Chapitre 7 (partie 3)
L'hiver avait laissé sur les couvertures une fine pélicule de givre. Les carreaux de la fenêtre laissaient filtrer un vent glacial qui maintenait les prisonniers éveillés. C'était des nuits courtes, fréquemment entrecoupées de bagarres, que Nicolas cherchait toujours à éviter. Mais cette nuit-là, il arracha l'un des prisonniers de son lit pour lui donner un coup de poing dans la gueule. Son ami se leva d'un bond et voulut frapper Nicolas à son tour quand Léonard intervint pour le mettre à terre également. Juste revanche.
- Comment as-tu eu le couteau ? Lui demanda Nicolas.
- On m'a promis ma liberté, en me donnant le couteau et ton nom, si je te tuais.
- Pourquoi maintenant ? Ça fait quatre ans que je suis en prison : on aurait pu faire ça avant !
- Pour qu'on ne puisse pas relier ta mort avec ton procès, lui dit Léonard. Il a fallu attendre un peu pour s'assurer que l'accident passe pour une vulgaire bataille en prison.
Nicolas laissa échapper un rire bref avant de frapper un grand coup sur la tête du prisonnier pour le rendre inconscient. Léonard fit de même, et ils poussèrent la porte de la cellule.
Le couloir était vide, comme promis. Il fallait monter à l'étage, sans se faire voir des rondes de gardes. Là, un bureau devait être ouvert, avec une fenêtre qui conduisait dehors. Les deux hommes se glissèrent sans un bruit, épiant le moindre rayon de lumière. Léonard était passé devant, prenant tous les risques à chaque tournant. Mais il se sentait dans l'obligation de protéger Nicolas, comme pour le remercier de lui offrir sa liberté.
Pourtant en dehors des grincements sinistres de la nuit, et de quelques bruits de voix ou de pas si lointains qu'ils ne comptaient pas, les deux hommes purent passer à l'étage sans réelle difficulté. Ils s'enfermèrent dans le bureau par sécurité, y trouvèrent une corde et un couteau que Nicolas dissimula prudemment dans les plis de son vêtement. Sous la fenêtre, un premier regard découvrit une rue vide, dégagée de toute ronde ou de tout passant inopportun. Un second regard révéla un petit groupe d'hommes dissimulé sous une bâche.
- Il n'y a plus qu'à espérer qu'ils soient avec nous et que ton ami ne nous ait pas tendu un piège, dit Léonard.
- Je crois qu'il a besoin de moi, tenta de se rassurer Nicolas avant de faire basculer la corde par la fenêtre. Nous avons très peu de temps, passe le premier et fais vite.
Il venait en effet d'entendre des bruits de pas dans le couloir, signifiant que la ronde passait tout près d'eux. Le vent hurlait dehors et la ronde pouvait être tenté d'ouvrir la pièce pour vérifier que la fenêtre était bien fermée. Paranoïa, toujours. Mais elle avait tant de fois sauvé la vie du jeune homme qu'il ne cherchait même plus à la remettre en question.
Léonard glissa rapidement et se retrouva vite encerclé par le petit groupe d'hommes qui s'était caché sous la bâche. Il leur expliqua dans un murmure qu'ils étaient deux, ce qui ne parut pas leur plaire. Nicolas descendit à son tour, se présenta, guère rassuré. Les hommes portaient des masques, comme s'ils craignaient d'être reconnu.
- Les masques ne sont pas pour vous, mais pour la police. On ne veut pas qu'elle nous reconnaisse si votre fuite est remarquée. Il y a une voiture à deux rues d'ici, dépêchez-vous.
C'est alors que l'alarme de la prison se déclencha. Au même moment, la ronde qui faisait le tour de la prison apparut au coin de la rue, nota la corde et se mit à courir pour arrêter les fugitifs. Nicolas attrapa Léonard, bien plus faible que lui, par le bras et le força à courir à son allure, en suivant les amis de Gustave Bertin. Ils prirent un raccourci en traversant un immeuble en chantier. Les façades haussmanniennes se dessinaient lentement tout autour d'eux, mais ils ne s'arrêtèrent guère et passèrent de l'autre côté. Les lumières de la prison et le bruit lancinant de l'alarme continuaient de faire peser sur les fugitifs le stress de la fuite. Mais la voiture fut en vue.
- Dans le coffre, vous deux.
- Quoi ?
- Y'a plus de place dans la voiture, reste que le coffre. Et vous serez moins visibles.
Nicolas rongeant son frein se glissa en boule au côté de l'autre détenu. La voiture démarra rapidement, portée par la course des chevaux qui la tirait, roulant d'un bord à l'autre jusqu'à provoquer des nausées pour les deux hommes enfermés dans cet étroit réduit d'où ils ne pouvaient anticiper les secousses.
Mais la nuit touchait à sa fin. La voiture reprit une allure plus calme et finit par s'arrêter. Le coffre se rouvrit sur un grand hangar. Gustave Bertin était là.
Peut-être pour montrer que les rôles s'inversaient et que c'était lui désormais l'homme riche et puissant, il portait une longue veste rouge doublée de satin, un foulard en soie blanche au cou, un beau chapeau haut de forme, et de grandes bottes en cuir luisant. Mais il avait l'air d'un épouvantail avec tout cet attirail, presque ridicule. Nicolas était peut-être en costume de prison, la barbe et la chevelure non taillée, sa silhouette fine et robuste lui conservait son maintien noble. Gustave y vit une forme d'injustice : ces gredins à particule devaient même au fond du trou continuer à cracher leur suffisance au monde.
- Gustave, je suis content que tu sois là. Viens, on s'écarte. Ça va ?
Le contremaître acquiesça. Il retenait difficilement son excitation de revoir Nicolas qui lui offrait une fortune et un meurtre.
- Le document est dans le troisième tiroir. Il y a un double fond qu'il faut ouvrir en exerçant une légère pression dans le coin droit, près du bord du tiroir. Il faut que tu portes ce document à mon notaire, dont voici l'adresse. Qu'on s'entende : je te confie mes affaires. Une fois que j'aurais tout récupérer, je saurais me montrer reconnaissant.
Il hésita un instant avant de poursuivre :
- Le Loup Blanc sait que je connais son identité. Mais tu t'es protégé toi-même en me vendant à la justice. Il ne devrait pas soupçonner notre nouvelle complicité.
- Les gens qui t'ont sorti de prison sont des Italiens : Pieri, Gomez, Rudio et Orsini t'aideront pour l'attentat. Tu as un mois, sinon je te dénonce à la police.
- Ravi de te revoir, moi aussi, Gustave.
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