❦ Chapitre 1. ❦

La sonnerie du vieux réveil près de sa tête lui semblait assourdissante. Pourtant, il avait depuis longtemps réglé le volume au plus faible pour que personne d'autre dans la maison ne soit gêné. Une seule fois avait suffi pour le comprendre.

Il tendit un bras fatigué pour éteindre la chose et s'assit immédiatement. Il ne pouvait pas se permettre de traîner plus longtemps sous les couvertures chaudes. Il alla ouvrir le volet ainsi que sa fenêtre de façon automatique. Il était trop fatigué et habitué pour prendre du plaisir à se réveiller calmement.

Une fois sûr que l'air frais entrait dans la pièce, il attrapa les vieux vêtements trop grands qu'il portait toujours et sortit rejoindre la salle de bain sur la pointe des pieds. Avec le temps, il avait appris à reconnaître chacune des planches du parquet brut qui grinçaient et les évitait avec grâce malgré la raideur de ses membres. Une fois qu'il eut enfin fermé la porte derrière lui, Kakashi se permit d'allumer la lumière et de se retrouver face à son reflet.

Il avait toujours cette tête malade qu'il détestait tant. C'était un rêve irréaliste de pouvoir se lever un matin et arborer un tout autre physique. Rien qu'un aperçu de sa peau pâle et de ses joues creusées lui donnait la nausée.

Il s'empressa de se débarrasser des vêtements de nuit et de se débarbouiller au lavabo. Le haut allait toujours vite, c'était pour le tronc que cela devenait délicat. La peau sensible ne supportait même pas le touché d'un gant humide. Le pire, ce serait la douche du soir. Impossible d'empêcher l'eau de tomber sur cette peau abusée. Il grimaçait rien que d'y penser. Il aurait cru pouvoir s'y habituer avec le temps mais même après près de dix ans, il ne supportait pas ce corps meurtri. "Cette poubelle vivante," comme le disaient ses beaux-frères.

Après avoir retiré une partie de la sueur de la nuit, il se permit de s'attarder devant son reflet dans le grand miroir, à l'extrémité de la pièce. Il trouvait que ses côtes visibles avaient une courbure plutôt étrange, si on retirait les différents bleus qui les recouvraient. Les jaunes, les plus vieux, étaient certainement les plus écœurant mais les moins douloureux.

Son ventre n'avait rien d'agréable à regarder. Il était creux et n'avait absolument aucune forme d'abdominaux. Il s'étonnait même qu'on ne voit pas le contour de ses intestins sur la peau tendue.

Les jambes ressemblaient à deux bâtons tordus et colorés. Il avait souvent entendu les chuchotements au collège, ceux qui se moquaient en disant qu'elles se casseraient comme des cures-dents.

Les bras étaient semblables aux jambes. Ils n'avaient rien d'enviable, il n'y avait pas la moindre trace de muscle.

Pour le dos, il ne savait pas. Il était douloureux et certainement plein de contusion comme le reste de son corps mais qu'importe ?

La seule partie presque épargnée par les coups, c'est son visage. Vous ne pouviez pas cacher un visage sous des couches de vêtements trop grands que vous ne retirez jamais en public. Il leva doucement la main et posa le bout de ses doigts sur sa mâchoire. L'hématome était déjà parti. Les vacances étaient enfin terminées, il ne ressentirait plus de douleur ici avant les prochaines. Ses yeux lui rentraient presque dans le crâne et les cernes qui les entouraient ne disaient rien qui vaille.

Il était tellement maigre pour son âge et plus petit que ses camarades de collège. Avec ses cheveux gris indomptables en prime, impossible de passer inaperçu. En fait, il ressemblait pas mal à un toxicomane, le souffre-douleur parfait pour les professeurs. Humiliation physique à la maison, morale à l'école. Au top.

Il soupira pour la première fois de la journée et s'habilla de son vieux sweat à capuche noir délavé, bien trop grand, qui dépassait de ses mains et cachait presque ses fesses, ainsi que d'un vieux jean non troué. Il n'en avait pas beaucoup dans sa maigre garde-robe alors il en prenait soin.

Il retourna dans sa chambre faire son lit et fermer la fenêtre puis finit enfin par descendre. L'air était bien plus frais en bas, la fin du mois d'août avait été étrangement froid mais ce n'était pas pour lui déplaire. Lorsqu'il sortait faire les courses avec ses pulls, les gens ne le regardaient pas trop bizarrement. Ce qui l'inquiétait, c'était que les températures devaient normalement remonter pour le mois de septembre. Un été en retard, qu'ils disaient à la télé.

Il se dépêcha d'ouvrir les volets comme à son habitude et fonça dans la cuisine préparer les petits déjeuner. Sortir les bols, les brioches, allumer la cafetière... Tout ça, dans un silence assourdissant. C'était incroyable de voir comme il pouvait se déplacer et tout préparer rapidement sans faire aucun bruit. C'était l'habitude, certainement.

Il avalait le seul morceau de brioche dont il avait droit pour petit-déjeuner quand la vie reprit la maisonnette. Le premier à se montrer, comme toujours, était Danzo. Kakashi n'avait aucun lien de parenté avec lui et il en était plutôt rassuré. Cet homme était ignoble ; il ne le pensait pas seulement pour la maltraitance qu'il lui faisait subir. Il avait été dans l'armée avec son père et d'après ce dont il se souvenait, il était sans pitié. Pour les ennemis comme pour ses propres hommes. Cela s'était empiré quand il avait dû prendre sa retraite à cause d'une vilaine blessure à la jambe.

C'était apparemment la faute de son père mais il n'en était pas sûr. Il ne se souvenait que de quelques bribes de conversations de cette époque. En tout cas, il avait bien caché au grand Hatake qu'il le détestait. Maintenant, c'était Kakashi qui en pâtissait. Le vieux fou avait réussi à retourner la tête de son père et à lui céder la garde de son fils unique alors qu'il était rappelé au front. Maintenant que Sakumo Hatake avait été déclaré disparu mais surtout mort à cause des années passées, l'ex-militaire touchait une bonne prime. Son argent, en fait, dont il ne voyait pas la couleur. Mince, il ne mangeait même pas à sa faim !

"Encore là ? Dépêche toi de tout ranger avant que mes garçons ne se lèvent."

Kakashi avait depuis longtemps oublié ce qu'était une douce salutation du matin. Danzo semblait encore être dans l'un de ses mauvais jours, pour ne pas changer. Après avoir jeté ses miettes à la poubelle, l'adolescent s'empressa de rejoindre la salle de bain à l'étage et de se laver les dents. Il lui était déjà arrivé de trop traîner et de ne pas pouvoir se brosser les dents. Ses deux demi-frères prenaient tellement de temps, sans compter qu'ils prenaient aussi plaisir à l'humilier.

"Dégage de là, tu prends toute la place."

Fû et sa gentillesse légendaire. Kakashi fila dans sa chambre pour dégager le couloir en s'excusant. Torune, sur les talons du plus grand, se contentait d'avancer sans rien dire. Eh bien, c'était un matin typique dont Kakashi avait l'habitude. C'était même plutôt tranquille s'il osait le dire. C'était sans doute dû au fait que c'était aujourd'hui la rentrée des classes et que leurs réveils avaient sonné beaucoup trop tôt.

Avec le temps large qu'il lui restait avant de partir pour le lycée, il en profita pour terminer le dernier livre qu'il avait emprunté à la bibliothèque. C'était à peu près la seule occupation qu'il avait. Puisque la carte était gratuite, Danzo avait très gentiment accepté qu'il s'inscrive, du moment que ses corvées étaient terminées et qu'il n'y restait pas plus de dix minutes. Le vieil homme ne s'occupait pas vraiment de lui mais quand il s'agissait de l'heure à laquelle il rentrait, il avait les yeux fixés sur la pendule.

Avec le temps libre qu'il avait tous les matins, il pourrait très bien commencer ses corvées journalières. Cependant, Danzo lui avait particulièrement interdit de se montrer au réveil, au moins pour ses fils. Du coup, il pouvait dépoussiérer sa chambre ou changer ses draps. Pour le reste, il devait attendre.

D'ailleurs, comment cet homme avait-il même pu avoir deux enfants ? Soit il était un homme complètement différent avait de partir pour la dernière fois en patrouille étrangère, soit la pauvre femme avait été complètement désespérée.

Il lui restait encore du temps avant de partir. Il avait terminé l'ouvrage et attendait allongé sur le lit, les yeux fixés au plafond. De l'autre côté de la porte, il entendait les garçons prendre leur temps dans la salle de bain et lancer des paris sur le nombre de filles qu'ils rencontreraient aujourd'hui. Ils étaient tellement répugnants, sans compter que Kakashi était presque certain que Torune était gay. Il ne le montrait pas forcément et il n'avait aucune preuve mais son comportement était différent des deux autres hommes de la maison quand ils parlaient des filles. Enfin, plutôt de "viande fraîche."

Peut-être qu'il était simplement plus délicat. Mais ça, l'adolescent aux cheveux gris en doutait souvent. Il ne restait jamais en retrait quand il s'agissait de le frapper. Ses pauvres côtes s'en souvenaient.

Une demie-heure pile avant que les garçons ne partent aussi, Kakashi se releva vivement et empoigna son sac avant de coller l'oreille contre la porte. Une fois sûr qu'il n'y avait personne dans le couloir, il l'ouvrit doucement et jeta un dernier coup d'œil avant de s'élancer dans les escaliers. Il serait absolument en avance dans un lycée grouillant qu'il ne connaissait pas encore mais, punaise, c'était carrément mieux que de rester ici.

Sans surprise, Danzo était assis dans son fauteuil en lisant le journal de la veille. Il ne le regardait pas quand il parlait.

"Si tu es si pressé et plein d'énergie, vas donc me chercher le journal d'aujourd'hui. Ne traîne pas et ne t'avise pas de me voler la monnaie."

Kakashi acquiesça et prit l'argent posé sur le comptoir avant de mettre ses chaussures et de prendre sa clef unique. Il se demandait bien comment il avait fait pour ne pas la perdre encore. Bien que, techniquement, il doutait que ce soit un porte-clef en lui-même qui fasse éviter aux gens de perdre la chose précieuse.

L'air frais du matin le frappa immédiatement au visage et il se sentit soudainement mieux. Il préférait mille fois avoir un peu froid qu'avoir chaud. Il n'était pas comme tous les adolescents de son âge qui ne rêvaient que de soleil et de plage. Lui, il était plutôt printemps.

Les trottoirs étaient vides alors que les routes commençaient déjà à être pleines de voitures. Dans peu de temps, il y aurait les bouchons habituels du matin. Il ne lui fallut que dix minutes à peine de marche pour arriver au bar-tabac du quartier qui venait juste d'ouvrir.

"Bonjour gamin, le salua le vieil homme dès qu'il y entra, comme d'habitude, je suppose ?"

L'adolescent se contenta de lui sourire et de hocher la tête. Les vendeurs ne le connaissaient pas, ils étaient donc les seuls à être polis avec lui. En récupérant les maigres pièces qui constituaient la monnaie, il eut un sourire amer au coin des lèvres. Qu'est-ce que Danzo voulait qu'il lui vole sur une aussi petite somme ? Il ne restait que quelques centimes égarés qui serviraient aux machines des super-marchés.

Quand il rentra, Danzo prit le journal sans reconnaissance et boita jusqu'à son fauteuil. Kakashi voyait quand même le petit regard en coin qu'il lui lançait pour s'assurer qu'il mettait bien le reste de l'argent dans le petit bocal de verre.

"Tu peux y aller, dit soudainement Danzo d'une voix las, n'oublie pas que je veux que tu sois rentré pour seize heures vingt au plus tard."

Danzo était le genre de malade à appeler l'établissement pour savoir exactement, et avant lui, à quelle heure il quitterait. Si Kakashi avait bien compté, c'était exactement le temps qu'il lui fallait pour arriver à l'établissement en marchant rapidement. Il espérait qu'il n'avait rien perdu de ses habitudes de marche pendant ces deux derniers mois.

Avec un sourire hypocrite, il le remercia et attrapa son sac pour quitter la maison. Finalement, il ne serait pas autant en avance qu'il le pensait. Il connaissait vaguement le chemin mais se fiait aux indications que ses demi-frères lui avaient donnés. S'ils ne se moquaient pas de lui, ce devait être dans une rue adjacente à la principale de la ville.

Quand il aperçut les panneaux indiquant la route, il souffla de soulagement. Il n'osait pas imaginer la colère de Danzo s'il apprenait qu'il était arrivé en retard. Il y avait déjà du monde devant les grilles de l'établissement bien que personne ne semblait pressé. Il se faufila parmi les lycéens et cherchait après les attroupements. Il avait plus de chance de trouver les feuilles de classes comme ça.

Il vit d'abord celles des classes prépas, celles des classes étrangères, puis les classes supérieures. Celle des premières années devait être visible depuis la cours intérieur, c'était le seul endroit bondé où il n'était pas allé. Il esquiva les corps et les sacs jusqu'au tableau où il trouva enfin toutes les classes de secondes. Beaucoup de petits groupes d'anciens camarades étaient déjà formés tout autour. Certaines filles sautaient dans les bras de leurs copines tandis que d'autres s'assuraient de rester amies malgré les séparations.

Les garçons, eux, ne semblaient pas se soucier d'être séparés de leurs amis. Au contraire, ils semblaient déjà tous se mélanger. Avec un peu de chance, Kakashi espérait continuer de passer inaperçu. Ce n'était pas trop difficile, la plupart des gens faisaient près d'une tête de plus que lui. Il dut batailler intelligemment pour pouvoir enfin avoir un aperçu.

Quand il trouva son nom et le numéro de classe, il ne s'attarda pas. Cela ne servait à rien de toute façon. Ce n'était pas comme s'il avait quelqu'un avec qui parler. De loin, il reconnut brièvement le groupe du collège, avec Asuma, sa petite amie Kurenai et leurs deux amis Genma et Anko. Il y avait Gai, aussi, un zigoto qu'il n'avait jamais eu dans sa classe.

Il les évita facilement et entra dans le lycée de nouveau, cherchant la-dite salle. C'était un lycée en forme de U et donc avec trois bâtiments distincts nommés par les lettres A, B et C. Ce dernier était le plus petit mais le plus neuf, celui des sciences. C'est lui qui liait les deux autres bâtiments entre eux.

S'il se souvenait bien, il était actuellement dans le A, celui qui servait d'administration principalement et de tous les autres cours que la physique, la S.V.T. et les matières très littéraires. Il était au bon endroit. Il arpenta lentement les couloirs, les yeux fixés sur le dessus des portes. Au fur et à mesure, il comprit que le numéro des classes dépendait de l'étage auquel il se trouvait. La centaine au premier étage, deux-cents pour le deuxième et ainsi de suite.

Il trouva finalement sa salle au troisième étage et posa son sac au sol contre le mur de vitres en face de la porte. Il n'y avait pas encore grand monde ici. Le premier étage était bien plus blindé. Il s'adossa au mur et regardait son sac dans l'attente. Il se rappelait qu'il avait encore le livre de la bibliothèque qu'il venait de terminer. Il n'avait même pas pensé à demander à Danzo s'il pouvait aller l'échanger ce soir. L'homme avait raison, il n'était qu'un idiot fini.

Quelque chose de solide heurta ses côtes et l'envoya presque au sol sur sa gauche sans qu'il ne le voit arriver. Il souffla l'air qu'il avait emmagasiné et serra son pauvre tronc douloureux en se tournant vers le coupable. C'était un grand brun à l'air parfaitement idiot. Il souriait comme un demeuré en se grattant la nuque, certainement d'embarras.

Derrière lui, une bande de mecs à l'allure toute aussi débile riaient comme des crétins. D'accord, ils l'avaient poussé et il n'avait rien pu faire avant la collision. On se moquait déjà de lui, le premier jour. Génial.

"Je suis vraiment désolé," s'excusait le brun.

Kakashi murmura un bref "pas grave" avant de le lâcher du regard. Affaire conclue.

"Est-ce que ça va ? Je t'ai fait mal ?"

... Peut-être pas si conclue que ça.

"Non, c'est bon.

-Tu es sûr ? Parce que tu te tiens les côtes depuis tout à l'heure..."

Kakashi essaya de lui envoyer son regard le plus asocial qu'il avait appris à faire jusque là. Ce n'était pas parce qu'il subissait les moqueries et les coups de tout le monde qu'il devait essayer de faire ami-ami avec le premier venu. D'ailleurs, Kakashi avait beau avoir un an de moins qu'eux pour avoir sauté une classe, lui, il semblait plus vieux. Certainement un redoublant, comme ses amis.

Haussant les épaules, le brun le laissa tranquille et revint vers les autres. D'après ce que le garçon aux cheveux gris voyait, il parlait facilement aux gens, même ceux qu'il ne connaissait pas, et se faisait vite apprécier. Ah, et il s'appelait Obito, apparemment.

Quand leur professeur arriva enfin après plusieurs longues minutes, Kakashi avait toujours mal au niveau des côtes. L'autre imbécile avait dû frapper dans un hématome. L'enflure. Il avait l'habitude qu'on le frappe quand il était déjà meurtri mais ça ne l'empêchait pas de souffrir encore pour autant.

Il se glissa naturellement vers le fond, avant dernière rangée contre le mur. Une chance qu'il ait pu rentrer dans les premiers, il n'aurait jamais pu atteindre une de ces places tant convoitées à temps sinon. De là où il était, il s'aperçut qu'Obito n'était pas dans la classe. Ses amis avaient colonisé le côté opposé de la classe mais il n'y était pas. Eh bien, cela faisait un idiot en moins dans la classe.

"Bonjour à tous, appela le professeur quand tout le monde semblait installé, je me présente : je suis le professeur Namikaze, votre professeur de mathématiques et surtout votre professeur principal. Aujourd'hui, j'ai une tonne de consignes et de documents à vous remettre alors ne traînons pas s'il-vous-plaît."

Il était jeune mais respirait le respect. C'était un homme blond aux yeux bleus transperçants. Il était aussi bien tenu qu'un professeur devait l'être, bien qu'un peu plus dans l'air du temps s'il pouvait se permettre de donner son jugement.

Il y eut l'appel habituel où il fallait confirmer les informations données qui dura un certains temps, le rappel des règles de vie du lycée, l'explication des différentes structures sportives ainsi que l'emploi du temps avec les noms des différents professeurs qu'ils auraient. Hormis le nom du principal, M. Sarutobi, qui lui semblait familier, le reste ressemblait à du flou total.

Sans que ça ne surprenne Kakashi, le jeune professeur de mathématiques le dévisagea quand il vint lui déposer des documents sur la table. Ce n'était pas difficile pour l'adolescent de comprendre qu'il le dégoûtait déjà. En même temps il le comprenait, pas facile de voir une gueule pareille presque tous les jours. C'était blessant mais c'était surtout la réalité et Kakashi se faisait une raison. Même si souvent c'était dur à supporter.

La matinée plutôt bruyante se termina vite d'après lui. Tout le monde dans la classe avait presque déjà sympathisé et promettaient un nombre record de mots et de colles pour bavardages. Kakashi savait déjà qu'il ne devrait pas se frotter à eux. Un simple petit mot pour oubli de matériel suffirait pour le faire dormir sur le sol de la salle. Enfin, là où il se serait effondré en perdant conscience. Ses épaules encore fragiles frissonnaient rien qu'à y penser.

Les groupes couraient presque déjà vers le grand bâtiment de la cantine. Le bâtiment était vide avant qu'il ne s'en rende compte. Lui, il n'était pas inscrit à la cantine. Il n'avait pas non plus le droit de rentrer manger avec Danzo. Ce n'était pas grave en soi. Il n'avait pas non plus d'encas sur lui et encore moins de quoi s'en acheter. C'était comme ça depuis le collège, il vivait avec un repas et demi par jour. Ça expliquait facilement son manque de graisse.

Pour combler les deux heures qu'il avait devant lui, il se décida à visiter les lieux et prendre ses repères. Pour les jours à venir, il essaierait d'avoir des livres pour combler le temps du midi. Il aura aussi ses cours.

Après avoir fait tout le tour des grands bâtiments, il se rendit dans des toilettes presque isolés. Quand il y parvint, il fut content de constater qu'il n'y avait effectivement personne. Il se glissa dans la grande salle en fermant la porte derrière lui et alla devant les miroirs. Il avait besoin de vérifier qu'il n'y avait pas de marque supplémentaire.

C'était idiot à dire mais Danzo ferait en sorte de le marquer davantage s'il voyait des bleus qui n'y étaient pas avant. C'était, d'après lui, pour le punir de ne pas avoir eu un corps assez robuste pour supporter le coup. En fait, l'homme passait son temps à le comparer à ses deux grands garçons, des gaillards aux épaules larges et aux muscles développés. Si Kakashi avait un peu plus de nourriture, il pensait facilement essayer de les rattraper mais jamais il ne ferait de tel commentaire à haute voix. Il tenait à sa vie misérable, quand même.

Il souffla de soulagement en dégageant le tissus de son sweat à capuche. Le coup avait été porté sur une marque déjà présente, ne créant qu'une petite rougeur à peine visible tout autour. Eh bien, c'était déjà ça de pris.

Il sursauta au bruit soudain de la porte qui s'ouvrit et s'empressa de baisser son pull. Juste à temps pour que personne ne voit rien mais pas assez pour masquer son geste. Merde.

"Ne me dis pas que tu profites des miroirs pour t'admirer ?"

C'était Obito, se tenant debout en plein milieu de la sortie. Il tenait la poignée de porte d'une main et son sac de l'autre. Il semblait sceptique et peut-être un peu amusé. Kakashi avait déjà eu sa dose de moqueries quotidienne, il n'avait pas besoin de lui pour en rajouter.

"Bien sûr que non, je vérifiais quelque chose, dit-il d'un ton froid, espérant faire taire cette conversation.

-J'imagine... Genre, ton taux de graisse sur le ventre ? Si on voyait tes abdos ? Oh, je sais ! Des sortes de micros comme les agents secrets ?"

Kakashi resta plusieurs longues secondes à l'observer, se balançant entre l'idée de le trouver complètement idiot ou absolument bizarre. Il resterait sur l'idée de l'idiot. Il se racla la gorge en fronçant les sourcils.

"Absolument rien de tout ça."

Ah, s'il savait même qu'il n'y avait rien sur ce ventre à part un grand creux... Il se retourna et s'échappa dans une cabine de toilette avec son sac. Il ne pouvait même pas se permettre d'utiliser les urinoirs, si quelqu'un s'apercevait qu'il avait des bleus au niveau du bas ventre, il était fini. Les moqueries et les soupçons ne finiraient jamais.

Il prit exagérément son temps pour sortir. Il s'assura d'abord que la grande porte avait grincé et qu'il n'y avait plus aucun bruit. Il déverrouilla doucement le loquet et passa uniquement la tête dans l'entrebâillement. Pas d'Obito en vue. Il soupira de soulagement et sortit se laver les mains. Il ne savait pas trop l'heure qu'il était mais il devait encore avoir du temps. Il n'entendait pas grand monde passer dans le couloir.

Il faudrait faire attention à ce Obito maintenant. Il était le genre de garçon à s'occuper des choses qui ne le regardaient pas. Bon, il faudra l'ignorer.

Des mains l'attrapèrent soudainement à la taille et le chatouillèrent. Il jappa de surprise. L'eau qu'il avait sur les mains éclaboussa le grand miroir et la plupart du sol autour de lui. Derrière, Obito riait aux éclats alors qu'il se reculait pour se tenir le ventre.

Non. Mais. Quel idiot !

"Ça va pas la tête !"

Il se tourna vers le brun avec un regard sombre, prêt à lui sauter à la gorge. Ce n'était pas comme si ça l'intimidait vraiment, au contraire, il continuait de rire comme un enfant.

"Tu aurais dû voir ta tête ! Il dit enfin en se relevant. Tu ne t'y attendais pas !

-Bien sûr que je ne m'y attendais pas, personne ne prends les gens par surprise comme ça."

Les rires amusés avaient complètement disparu. Obito le regardait de façon étrange. En fait, c'était la première fois qu'il le regardait sans se fendre la poire. Il était étrangement attirant quand il était sérieux. Un beau garçon drôle, le rêve des filles. Elles devaient toutes se jeter à ses pieds. Pas comme lui.

"Tu n'as pas l'air de beaucoup rire, dit Obito d'un ton sérieux et presque... Déçu ?

-En effet..." Accorda Kakashi après un moment de réflexion.

Il n'était pas question qu'il parle de lui. Le brun semblait être gêné pendant un moment, sentant l'air lourd autour d'eux. Il était évident qu'il comprenait que l'autre ne voulait rien à voir avec lui. Il détourna le regard puis montra la porte à l'aide de son pouce.

"Eh bien, je vais y aller. Content de t'avoir rencontré."

Avec ça, il disparut dans le couloir, laissant Kakashi seul de nouveau. Pour de vrai, cette fois. Cet événement avait été... Étrange. Bien qu'un peu amusant, s'il devait l'avouer. Il en rirait sûrement un jour. Pour maintenant, il pouvait juste oublier et se reconcentrer sur ses cours.

L'air ambiant était devenu plus chaud à mesure que les heures passaient. Il n'était pas sorti en dehors des bâtiments mais il semblait qu'il faisait déjà bien chaud. Il espérait qu'il ne ferait pas une grosse chaleur quand il devrait rentrer le soir. Il ne supportait pas vraiment la chaleur.

Il n'y avait encore personne dans le couloir alors il s'assit et attendit sagement. Les autres arrivaient au compte goutte et le bruit s'emparait du long couloir restreint. Obito était un peu plus loin avec le reste de sa bande. Il devait être dans une classe de seconde proche de la leur. Il ne le regardait pas, c'était comme s'il faisait en sorte d'ignorer sa présence. En même temps, il n'avait aucune raison de ne pas le faire.

Tout était revenu à la normale.

La visite du lycée fut longue. A chaque point stratégique, gymnase, amphi, cour, salle de cours différente et autres, il y avait des activités à faire en groupe. C'était exactement ce que Kakashi n'aimait pas. Faire un devoir avec quelqu'un, il pouvait gérer, mais ça... Non. Et les autres l'ont remarqué. Il était encore moqué des autres qui le regardaient toujours de loin en riant.

La visite prit fin dans la cour intérieure où toutes les autres classes se retrouvèrent. Ils attendaient le discours du proviseur, apparemment. Tout le monde continuait de rire un peu et de profiter du beau temps. Quelques batailles d'eau avaient déjà commencé dans quelques groupes. Lui, il avait l'impression de cuire dans son sweat-shirt.

Il se sentait aussi idiot à se tenir debout, raide, au milieu de tous. Il était toujours seul. Heureusement, la journée était presque terminée et les prochaines ne seraient pas du tout comme celle là.

Les professeurs les appelèrent enfin pour se retrouver en cercle autour du proviseur. C'était un homme d'un certain âge déjà et Kakashi était persuadé de l'avoir déjà vu au moins une fois. Peut-être que c'était une illusion ou qu'il s'en souviendrait un jour.

Il n'écoutait presque pas ce que l'homme disait, tout ce qu'il attendait, c'était de pouvoir partir. Tous les adolescents autour essayaient de parler et ne cessaient de souffler pour le temps qu'ils mettaient.

"C'est pas intéressant, autant qu'il nous laisse partir ! On pourra quitter plus tôt."

Kakashi était d'accord même si c'était impoli et qu'il n'avait pas les mêmes raisons qu'eux. Il serait plus patient s'il n'avait pas autant de contraintes.

Quand le proviseur les laissa enfin partir, le gris ne traîna pas. Avec un peu de chance, s'il arrivait avec de l'avance sur le temps limite, il pourrait aller à la bibliothèque. Il esquiva tous ceux qui prenaient absolument leur temps pour marcher et qui lui coupaient la route. Il s'éloignait rapidement de l'enceinte du lycée, donnant presque l'impression qu'il courait alors qu'il se trouvait encore trop lent.

Il mourait de chaud mais ne ralentissait pas. Il avait encore la décence de marcher.

La pendule indiquait seize heures quinze passées. Il l'avait fait dans les temps. Il soupira de soulagement et se concentra sur son souffle alors qu'il se déchaussait. La maison était calme, les garçons ne rentraient pas avant quelques heures encore et Danzo ne semblait pas présent. C'était étonnant, lui qui aimait s'assurer qu'il se souvenait des règles.

Pas de bibliothèque aujourd'hui, en tout cas. L'homme avait dû le faire exprès, rentrer trop tard pour le lui refuser.

Il en profita pour commencer ses tâches quotidiennes. Il débarrassa l'entrée de ses affaires et échangea son pull et son jean pour un simple T-shirt sombre et un short.

A la maison, il n'avait pas à cacher ses blessures. Danzo lui demanderait de se déshabiller pour s'assurer qu'il n'y avait pas de pansements pour l'aider à guérir de toute façon. L'homme n'était pas bête.

Pendant qu'il passait le balais, il repensait au brun qu'il avait rencontré. Il aimerait être comme lui. Être drôle, amical, libre et apprécié... C'était un doux fantasme. Il ne savait même pas ce que c'était que d'avoir des amis. Il n'en avait jamais eu. Il aimerait pouvoir se confier ou partager de bons moments. Il avait appris à vivre sans et à prendre sur lui.

Son père lui manquait tellement.

Il chassa la pensée quand la porte d'entrée claqua et que son tuteur l'appela. Il avait l'air énervé. Kakashi ne voulait pas descendre, il prit une profonde inspiration pour calmer les battements trop violents de son cœur et rejoignit l'entrée. Danzo venait de jeter ses chaussures, agacé de ne pas pouvoir se déplacer aussi fluidement qu'avant.

"Range les," il lui ordonna.

Le gris s'exécuta sans un mot.

"A quelle heure es-tu rentré ?

-Entre seize heure quinze et vingt.

-Tu n'as rien de plus précis ?

-Je suis désolé.

-Je sais, c'est bien la seule défense que tu as, espèce d'incapable."

Kakashi voulait grimacer mais se retint de justesse. Il pourrait mal le prendre.

"Prépare moi du café."

L'adolescent se réfugia dans la cuisine le temps de préparer la boisson. Inutile de lui demander de sortir, il était de mauvaise humeur. Le café ne semblait pas passer assez rapidement dans la cafetière et alors qu'il en profitait pour nettoyer la pièce, il se mordait la lèvre inférieure. Il pourrait être encore plus énervé s'il mettait trop de temps.

Il éteignit l'appareil quant il y eu assez de liquide pour remplir la tasse, puis le relança. Danzo attendait dans le salon, toujours avec un journal à la main. Quand il le vit arriver, il fit claquer sa langue au niveau du palet pour lui faire comprendre son agacement.

"Tu en as mis du temps, il l'accusa.

-Pardon."

L'adulte renifla puis trempa les lèvres dans le liquide avant de se redresser vivement.

"C'est bien trop chaud et immonde !"

Il jeta la tasse sur le pauvre garçon qui haleta de choc et de douleur. Il sursauta malgré lui et attrapa le bras gauche qui avait reçu la majorité du liquide brûlant et la porcelaine en répétant maintes excuses.

"Je suis certains que tu l'as fait exprès, espèce de bon à rien !

-Non, je suis désolé !"

Il se jeta au sol pour ramasser les débris, ignorant sa propre douleur. L'ancien militaire l'éloigna d'un coup de pied dans l'épaule. Il lui aboya de vite nettoyer et de lui rapporter une bouteille de whisky. Kakashi n'aimait pas quand il buvait, l'ivrogne le frappait plus facilement dans ces cas là.

Il put reprendre son souffle et ses esprits quand il fut enfin à l'étage. Son bras brûlait et le devant de son T-shirt était humide et chaud. Son épaule aussi lui faisait mal mais c'était beaucoup moins douloureux. L'homme avait encore beaucoup de force dans son corps rabougri.

En bas, les garçons venaient de rentrer et s'agitaient bruyamment. La partie la plus fatigante de la journée allait commencer. Ils étaient intenables le soir et Kakashi n'avait pas d'échappatoire. Il reprit rapidement le nettoyage de la maison pour ne pas subir de remarque là-dessus.

Le silence qui régnait quand il descendit dans la cuisine à l'heure du dîner fut désagréable. Kakashi sentait les trois paires d'yeux sur son dos alors qu'il se dépêchait de préparer le dîner. Il n'aimait pas quand tout était trop silencieux alors que tout le monde était là. Son corps se tendait inconsciemment pour se préparer à ce qu'il pouvait arriver.

Pour le coup, c'était un crochet du droit sur son côté abusé. L'air de ses poumons disparut soudain et il fut propulsé sur la carrelage froid du sol.

"Alors comme ça, tu as voulu blesser papa ? Le gris reconnut la voix de Fû, forte et moqueuse. Je pensais que tu avais appris ta leçon depuis le temps."

Les coups de pieds s'abattaient sans qu'il ne puisse rien y faire, il pouvait à peine utiliser ses bras en guise de défense. Il lui était impossible de prévoir les coups à l'avance.

Quand Fû eut enfin terminé, Kakashi n'était plus qu'une masse haletante et tordue par terre. Torune riait derrière eux tandis que Danzo pestait contre le repas qui n'était toujours pas prêt. Le grand brun se pencha au dessus de l'adolescent.

"Dépêche toi de terminer le dîner, on a faim."

Il l'abandonna sur place pour monter à l'étage et s'enfermer dans la salle de bain. L'autre brun partit dans sa chambre tandis que Danzo restait assis dans son canapé, à l'observer.

Son corps était douloureux. Encore plus que les dernières heures. Le sol était froid et désagréable, les frissons lui parcouraient la peau et lui donnaient encore plus mal. Il était prêt à s'endormir pour ne plus sentir l'abus de la peau craquée mais il avait encore des choses à faire. Danzo lui en voudrait davantage s'il restait allongé dans le passage.

Il se releva lentement et avec courage en utilisant le comptoir comme soutient. Il se concentrait sur sa respiration pour retrouver des membres moins tremblants. Sa vision était réduite par l'humidité qui s'y réfugiait sauf qu'il faisait tout pour retenir ses larmes. Il pouvait les laisser tomber plus tard quand il serait sous sa couverture, à l'abri du monde cruel.

Il servit la nourriture chaude dans les assiettes et les appela. Fû riait toujours quand il passait à côté de lui. Le salaud, Kakashi aimerait que quelque chose le blesse un jour pour qu'il puisse comprendre qu'il n'était ni infaillible, ni le plus fort. Mais ce n'était pas moral de souhaiter le malheur pour quelqu'un alors il se disputa mentalement. Fû avait été élevé comme ça, seules ses expériences personnelles pourraient le changer même s'il n'y croyait plus trop.

Il prit une douche chaude salvatrice en attendant son tour. L'eau chaude permettait de relaxer les muscles toujours tendus et de lui donner du confort. Il ne pouvait pas rester trop longtemps sous l'eau mais c'était suffisant. Ça valait mieux que ne rien avoir ! Kakashi avait appris à se satisfaire de tout ce qu'on lui donnait.

Il se regarda dans le miroir en sortant de la baignoire. Les bleus apparaissaient déjà sur le ventre et la légère brûlure sur le bras était à peine visible. Au moins, les marques sur ses cuisses disparaissaient lentement mais sûrement et il n'avait pas pris un seul gramme. En y pensant, son ventre gargouilla bruyamment. Il avait tellement faim.

La cuisine était vide quand il descendit de nouveau pour dîner. Evidemment, rien n'avait été débarrassé, c'était encore à lui de le faire. Parfois, il se moquait de lui-même en se comparant à la princesse Disney Cendrillon. Sauf que lui, il n'aurait pas de prince charmant pour le délivrer. Il n'y aurait que lui et sa future fuite le jour même de ses dix-huit ans, la majorité.

Il ne serait plus obligé de vivre avec un tuteur et c'était la plus belle délivrance qu'il pouvait attendre.

Il mit la vaisselle dans l'évier et sortit ses propres couverts pour s'installer à la table. Heureusement, ils n'avaient pas tout mangé. Même si c'était froid, il était heureux de pouvoir se servir une grande assiette. Son estomac était enfin plein et la fatigue accumulée de la journée commençait à peser lourd sur ses frêles épaules.

La vaisselle fut plutôt rapide à faire et après un dernier détour aux toilettes, il retrouva enfin la quiétude de sa chambre. Il n'y avait pas beaucoup d'effets personnels et elle n'avait aucune vraie décoration mais c'était son espace de la maison.

Il se glissa sous les couvertures et soupira de soulagement. Enfin, son corps pouvait se reposer. La journée avait été fatigante certes mais c'était son quotidien. Rien ne pourrait le changer jusque là, pas même ses nouveaux camarades de classe et encore moins le sourire idiot d'un certain brun aux yeux brillants.

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