Tome 2 - Chapitre 5

L'Assemblée devait commencer dans moins de dix minutes. Pourquoi Sekhmet n'était-elle toujours pas là ? Nous furetions partout avec Isis dans l'espoir de l'apercevoir. Elle n'aurait quand même pas manqué à sa parole ? Même si j'étais toujours furieuse contre elle, j'avais remarqué cette lueur dans ces yeux le jour où nous l'avions confrontée. Je connaissais suffisamment Sekhmet pour savoir identifier une lueur de culpabilité et de remords lorsque j'en voyais une.

La boule d'anxiété qui me nouait la gorge s'estompa quand, enfin, elle apparut, accompagnée d'Aylan. Une minute... Aylan ? Encore ? J'étais assez curieuse de savoir ce qu'il y avait exactement entre eux. Mon neveu préféré, il fallait éviter de le dire à Hor, aurait quelques explications à me fournir. Et puisque j'étais sa tante préférée (et la seule et unique), il se ferait un plaisir d'y répondre. Nous fîmes un signe discret à Sophie pour qu'elle nous suive dans les vestiaires. Maintenant que tout le monde était arrivé, ce serait l'endroit parfait pour une discussion.

Lorsqu'elle nous eut rejointes, Isis croisa les bras sur sa poitrine et demanda d'une voix presque douce :

– Ça va, pas trop stressée ?

« Pas trop stressée » ? Sérieusement ? Comment pouvait-elle s'adresser à Sekhmet comme si de rien n'était ? Moi, je n'en étais pas capable. Je me contentai de la regarder avec un mélange de froideur et de mépris. Je montrai rarement ce genre d'émotion, mais là, je ne pouvais pas jouer la parfaite petite déesse. Ce que j'avais appris me restait en travers de la gorge.

– Un peu, mais il fallait bien que j'affronte les conséquences un jour ou l'autre.

Malgré moi, je laissai échapper un ricanement dédaigneux. Comme si aujourd'hui elle « affrontait les conséquences de ses actes » ! Elle allait juste dire la vérité, certains seraient furieux, d'autres n'en auraient rien à carrer ; et ensuite elle les laisserait décider de leur sort : rester ou partir. Simple comme bonjour.

– Ça va mieux, Nephthys ? osa-t-elle se tourner vers moi.

– Évite de m'adresser la parole, rétorquai-je. Ça devrait te suffire comme réponse.

Sophie acquiesça, la mine basse, puis se tourna vers Isis.

– Bon, comment tu veux procéder ?

– Neph et moi on va amener le sujet, je raconterai ce que je sais, comment je l'ai découvert et ensuite viendra ton tour. Je prononcerai pas ton nom, Sophie, tu avoueras toi-même pour la malédiction et mes amnésies. On leur proposera de rentrer chez eux pour ceux qui le veulent en leur laissant un mois de réflexion. Moi, je compte rester. Je sais que toi aussi, Sophie. Ce sera donc une fois que tu auras renvoyé tout le monde que tu me rendras mes souvenirs. Ah, et ne parle surtout pas de cette histoire de grossesse, ok ?

– Bien.

– T'as réussi à préparer Oz ? interrogeai-je Aset avant que qui que ce soit ne rebondisse sur « cette histoire de grossesse ».

– J'ai fait au mieux. Je lui ai fait comprendre que s'il s'énervait, il sortait, et qu'au moindre coup d'éclat je remettrai en doute l'idée de lui accorder une deuxième.

Un sourire moqueur étira mes lèvres.

– Ouh, du chantage ? raillai-je. J'adore. J'espère que tu lui as mis une pression sur l'oreiller, parce que ça doit carrément le motiver.

Isis me regarda d'un air entendu et je pouffai. Même si l'atmosphère n'était pas trop à la plaisanterie, je savais que c'était le seul moyen d'éloigner mes idées noires. Comment allaient réagir les autres ? Je préférais ne pas y penser. Nous aurions la réponse dans peu de temps.

– J'espère que t'es prête, Sekhmet, lançai-je, parce qu'on y va.

Je sortis des vestiaires, résolue à ce que tout se termine. Enfin, Oz aurait ses réponses, et surtout son assurance que tout ne recommencerait pas. Enfin, ceux qui le souhaitaient depuis des années pourraient rentrer chez nous. Enfin, nous allions avoir un pue d'assurance sur le futur que nous pourrions avoir.

Parce que oui, se retrouver aussi abruptement dans le monde des mortels n'avait rien eu de simple. Outre une période d'acceptation difficile, il nous avait fallu du temps pour se dire que nous ne serions pas renvoyés chez nous d'un claquement de doigt. Avant de construire quoi que ce soit, ne fallait-il pas avoir l'assurance que ce que nous bâtissions valait le coup d'être bâti ?

Je pensais à Jake. Que déciderait-il ? Craignais-je davantage qu'il choisisse de rester ou de partir ? Je ne le savais même plus. Je l'aimais trop pour vivre loin de lui s'il vivait près de moi, mais supporterais-je de le savoir inatteignable si je restais et lui non ? Ça aussi, il valait mieux que je n'y pense pas.

Pour l'heure, je devais me concentrer sur ce que nous allions dire. Ils seraient tous là, à nous observer. Seuls Oz et Mika, le maire, savaient que nous avions les éléments de résolution. Les autres n'avaient pas la moindre idée de ce qui avait poussé Mika à réunir cette Assemblée extraordinaire. La main d'Aset se glissa dans le creux de mon coude, comme si elle avait lu dans les craintes qui me travaillaient.

– Ça va bien se passer, souffla-t-elle tandis que nous rejoignions les nôtres.

Ils discutaient innocemment, inconscients de ce qui allait ce jouer ce matin. En repartant de la salle des fêtes, il auraient une décision importante à prendre. Une décision individuelle qui chamboulerait toute notre communauté. Je pris une grande inspiration.

– On y va ?

Isis acquiesça. Main dans la main, nous passâmes devant les petits groupes qui s'étaient formés et montâmes sur l'estrade. C'était le signal. Nous n'avions même pas besoin de parler que, déjà, le silence se faisait. Mon regard croisa tout naturellement celui de Soutekh. Outre la surprise, il me communiqua une forme de soutien que je n'avais pas vue depuis des décennies. Comment pouvait-il être avec moi sans savoir ce que je lui cachait depuis des jours ? Peut-être que j'aurais dû lui en parler... Ou peut-être que j'avais bien fait de lui cacher. Après tout, pourquoi aurait-il mérité une confidence de cette ampleur ?

Tout à coup, face à eux, je me sentais toute petite. L'anxiété que j'avais refoulé me revenait en pleine face. « Ok, Nephthys, inspire, expire. ». Je plaquai un grand sourire sur mes lèvres et relâchai mes épaules vers l'arrière pour me donner l'air moins crispée. Je frappai dans mes mains pour me donner du courage et me lançai :

– Bonjour à tous, on... Aset et m... Isis et moi, on a demandé à Mika de tous vous réunir aujourd'hui parce qu'on a une grande annonce à faire.

– Elle a retrouvé ses souvenirs ? demanda Mayron avec un air crispé.

Je le fusillai du regard. Est-ce qu'il allait un jour lui foutre la paix avec cette foutue histoire de nom ? Il était dans le corps d'un mortel, qu'est-ce que ça lui faisait, bon sang ?

– Non, mais si tu me laissais finir, tu le saurais déjà, répliquai-je d'un ton sec.

– Et si tu te bougeais un peu, j'aurais pas besoin de t'interrompre.

Je croisai les bras sur ma poitrine, prête à me lancer dans une discussion virulente avec mon abruti de frère quand la voix de Jake me ramena à l'instant présent :

– Neph, qu'est-ce que vous avez à dire ?

J'avais tellement peu envie de tout raconter que je cherchais la première échappatoire possible.

– Isis n'a pas retrouvé la mémoire. Par contre, elle a retrouvé le journal qu'elle tenait lors de sa première amnésie et on sait ce qu'il s'est passé. Mais je vais laisser Isis vous raconter, moi je ne faisais que teaser.

Je ponctuai ma réplique d'un petit sourire, satisfaite de voir Mayron lever les yeux au ciel et d'entendre quelques soupirs agacés. Bah oui, quitte à se mettre tout le monde à dos, autant que ce soit un peu rigolo ! Je jetai un œil en direction d'Isis qui acquiesça.

– Y a trois semaines, commença-t-elle les yeux rivés dans ceux d'Oz, Phylée m'a révélé qui j'étais. J'avais... C'est lui qui m'a tuée à Nicosie et ce souvenir m'est revenu. Je devais le retrouver et j'y suis arrivée un peu par hasard. J'ai encore un peu de mal à accepter que vous m'ayez tous menti, même si je sais pourquoi. Et... le fait d'être partie quelques temps à Nicosie m'a convaincue de vous redonner une chance. À tous.

En prononçant ce dernier mot, je la vis se tourner vers Billie dont le regard s'emplit de larmes.

– J'ai retrouvé le carnet que je tenais à l'époque. Un peu par hasard, encore une fois... je me suis cognée contre mon bureau... Enfin bref, si j'ai perdu la mémoire en 1885, ce n'était pas sans raison. J'avais découvert qui était responsable de la malédiction et je suis aller confronter cette personne.

Le public s'agita. Chacun murmurait à son voisin sa propre théorie. Seuls Oz et Jake nous dévisageaient, dans l'attente de la réponse que nous ne tarderions pas à donner. Sophie allait bientôt rentrer en jeu. Elle le sentait. Les bras croisés contre sa poitrine, elle semblait aussi rigide qu'une statue de pierre. Une vague de compassion me traversa. Même si je lui en voulais, je ne souhaitais pas que les choses se passent mal. J'espérais de tout cœur que les deux siècles durant lesquels nous avions vécu chez les mortels apaiseraient la rancœur de certains d'entres nous. Enfin... pas d'Ousir. Il lui faudrait au moins un millénaire seul avec Aset sur une île déserte pour pardonner à Sekhmet. Et encore...

– En voulant me faire taire, les choses ont un peu dégénéré pour devenir ce qu'elles sont aujourd'hui. Je suis désolée, Mayron, apparemment, tu faisais partie de mes suspects à l'époque.

– Je te demande pardon ? s'offusqua-t-il tandis que Mika éclatait de rire. Tu te fous de ma gueule, Isis ?

Il esquissa un pas en direction de l'estrade, mais Aylan l'arrêta.

– On s'en branle, mec, intervint Aylan, on veut savoir la suite.

– Donc, reprit Isis comme si de rien n'était, c'était pas toi. Il serait plus simple que Neph ou moi disions son nom, mais je pense qu'on devrait laisser au coupable la chance de se dénoncer et de se justifier.

Comme des protestations commençaient déjà à s'élever, je pris la parole :

– Écoutez, je suis en colère aussi. On l'est tous. Mais à quoi ça sert ? C'est pas par la violence qu'on règlera les choses. Alors vous inspirer bien fort, vous vous mordez les lèvres jusqu'au sang si y faut, mais je veux pas entendre une seule accusation !

Wow. Même moi je m'impressionnai. Restait plus qu'à espérer que ce serait suffisant. Aset sur mes talons, nous descendîmes de l'estrade. Elle s'approcha de moi et me glissa à l'oreille :

– La grande brune, trop belle pour être réelle, c'est elle Astra ?

Sans le vouloir, tout mon corps se contracta à ce nom. J'avais fait tout mon possible pour ne pas lui jeter le moindre regard. Pour ne pas penser, ne serait-ce qu'un seul instant, qu'elle se trouvait dans la même pièce que moi. Chose qui me donnait envie de vomir rien que d'y penser.

– Ouais.

– Quelle pétasse.

Je souris. C'était moyen pour de la solidarité féminine, mais ça me faisait du bien alors je n'allais pas m'en plaindre. Nous rejoignîmes Oz et Jake.

– Tu le savais ? me demanda Soutekh avant même que je ne sois arrivée à son niveau.

– Nan, t'as pas remarqué que je jouais juste les plantes vertes ? raillai-je, moqueuse.

– Pourquoi tu me l'as pas dit ?

– J'étais censée le faire quand ? Au moment où tu repassais en coup de vent à la maison pour faire comme si t'y vivais encore.

– C'est pas...

Il s'interrompit au grincement de la marche qui menait à l'estrade. Enfin. Sekhmet s'avançait, prête à faire ses aveux. Je n'avais jamais entendu un silence aussi glaçant. Et venant d'une déesse qui côtoyait la mort depuis des millénaires, ce n'était pas peu dire. Tout le monde savait ce qu'elle allait dire. Les mots exacts qu'elle prononcerait. Et pourtant, nous les attendions, libération salvatrice qui clôturerait des siècles d'incertitudes.

– Je...

Elle se racla la gorge pour retrouver un semblant d'assurance. Jamais je n'avais vu Sophie aussi peu sûre d'elle. Même lorsqu'elle s'était effondrée devant Isis et moi, elle avait eu l'air moins acculée.

– C'est moi, reprit-elle d'une voix plus forte. C'est moi qui ai jeté la malédiction.


****

Depuis le temps qu'on l'attendait cette Assemblée ! 

Enfin les choses se dénouent ! 

A votre avis, qui va rester ? Qui va partir ? 

A la semaine pro,

XOXO

TOY

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