Chapitre 5
Les semaines s'étaient écoulées à une vitesse fulgurante. Ma routine de vie s'était installée calmement et je n'avais pas vu le temps passer. Mes journées à l'hôpital étaient plus que remplies et je me retrouvais finalement à travailler davantage en tant que légiste que médecin généraliste. Cela signifiait donc que j'avais eu beaucoup de journées communes avec Oz, toutefois nous ne nous étions plus reparlés depuis près de deux mois, du moins dans le cadre du travail. Il m'était arrivé de le croiser lorsque j'étais en compagnie de Néphrée et les échanges que nous avions eu avaient été assez houleux. Outre ce personnage antipathique qui semblait hanter ma vie, j'avais appris à connaître un grand nombre de personnes que j'appréciais de plus en plus.
C'est avec ce constat agréable que je me préparai pour aller bosser. Avec entrain je pris un petit déjeuner léger, bien que la présence de Billie et Hector ne me fasse défaut. Hector était parti en formation pendant quelques jours et ne devait rentrer que le lendemain tandis que son épouse embauchait plus tôt que moi le jeudi. Cette grande maison paraissait si vide pour une personne seule que je comprenais de plus en plus pourquoi Billie avait recherché quelqu'un à héberger.
Mon sac à main sur l'épaule, je saisis mes clefs de voiture et refermai à double tour la porte d'entrée. Lorsque j'arrivai devant ma mini que j'avais garée juste devant la maison, je montai dedans et allumai le moteur. Tout du moins j'essayai. Je tournai et retournai les clefs sans que le moindre bruit de moteur ne retentisse réellement. Au bout d'une dizaine de minutes, désespérée j'abandonnai et laissai ma tête reposer mollement contre le volant. Je descendis de l'appareil et me dirigeai d'un pas décidé vers la maison d'en face. Le garage était fermé. Je n'avais plus qu'à espérer que Jake ne soit pas encore parti.
Je frappai trois coups énergique contre la porte, priant intérieurement pour obtenir une réponse. Je fus soulagée en entendant un cri étouffé. Moins d'une minutes plus tard, la silhouette masculine d'Oz se dessina devant moi. Ses cheveux bruns dégoulinaient d'eau et une serviette d'un blanc immaculé ceignait sa taille. Je me sentis rougir de gêne et la voix narquoise de l'homme me fit reprendre contenance :
-T'es juste venue pour m'admirer ?
Je lui lançai un regard noir, espérant lui communiquer tout le mal que je lui souhaitais.
-Non. Jake est là ?
Il secoua la tête, faisant rebondir ses mèches brunes contre sa peau dorée.
-Il est parti il y a plus d'une heure.
Je fermai brièvement les yeux en soupirant.
-Merde. Merci de ton aide.
Ne lui laissant pas le temps de répondre, je tournai les talons pour rejoindre ma voiture inutilisable. Il était hors de question que je m'abaisse à lui demander de l'aide. Il me regarda m'éloigner quelques secondes avant de refermer la porte en haussant les épaules. L'hôpital étant trop loin pour que j'y aille à pied, j'entrepris d'ouvrir le capot et de regarder l'état des composants mécaniques. Comme je ne m'y connaissais absolument pas, cela fut vain et je ne réussis qu'à graisser de cambouis ma joue gauche. Je fermai donc l'avant de la voiture et essuyai mes mains sales sur un vieux chiffon que j'avais récupéré dans la boîte à gants. Un crissement de pneus retentit à quelque mètres de moi avant qu'un rire moqueur n'attire mon attention :
-Tu essaie de t'improviser mécanicienne ?
Je me tournai vers Oz, peu contente de le revoir aussi rapidement.
-Comme tu le vois.
La fenêtre côté passager de sa berline noire était ouverte et je pus le voir hésiter quelques secondes avant de finalement railler d'une voix forte :
-Ce n'est absolument pas fructueux. Monte.
Je le dévisageai et croisai les bras sur ma poitrine.
-Pourquoi ?
Une lueur d'amusement sembla apparaître au fond de ses grands yeux verts.
-Parce que tu es tellement nulle en mécanique que c'en est pathétique.
Ma mâchoire se contracta involontairement et je le foudroyai du regard.
-Tu me motives vraiment à accepter ta proposition.
Il haussa les épaules en ricanant.
-Moi tu sais, j'en ai vraiment rien à faire que tu arrives à l'heure ou non. C'est une offre à durée limitée, donc réfléchis vite.
Je le regardai une énième fois avant de tourner la tête vers ma voiture incapable de démarrer. Je saisis mon sac qui reposait sur le bitume froid et ouvris la portière.
-Ok, merci.
Ce dernier mot m'écorcha la bouche, mais je n'avais d'autre choix que de le remercier. Sans lui j'aurais été en retard. Voire plus qu'en retard.
Je montai donc dans l'habitacle et le refermai derrière moi. La douce fraîcheur de la climatisation se diffusait à l'intérieur, propageant une odeur masculine boisée. Un lourd silence régnait, uniquement brisé par l'autoradio qui laissait échapper un rock discret. Mal à l'aise, je remuais sur le siège puis finis par reporter mon attention sur le paysage. Je n'aurais su dire le temps durant lequel dura cet assourdissant mutisme, mais je fus soulagée lorsque Oz le rompit :
-Bien qu'il soit probable que je ne daigne pas te répondre, j'espérais que tu ferais la conversation.
Je haussai les sourcils et laissai échapper un rire narquois.
-Converser avec moi-même ? Non merci. Je garde ce genre de discussions secrètes, je ne les expose pas à n'importe qui.
Il ricana.
-Aïe, tu sors les griffes ?
-Si j'avais des griffes, je t'éventrerais avec, maugréai-je.
Son fou rire redoubla d'intensité avant qu'il ne finisse par se calmer.
-J'ai hâte de voir ça. Mais tu devrais enlever les traces noires que tu as sur la joue. En rentrant les griffes, si tu ne veux pas te blesser.
Entendre un rire sincère s'échapper de ses lèvres était bien plus agréable que toute la haine dont il m'avait gratifiée jusqu'ici. Je rougis sous son dernier commentaire et entrepris de nettoyer ce qui salissait mon visage.
Un ange passa.
-Depuis quand est-ce que tu travailles pour les morts ?
Oz me lança un bref regard surpris.
- « Pour les morts » ?
Je haussai les épaules nonchalamment.
-Ouais, tu bosses à la morgue et tu détailles les cadavres, donc dans un sens on travaille pour les morts.
Il esquissa un sourire.
-Depuis toujours, on peut dire que j'étais destiné à faire ce boulot.
Je voulus répliquer quelque chose, mais je dus m'y reprendre à deux fois avant d'arriver à faire sortir le moindre son.
-Ce n'est pas un peu triste de penser ne jamais avoir eu le choix quant à ce que tu passes ta vie à faire ?
Ne se départissant pas de son sourire il répliqua :
-Ça ne voulait pas dire que je n'ai pas choisi. Toi, pourquoi es-tu légiste ?
Je passai une main sur ma nuque.
-Je voudrai savoir un jour...comprendre comment on a pu croire que j'étais morte.
J'aperçus sa mâchoire se contracter et ses phalanges blanchir avant qu'il ne se détende finalement pour répondre avec calme :
-Et tu ne te demandes pas parfois si le destin ne voulait justement pas que tu deviennes légiste ? Ainsi tu as fait ton choix mais il était dicté par ce qui est écrit depuis toujours.
J'éclatai de rire.
-Franchement je ne suis pas croyante alors pour moi ces histoires de grand manitou qui prévois tout...
Nous poursuivîmes notre conversation jusqu'à notre lieu de travail puis nous allâmes vaquer à nos occupations chacun de notre côté. Nous n'échangeâmes plus la moindre parole durant toute la matinée et je rejoignis Néphrée lors de la pause déjeuner. Il n'y avait presque personne dans le petit restaurant, ce qui nous permis par conséquent d'avoir la table de notre choix à côté d'une fenêtre étriquée. Billie ayant une réunion importante, nous n'étions que toutes les deux. Tandis que nous prenions place sur nos chaises de bois, je me penchai vers mon amie en murmurant :
-Il faut que je te raconte un truc étrange qu'il s'est passé ce matin !
Un immense sourire barra le visage de mon interlocutrice et elle pépia d'impatience.
-Vas-y ! J'espère que c'est croustillant, tu sais que j'a-do-re les ragots !
Je ris de bon cœur et commençai :
-Tu sais que depuis que je suis arrivée, je n'ai échangé que des insanités avec Oz ? Que, je ne sais pourquoi, ma présence l'horripile ?
Celle-ci acquiesça pour m'encourager à continuer.
-Ce matin, repris-je, j'ai eu une panne de voiture. Je suis allée sonner chez vous en espérant tomber sur Jake pour qu'il m'emmène vu que je sais que tu commences plus tôt que moi le jeudi. Billie et Hector n'étant pas là, il était un peu mon seul espoir d'arriver à l'heure. Enfin bref... Finalement il n'y avait que Oz.
Je lui racontai en détail ce qu'il s'était passé. Mon étonnement quand notre échange s'était transformé en un semblant de conversation. Celui-ci était d'ailleurs toujours présent, renforçant l'incompréhension qui me tenaillait, étant donné que depuis le début il paraissait me détester.
-En fait, je ne comprends pas pourquoi son comportement a changé du tout au tout. Bon, ce n'était que pour quelques minutes, mais quand même... Toi qui le connais mieux, t'en penses quoi ?
Elle tritura sa fourchette entre ses doigts fins, réfléchissant visiblement à la réponse à me fournir. Le serveur lui permit de trouver le temps nécessaire en venant prendre nos commandes.
-Je pense que tu devrais te concentrer sur les raisons qui pourraient le pousser à vouloir que toi tu le haïsses.
Je fronçai les sourcils. Je n'avais jamais pris les choses sous cet angle. Je n'avais pas pensé qu'il pourrait vouloir que je le déteste.
-Mais... Qu'est-ce qu'il a à y gagner ?
Son visage se recouvrit d'un masque énigmatique.
-Je ne sais pas, c'est à toi de me dire.
Je passais une main dans mes cheveux, profondément perdue.
-Je ne le connais pas. Jusque-là il a toujours été suffisamment odieux pour me passer l'envie d'essayer ne serait-ce même que de l'approcher.
Une lueur amusée brilla au fond de ses yeux.
-Tu vois ! Mais n'oublie pas que si tu ne le connais pas, cela ne veut pas dire que c'est aussi son cas. Tu m'as bien dit que c'est lui que tu avais revu quand tu es revenue à toi ?
Je hochai la tête énergiquement.
-Oui. Disons que lorsque je suis sortie dans la rue, il s'est rué vers moi en m'appelant par mon prénom avant de partir au quart de tour et de s'enfuir loin. Enfin je crois que c'est lui...
-Est-ce que... tu t'es déjà mis à la place de cet individu ? T'es-tu déjà demandé pourquoi il s'était énervé en découvrant ton amnésie ? Pourquoi il avait préféré fuir ?
Je restai coite. Ces questions me perturbaient et j'avais l'impression que mon cerveau fonctionnait à un régime bien trop élevé pour son propre bien.
-Hum... non, jamais. Peut-être qu'il a juste été surpris et qu'il n'a pas su comment réagir.
Néphrée planta son regard azur dans le mien.
-Et pourquoi n'était-ce pas pour se protéger ?
J'ouvris de grands yeux sous le coup de la surprise.
-Je... Mais se protéger de quoi ? C'est stupide !
Elle haussa les épaules, un sourire mystérieux ourlant ses lèvres pleines.
-Les réactions d'autrui nous paraissent souvent stupides en effet.
Le serveur interrompit notre conversation en apportant les plats. Ne voulant pas me casser davantage la tête avec cette histoire, je préférai donc changer de sujet :
-Ça va mieux avec Jake ?
Mon amie esquissa une moue dubitative.
-On s'est pris la tête l'autre jour et depuis on ne se parle plus. J'ai eu la... chance... de revoir Astra ce matin et je crois que je n'ai jamais eu à être aussi hypocrite avec qui que ce soit.
Je renâclai.
-Tu es sûre qu'elle... enfin qu'ils...
-Qu'ils couchent ensemble ? Je peux t'assurer que je n'ai plus le moindre doute depuis déjà un long moment maintenant. Je les aurais vu en pleine action que je serais moins sûre de moi.
Pourquoi avais-je posé cette question ? J'aurais dû me douter qu'elle affecterait Néphrée. L'ambiance devenait un peu déprimante donc je décider de changer de sujet.
-Au fait ! Lorsque j'étais au centre j'avais rencontré une fille, Sacha. C'est ma meilleure amie et comme on ne s'était jamais séparées aussi longtemps, elle va venir me rendre visite.
Elle se saisit de mes mains avec douceur et les serra délicatement.
-Mais c'est génial ! J'ai hâte de faire sa connaissance. Il faudra absolument que tu me la présentes ! Combien de temps reste-t-elle ? Quand arrive-t-elle ?
Les mots sortaient de sa bouche sans que je n'aie le temps de répondre. Apparemment je n'étais pas la seule à avoir eu envie de changer de sujet.
-J'ai trois jours de repos sans compter le week-end, donc elle vient passer cinq jours ici et elle arrive demain soir.
Néphrée but une gorgée d'eau en souriant.
-Il faut absolument que tu l'emmènes à la fête d'Aylan, Mike et Milan ! Elle aura lieu dimanche soir dans la forêt et il y aura tout le monde.
Je me raclai la gorge.
-Tout le monde ?
Elle ricana.
-Oui. Même Oz. Je t'assure qu'il sait s'amuser.
Un sourire moqueur apparut sur mon visage.
-Oh. Mais je n'en doute pas. Vu à quel point il aime les nouveaux arrivants dans cette ville, il sera ravi de la voir.
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