Le frigo et la banquise

J'observais le paysage qui défilait de l'autre côté de la vitre, déprimée. J'allais devoir passer deux interminables mois avec lui, le temps de me trouver un appartement. Entre nous c'était la guerre froide. Nous nous détestions d'aussi loin que je me souvenais. Honnêtement, je ne savais même plus pour quelle raison, et j'étais sûre que lui ne s'en rappelait plus non plus, mais c'était ainsi. Je n'étais que la fille qui vivait chez lui et il n'était que le garçon que je devais supporter et faire sembler d'apprécier devant sa famille.

Sa famille... J'avais finis par la considérer comme la mienne, je les aimais peut-être même encore plus que lui. Je ne comprenais pas comment il pouvait continuer à aller sur scène et dans des émissions en ce moment... Je me mis brusquement à compter. Il s'agissait de ma technique personnelle pour ne pas pleurer. J'en étais à deux mille trente huit lorsque le train s'arrêta dans la gare de Séoul. Je soupirai mais me levai de mon siège, récupérai ma valise et mon sac-à-dos, puis descendis sur le quai. Je me doutais qu'il ne devait pas être venu me chercher mais je ne connaissais pas son adresse, je me résignai donc à l'appeler. Ça sonna longtemps mais il finit par décrocher sur la dernière sonnerie.

-Allô ?

-Hey. T'habites où ? lui demandai-je.

Je l'entendis soupirer.

-Un ami est venu te chercher.

-Sérieux ? m'étonnai-je.

-Ouais. Je veux pas que tu causes de problème, y a la sécurité dans le hall de l'immeuble.

Je me disais bien, aussi... Il l'avait fait pour lui, pas pour moi.

-Ok... Qui c'est ton ami ?

-Il aura une pancarte avec ton nom. Débrouille-toi.

Là-dessus, il raccrocha. Bon, apparemment je n'avais pas vraiment le choix. Je me dirigeai vers l'endroit où étaient rassemblées toutes les personnes attendant un voyageur. Je finis par repérer un garçon d'une vingtaine d'années, une casquette enfoncée au maximum sur la tête, qui regardait ses pieds et tenait une feuille A4 où était écrit "Andréa the floe (aka my dongsaeng's dongsaeng)".

-The floe ? fis-je en me mettant devant lui.

Il leva un peu la tête pour que je vois son visage. Mark. Il esquissa un sourire.

-Désolé. Il t'appelle "Andréa la banquise" alors j'ai juste traduit. Je me suis dit que comme ça tu serais sûre de te reconnaître.

-Il m'appelle vraiment comme ça ? grimaçai-je.

-Oui. Il paraît que c'est la guerre froide entre vous.

Je confirmai. Après tout je l'appelais souvent "le frigo", alors "la banquise" ça se valait...

-T'as pas un surnom bizarre pour lui, toi ? me demanda justement Mark en me prenant ma valise des mains.

-Le frigo, marmonnai-je.

-Vous vous ressemblez en fait, rit-il. Allez viens.

Il m'entraîna vers le parking.

-Désolé, j'ai pas de voiture à moi donc j'ai pris le van du groupe, c'est pas très discret... Mais bon on a de la place au moins.

-C'est rien.

Il mit ma valise dans le coffre et me fit signe d'y mettre aussi mon sac, puis nous montâmes dans le van.

-On en a pour environ vingt minutes si ça roule bien, déclara le rappeur.

-Ok.

-T'as pas l'air très heureuse. Tu sais que des centaines de filles tueraient pour vivre avec nous ne serait-ce qu'une journée ? me taquina-t-il.

-Je dois te rappeler de qui vient le surnom "banquise" ?

-Ah ouais.

-Et puis je vivais avec ses parents depuis mes trois ans. C'était comme ma famille...

Ne pas pleurer. Un. Deux. Trois. Quatre. Cinq. Six.

-Désolé. Je... J'avais pas pensé à ça.

-C'est sûr que vu comme ça l'a touché... murmurai-je.

Sept. Huit. Neuf. Dix. Onze. Douze. Treize. Quatorze. Quinze. Seize. Dix-sept. Dix-huit. Dix-neuf. Vingt.

-Je suis sûr qu'il est au moins aussi mal que toi, déclara finalement Mark.

-Si tu le dis.

-Dis, t'es une IGOT7 ? m'interrogea-t-il pour changer de sujet.

-Non, avouai-je. Je peux pas être fan du groupe dans lequel est cet idiot.

-Ah.

-Mais j'aime bien votre musique.

-C'est le principal, je suppose.

Le reste du trajet se déroula dans un silence seulement troublé par la musique diffusée par la radio. Nous mîmes presque une demie heure à arriver. Mark se gara dans le parking d'un bâtiment d'environ dix étages, récupéra ma valise, me tendit mon sac et m'entraîna vers l'entrée. Il tapa le code de la porte de l'immeuble, salua la sécurité, et nous prîmes l'ascenseur jusqu'au quatrième.

-On te donnera les codes une fois que tu seras installée, me dit Mark en déverrouillant leur porte.

-Merci.

Le garçon fut obligé de soulever ma valise pour la faire passer car des montagnes de chaussures trainaient dans l'entrée.

-Sérieux, ils auraient pu un peu ranger... se plaignit-il.

J'enjambai l'obstacle et le rejoignis. Il m'emmena dans le salon.

-On est là ! lança-t-il.

Un garçon nous adressa un signe de la main depuis le canapé sans lever la tête de l'émission qu'il regardait, trois autres sortirent de ce qui devait être une chambre et il arriva depuis la cuisine, une bouteille d'eau à la main, aussi chaleureux qu'une porte de prison. Ça faisait six, il en manquait un, qui devait être sous la douche vu le bruit d'eau que j'entendais.

-Youngjae, t'aurais pu te lever ou au moins tourner la tête pour dire bonjour, non ? le réprimanda Junior qui était arrivé avec Bambam et Yugyeom.

-Désolé, fit celui qui regardait la télévision.

Il se retourna, se retrouvant à genoux sur le canapé, les coudes sur le dossier, et me sourit.

-Bienvenue !

-Salut, répondis-je.

-Merci d'être allé la chercher, hyung, lança mon frigo en s'éloignant, sa bouteille à la main.

-Toujours aussi accueillant, constatai-je.

-Je t'ai pas demandé de venir.

-J'ai pas demandé ça non plus, contrai-je.

Nous nous défiâmes du regard un long moment. L'ambiance était devenue glaciale et les cinq autres se contentaient d'observer la scène sans rien faire.

-Ah ça fait du bien une bonne douche ! s'exclama brusquement une voix sur ma droite, manquant de tous nous faire sursauter.

J'écarquillai les yeux de surprise. Il était en serviette, les cheveux mouillés. Il se figea en remarquant ma présence avant de partir s'enfermer dans la salle-de-bain.

-Hyung ? lança-t-il depuis l'autre côté de la porte.

-Lequel ? demanda Mark.

-JaeBeom hyung, précisa-t-il.

-Qu'est-ce qu'il y a ? lui demanda le frigo.

-Elle est là, hein ?

-Ouais.

-C'est bien ce que j'ai cru voir... Un volontaire pour aller me chercher des vêtements ?

-J'y vais, je dois récupérer un truc dans la chambre, dit Mark.

-Merci hyung.

-De rien.

-Après dépêche-toi de t'habiller, je vais aller me laver aussi, déclara froidement JaeBeom.

-Qu'est-ce qu'il t'arrive, hyung ? s'enquit Yugyeom, apparemment surpris par son comportement.

-Rien. Fais pas attention.

Le plus jeune s'apprêtait à reprendre la parole mais Junior l'en empêcha.

-Laisse-le, lui glissa-t-il discrètement.

L'intéressé acquiesça. Je vis le frigo s'éloigner vers une chambre. Quelques minutes plus tard, je me retrouvai assise sur le canapé entre Bambam et Yugyeom, JaeBeom était sous la douche et les autres étaient partis dans leurs chambres.

-Tu t'appelles Andiéa, c'est ça ? me demanda Yugyeom.

-Andréa, le corrigeai-je.

-Ah, désolé. C'est étranger, non ?

-Oui, c'est français, leur appris-je.

-Moi je gère les noms et les prénoms compliqués ! s'exclama Bambam en riant.

-C'est sûr qu'avec le tien, se moqua Yugyeom.

Le deuxième plus jeune lui tira la langue avant de s'adresser à moi.

-Tu connais mon vrai nom ?

-Euh, plus ou moins ? Je sais qu'y a un "kul", un "b"... Ah, un "mook" aussi !

-Ouais. Kunpimook Bhuwakul. Mais je t'en voudrai pas si tu m'appelles juste Bambam, me sourit-il.

-Je crois que je vais m'en tenir à Bambam, effectivement, souris-je également.

-Sinon t'as quel âge ? me demanda Yugyeom. Hyung nous avait quasiment pas parlé de toi avant qu'il apprenne que... Enfin, voilà.

-Dix-sept ans, j'en aurai dix-huit en novembre, répondis-je en faisant abstraction de la deuxième partie.

-Quel jour ?

-Comment ça quel jour ?

-Ton anniversaire, précisa-t-il. Moi aussi je vais avoir dix-huit ans le mois prochain.

-Ah oui ? Je suis née le dix-sept.

-Comme moi ! s'exclama le garçon en sautant sur ses pieds, un grand sourire aux lèvres.

-Sérieux ? m'étonnai-je.

-Ah ben mince, c'est qui le plus jeune alors ? s'enquit Bambam. On peut pas avoir deux maknaes ex æquo !

-Je suis né le matin mais je saurais pas dire à quelle heure, déclara Yugyeom.

-Moi le soir, vers vingt-deux heures.

-Donc Andréa est notre maknae temporaire, sourit Bambam.

-Appelle-moi oppa, me supplia presque Yugyeom.

-Pourquoi ? ris-je. T'as que quelques heures de plus que moi.

-Parce que je te le demande ? S'il-te-plait, ajouta-t-il.

Le garçon se mit même à faire des aegyos en me demandant de l'appeler oppa. Il était trop mignon comme ça.

-Bon d'accord, cédai-je finalement.

-D'accord qui ? sourit-il.

-D'accord oppa, précisai-je en levant les yeux au ciel, un sourire menaçant d'apparaître sur mon visage.

-T'as que ça à faire ? Si t'es là pour flirter avec Yugyeom et Bambam je peux m'arranger pour te trouver un appartement dans la semaine, intervint JaeBeom d'un ton glacial en sortant de la salle-de-bain.

-Je flirte pas. Et crois-moi, je suis sûrement aussi énervée que toi de devoir passer autant de temps avec toi, mais t'es responsable de moi au moins jusqu'à mes dix-huit ans.

Je vis sa mâchoire se crisper. Il avait l'air de faire de son mieux pour ne pas s'énerver.

-On verra ça plus tard. En tout cas ce soir tu dors sur le canapé, m'apprit-il en claquant la porte de sa chambre.

Les deux garçons autour de moi grimacèrent.

-Je comprends pas pourquoi il est comme ça, déclara Bambam.

-Il est normal pourtant, soupirai-je.

-Il est vraiment toujours comme ça avec toi ? s'enquit Yugyeom.

Je haussai les épaules.

-Mais en fait, vous avec quel genre de relation ? se renseigna le thaïlandais.

Je haussai les sourcils. Il ne leur avait même pas expliqué ça ?

-On sait juste que t'étais proche des membres de sa famille, continua-t-il.

-Je suis plus ou moins sa sœur adoptive, leur expliquai-je. Plus ou moins.

-Pourquoi "plus ou moins" ? demanda Yugyeom.

-Raison numéro un : je le considère pas comme mon frère et ça sera la fin du monde si lui me considère un jour comme sa sœur. Raison numéro deux : c'est pas une adoption basique. En gros sa famille est légalement responsable de moi mais c'est tout. Enfin était. Et c'est pour ça que monsieur le frigo doit s'occuper de moi.

-Le frigo ? releva Bambam. Lui il...

-Je sais. La banquise, l'interrompis-je.

-Pourtant séparément vous êtes ni un frigo ni une banquise... constata Yugyeom.

-On s'aime pas, c'est comme ça. On se contente de se supporter.

-On voit ça, fit Yugyeom.

-Sinon, t'as mangé dans le train ? s'enquit Bambam. Parce que nous on a déjà mangé mais on peut te donner quelque chose si t'as faim.

-C'est gentil mais j'ai mangé avant le voyage.

-D'accord. Bon on te laisse, on va dormir. Promis, demain t'auras une chambre, ajouta Yugyeom.

-Merci. Dormez bien.

Je les laissai se coucher avant de sortir ma brosse à dents et mon pyjama de mon sac-à-dos. J'entrai dans la salle-de-bain et écarquillai les yeux. Il y avait des vêtements sales traînant par terre, des serviettes en boule dans un coin, des tonnes de produits pour le visage alignés devant le miroir et sur les rebords du lavabo, et ils avaient chacun leur dentifrice. Je me mis en pyjama en étudiant les sept tubes. J'eus des frissons de dégoût en trouvant un dentifrice à la fraise et un au chewing-gum. Beurk. Les cinq autres étaient à la menthe. Je reconnus immédiatement celui de JaeBeom, il achetait le même depuis dix ans. J'hésitai une seconde avant de l'utiliser. Il n'en saurait rien donc ne dirait rien. Je soupirai. Je n'arrivais pas à comprendre comment ce garçon pouvait être à la fois aussi adorable avec les autres et aussi insupportable avec moi... Même si je ne l'aurais avoué pour rien au monde, il n'était pas personne pour moi. Il m'énervait, je détestais être avec lui pour des durées un peu trop longues, nous étions dans une guerre froide, mais malgré tout il faisait partie de ma vie. Il y avait des personnes que l'on détestait et à qui on pourrait souhaiter la mort, et il y avait celles qu'on détestait mais qu'on ne voulait pas perdre. Im JaeBeom appartenait pour moi à cette deuxième catégorie.

-Andréa ! Mark et moi on a fini de déplacer nos affaires, vint me dire Jackson.

-Cool, merci.

Je pris ma valise dans une main et mon sac dans l'autre, puis j'emmenai le tout dans ma nouvelle chambre. Pour ces deux mois, Mark déménageait chez JaeBeom et Youngjae, pendant que Jackson allait emménager momentanément dans le dressing de Bambam et Yugyeom avec Jr. Je venais d'ouvrir ma valise quand je reconnus la voix de Jackson.

-Mais comment vous pouvez vivre dans un bordel pareil ? Et toi, JinYoung, c'est plus ou moins ta chambre aussi, pourquoi tu leur dis rien ?

-Ben ça nous dérange pas, nous... tenta Bambam.

-Et t'es là que pour deux mois, enchaîna Yugyeom.

-Je squatte peut-être leur dressing mais c'est tout... termina Junior.

-Non mais sérieux... Je veux bien pas être parfait niveau rangement et ménage mais y a des limites, quoi... Ça fait combien de temps que vous avez rien mis dans le panier de linge sale, vous deux ? demanda-t-il aux deux plus jeunes.

Je m'approchai de la "scène du crime" et jetai un coup d'œil à l'intérieur. Je faillis en rester bouche-bée. À côté de leur chambre, l'entrée et la salle-de-bain réunies n'étaient rien. On aurait dit qu'une tornade avait tout retourné sur son passage, et vêtements et sous-vêtements gisaient un peu partout dans la pièce. Yugyeom et Bambam rougirent légèrement.

-Ah, non, oubliez. C'est pas possible, je peux pas dormir là, déclara Jackson.

-Techniquement on n'est pas dans la même pièce, t'as juste à traverser leur chambre pour venir dans la nôtre, tenta Jr.

-Non, non, non. Je mets pas un pied là-dedans temps que ça a pas été nettoyé. Je peux pas. Je vais prendre le canapé en attendant.

Les trois garçons protestèrent mais Jackson ne changea pas d'avis.


Ça faisait à présent presque trois semaines que je vivais chez les GOT7. Jackson avait fini par retrouver une chambre au bout de trois jours, autrement dit le temps qui avait été nécessaire aux deux maknaes pour venir à bout du nettoyage de leur chambre. J'aimais bien Bambam et Yugyeom, nous nous entendions plutôt bien, et je n'avais pas de problème avec les autres, JaeBeom excepté. Il ne faisait aucun effort avec moi alors je n'en faisais pas non plus.

-Où tu vas, hyung ? lança Youngjae.

Je levai les yeux de mon petit-déjeuner pour voir à qui il parlait. Le frigo.

-M'entraîner, répondit-il en allant mettre ses chaussures dans l'entrée.

-Encore ? Mais on est en congé, aujourd'hui ! fit Mark.

-Je sais. Bon, j'y vais. À ce soir ! s'exclama-t-il.

Le plus âgé fixa l'entrée un moment alors que les autres se remettaient à manger. Je me souvenais qu'il m'avait dit que JaeBeom avait aussi mal vécu la mort de ses parents que moi, mais plus je le voyais, moins j'arrivais à y croire. Il pensait, mangeait, respirait "GOT7". Rien d'autre ne semblait compter à ses yeux. J'aurais voulu le comprendre mais pour ça il aurait fallu que nous puissions parler... Chose qu'il évitait à tout prix. Depuis que j'étais arrivée il me fuyait comme la peste, même lorsqu'il avait quitté Goyang pour Séoul et que nous ne vivions donc plus ensemble il me parlait plus. Je m'étais rapprochée de lui géographiquement parlant mais j'avais l'impression que nous nous étions encore éloignés. Je soupirai. Il était tout ce qu'il me restait, que l'on s'apprécie ou non, et, bien que lui ait toujours sa "deuxième famille", GOT7, je reconnaissais avoir eu un vague espoir de rapprochement entre nous. Mais pas lui, apparemment. Je n'avais soudainement plus faim et je débarrassai sans un mot. Mark, Youngjae et Yugyeom étaient encore seulement à moitié réveillés, JaeBeom venait de partir, et les trois autres dormaient toujours, bien qu'il soit dix heures passées, j'en profitai donc pour aller me laver tranquillement. Comme à mon habitude, j'empruntai le savon de Jackson et le shampooing de Bambam, puis, après m'être habillée, je me lavai les dents avec le dentifrice du frigo. Sur le rebord du lavabo, entre deux crèmes pour le visage, je remarquai la présence d'un portefeuille que je pris. Il devait appartenir à l'un des garçons. Curieuse, je l'ouvris pour déterminer son propriétaire. Je restai figée en découvrant ce qu'il y avait à l'intérieur. Il s'agissait de deux photos. Sur la première se trouvaient mon frigo et ses parents, souriants, je me rappelais l'avoir prise à Chuseok l'année passée, mais même si ça semblait prouver qu'il aimait ses parents plus que je ne voulais le croire, ce n'était pas cette photo-là qui m'avait marquée. Non. C'était la deuxième. Une photo de lui et moi lorsque nous avions respectivement six et dix ans. Enfin, j'en avais quasiment sept. Je me souvenais du jour où elle avait été prise, nous avions été au zoo avec ses parents, c'était une première pour moi, et JaeBeom avait été adorable avec moi. J'avais l'impression que nous nous détestions depuis toujours, pourtant certains souvenirs, comme celui-ci, se permettaient de me rappeler que ce n'était pas le cas. Et lorsque ça arrivait, je me retrouvais immanquablement à me demander comment nous en étions arrivés là. Comment "JaeBeom oppa" et "Andréa jolie" s'étaient changés en "le frigo" et "la banquise". Comme on le disait si bien "de l'amour à la haine il n'y a qu'un pas"... Mais pourquoi avait-il cette photo sur lui ? J'aurais aimé le lui demander, mais il me dirait de partir sans même me remercier de lui avoir amené son portefeuille si j'allais le rejoindre dans la salle d'entraînement. D'un autre côté j'étais habituée à ce comportement... Sans réfléchir plus longtemps, je fermai le portefeuille, le mis dans la poche de mon jean, puis partis en courant presque dans l'entrée pour mettre mes chaussures.

-Tu sors aussi ? me demanda Yugyeom en passant à côté de moi.

-Ouais. À plus ! lançai-je en quittant le dortoir à toute vitesse.

Une dizaine de minutes plus tard, je finis par atteindre la salle d'entraînement, devant laquelle je me mis à hésiter. Je savais pourquoi j'avais réellement décidé de venir mais je refusais de me l'avouer jusque-là. Et je savais que si j'entrais et allais lui parler, je devrais reconnaître cette raison, cet espoir, que je le veuille ou non. J'avais peur d'être blessée. Mais peut-être plus encore de ne pas l'être. Malgré tout, je pris une profonde inspiration et poussai la porte. Il était en train de danser, extrêmement concentré, et je ne sus pas si je devais le déranger ou pas. Je décidai en fin de compte de le laisser finir la chanson, et, alors que je l'observais, un détail attira mon attention. Le frigo pleurait. En silence, sans se laisser perturber dans ce qu'il faisait, mais il pleurait. Cette vision me fit mal au cœur, malgré notre mauvaise relation j'avais toujours détesté le voir pleurer. JaeBeom remarqua ma présence à ce moment-là et s'arrêta de danser.

-Qu'est-ce que tu fais ici ? me demanda-t-il en essuyant ses yeux, surpris.

Ça changeait du ton glacial qu'il utilisait normalement pour s'adresser à moi.

-Je... T'as laissé ça dans la salle-de-bain, lui dis-je en sortant son portefeuille.

J'entrevis une lueur de panique dans son regard. Il le récupéra rapidement, comme s'il avait peur que je ne change d'avis et reparte avec.

-Tu l'as ouvert ? s'enquit-il.

-Oui, avouai-je. Pour savoir à qui je devais le donner.

-Donc... Je... Je suppose que tu les as vues ? fit-il, perdant son assurance habituelle.

J'acquiesçai. Il n'avait pas besoin de préciser de quoi il parlait, nous le savions tous les deux. Il alla s'asseoir sur un petit canapé placé dans un coin de la salle en soupirant.

-Viens t'asseoir aussi.

Ça me perturbait qu'il me parle de façon aussi normale, mais je m'exécutai.

-T'as sûrement remarqué mais je viens ici dès que j'ai du temps libre, déclara-t-il.

-Oui...

Je ne voyais pas où il voulait en venir.

-Quand je travaille et que je pense à GOT7, j'arrive à ne pas penser à mes parents. Quand je fais rien je m'effondre. Et quand je danse tout seul ici, j'arrive à extérioriser sans que ça soit trop dur à gérer.

Il sourit tristement, le regard perdu dans le vague.

-D'ailleurs je crois que les autres l'ont remarqué et que c'est pour ça qu'ils me laissent faire ce que je veux, ajouta-t-il.

En entendant ça, je me sentis tout de suite très bête d'avoir pu penser ne serait-ce qu'une seule seconde que la mort de ses parents ne le touchait pas. Je baissai les yeux vers mes pieds.

-Je sais que ça a dû être aussi dur pour toi que pour moi, alors... Désolé.

-Désolé ? répétai-je. Pour quoi ?

-Pour tout, déclara-t-il après une hésitation. En fait c'était seulement pour pas avoir été là pour toi, mais finalement j'en profite pour m'excuser pour tout ce que je t'ai fait et tout ce que je t'ai dit ces dix dernières années. J'aurais pas dû être comme ça avec toi et je le sais.

Je relevai la tête vers lui. Il avait l'air d'être sérieux. Honnêtement, je ne m'y attendais pas. J'en profitai pour lancer le sujet de la photo.

-Dis, pourquoi tu te balades avec cette vieille photo de nous ? l'interrogeai-je.

-Parce que c'est un de nos plus beaux souvenirs ensemble. Je sais pas si tu t'en souviens mais on s'adorait, à l'époque, me répondit-il.

Il me jeta un rapide coup d'œil avant de reporter son attention droit devant lui.

-Mais maintenant tu me détestes, ajouta-t-il.

Je haussai un sourcil. Seulement moi ?

-Parce que pas toi, peut-être ? répliquai-je.

-Non, avoua-t-il. Je t'ai jamais détestée, et je ne te détesterai jamais, tu peux en être sûre.

-Tu me détestes pas ? m'étonnai-je.

-Non. Mais je sais que toi si, et c'est normal vu que j'ai tout fait pour.

-Si t'as tout fait pour, alors soit t'es nul, soit... Je sais pas. T'es nul.

-C'est-à-dire ?

Je pris mon courage à deux mains. Il était temps pour moi d'admettre la vérité.

-Je te déteste pas non plus. Pas du tout, même. Mais si tu me détestes pas, alors pourquoi t'as fait ça ? Et... Est-ce que tu me considères comme ta sœur ?

Cette dernière question était particulièrement importante pour moi car elle pouvait tout changer. JaeBeom approcha son visage dangereusement près de mien.

-Tu veux tout savoir ? me souffla-t-il.

-Oui, réussis-je difficilement à dire.

Il me sourit puis s'éloigna. Je sentais que j'avais rougi, ce qui me gêna et me fit devenir encore plus rouge que je ne l'étais.

-Tu te transformes en tomate, se moqua-t-il.

-Tais-toi, marmonnai-je.

-J'ai pas le droit non plus de te répondre ?

-Im JaeBeom... soupirai-je.

-Ok, ok. Je te considère pas comme ma sœur. Ça arrivera jamais, j'en suis pas capable. Pourtant j'ai essayé.

-Et après tu dis que tu me détestes pas... fis-je.

-Je te déteste pas, affirma-t-il. Je peux pas te considérer comme ma sœur parce que je t'aime trop pour ça.

-Comment ça ?

Il soupira et m'obligea à le regarder dans les yeux.

-Je t'aime, Andréa.

Je fus prise d'un rire nerveux alors que je sentais mon cœur faire des siennes.

-Mais oui, c'est ça. Et si tu m'aimes pourquoi on a passé ces dix dernières années en guerre froide ?

-Parce que j'avais promis à mes parents de te considérer comme ma sœur. Et comme je suis bête, je me suis dit que si tu me détestais ça serait plus facile d'effacer mes sentiments pour toi, m'expliqua-t-il.

Je n'en revenais pas. Alors c'était pour ça qu'il avait été aussi horrible tout ce temps ? Ce n'était même plus de la bêtise, à ce niveau là... Mais d'un autre côté, il fallait être deux pour faire une guerre, et j'y avais participé activement.

-Tu peux répéter, s'il-te-plait ? lui demandai-je.

-De quoi ? Que je suis bête ?

-Non. Avant.

-Que j'avais promis de te considérer comme ma sœur ?

-Encore avant.

-Que je t'aime ?

-Ouais. Ça.

-Je t'aime, affirma-t-il sans ciller.

-T'es... Sûr de toi ?

Il leva les yeux au ciel.

-Andréa, ça fait dix ans que ça dure, je pense que si c'était pas le cas je m'en serais aperçu, depuis le temps !

-C'est bon, calme-toi, grimaçai-je. Ah, et, moi aussi.

J'avais ajouté ça sans le regarder, à mi-voix, mais je l'avais fait. J'avais enfin réussi à admettre entièrement la vérité. Comme je l'avais dit plus tôt "de l'amour à la haine il n'y a qu'un pas" donc de la haine à l'amour il ne devait y en avoir qu'un également. Malgré notre relation glaciale, sans parler de la distance qui s'était installée à cause de son entrée à la JYP puis de ses débuts, j'étais tombée amoureuse de lui petit à petit au cours des années.

-Tu peux répéter, s'il-te-plait ? me demanda-t-il en souriant, m'imitant.

-Recopieur, marmonnai-je.

-S'il-te-plait, insista-t-il.

-Non.

Il fit mine de bouder une seconde avant de prendre un air machiavélique.

-Si tu me réponds pas, je considère que tu m'aimes aussi.

Il y eut un léger silence d'une ou deux secondes, puis il continua.

-Et puisque tu m'aimes, tu m'en voudras pas si je fais ça...

Sur ces mots, JaeBeom se pencha vers moi et m'embrassa. Je ne me fis pas prier pour répondre à son baiser, j'attendais ça depuis bien trop longtemps. Nous finîmes par nous séparer par manque d'oxygène, mais il devait vouloir rattraper toutes ces années perdues car il m'embrassa une nouvelle fois. Ce fut à ce moment que j'entendis une porte s'ouvrir, nous faisant tous les deux sursauter. Jackson se tenait dans l'ouverture, les yeux écarquillés par la surprise.

-Oh mince ! Oh ! Euh... Faites pas attention, je suis jamais venu, reprenez où vous en étiez ! Je voulais pas déranger ! Sorry ! débita-t-il à toute vitesse avant de ressortir en claquant la porte derrière lui.

Je ne pus retenir un rire, auquel JaeBeom se joignit rapidement. Une fois calmés, il me sourit et me prit dans ses bras. Finalement, malgré notre tristesse, nous avions au moins gagné certaines choses dans cette histoire. Dont l'amour.

Mon premier os qui reste un os, je suis fière de moi x) À la base je l'ai écrit pour une amie IGOT7 (et non, je n'en suis pas une, mes fourmis, même si elle essaye de me gotseveniser) mais j'ai décidé de le faire partager puisqu'elle m'a dit de faire ce que je voulais vu que je suis l'auteur x) Bref, j'espère que cet OS vous a plu ^^

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