen sentit ses joues s'échauffer et son cœur papillonner de bonheur. Elle aurait dû se douter qu'ils adoreraient ses témoignages. Après tout, tous les terriens rêvaient d'aller dans l'espace, au moins pour avoir l'opportunité d'obtenir deux choses que la Terre n'avait plus: de la place, et du silence. Même si elle ne pouvait pas emmener toute sa famille vers les étoiles avec le peu d'argent qu'elle gagnait, elle pouvait au moins leur faire vivre l'expérience en racontant la sienne.
Ce ne fut que quand elle commença à raconter son aventure sur Sion 97RV qu'elle fut interrompue par sa mère, qui s'était levée pour se servir une nouvelle portion de jambalaya.
— «C'est bien beau tout ça, Elewen,» dit-elle de sa voix douce comme le miel. «Mais quand est-ce que tu vas revenir à la maison?»
Un long silence passa, interrompu seulement par le cliquetis des couverts. Elewen pouvait sentir son sang battre dans ses tempes.
— Qu'est-ce que tu veux dire...?» Un rire nerveux échappa ses lèvres. «Je suis juste là, maman...
Elle eut beau déglutir, le nœud de malaise qui se formait dans sa gorge ne s'en allait pas: elle ignorait si c'était son imagination qui lui jouait des tours, mais elle jurait que les cheveux de sa mère avait pris une teinte plus claire, que les rides de ses joues s'étaient approfondies, que ses doigts étaient devenus plus longs et noueux. Passant d'un membre de la tablée à l'autre, elle remarqua que le cas n'était pas isolé: son père perdait des cheveux et des dents, le visage de Martín se recouvrait de poils hirsutes, et Camilo grandissait à vue d'œil, ses bras s'allongeant de façon grotesque jusqu'à ce qu'ils ne supportent plus leur propre poids. La bouchée qu'elle avait dans sa bouche pris un goût rance. En baissant les yeux, elle vit que la nourriture qu'elle avait avalée était en train de pourrir, se recouvrant de mouches et de moisissures.
— «Cela fait si longtemps que l'on ne te voit plus... quand vas-tu passer un simple coup de fil...?» continua sa mère d'une voix de plus en plus chevrotante. «Pourquoi nous as-tu abandonné?»
La main plaquée sur la bouche pour ne pas vomir, Elewen se leva précipitamment de sa chaise, qui se brisa en mille morceaux en tombant. Son père et sa mère, dont la peau commençait à se détacher en lambeaux comme la mue d'un serpent, boitillaient vers elle en gémissant d'une voix de plus en plus brisée. La chaise d'enfant ne supporta plus le poids de ce-qui-était-Camilo et il tomba au sol avec un craquement sec de ses os fragiles et maintenant bien visibles. Un glapissement tremblant lui fit tourner la tête: son chien Fenrir s'approchait en rampant, les yeux voilés et sa gueule édentée bavant une bile noire sur le tapis déchiré.
Prise de panique, Elewen chercha la poignée de la porte-fenêtre derrière-elle et poussa un cri strident quand une explosion de douleur s'élança le long de son bras: la fenêtre était brisée et un bris du verre renforcé lui transperçait maintenant la main. En fait, tout le pignon externe s'écroulait rapidement pour laisser voir la rue piétonne par delà la poussière, mais au lieu d'être accueillie par un quartier vivant d'activité, elle ne trouva qu'un boulevard vide, la route jonchée de restes squelettiques par milliers.
Le grondement lointain des moteurs lui fit lever les yeux au ciel: quelques mètres au-dessus d'elle, elle pouvait voir clignoter les voyants d'alarme de l'Icarus survolant le ciel terrestre en crachant une fumée noire comme la suie, avant que celui-ci n'explose dans un vacarme tonitruant. Le ciel devint rouge sang. Des morceaux de la coque virevoltèrent vers le sol comme de morbides étoiles filantes, et la dernière chose dont elle se rappela avant que l'un d'entre-eux ne la percute dans sa course incandescente fut son hurlement.
Elewen se réveilla en sursaut, avec seulement les battements du sang dans ses tempes et le vrombissement constant des machines pour combler le silence de mort du vaisseau. Elle tourna la tête sur le côté et soupira, passant son avant-bras sur son front dégoulinant de sueur: sur la table de nuit, l'horloge numérique indiquait 02:45 en gros chiffres rouges, comme pour la provoquer. Quand elle se tourna de l'autre côté, elle fut surprise de voir le lit d'Elliot totalement défait, et son propriétaire introuvable.
Il n'y avait aucune chance qu'elle réussisse à se rendormir après une telle expérience. Elle finit par sortir de son lit et se traîna jusqu'à la porte vers le salon. Après un long moment où elle tâtonna à l'aveuglette dans la pénombre, elle parvint à trouver le panneau de contrôle et la cloison s'ouvrit avec un sifflement presque imperceptible. Elle aperçut alors l'éclat familier d'un écran virtuel et, dans son halo agressif de lumière, elle vit Elliot, recroquevillé contre le bras du canapé. Le botaniste leva ses yeux petits de fatigue et lui adressa un sourire maigre. D'un geste las, il diminua la luminosité de son écran et se redressa, libérant un peu plus de place sur le canapé. Elewen comprit le message et vint s'asseoir à côté de lui, ne prenant pas la peine d'allumer les lumières, qui ne ferait que les aveugler un peu plus et réveiller Milo inutilement.
— «Tu ne dors pas non plus,» murmura Elliot.
Sa voix, naturellement douce et légèrement aiguë, était grave de fatigue et résonnait étrangement fort dans le silence, si bien qu'elle aurait pu palper le soulagement qui l'avivait.
— «Qu'est-ce que tu fais là?» demanda-t-elle d'une voix enrouée.
— «J'arrive pas à m'endormir et ce vaisseau n'a même pas pensé à stocker un peu de mélatonine ou d'anxiolytiques, donc j'attends. Et toi?»
Elewen humecta ses lèvres le temps de trouver les mots à dire. Par delà la fenêtre, les rayons blafards des deux lunes de Sion 97RV tapissaient les plaines d'une mince couche d'argent. Un cri glaçant, tel l'appel d'une effraie en bien plus grave et puissant, résonna dans la nuit. Elle sentit son cœur se soulever rien qu'à en entendre l'écho lointain, à s'imaginer quelle créature terrifiante pouvait bien émettre un son aussi menaçant.
— «J'ai fait un cauchemar,» finit-elle par dire en se frottant les yeux. «Ça ne m'était pas arrivé depuis des années.
— Tu... veux en parler?
— Je ne voudrais pas t'importuner avec ça.
— Ça ne me dérange pas, c'est pas comme si j'allais m'endormir de sitôt, de toute façon.»
Pris d'une nouvelle énergie, Elliot se tourna vers elle et posa son menton sur ses genoux repliés contre son torse. Voyant qu'il n'était pas décidé à renoncer, elle obtempéra et commença à relater son cauchemar. Elle fit de son mieux pour ne pas oublier le moindre détail, même le plus morbide, même si elle dut accélérer la cadence à plusieurs passages pour éviter que sa gorge ne se serre trop. La mine du botaniste s'assombrissait à vue d'œil au fil de son histoire, et quand elle eut terminé après ce qui lui parut une éternité, un frisson le fit trembloter.
— «C'est... horrible,» dit-il après un instant de réflexion. «Regarder sa famille vieillir et mourir devant ses yeux, voir sa maison tomber en miettes... je peux même pas m'imaginer ce que ça doit faire.
— Quand j'ai été engagée par C-XES, je savais que la mission prendrait un long moment. Mais avec ce qui est arrivé avec l'Icarus, je ne pense pas pouvoir rentrer sur Terre avant des années de cela...» Une respiration tremblante échappa ses lèvres et ses yeux se brouillèrent malgré ses lunettes. «Et si mes parents n'étaient plus là quand je reviendrai les voir...? Et si...»
Avant qu'elle ne puisse continuer son train de pensée d'une voix tremblante de sanglots, Elliot l'attira vers lui et l'enveloppa de ses bras. Le geste d'attention brisa le peu de retenue qu'elle avait encore en elle et elle se laissa fondre en larmes dans le creux de sa poitrine, serrant le tissu uni de son pyjama entre ses poings tremblants. Une main se déposa dans son dos et le caressa doucement. Le chaleur du contact la rassura.
— «Ne t'accable pas de choses sur lesquelles tu n'as aucun pouvoir, Elewen,» murmura-t-il. «Nous rentrerons à la maison un jour ou l'autre, c'est tout ce qui compte.»
Après quelques minutes, ses sanglots se calmèrent et elle parvint à se redresser. Elle essuya ses joues humides et son nez coulant d'un revers de la main et déglutit la bile amère qui se formait dans sa bouche.
— «Merci,» dit-elle, sa voix enrouée par les pleurs.
Elliot hocha la tête et sourit en réponse.
— «Ce cauchemar t'a beaucoup plus chamboulée que ce que je pensais,» finit-il par dire. «Il faut trouver un moyen de te changer les idées.
— Ne t'inquiète pas, ça va mieux...
— Non, il faut absolument que tu te relaxes avant de te coucher, tu risquerais de refaire un cauchemar...» Sa mine réfléchie s'éclaira soudainement et il leva l'index. «Je sais! On a plein de choses à faire sur Sion 97RV: pourquoi ne pas planifier un peu nos sorties? Suivre un planning nous fera gagner du temps sur le long terme et nous permettrait d'être plus relax. Oh, et il faudrait faire une liste de repas pour les animaux: tu commences à te faire une idée des quantités qu'ils mangent, non?
— C'est... pas une mauvaise idée...
— Je vais chercher de quoi écrire.»
Jusqu'ici, leurs expéditions avaient simplement consisté en des allers-retours chaotiques, sans but particulier à part 'observer la première chose intrigante qu'on trouvait par terre et évaluer le niveau de danger de la zone'. Même s'il y aurait toujours une part d'imprévisibilité dans l'équation — planète alien et inexplorée oblige —, savoir quoi chercher les rendrait sûrement plus efficaces et moins appréhensifs dans leur mission.
Elle devait aussi admettre que la quantité phénoménale d'analyses à faire lui donnait le tournis. Comme ils n'avaient plus tous les employés de l'Icarus pour les épauler dans leurs recherches, leurs responsabilités s'en retrouvaient décuplées: en plus de recenser et décrire toutes les espèces qu'ils trouvaient sur leur chemin, ils devaient aussi prendre des enregistrements audios et vidéos pour les archives, analyser la topographie et la géographie de la région où ils avaient atterri pour pouvoir ensuite la cartographier par ordinateur, récupérer des échantillons de sol, de roches et d'eau un peu partout pour déterminer des zones propices à la colonisation... la liste n'en terminait jamais.
Quand Elliot revint avec le matériel nécessaire, ils se mirent au travail, et environ une demi-heure plus tard, ils parvinrent à fabriquer un emploi du temps basique sur une grande feuilles cartonnée. Le résultat était brouillon, confus et leur écriture tremblante de fatigue, mais cela restait mieux que rien. Tant que ça empêchait d'Elewen de penser à autre chose pendant un moment, ça n'était pas perdu. Et elle devait se l'admettre, l'activité avait été plutôt amusante, quoique un peu exigeante pour son pauvre cerveau en manque de sommeil.
En parlant de sommeil, celui-ci commençait à les rattraper: Elewen bâilla, suivi de près par Elliot, leur arrachant un petit rire las. Ils éteignirent leurs écrans, vérifièrent qu'ils n'avaient pas accidentellement réveillé Milo et retournèrent dans leurs lits respectifs.
— «Bonne nuit, Elewen..,» souffla mollement Elliot.
— «Bonne nuit, Elliot. Fais de beaux rêves.»
Leur nouvelle organisation transforma leurs journées chaotiques et exténuantes en routine. Une routine simple et tranquille, sans prises de risque inutiles, mais une routine tout de même, et chaque jour passé les rapprochait du moment où ils pourraient retourner en cryogénisation pour une nouvelle année. Le vaisseau leur offrait tout ce qu'il leur fallait: de l'eau, de la nourriture, un abri, de quoi passer le temps, et assez de matériel d'analyse pour faire baver n'importe quel étudiant de doctorat. Que pouvaient-ils demander de plus? Maintenant, ils n'avaient qu'à attendre patiemment l'arrivée des secours.
Petit à petit, ce qu'ils avaient pris pour une situation d'urgence devint leur vie de tous les jours. Leurs explorations en terre inconnue se terminaient en simple promenade dans les prés rougeoyants. Chaque nouvelle espèce ajoutée à leur bestiaire grandissait leur compréhension de ce monde extraterrestre et rendait chaque nouvelle découverte un peu moins étrange et effrayante. Chaque pas posé plus loin du vaisseau agrandissait leur carte de la planète et rendait ses étendues plus rassurantes. Même leurs nuits d'insomnies et de cauchemars se transformaient en sommeil au rêve tranquille au fil des jours.
Les journées, en conséquence, passaient à une vitesse vertigineuse.
— «Nous avons atterri sur Sion 97RV il y a exactement deux semaines.»
Elewen stoppa sa fourchette dégoulinante de bolognaise devant sa bouche pour lever un regard ahuri vers l'avatar d'Anne.
— «Déjà?
— Oui, du moins en heure terrestre: en heure sionienne, vous en êtes à un peu moins de douze jours, mais cela reste néanmoins un accomplissement non négligeable, encore plus en prenant en compte le fait que vous êtes totalement indemnes, physiquement et mentalement.»
Elliot semblait aussi étonné qu'elle si elle en jugeait par ses yeux brillants et écarquillés, mais cela ne l'empêchait pas de continuer de manger à grosses bouchées comme s'il n'avait pas été nourri depuis des mois. Milo, perché non-loin d'eux sur la poignée d'un tiroir ouvert, faisait sa toilette sans les déranger.
— «En même temps, le temps pache vite quand on ch'amuche bien!» s'exclama le jeune homme en suçant ses spaghettis. «Ch'est l'endroit le plus magnifique que ch'aie jamais vu!
Il voulut rajouter quelque chose mais fut interrompu par une brusque quinte de toux, le forçant à rapidement avaler sa bouchée avant de s'étrangler totalement. Un sourire à la fois amusé et dépité étira les lèvres d'Elewen alors qu'elle lui servait un verre d'eau pour faire passer le morceau avalé de travers. Néanmoins, ce ne fut que quand son comparse fut rétabli, les yeux larmoyants, qu'elle se permit de continuer la conversation:
— «Ça m'étonne que tu aies réussi à survivre aussi longtemps, vu comment tu t'étrangles sur de l'air,» blagua-t-elle avec un regard mesquin.
— «Hé, te moque pas!» Le botaniste croisa les bras avec une moue faussement fière et encore rougie par la mauvaise expérience. «Moi, je trouve que je me débrouille plutôt bien sur notre planète inexplorée.
— Dit celui qui a failli s'empoisonner avec ses propres spécimens.
— Je voulais juste voir si on pouvait avoir de la nourriture fraîche! Et j'ai testé les baies de coronacanthus seulement sur le bras,» répondit-t-il en tirant la manche de son T-shirt, révélant une tâche rouge vive sur son avant-bras.
— «Votre tentative de détermination des plantes toxiques, bien qu'un peu précipitée, est admirable, monsieur Leroy,» commenta Anne. «Toute information sur la biodiversité de cette planète est essentielle pour votre survie, sans compter que cela sera du travail en moins pour les futurs scientifiques qui étudierons cette planète.
— Ah, enfin quelqu'un qui reconnaît le dur travail d'un botaniste! L'étude des producteurs primaires est essentielle pour comprendre le reste de la biodiversité: les plantes sont adaptées à un biotope bien précis et les herbivores sont adaptés aux végétaux qu'ils mangent et côtoient. Étudier la base, c'est étudier le tout.
— Je serais d'accord si les plantes n'étaient pas ennuyeuses à mourir.
— Tu es en train d'insulter mon peuple tout entier.» Il prit une mine faussement outrée, mais celle ci fut remplacée par son sourire timide habituel. «Mais je comprends. La botanique, c'est comme la géologie, faut avoir le bon prof pour aimer... et j'ai pas eu le bon prof de géologie, donc me voilà botaniste. Je suis sûr que je peux trouver des documentaires ou des livres qui te feront changer d'avis!»
Le repas terminé, elle laissa Elliot mettre les plats à laver alors qu'elle partait mettre Milo à coucher dans sa cage. Elle prit une douche rapide, laissant l'eau brûlante emporter toute la crasse avec elle, et enfila un pyjama propre avant de s'allonger dans son lit, à côté de celui d'Elliot — elle avait fini par changer de lit pour pouvoir faire plus facilement la conversation, le soir —. Et de la conversation, il savait en trouver, surtout quand il était censé dormir.
— «Ce n'est pas parce que les plantes ne bougent pas que leur vie n'est pas palpitante,» murmura-t-il en se penchant vers son lit. «Certaines plantes ne fleurissent qu'une journée par an, d'autres sont d'affreux parasites et certaines plantes ont même des cosses qui explosent au moindre choc pour éparpiller leurs graines. Et je peux te dire que les plantes sont encore plus dangereuses que certains animaux! Bien sûr, il y en a des vénéneuses et des qui sécrètent des substances psychotropes, mais certaines ont des poils urticants ou vivent en symbiose avec des insectes qui les défendent, et-»
Ce fut ainsi emmitouflée dans sa couverture à écouter le doux ronronnement du recycleur à oxygène, les commentaires d'Elliot et le frottement des pages de son livre de botanique qu'une pensée effleura l'esprit d'Elewen avant qu'elle ne s'endorme.
Vivre ici ne serait pas si mal, finalement.
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