CHAPITRE 5 : du sang sur le rond-point et une pièce trop blanche

« Rah ! j'en ai marre ! » hurla Rémus en jetant sa feuille couverte de notes sur le mur de sa chambre.

Il respira profondément, le visage entre les mains.

« deux jours, deux jours, deux jours, plus que deux jours, quasiment un, plus que trente-cinq heures et deux minutes, ah non, une... » lui murmurait en boucle la voix sournoise qui avait élu domicile dans sa tête depuis une semaine.

Cette voix s'appelait « angoisse ». Il la connaissait bien, elle venait lui rendre visite tous les jours depuis qu'il avait l'âge de s'inquiéter pour un lendemain. Mais ces derniers temps, elle était sur tous les plans, derrière chaque activité qu'il faisait, derrière chaque moment de détente qu'il s'accordait. Envoyer un texto à Antonio, lire trois pages d'un livre, gribouiller sur une feuille, toutes ces choses qui composaient son quotidien avaient pris le goût amer de la culpabilité. Tant que tu fais ça, tu ne bosses pas.

Le bac le bac le bac le bac.

Rémus souleva ses lunettes pour se frotter les yeux, las. Il s'était rarement senti aussi fatigué, des points noirs dansaient devant ses paupières et il avait le sentiment qu'on martelait son crâne de douloureux coups de masse. Il mit plusieurs secondes avant de se rendre compte que c'était bien son téléphone qui sonnait, et que sa tête ne lui jouait pas un autre tour. Il tendit la main vers son portable, hésita, mais jeta tout de même un œil au nom qui s'affichait sur l'écran. Il était presque minuit, il voyait mal qui pouvait l'appeler à une heure pareille.

Appel entrant – Clau.

Rémus écarquilla les yeux. Il n'avait pas parlé à la jeune fille depuis longtemps, pourquoi l'appelait-elle maintenant ? Sans plus se poser plus de questions, il attrapa son téléphone et décrocha.

« Allô ? Claudine ? »

Pendant quelques instants, il n'entendit que le bruit étouffé de pleurs. Ses vieilles amies, l'angoisse et la culpabilité, lui serrèrent le cœur. Il savait que Claudine n'allait pas bien, ou du moins, il aurait dû le savoir. Pourquoi n'avait-il pas repris contact plus tôt ?

« Claudine, tu pleures ? », demanda-t-il, sans pouvoir empêcher sa voix de se briser sur la dernière syllabe.

Seul le silence lui répondit. Il s'apprêta à reparler, de plus en plus inquiet.

« On avait dit Clau, pas Claudine, idiot. »

Rémus serra compulsivement le téléphone. La voix de son amie était faible, étranglée, entrecoupée de reniflements et de sanglots, et pourtant, elle avait toujours son ton goguenard, familier.

« D'accord, Clau, qu'est-ce qu'il se passe ? »

Silence. Crainte.

« Tu te souviens... tu te souviens de... de ton dernier sms ? »

Rémus resta coi, sans comprendre.

« Tu me disais de... de prendre soin de... moi. »

Au bout du fil, Claudine gémit, puis laissa échapper un soupir. Un sanglot.

« Mumus, je crois que... que j'ai fait une grosse connerie. »

Rémus courait. Il était à bout de souffle, son point de côté le faisait terriblement souffrir et ses jambes étaient de plus en plus lourdes alors qu'il déblatérait des phrases sans queue ni tête au téléphone.

« Clau, reste avec moi. Clau, tu m'entends ? Clau, dis-moi que tu m'entends, j'arrive au rond-point. »

À présent il distinguait la silhouette sombre de la maison de retraite qui se découpait, fantômatique, sur le ciel sans lune. Il balaya le rond-point du regard, éclairé par son téléphone. Son cœur rata un battement lorsqu'il identifia la forme sombre étendue dans l'herbe. Il se précipita.

Ses jambes étaient de coton lorsqu'il s'effondra à terre, aux côtés d'une Claudine qui leva son visage baigné de larmes vers le sien.

« Clau. Clau, qu'est-ce que tu as fait ? Clau, je vais t'aider, je veux juste que tu me dises ce que tu as fait. ». Sa voix n'était plus qu'un murmure.

La jeune fille fixa le regard brillant de peur de Rémus. Ses yeux onyx, habituellement si pétillants, n'étaient plus que deux globes de nuits, recouverts par le voile d'une souffrance immense lorsque, sans dire un mot, elle offrit son bras dénudé à la lumière blafarde du téléphone.

Son ami eut l'impression que son corps entier s'était changé en glace. L'avant-bras de Claudine était recouvert de sang, qui s'égouttait lentement des larges plaies ouvertes sur la peau sombre avant de tomber sur la pelouse. Dans son autre main, l'éclat glacé d'une lame de couteau acheva de convaincre Rémus que la situation était grave. Très grave.

Sans faire une seule remarque, il attrapa son téléphone d'une main qui tremblait.

Il composa le 18 comme un automate, et c'est d'une voix d'automate qui répondit aux questions de la femme qui décrocha. Oui, elle était consciente. Oui, elle saignait. Oui, beaucoup. Oui, c'était grave. Le rond-point de la rue Després. Oui. Faites vite, s'il vous plaît.

Automate, il raccrocha.

Automate, il enlaça Claudine de toutes ses forces. Il frémit de la sentir si légère, si maigre, si dur et si osseuse dans ses bras. Frémit de pouvoir voir ses côtes à travers sa chemise de nuit trop large. Frémit de la sentir si faible, elle, la dure à cuire. Frémit en sentant ses hoquetements contre son t-shirt de pyjama.

Alors, Rémus s'aperçut qu'il pleurait, lui aussi. Et le goût salé sur ses lèvres, l'odeur métallique du sang qui s'écoulait, ploc ploc, et les larmes qui ruisselaient, plic plic, nuit d'ébène et nuit de porcelaine, et le son lointain de l'ambulance qui déchira le tissu de velours de la chaude nuit rouge sang.

~.°.°.°.°.~

Blanc.

Tout est blanc.

Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Claudine papillona des yeux quelques instants avant de réussir à s'habituer à la luminosité environnante. Murs blancs, plafond blanc, lit blanc, sol carrelé. Elle était à l'hôpital.

Un flot de souvenirs l'avala soudain et elle serra étroitement les paupières pour endiguer la vague douloureuse.

Sang. Larmes. Rémus. Bleu, rouge, bleu, rouge. Vacarme et douleur.

Elle respira profondément et risqua un regard vers son bras qui reposait sur le drap immaculé. Autour de la perfusion, de fines cicatrices s'étiraient tout le long de son poignet et de son avant-bras, s'entrelaçaient et se croisaient en un quadrillage morbide. La honte la submergea. Qu'avait-elle fait ? Et voilà que Rémus était au courant ! Elle n'aurait jamais, jamais dû l'appeler.

Ne sois pas stupide, se morigéna-t-elle. Tu te serais vidée de ton sang si il n'avait pas appelé l'ambulance.

Son regard s'attarda sur le tuyau qui remontait de son bras jusqu'à une poche de sang suspendue un peu plus loin.

Le bruit de la porte l'arracha à sa réflexion. Une femme brune entra, sans doute une infirmière, et lui adressa un sourire compatissant. Elle s'assit dans le fauteuil placé à côté du lit.

« Bonjour, Claudine. », commença-t-elle.

L'interpellée se contenta d'un sourire bref. Sa tête la faisait sérieusement souffrir et elle aurait bien voulu qu'on la laisse tout simplement dormir.

« Claudine, je suppose que tu sais pourquoi tu es là. »

Ces quelques mots frappèrent l'adolescente en plein cœur. Bien sûr qu'elle le savait. La honte revint, cuisante, lorsqu'elle pensa à ce que Rémus avait pu ressentir. Elle ne l'avait rencontré qu'une fois, ils avaient échangé quelques sms, et elle s'arrogeait le droit de le distraire de la sorte à quelques jours du bac, pour lequel il était si stressé. Elle se sentit si coupable que les larmes lui montèrent aux yeux. Elle qui ne pleurait jamais, ces derniers jours l'avaient décidément bien éprouvée.

« J'aimerai bien aller aux toilettes. » dit-elle d'une voix rauque. C'était faux, elle voulait juste bouger, ne pas rester seule avec ses pensées.

L'infirmière se fendit d'un nouveau sourire.

« Tu as une sonde urinaire directement dans ta vessie, tu peux faire pipi, se lever serait dangereux dans ton état. »

« Dans mon état ? », releva Claudine. « J'ai juste perdu un peu de sang, que j'ai certainement eu le temps de récupérer. Je vais bien. »

Son interlocutrice secoua la tête.

« Claudine, le fait que tu aies essayé de te suicider ne... »

« Je n'ai pas essayé de me suicider ! », s'exclama Claudine, indignée. « Je voulais juste... »

« Te faire mal. », compléta la femme.

La jeune fille se tut. L'infirmière laissa échapper un soupir et reprit, sévère :

« Tu as perdu beaucoup de sang. Vraiment beaucoup. Tu aurais pu mourir, non, tu serais morte, si ton ami n'avait pas appelé une ambulance. On ne joue pas avec ça, Claudine. »

En voyant le visage décomposé de la jeune fille, elle se radoucit.

« Claudine, tu es mal dans ta peau. Tu le sais. Tu ne vas pas bien du tout. Ces blessures que tu t'es infligée ne sont qu'un symptôme de plus : tu as urgemment besoin d'un suivi psychologique. Et d'un petit séjour à l'hôpital. »

« Pourquoi un séjour ? »

« Il n'y a pas que les blessures. »

« Il y a quoi d'autre ? »

La femme parut hésiter.

« Claudine, quand as-tu eu tes règles pour la dernière fois ? »

« Je ne sais pas, peut-être deux mois, elles ne sont pas régulières. »

« Est-ce que tu as eu des vertiges récemment, des évanouissements peut-être ? »

« Je... je ne dors pas très bien, alors, des fois, je suis fatiguée en journée. »

L'infirmière secoua la tête d'un air navré.

« Claudine, tu ne manges pas assez. Du tout. Tu es en sous-poids, c'est pour ça que tes règles se tarissent, c'est pour ça que tu as des vertiges. Perdre autant de sang, dans ton état, c'était très grave, et il faut que tu restes ici pour te reposer. »

Les mots sortirent tous seuls de la bouche de la jeune fille, sans qu'elle ne puisse les arrêter.

« Je mange bien assez ! Je fais juste un petit régime, de rien du tout pour perdre mes kilos en trop. C'est Karine – ma mère adoptive – qui me le fait suivre, et pour une fois qu'elle a raison, désolée mais je l'écoute. Vous confondez tout. Je suis en surpoids, pas en sous-poids. Regardez-moi bien et vous verrez. »

Un éclair de douleur et de compréhension passa dans les yeux de la jeune femme. Elle se dirigea vers un coin de la pièce, ouvrit un tiroir et en sortit un miroir de poche. Elle le tendit à Claudine d'une main ferme, le plaça juste en face de son visage.

« Non, toi, regarde-toi. »

En l'espace d'un instant, Claudine croisa le regard de son reflet et fut perdue : ce n'était pas elle. Elle ne connaissait pas cette fille aux grands yeux tristes, au joues creuses, au visage émacié. Elle ferma les paupières un instant, et, lorsqu'elle les rouvrit, elle brûlait d'une volonté implacable.

« J'ai besoin d'une balance. »

Croyant que la jeune fille avait admis sa maigreur et voulait le vérifier par elle-même, la femme acquieça et disparut quelques minutes dans la salle de bain avant d'en ressortir, une petite balance à la main. Elle la posa au pied du lit.

« Ne bouge pas, tu te ferais mal avec la sonde urinaire. Je vais appeler le médecin, il décidera de la procédure à appliquer. Je ne peux rien te promettre, mais si tu te montres raisonnable, il y a une chance pour qu'il te retire la sonde et te laisse essayer la balance. Tu verras alors à quel point tu es maigre. »

Elle sortit, laissant Claudine seule. Celle-ci fixait la balance. Sa détermination n'avait pas de limites. Elle avait merdé, d'accord. Cette histoire de coupures, c'était n'importe quoi, même si ça lui avait fait un bien fou sur le moment. Elle devait se concentrer sur son but, et son but, c'était cette balance.

Elle allait bien. Elle n'était pas en sous-poids. Elle était encore trop grosse. Elle allait bien. Et elle allait perdre encore quelques kilos.

Mais pas beaucoup, se promit-elle, ça ne servirait à rien. J'y suis presque. J'y suis presque. Et je vais bien.

Je vais bien.









yé voulais paaaas écrire ce chapitre ;;;-;;;

mais bon, maintenant que j'ai bien foutu la merde, je vais pouvoir la réparer, et ça va être marrant à lire héhé (mes enfants étant des boulets, risque d'y avoir de la casse oups)

ah et !! évitez de shipper claumus trop fort pcq je veux pas trop casser vos rêves (oui, ceci vaut aussi pour toi maëlle, I SEE U)

brrrrref je vous laisse, je vous aime, et jouez pas avec votre vie les enfants, claudine n'est clairement PAS un exemple à suivre hrm ? mangez bien et évitez les objets tranchants !

luv luv ♡

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top