Chapitre 5 (partie 1)

- Monsieur, ouvrez la porte. Au nom de l'empereur, ouvrez.

Nicolas était toujours dans sa chambre, en train de lire les journaux. Quand il sût que la police venait chez lui, il referma précipitement sa page, nerveux. Il savait malheureusement ce qu'elle lui voulait : ne venait-il pas de lire que le fils de Sisyphe avait refait une apparition cette nuit et assassiné quatre hommes ?

"Qui que soit le loup blanc, il est un monstre de tuer et de m'imputer ses victimes."

- Monsieur le baron d'Elby. Je suis l'inspecteur Gautier et voici le commissaire Bruno. Excusez-nous pour ce dérangement. Nous avons quelques questions à vous poser.

- Je suis souffrant, répliqua sèchement le jeune homme en désignant son bandage au côté.

- Justement. Nous aimerions vous parler de vos blessures. Un médecin scrupuleux a fait un rapport à la police en nous indiquant que vous exerciez quelques douteuses activités nocturnes...

- Qu'est-ce qu'il en sait ?

- Vos blessures au réveil. Ce sont deux balles si je présume ? Les duels sont interdits et si votre sécurité est en danger vous avez ordre de nous renseigner sur le sujet.

Nicolas prit le temps de réfléchir en s'attardant comme à son habitude sur le physique souvent repoussant de ses adversaires. La moustache trop longue et trop entortillée en tous sens en était un parfait exemple. Il finit par répliquer :

- Vous pouvez me passer un verre de whisky ? Sur la commode, juste derrière vous.

Le jeune homme s'enfonça plus profondément dans les coussins pour boire son whisky à son aise et soupira de contentement quand il eut fini. L'inspecteur attendait toujours, en vain, sa réponse, et commençait à s'impatienter. Finalement, il se leva brusquement, le visage tout empourpré de plaques rouges qui devaient signifier la colère, et déclara :

- Monsieur, je représente la loi. En vous moquant de la loi, vous prenez un risque considérable...

Et il appuya sur le considérable.

- Si je suis venu jusqu'à vous, c'était parce que j'y étais motivé par de puissants desseins : figurez-vous que des soupçons pèsent sur vous. On dit que vous êtes le fils de Sisyphe. On dit que vous êtes l'assassin...

- Et vous préteriez crédit aux rumeurs ? Répondit Nicolas sur un ton presque insolent.

- Vous êtes le suspect numéro 1 de notre liste. Et je suis autorisé à vous conduire en prison, si je le juge utile. Souhaiteriez-vous commencer votre séjour à Paris par un peu de prison ? Quelle belle réputation vous vous feriez là ! Que dira-t-on de vous quand vous en sortirez ? À moins que vos blessures, sans soin et soumises à la crasse et à l'humidité, ne vous fassent succomber entre ces quatre murs. Maintenant, j'attends.

Le jeune homme avait très légèrement blémi en entendant parler d'une mort potentielle. Mais très vite, un léger sourire ironique était revenu déguiser ses traits :

- Mes blessures, ce ne sont que de la légitime défense. Demandez à mes domestiques, ils vous certifieront qu'on est venu m'attaquer cette nuit dans ma chambre. Mais j'ai mieux pour vous : je peux vous fournir l'assassin.

- Comment cela ?

- J'ai des contacts.

- C'est notre travail de remonter la piste, monsieur d'Elby. Expliquez-nous d'où vous viennent ces renseignements sous peine de... Notre menace tient toujours.

Nicolas crispa ses poings, nerveux. L'inspecteur l'enfonçait dans une situation où il avait de moins en moins d'issue et il détestait cela. Mais il y avait peut-être moyen de faire d'une pierre deux coups... Et à cette idée, ses yeux s'illuminèrent brièvement. Il fixa son regard dans celui de l'officier pour lui répondre :

- Le contremaître de mon usine de Jouy-en-Josas s'appelle Gustave Bertin. Il se sentait en danger vis-à-vis du Loup Blanc, alors il m'a parlé de cette espèce de monstre sans visage qui terrorise les familles les plus modestes et contrôle la pègre parisienne. Il le connait assez bien, presque personnellement même, puisque c'est grâce à lui qu'il a obtenu son poste de contremaître. Il est censé lui être redevable, mais il a décidé de le trahir. Il m'a menti lorsqu'il m'a assuré n'avoir jamais vu le visage du Loup Blanc et ne pas savoir son vrai nom. N'hésitez pas à aller l'interroger.

- Le Loup Blanc ? Qui est-ce encore ? Ont-ils tous des noms de code comme cela ?

- Si vous observez bien l'identité des victimes de ces deux dernières nuits, vous constaterez qu'elles possèdent toutes un casier judiciaire. Elles sont sous les ordres du Loup Blanc ou contre le Loup Blanc suivant la guerre engagée contre lui.

- Quelle guerre ?

- Il faut vous renseignez, monsieur l'inspecteur. Je ne vous suis d'aucune utilité si vous ne vous renseignez pas. Mais ne mettez plus les pieds chez moi pour m'accuser de quoi que ce soit quand vous même ignorez tout de l'affaire. Je suis souffrant, monsieur. Souffrez que je vous invite à déguerpir de mon toit.

L'inspecteur se sentit insulté. Il savait qu'il ne pouvait s'en aller sans avoir jeter une dernière saillie, mais où trouvez l'esprit nécessaire ? Il préférait menacer :

- Prenez garde à ce que toute cette situation ne se retourne pas contre vous. Car je n'aurais pas l'indulgence que j'avais aujourd'hui.

Parler d'indulgence, sur un ton légèrement suffisant, et promettre le pire à celui qui lui parlait... Voilà qui ramenait un peu de fierté dans son cœur de faible. Il imaginait déjà le jeune homme à ses pieds, suppliant de retrouver cette indulgence qu'il foulait dédaigneusement du pied aujourd'hui... Et l'inspecteur sortit en croyant avoir remporté la joute verbale.

Il y avait le policier dans l'ombre. Il laissa s'en aller l'inspecteur, trop perturbé pour remarquer qu'on ne le suivait pas, avant de rire :

- Vous n'êtes pas le seul à le haïr cordialement. Mais nous, nous sommes obligé de le supporter : des personnages de haut rang ont décrété qu'il avait toutes les qualités pour être inspecteur. Il ne lui manque que la courtoisie.

Nicolas émit une moue lasse. Si c'était pour lui parler de ses problèmes de bureau...

- Vous avez de la chance, monsieur le baron, que nous ne le portions pas dans notre cœur. S'il en avait été autrement, que nous l'eussions porté aux nues comme un exemple pour nous tous, je vous aurais méprisé bien cordialement.

Nicolas sourit.

- Mais comme je vous sais malin, moi, j'ai bien envie de lui jouer un tour et de vous aider.

- Juste lui jouer un tour ?

- Vous comprenez, si je réussis cette affaire, je pourrais peut-être être promu inspecteur, moi aussi.

- Et ?

- Vous semblez avoir vos renseignements au sein même de la pègre. Je ne veux pas savoir pourquoi : je fais le pari risqué que vous n'êtes pas le meurtrier. Je vous propose la protection de la police et le peu de renseignements qu'elle peut vous apporter. En échange, je ne demande qu'une collaboration des plus transparentes.

- Vous savez pourquoi j'ai envie de refuser ? Justement parce que vous ne me soupçonnez pas alors même que les indices sont nombreux à pointer vers moi. Cela dénote un esprit peu rigoureux ou lâchement ambitieux et je n'aime pas collaborer avec ce genre de personne.

- Ne parlez pas trop vite. N'oubliez pas que l'inspecteur vous a dans son champs de vision. Je le laisserai faire tant que je jugerais sa piste raisonnable. S'il prouve qui vous êtes, j'utiliserai sans honte la relation que nous aurons forgé d'ici là pour vous piéger. En attendant, je considère que nous sommes alliés.

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