Chapitre 9 (partie 2)
Une nuit hivernale recouvrait depuis déjà longtemps les pavés de la capitale quand Nicolas d'Elby sortit de sa cachette, élégamment habillé d'un chapeau haut de forme, d'un habit de dîner et paré de sa canne qui scintillait de mille feux. Il traversait les rues calmement, à visage découvert. Les miséreux de ce quartier pauvre s'écartaient rapidement devant ce beau monsieur qui les ignorait. Les rues disparaissaient derrière lui, dans une brume légère et délicate qui se posait sur les regards étonnés et malades des passants, sur les murs poussiéreux, promis à une destruction future, et qui s'envolait couvrir le ciel d'un manteau sinistre. L'attention du jeune homme s'était échappée de ces ruelles pour chercher la sortie des multiples labyrinthes qui se présentaient à son esprit d'entrepreneur. Il voyait sans voir, il passait distraitement, sans sentir les regards se poser sur lui.
Les rues avaient changé. Les immeubles décrépits retrouvèrent leur gaieté et des hôtels particuliers apparurent. Le plan n'avait même pas commencé et un rien pouvait faire s'effondrer le château de cartes dangereusement bâti par Nicolas. Chaque détail comptait...
Mais un homme vit le jeune homme et le suivit. Un premier engrenage s'enclenchait et le château de cartes vibrait sous le coup de ce premier hasard, vacillant sur ses fondations, s'animant comme un monstre qui se réveille contre ses maîtres. L'homme nota la canne, dissimulant l'épée, que tenait Nicolas et raffermit sa poigne sur le pistolet caché dans son veston de gala. Mais sans accélérer, sans se jeter sur le fils de Sisyphe, car la curiosité, de très loin, l'emportait sur ses autres sentiments.
Et Nicolas rêvait, comptait les minutes qui le rapprochaient toujours plus, dangereusement, de cette seconde à bascule où il se jetterait sur l'empereur. Il était étrange que ses journées de travail et d'angoisse soient mises en jeu, comme un pari risqué, par une seconde, une simple seconde. Et il priait, espérait qu'aucun grain de sable ne vint enrayer les mécanismes de son plan. Loin derrière lui, il ne pouvait voir l'homme qui le suivait.
L'avenue de l'opéra finit par apparaître. 20h venait de sonner. Nicolas fit un signe à Orsini sans venir lui parler. Il savait déjà ce qu'il comptait faire. Des voitures se pressaient contre les marches de l'opéra.
Un instant, regardant Orsini dissimuler la bombe sous son bras, Nicolas se dit qu'ils n'auraient jamais dû se rencontrer, qu'ils vivaient bien trop dans deux mondes différents, tout entier donné à son pays, l'Italie, prêt à se sacrifier pour recevoir du soutien étranger pour son indépendance, dans un aveuglément personnel qui touchait au fanatisme et à la folie. Ou centré à l'extrême sur ses intérêts particuliers, prêt à tout faire pour survivre, quitte à mettre en danger son empereur, quitte à le voler, le trahir, lui mentir, pour sa simple survie.
20h15. Orsini passa furtivement près de Nicolas pour lui souffler :
- Pieri a été découvert avec l'une des bombes et arrêté. Il ne nous a pas trahis.
Nicolas acquiesça et vint se poster de l'autre côté de la rue, où il déposa dans un coin sa canne. L'homme qui le suivait le vit faire, comprit qu'il était désarmé et hésita un instant. Cette canne ne recelait-elle pas quelque mystère ? Mais le jeune homme en était trop proche, ce serait prendre le risque de se révéler et c'était beaucoup trop dangereux.
Un frisson le parcourut. La foule se faisait plus dense. Les gens se croisaient, se frôlaient et il n'aimait pas qu'on le frôle. Se glissant partout, comme un souffle un peu sacadé, un vague sentiment de nervosité emplissait les rues. L'empereur arrivait et on pressentait désagréablement la catastrophe. Fallait-il s'en aller ? Quitter là le fils de Sisyphe et ses étranges lubies ? Ou se jeter sur lui pour l'emmener une fois pour toutes en enfer ? La tentation était trop grande...
Bergelet se résolut à passer à l'action au moment où la voiture de l'Empereur passait le coin de la rue. Il sortit son pistolet et pointa soigneusement sur le jeune homme. Le même frisson nerveux qui était retombé sur les passants pour les emprisonner entre ses griffes le saisit. Il crispa sa poigne et tira.
Nicolas se baissa pour éviter la balle qui vint frapper un pavé. Il se retourna, aperçut son agresseur, et se jeta sur lui pour le clouer au sol. Le pistolet glissa à quelques mètres des deux hommes, et Bergelet voulut se dégager de la poigne du jeune baron pour le récupérer. Il enfonça son coude dans les côtes de son agresseur et se coula hors de son étreinte. Nicolas lui enfonça un grand coup de poing au visage, mais le Loup Blanc envoya valser son adversaire sur les pavés d'un grand coup de pied bien placé. Au moment où il récupérait son pistolet pour le pointer sur Nicolas, une bombe éclata et le déstabilisa.
La garde de l'Empereur venait de voler en éclat.
Nicolas jeta un long regard au Loup Blanc, les yeux écarquillés par une étrange folie, et il lui tourna le dos brusquement en se jetant sur la grosse berline noire de l'Empereur qui n'avait pas eu le temps de réagir à la première explosion.
- Arrêtez-vous ! Arrêtez-vous ! Cria-t-il. On veut attenter à votre vie. On vous a volé l'aulos... Bergelet...
La voiture s'arrêta. Nicolas était collé contre la portière et des soldats apparurent brusquement pour l'en dégager. La voiture était arrêtée. Orsini à quelques mètres, bien loin des gardes qui s'acharnaient sur le jeune baron ou restaient étendus morts, déchirés par la première explosion, jeta un long regard au jeune homme, et lança la bombe.
L'impact souleva la grosse voiture et la renversa vers Nicolas qui finit écrasé sous ses roues.
Un mouvement de peur se créa et la foule s'écarta, disparut dans les rues, loin de l'attentat. Les quelques soldats restants se précipitèrent vers l'Empereur, l'Impératrice et les autres passagers de la berline. Indemnes, frisonnants encore sous le choc des émotions. L'attentat avait échoué, mais la rumeur se propageait dans les rues et l'on croyait au régicide.
De l'autre côté de la rue, Orsini et ses complices venaient d'être plaqués au sol par des passants courageux.
D'un coup d'oeil rapide, Napoléon embrassait la scène. Il passa un mouchoir sur son visage, lissa les plis de sa veste et s'attarda sur Nicolas. Le coeur battant, les mains nerveuses, il lui fallait rester maître de la situation. Il se perdait dans le tableau de cette scène, s'attardait encore sur Nicolas, et lâcha d'une voix qui se voulait ferme, qui se voulait vraiment ferme :
- Emmenez le baron d'Elby et monsieur Bergelet au palais. Conduisez-moi ces Italiens en prison.
Les mots claquèrent dans un triste silence. L'opéra dessinait sa belle silhouette à quelques pas d'ici, effaçant de sa beauté les meurtres qui venaient d'être commis.
- Je leur parlerais quand l'opéra sera fini.
Il tenta de sourire :
- Les Parisiens croient que je suis mort. Affichons-nous à l'opéra.
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