Chapitre 9 (partie 4)

Bergelet eut un sursaut en entendant la porte se fermer à clé et comprit que Nicolas l'avait joué pour qu'il se fasse accuser à sa place. On le laissa seul. Il restait la fenêtre, mais des gardes dans la cour le dissuadèrent de tenter cette voie. Mais s'il s'échappait ? Ne serait-il pas le coupable parfait ?

La nuit emportait déjà ses dernières forces et il luttait pour ne pas laisser ses paupières tomber d'elles-mêmes. Une église non loin de là sonna cinq coups. Il bailla, se résolut à attendre le matin pour crier, tempéter, clamer son innocence, et dénoncer le baron d'Elby.

On l'avait laissé là car le palais s'était endormi. Mais il savait que dans une heure, deux tout au plus, on reviendrait le chercher.

Cinq heures et quart. Quelqu'un tourna la clé dans la serrure. Dans un demi-sommeil, la tête penchée sur un coussin de soie, il vit un petit homme un peu bedonnant passer la porte et la refermer sans un bruit. Ce comportement étrange le réveilla tout à fait.

- Chut, dit l'homme en posant un doigt sur ses lèvres. Je viens réparer la grosse bêtise que j'ai faite.

- C'est-à-dire ?

- Je vous raconterai plus tard. Suivez-moi.

Discrètement, il récupéra l'aulos qu'on avait imprudemment laissé dans la pièce (une heure, vous pensez ! Il ne s'envolera pas...). Et entraîna le Loup Blanc dans les couloirs du palais de l'Elysée. Il avait compté les rondes. Ils se faufilèrent rapidement par les jardins de derrière et escaladèrent un mur en grimpant sur un arbre. Une voiture attendait un peu plus loin.

Mais une lumière les éclaira subitement. On venait de les repérer. Léonard eut le temps de monter dans la voiture. Bergelet se prit une balle en plein torse et se glissa tant bien que mal à l'intérieur. Étendu sur le siège arrière, il ne tarda pas à perdre connaissance.

***

Le réveil le cueilla dans une atmosphère de rêve. Il s'arracha avec regret de son lit, étonné de ce sentiment de jouissance infini qu'il avait éprouvé en ouvrant les yeux. Dans l'instant, son esprit ne se focalisa plus que sur cet objectif : retrouver cette euphorie, par tous les moyens possibles.

Le médecin entra dans la pièce.

- Qu'est-ce que vous m'avez donné ? Demanda Bergelet.

- C'est de l'opium, monsieur. Ça chasse la douleur.

- Je sais ce qu'est l'opium. Mais je n'en avais jamais goûté. Où en avez-vous trouvé ?

- Chez Sanjivani.

Léonard choisit ce moment pour entrer et le médecin sortit. La boîte contenant l'opium était encore posée à côté du lit et Bergelet s'en saisit pour la dissimuler dans sa poche.

- Qu'est-ce que c'était ? Demanda Léonard.

- Rien qui ne te concerne. Mais moi je serais curieux d'en savoir plus à ton sujet. Qui es-tu ?

- J'étais en prison avec Nicolas d'Elby. C'est moi qui était chargé, selon vos ordres, de le tuer. On m'a libéré quelques temps après sa fuite, comme j'avais fini ma peine. J'ai compris qu'il y avait des histoires de gros sous et quelques mystères, que c'était mon intérêt de vous aider. Je vous ai aidé à fuir. J'ai fait plus : j'ai pensé à récupérer l'aulos, comme gage de ma fidélité. J'espère que ce prix suffira à me faire intégrer vos rangs.

- Tu as l'aulos ?

L'intérêt de Bergelet s'éveilla immédiatement et il récupéra la flûte avec une infinie précaution. Il la caressa rêveusement, tiraillé entre son admiration sans borne pour ce si bel objet, et sa crainte de l'Empereur. Il savait que la flûte lui apporterait le pouvoir de charmer tout Paris et qui ne rêvait pas d'être adulé par tous ?

- J'apprécie ce geste et ce dévouement. Mais tu n'aurais pas dû. Je deviens le coupable idéal pour l'Empereur.

- C'est vous qui avez accepté de prendre la fuite...

Une erreur, comprenait maintenant le Loup Blanc, une grave erreur que la fatigue, la solitude et la surprise pouvaient seules expliquer. Il reposa la flûte sur un guéridon.

- Mais je vais tenter de me racheter en renvoyant l'aulos à l'Empereur. Peut-être que cela suffira à prouver mon innocence... Peut-être qu'il me faudra offrir d'autres gages. Mais je suis prêt à tout offrir si cela peut faire chuter cet imbécile de Nicolas qui s'est joué de moi. 

- Monsieur...

- Donnez-moi votre nom.

- Léonard, monsieur.

- Léonard... Je vous engage. Mais si vous me trahissez : je révélerais que c'est vous qui avez volé l'Empereur. Et voici votre première mission : aller rendre l'aulos à l'Empereur en précisant bien qu'il ne s'agissait que d'une erreur.

- Mais il va croire que je suis le voleur ! Voire l'un des responsables de l'attentat ! Il va m'emprisonner !

- C'est un test, monsieur Léonard. Allez voir l'Empereur pour moi et voyons si vous réussissez à réparer cette confiance que vous avez brisé en organisant ma fuite. Si vous échouez, qu'est-ce que j'en ai à faire ?

Léonard baissa les yeux, pris d'inquiétude, et acquiesça silencieusement. Il savait qu'il ne faisait pas le poids devant ce vieil homme d'affaire rompu à toutes les intrigues parisiennes.

- Passez-moi l'aulos, j'y vais, dit-il simplement.

Sans regarder, Bergelet tendit sa main vers le guéridon pour attraper la flûte et ne rencontra que du vide.

- L'aulos a dû glisser, maugréa-t-il en se penchant dessous pour le rechercher. Léonard, aidez-moi à le retrouver.

L'ancien prisonnier fit mine de fouiller la pièce, se baissant sous le lit, sous la commode, à la recherche de l'aulos. Mais il avait disparu, alors même qu'il se trouvait sous leurs yeux quelques secondes auparavant.

- Léonard, c'est vous qui l'avez ?

Dans le creux de sa manche, l'objet volé. Mais le voleur fit non de la tête.

- C'est étrange, cette affaire... L'aulos était là, il y a un instant.

Il s'assit sur son lit et plongea sa tête entre ses mains, particulièrement embarrassés. Léonard glissa rapidement l'aulos derrière la porte, à l'extérieur de la chambre.

- Laissez-moi vous fouiller.

Il n'avait rien. Bergelet le laissa partir et Léonard brisa la fausse flûte en minces copeaux de bois qu'il laissa sur le rebord de la fenêtre du Loup Blanc. Ainsi, le vieil homme d'affaire lui-même était persuadé d'avoir volé l'Empereur sans pouvoir profiter lui-même du vol. Il avait suffi de jeter un peu de poudre magique sur la voiture de Napoléon III.

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