IV

Elle resserra sa poigne autour de son arme, inspirant profondément, tentant de se donner le courage nécessaire pour accomplir cette tâche suicidaire. Évidemment Jaime s'était mis hors de ses gonds dès qu'elle s'était portée volontaire pour aller planter la bombe dans le bureau du Docteur. D'abord, il refusait qu'elle y aille. Puis, qu'elle y aille seule. Ils avaient finalement trouvés un consensus. Si la femme n'était pas sortit du quartier général du MLT après vingt minutes, l'agent Taylor s'infiltrerait à son tour, pour aller la chercher. Anderson n'avait accepté que pour une très simple raison. Si elle ne parvenait pas à mener à bien sa mission et mourrait, son collègue pourrait finir la tâche et elle ne serait pas morte en vain. Bien sûr, elle n'avait pas partagé ce raisonnement avec son meilleur ami. Il l'aurait probablement menottée pour l'empêcher de partir.

Ainsi ils s'étaient retrouvés près de l'hôtel de ville, à quelques mètres du quartier général. Elle avait la bombe dans son sac. Deux pistolets munis de silencieux cachés dans son manteau beige la rassuraient, au cas où elle rencontrerait un membre du Mouvement de Libération de la Terre. Elle ferma les yeux en attachant ses longs cheveux bruns, tentant de se calmer et de se concentrer. Elle n'avait jamais été si anxieuse. Peut-être était-ce parce qu'elle était persuadée que le Dr Williams était au courant de sa présence, qu'elle savait que ses chances de réussite était infimes et celles de survies inexistante. C'était sa dernière mission, son dernier geste héroïque. Aujourd'hui elle assassinait le Docteur, sauvait une grande partie de l'humanité. Demain, une statue serait érigée à son honneur, on chanterait ses exploits. Sa mort ne serait pas vaine. Elle ne serait pas oubliée non plus.

Elle se retourna vers son ami aux cheveux blonds. Elle lui fit un petit sourire alors qu'il la regardait avec inquiétude, semblant la supplier d'abandonner.

- Agent Taylor, dit-elle en lui tendant la main.

Il secoua la tête et l'attira contre lui dans une étreinte peu professionnelle qu'Anderson ne se serait jamais permise si les circonstances avaient été différentes.

- Fais attention Eden. Reviens-moi en un morceau, d'accord?

- T'inquiètes pas pour moi, Jaime.

Ils firent leur poignée de main habituelle, puis l'agent Taylor la regarda droit dans les yeux et lui dit:

- Vingt minutes.

Elle hocha la tête, prit une grande inspiration et traversa la place publique. Elle connaissait le plan sur le bout des doigts. Ce n'était pas une tâche simple, mais elle était réalisable. Quelque chose lui parut étrange dans l'immeuble lorsqu'elle s'introduit par une petite fenêtre menant dans une pièce de rangement. Tout était... trop silencieux. Elle avança précautionneusement dans les couloirs, tous trop vides. Elle arriva devant la porte du bureau du Docteur sans n'avoir croisé un seul membre du MLT. Quelque chose clochait. Lorsqu'elle entra dans le bureau, elle s'attendait à le trouver vide comme le reste de l'immeuble.

Alexander Williams se trouvait là, debout, dos à elle, regardant pas la fenêtre et elle maudit le fait qu'il ne commette cette erreur que maintenant. Ils auraient pus rester sur le toits et l'abattre au fusil de précision. Elle sortit son pistolet et le braqua sur l'homme.

- Agent Anderson, dit l'homme avec un sourire dans la voix. J'ai beaucoup entendu parlé de vous. La nouvelle chouchou du gouvernement. Vous savez que j'ai déjà été à votre place, il y a plusieurs années de cela?

- Oui. Je connais votre histoire.

- Ah! Ça j'en doutes. Je ne sais pas quel mensonge le gouvernement vous a servit, mais je suis persuadé que vous ne connaissez pas réellement mon histoire.

La femme, empoisonnée par cette fascination morbide qu'elle avait toujours éprouvée pour ce curieux personnage torturé, ne tira pas tout de suite. Elle était curieuse. Il lui restait au moins quinze minutes avant que l'agent Taylor ne vienne voir si elle était toujours en vie. C'était bien assez de temps pour écouter un peu de ce que le Docteur avait à dire. Elle se demandait profondément comment il justifiait ses actes atroces.

- Vous êtes curieuse, je le sens, dit-il en se retournant très lentement.

Il ne faisait aucun mouvement brusque, souhaitant éviter qu'elle ne tire. Il tira sa chaise et s'installa sur celle-ci avant de faire signe à l'agent Anderson de prendre place sur celle de l'autre côté du bureau.

- Je préfères rester debout, dit-elle sèchement.

L'homme haussa les épaules d'un air décontracté qui troubla la femme. Il se massa un moment l'arrête du nez avant de soupirer:

- Aimez-vous le silence agent Anderson?

- Je le trouve ennuyant. Même un peu inquiétant.

- Hum... intéressant. Depuis trois ans maintenant, tout ce que je souhaite, c'est avoir un peu de silence. Je n'en peux plus de la cacophonie incessante de l'être humain. Du chaos qu'il crée tout autour de lui.

La femme était suspendue à ses lèvres, fascinée par son air las et la sincérité dont il faisait preuve. Il fallait dire qu'ils partageaient tous deux un respect et une admiration mutuelle, même s'ils étaient ennemis.

- Vous voyez, il y a de cela plusieurs longues années, je travaillais pour le gouvernement. J'espérais réussir à développer la fusion nucléaire. C'est en fait ce qu'il se passe dans le soleil. Au lieu de fissurer un atome, on en fusionne. La quantité d'énergie est inégalable et tout ça sans déchets radioactifs. Imaginez tout ce qu'on aurait pu faire! Un monde sans énergies fossiles! Un monde où tous auraient accès à l'eau potable grâce à l'osmose inversée! J'ai passé ma vie sur ces recherches. J'en ai négligées ma femme et ma fille, qui comprenaient, cependant. Chaque fois que je revenais à la maison, ma petite me disait: «alors papa, es-tu plus près de sauver le monde aujourd'hui?» et chaque jour je lui répondais que: «oui, un peu plus qu'hier.»

L'agent Anderson fut attendrie par l'amour dans sa voix lorsqu'il parlait de sa fille. Elle qui n'avait jamais voulut de famille, ni d'enfant, se disait à ce moment qu'elle aimerait avoir quelqu'un de qui elle pourrait parler d'une façon aussi tendre. Le Dr Williams reprit:

- Jusqu'à ce qu'un jour, je fasse un ultime échec. Il faut savoir que dans le domaine de la science, un échec n'est pas particulièrement une mauvaise chose. Cette fois, je savais que j'y étais. Avec un mois de plus, j'aurais put sauver l'humanité. Mais le gouvernement n'était pas du même avis. Il a coupé les fonds, m'a renvoyé.

- Quoi? Je croyais que c'était vous qui aviez abandonné et vous étiez radicalisé.

- Je vous avais bien dit que vous ne connaissiez pas réellement mon histoire.

La femme était choquée. Alors le gouvernement était responsable pour l'échec du projet fusion nucléaire. Ses employeurs avaient en quelque sorte créé l'homme que le Docteur était devenu.

- Ils ont préférés investir dans un projet de vaisseau spatial pour aller coloniser une autre planète et répéter exactement les mêmes erreurs. Tous les riches et puissants avaient leur nom d'inscrit sur la liste de ceux qui partiraient. Je ne pouvais pas laisser ça arriver. Si la Terre devait être détruite, l'être humain méritait de disparaître avec elle. Je ne pouvais simplement pas les laisser détruire planète après planète. Ce soir-là, j'en ai parlé avec ma femme. C'était une personne extraordinaire. Intelligente, douce, bienveillante, drôle, magnifique...

L'homme s'interrompit pour fouiller dans sa poche. Anderson redressa son pistolet, méfiante. L'homme sortit lentement ses mains de ses poches, tenant un papier plié et froissé dans l'une d'elle. L'agent gouvernemental se détendit. Le scientifique lui tendit le morceau de papier et dit:

- C'était elle. Ma femme. Avec ma fille.

L'agent Anderson prit la feuille et un sourire triste étira ses lèvres. Le Docteur avait raison. Sa femme était magnifique, elle semblait terriblement douce et quelque chose dans son sourire donnait envie de se confier à elle. Les deux femmes aux cheveux blonds sur le cliché semblaient si heureuses. Anderson faillit verser une larme pour le Docteur. Elle se demanda ce qui avait pu leur arriver.

- Elles sont vraiment magnifiques.

- Vous les auriez aimées, j'en suis sûr. Tout le monde les aimait. C'était des personnes sans égales. Elles représentaient tout ce que j'adorais de l'humanité, tout ce que je désirais sauver. Ma femme m'a dit que je devais faire quelque chose, empêcher le projet du vaisseau spatial d'aboutir. C'est donc ce que j'ai fait. J'ai assemblé un groupe d'ami et saboté leurs recherches à plusieurs reprises. Jusqu'à ce que...

Le regard de l'homme se perdit dans le vague. Il prit une grande inspiration et Anderson remarqua qu'il tentait de retenir ses larmes.

- Jusqu'à ce que le gouvernement découvre que j'étais derrière tout ça. Je suis arrivé chez moi, un soir... j'avais une très belle maison en campagne, un des plutôt rares endroits encore vert de la Terre, quoique moins rare qu'aujourd'hui. Elle brûlait lorsque je suis arrivé. Les flammes ont dévastés mon chez moi, ma vie, mon cœur et mon amour de l'humanité. Parce que ma femme et ma fille étaient à l'intérieur. J'ai hurlé, appelé à l'aide, mais personne n'est venu. J'ai tenté d'entrer pour aller les chercher... mais c'était impossible. Quand tout a cessé de flamber, deux jours plus tard, on a trouvé leurs dépouilles carbonisées.

Eden Anderson porta la main à son cœur, choquée et terriblement triste pour le Dr Williams. Comment le gouvernement, son employeur, à qui elle avait dédié sa vie, avait-il put commettre des actes aussi horribles?

- J'ai tout de suite su qui était responsable. Je ne suis pas idiot. Pendant plusieurs jours j'ai pleuré ma famille, puis je me suis juré de faire de la Terre un monde meilleur. J'ai rassemblé des anarchistes, des environnementalistes, des gens cherchant égalité et paix, n'importe qui ayant comme ennemi le gouvernement et l'ordre actuel des choses. J'ai élaboré des plans infaillibles, j'ai fait assassiner presque tous les membres de l'élite étant sur la liste du projet de colonisation de l'espace. Et j'ai réalisé quelque chose qui a changé ma vie, ma perspective du monde. J'ai réalisé que le réel problème de la Terre était l'être humain. J'ai promis un monde meilleur à ceux me suivant, les laissant imaginer ce que cela voulait dire. Mais moi, j'avais compris qu'il ne pouvait pas y avoir de monde meilleur avec l'humanité. J'ai donc travaillé, nuits et jours, sur un projet, mon dernier au revoir, ma dernière tentative pour sauver le monde.

Eden déglutit. Elle ne savait plus trop que penser. Elle n'osait pas l'interrompre, obnubilée par ses paroles, mais une tornade d'émotions contradictoires se déchaînait en elle. Elle avait peur, elle était fascinée. Elle voulait lui dire à quel point il avait tort, mais elle était en quelque sorte d'accord avec lui. Elle le pensait être un monstre, mais elle avait pitié de lui. Le charismatique homme releva la tête vers elle, plantant ses yeux bleu glacier emplis d'une lucidité et d'une humanité déconcertante dans les siens.

- Comment éradique-t-on une espèce?

- La stérilité?

- Exactement. J'ai travaillé sur ce virus jusqu'à ce qu'il soit parfait. Hautement contagieux, personne n'est immunisé, il mute chaque seconde. La majorité de la population devrait en mourir et les quelques survivants deviendront complètement stériles.

Anderson releva son fusil, s'exclamant:

- Vous êtes fou!

Étrangement, ça sonnait comme si elle tentait de se convaincre elle même. Alexander Williams lui fit un sourire triste, démontrant qu'il avait pitié d'elle et de son déni.

- Mademoiselle Anderson. De par votre réputation et le début de notre conversation, je vous admire et vous respecte beaucoup. C'est pourquoi j'ai été aussi franc avec vous. S'il vous plait, faites de même en répondant à cette question; d'où vient l'épuisement des ressources?

L'agent Anderson serra les dents, mais avoua:

- De l'homme.

- Bien. D'où vient l'extinction de quatre-vingt dix pour-cent des espèces terrestre?

- De l'homme.

- D'où viennent les inégalités sociales?

- De l'homme.

- D'où viennent les guerres?

- De l'homme.

L'homme la regarda droit dans les yeux et lui demanda:

- Depuis des mois, j'ai fini ce virus. J'attendais. J'attendais que quelqu'un comme vous vienne me dire pourquoi je ne devrais pas le libérer.

Le fusil d'Eden tremblait dans ses mains et elle le baissa. Son cœur pulsait dans sa poitrine, ses tempes bourdonnaient, un nœud s'était formé dans son estomac. Elle ne trouvait rien à dire. Puis, elle pensa à Jaime, son meilleur ami, qui l'attendait dehors et devait se ronger les sangs. À sa bonté naturelle, sa volonté de ne jamais laisser personne derrière, son sourire resplendissant. Elle était sûr que si elle le présentait à Alexander, il lui ferait penser à sa femme.

- Parce qu'il y a des gens qui en valent encore la peine. De bonnes personnes qui ne méritent pas de mourir.

- Et elles méritent de vivre dans un monde brisé? Un monde fou qui les fera souffrir et les détruira tranquillement, à petit feu, un sort pire que la mort?

Eden ouvrit la bouche pour répondre, mais elle ne trouva rien à dire. Alexander avait raison. L'humanité avait fait son temps. Maintenant, elle devait s'effacer pour laisser place au futur.

- Eden!

La voix de Jaime la fit sursauter. Il arriva à ses côtés et leva son arme vers le Docteur. D'un réflexe agile, son amie leva ses bras avec sa main. La détonation retentit dans la pièce et la balle se ficha dans le plafond. L'homme aux cheveux blonds baissa un regard surpris où brillait la trahison vers Eden. Elle venait de l'empêcher d'accomplir leur mission.

Avant qu'il ne puisse dire un mot, une deuxième détonation retentit. Eden se retourna d'un bond, tirant immédiatement. Elle atteignit la femme rousse qui venait d'appuyer sur la gâchette en plein cœur. Natalia s'écroula immédiatement, morte sur le coup, sous le regard à peine affecté du Dr Williams. Eden se retourna vers Jaime qui était tombé au sol. La balle s'était logée dans sa gorge, il n'y avait aucun espoir pour lui.

- Jaime... Jaime! s'exclama Eden, une douleur sans nom lui ravageant le cœur.

Il la regarda, la trahison laissant place au pardon puis à la tendresse dans ses yeux d'émeraude. Des larmes se mirent à dévaler les joues de la femme, sans même qu'elle ne s'en rende compte.

- Jaime... sanglota-t-elle. Jaime, dit quelque chose... Je t'en supplies...

Il lui fit un faible sourire et ses yeux s'éteignirent. La femme se mis à hurler:

- Non! Non, non, non! Jaime!

Elle tremblait comme une feuille, secouée de sanglots, le cœur en miette, elle serra l'homme contre elle, revoyant en pensée tous les bons moments qu'ils avaient passés ensembles. Les verres qu'ils étaient allés boire après le travail. Les fois où il l'avait amenée au parc d'attraction, parce qu'il savait qu'elle adorait cet endroit. Les bons et mauvais coups qu'ils avaient faits, toujours ensemble. Leurs célébrations suite à une mission réussie. Il était son meilleur ami, le plus proche d'une famille qu'elle puisse avoir.

Eden relâcha le corps inanimé de Jaime et regarda ses mains tremblantes, couvertes du sang de son seul ami. Puis, elle leva ses yeux noisette vers le Docteur qui avait ouvert la fenêtre et se trouvait devant la mallette ouverte. La femme se releva, ramassa son révolter et le pointa vers l'homme.

- Jaime était la meilleur personne que je connaisse dans ce monde. Selon ce que vous m'avez raconté, il me faisait penser à votre femme. Vous l'auriez aimé, j'en suis sûre. Tout le monde l'aimait. Et maintenant il est mort.

- Je n'ai jamais souhaité la mort de votre ami, Eden.

- Ne m'appelez pas comme ça. Il y a que Jaime que m'appelait par mon prénom.

- Natalia n'a pas agit sous mes ordres, je vous le jure. Je n'avais aucune intention de tuer votre ami.

- Vous mentez. Vous comptiez l'assassiner. Comme tout le reste de l'humanité. Je devrais vous tuer.

L'homme contourna son bureau et s'approcha d'Eden. Il posa doucement une main sur son épaule et lui fit un sourire triste et compréhensif.

- Vous voulez me tuer, mademoiselle Anderson? Allez-y. Ma mission est accomplie. Je peux partir en paix, savourer le silence. Vous devriez partir après, cependant. Ne retournez pas à votre escouade, ni au gouvernement. Exilez-vous dans une des dernières petites forêt. Vous méritez mieux que de voir l'horreur de la maladie. Profitez du calme et du silence. Je suis sûr que, malgré vos préjugés, vous finirez par l'apprécier.

L'homme essuya une larme roulant sur la joue de la femme. Il lui fit un sourire chaleureux, triste, compréhensif...



Et Eden tira. 

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