Chapitre 12 ✓

PDV Jack Frost:
Les semaines suivantes se passent sans encombre. J'évite de trop embêter Aurélien en journée pour lui laisser un peu d'espace. Mais il me consacre toujours une petite heure avant de dormir et même un peu plus quand c'est le week-end. Ce soir-là ne fait pas exception à la règle.

-Jack, ça m'intrigue vraiment de ne pas savoir où tu dors.
-Pourquoi ça?

Il hausse les épaules.

-Eh bien, en fait, je n'ai pas besoin de beaucoup dormir. Mais il faut bien que mon corps se repose de temps en temps. Alors je me trouve une jolie branche quelque part et je m'endors sous les étoiles.
-Dans le froid?
-Je n'ai jamais froid!
-Jamais?
-Jamais!

Il s'assoit sur son lit avec son oreiller dans le dos.

-Ça ne te manque pas de dormir dans des draps?
-Au début, ça me manquait. Mais après 300 ans, tu finis un peu par oublier ce que ça fait.

Ses yeux s'écarquillent.

-Tu as... Attend, tu viens réellement de dire que tu as 300 ans?
-Je me rapproche plus des 400 pour être tout à fait exact. Mais je me suis arrêté de compter depuis quelques temps. Ça te choque tant que ça?
-Disons que je n'avais pas vraiment l'impression de parler avec un vieillard!

Je m'offusque.

-Mais je ne suis pas vieux! Je n'ai même pas pris une ride!
-Physiquement peut-être mais...
-Mais quoi? J'ai toujours un cœur d'enfant!

Il rit.

-C'est vrai que t'as pas tord!
-Tu vois! Ce n'est pas l'âge qui fait la maturité !

Son sourire s'efface quelque secondes.
Puis il se lève et fait mine de lire le résumé d'un des livres qu'il possède.
Je pince les lèvres.

-J'ai dit quelque chose qu'il fallait pas?
-Non!

Il se gratte la tête et s'assoit.

-Je peux te parler de quelque chose?

Je vais me poser à côté de lui.

-Bien sûr. Qu'est-ce qu'il se passe?
-C'est à propos de Charlotte.

Il a l'air très soucieux tout d'un coup.

-J'ai l'impression qu'elle veut me parler de quelque chose. Mais à chaque fois qu'elle ouvre la bouche, soit elle est interrompue, soit elle se stoppe elle-même.
-Tu sais de quoi elle veut parler?
-J'ai ma petite idée...

Puis il ne dit plus rien.

-Et du coup, quel est le rapport avec ce que j'ai dit?
-Tu as dit que l'âge ne faisait pas la maturité. Et ça m'a rappelé que Charlotte m'avait parlé de ça il y a quelque jour.

Il se frotte les mains.

-En gros, elle a eu un copain il y a quelques mois. Ils ne sont plus ensemble maintenant. Je l'ai soutenu pendant sa rupture. Elle ne m'a jamais réellement expliqué pourquoi elle l'avait quitté. En fait, elle m'a juste dit qu'il manquait de maturité et qu'ils n'avaient sûrement pas la même vision de l'amour.

Il semble se perdre dans ses pensées quelques instants.

-Mais j'ai l'impression qu'elle est de plus en plus triste... Non, c'est pas le bon mot... Je ne sais pas comment expliquer.
-Essaie toujours.
-Charlotte a toujours été pleine de vie. Mais depuis quelques temps, dans ses yeux, il manque un éclat.

Je lève la tête vers le plafond.

-Pourquoi tu ne vas pas lui parler?
-J'ai peur de la brusquer.
-Tu devrai lui tendre la main. A elle de décider si elle l'attrape ou pas. Tu es sûr que ça a un rapport avec ce garçon?
-Oui. Je la connais. Ça ne peut être que ça.
-Alors demain, vous vous trouvez un coin tranquille au lycée. Et vous discutez.

Je me lève et m'étire.
Puis je me tourne vers lui et lui souris.

-Charlotte doit être fière d'avoir un ami comme toi.
-Pourquoi?
-Tu es là quand elle en a besoin, tu t'inquiètes...
-Ça me paraît naturel. On se connait depuis tellement longtemps... Elle est comme ma deuxième famille!

Je hoche la tête.

-J'ai tendance à oublier ce que ça fait d'avoir une famille. La seule que j'ai, ce sont les enfants. Tout l'amour qu'ils t'apportent...
-Mais j'imagine que ce n'est rien comparé à l'amour de tes parents.
-Disons que c'est... différent.

J'observe son visage tordu par l'inquiétude.

-Tu ferai mieux de dormir. Tu as l'air fatigué. Je repasse demain soir. Tu me diras comment ça s'est passé.

Il me raccompagne jusqu'à la fenêtre qu'il ferme avec lenteur une fois que je suis dehors.

***
Quand je reviens le lendemain, la fenêtre est déjà ouverte. Aurélien me tourne le dos.

-Je suis là !
-Oui je t'ai entendu rentrer.

Mais il ne se retourne pas.

-Tout va bien ?
-Ne t'affole pas. Quoi qu'il arrive, j'ai déjà eu droit à l'inquiétude de ma mère. Je n'ai pas besoin de la tienne en plus.
-Qu'est-ce que tu...

Il pivote sur lui-même. Un mouchoir imbibé de sang rentre dans son nez.
Je lève un sourcil.

-Tu es tombé en descendant du bus?
-Pas tout à fait. Disons plutôt que je me suis reçu un poing bien placé.

J'écarquille les yeux.

-Charlotte t'a frappé ?
-Pas tout à fait non plus.

Je m'approche et touche son nez. Il tape dans ma main.

-Ma mère a déjà fait ça.
-Ah! Pardon!

Il enlève le mouchoir.

-Je crois que ça s'est arrêté.

J'observe son trou de nez rougi et dilaté.

-Du coup, tu me racontes?
-Eh bien, j'ai réussi à discuter avec Charlotte.
-Je parlais de ton nez.
-C'est lié donc autant attaquer par le début.

Nous nous asseyons sur le matelas en même temps. Il se met contre la tête de lit et je me place en tailleur en face de lui.

-Elle a eu du mal à m'en parler. Et je ne suis pas sûre qu'elle m'ait tout dit. Mais je pense savoir le principal.

L'expression figée sur son visage ne me dit rien qui vaille.

-Elle est sortie trois mois avec un garçon l'année dernière. Tout avait l'air de bien se passer. Bon ils se disputaient de temps en temps, mais voilà, pas d'amour sans dispute. Quand elle m'a raconté ce qui la hante, j'ai eu l'impression de heurter un iceberg. Je ne m'attendais pas à tout ça.

Il reprend sa souffle.

-Elle a commencé par me dire que ce type lui a très vite parlé de sexe. Bon, après c'est vrai que tous les jeunes en parlent, alors elle ne s'est pas vraiment inquiétée au début. Elle a été claire avec lui, elle n'était pas prête à le faire et il avait l'air d'accord avec ça. Sauf que, quelques jours plus tard, il lui a dit que tout le monde est prêt à se lancer, qu'il n'y a pas à avoir peur, patati et patata... Ça a commencé à réellement se corser quand il l'a invité chez lui.

Ses mains se crispent.

-Ils étaient dans sa chambre. Les parents du mec étaient là mais ça ne l'a pas arrêté pour autant. Ils s'embrassaient et il a commencé à être assez entreprenant. Il lui touché la poitrine malgré qu'elle ait tenté de le repousser. Et quand il a voulu aller plus bas, elle lui a retenu le poignet. Elle arrêtait pas de dire "non" et il lui a dit "fais-moi confiance".

Aurélien fait un rire sinistre qui me glace le sang.

-"Fais-moi confiance", sérieusement ? Le sexe, c'est pas qu'une question de confiance. Et Charlotte, elle a pas eu le courage de lui tenir tête, elle lui a lâché le poignet.

Il observe le plat de sa main maintenant.

-J'ai pas attendu plus longtemps. Elle avait sans doute un tas d'autres trucs à me dire. Mais j'ai pas pu me retenir d'aller mettre ma main dans la grande gueule de ce connard. Ce que j'avais oublié, c'est qu'il était du genre à riposter sur le champs.

Je pince les lèvres.

-Et Charlotte, comment elle allait pendant...

La sonnerie du téléphone m'interrompt. Aurélien se lève et va voir qui appelle.

-C'est Charlotte, dit-il en décrochant. Allô?

J'entends une petite voix folle d'inquiétude sortir du petit appareil.
Aurélien lui répond très posément.

-Calme-toi, je n'ai rien. Il m'a juste mis un poing... Oui je sais que ça aurait pu être plus grave, mais là ça va... En même temps, il le méritait... Est-ce que ça va aller?

Il se tourne vers moi.

-Appelle-moi si jamais t'as le moindre soucis. Passe une bonne soirée. Bisous.

Il raccroche.
Je m'approche.

-Alors?
-Elle était un peu paniquée. Mais je pense qu'elle va bien. Elle a l'air d'avoir un poids en moins sur les épaules.

Il revient s'asseoir et se touche le nez doucement.

-Ça te fait mal?
-Non ça va.
-Il t'a juste mis un poing?

Il répond un truc les dents serrés.
Je fronce les sourcils.

-Tu sais Aurélien, ça m'étonne qu'il t'ait mis qu'un coup. T'es allé lui mettre une gifle et j'imagine que tu lui as dit quelque chose en même temps. Et lui, il t'a juste mis un unique poing ?

Je vois sa mâchoire se contracter sous sa peau.

-Pourquoi tu veux savoir?
-Et pourquoi tu te braques comme ça?

Il prend une grande inspiration.

-Il m'a insulté.
-Qu'est-ce qu'il t'a dit?
-N'ai-je pas le droit de le garder pour moi?
-On se sent parfois mieux après avoir sorti ce qui nous pèse sur le cœur.

Aurélien se laisse tomber en arrière et passe son bras sur ses yeux.

-Il a dit qu'il ne comprenait pas les gays et qu'il détestait encore plus les bisexuels car on serait des gens indécis. Et il m'a traité d'hybride "gouine-pédé".

Je me rapproche et Aurélien relève son bras pour croiser mon regard. Je m'attendais à y voir de la tristesse, de la douleur, mais je ne lis que de la colère.

-Je suis bisexuel, c'est un secret pour personne mais je ne le crie pas non plus sur les toits. Charlotte a du lui en parler quand ils étaient ensemble. Je ne comprends pas pourquoi il y a des personnes aussi peu ouvertes d'esprit et aussi débiles. C'est pas parce que je suis bi que je suis indécis! J'ai juste la chance de m'ouvrir plus de portes!

Je le sens sonder mon regard. Cherche-t-il à savoir ce que je pense?

-Qu'est-ce que tu lui as répondu?
-Rien. Je suis parti. Je pensais pas qu'il allait me balancer ça. J'aurai dû lui répondre quoi? Je pensais pas qu'un mec de son intelligence réussirait à sortir un truc aussi sophistiqué. Un hybride? Sérieusement ?

Je me lève et vais à la fenêtre.

-Jack, qu'est-ce que tu fais?
-Je vais rendre visite à ce mec.
-Pourquoi?
-Il t'a fait du mal non? Il t'a blessé ainsi que Charlotte.
-Et alors? Tu vas faire quoi? Le frapper toi aussi?
-Non juste...

C'est vrai ça. Qu'est-ce que je peux bien faire?
Je pousse un cri de frustration.

-C'est vraiment chiant de pas pouvoir aider des amis! Je sers strictement à rien!
-Ton boulot, c'est pas de panser les coeurs. Tu existes pour amener la joie aux enfants.
-Oui mais...

Il se remet sur pieds alors qu'il secoue la tête.

-La seule chose qu'il faut espérer, c'est qu'il comprenne un jour son erreur pour ne pas qu'il la commette à nouveau.

Je pince les lèvres.

-Aurélien, j'ai peut-être une idée.
-Jack...

Sa voix est lasse.

-Promis, je ne vais pas le frapper, l'insulter ou l'humilier. Je peux peut-être lui faire ouvrir les yeux.
-A coup de boules de neige dans la figure?
-Mais non! J'ai juste besoin de son nom et prénom.

Il hésite un peu mais finit par prendre un papier sur lequel il écrit deux mots et me le tend.

-Je ne veux pas regretter de te faire confiance.
-Et moi, je ne veux pas perdre quelqu'un qui est cher à mes yeux.

Je lui souris doucement en prenant le papier puis me jette dans le vide avant de m'envoler dans le ciel.

...
A votre avis, que va faire Jack?

Avez-vous déjà eu des remarques débiles à cause de vos goûts, de votre sexualité ou autre?

Je suis bisexuelle. Et un jour, on m'a dit "mais tu vas devoir faire un choix. Tu vas finir ta vie avec un garçon ou une fille". Genre je peux pas être bisexuelle toute ma vie. Je serai obligée de choisir entre hétéro ou homo. Ça m'a bien fait marrer.

Il me semblait important de rappeler ici de un le consentement. C'est quelque chose de primordial.
Et ensuite, dans les histoires souvents, les héros sortent avec quelqu'un et c'est la bonne personne. La vraie vie ne marche pas toujours comme ça. Vous allez peut-être tomber sur des gens biens comme sur des connards. Il ne faut pas que vous perdiez ça de vue, la vie n'est pas un compte de fée où tout finit bien.

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