Chapitre 14 (partie 1)
Nicolas le savait, sans le savoir. Il passa ses doigts dans la terre retournée, cette terre qui avait touché le gant de Midas et qui avait pris une teinte dorée étonnante.
Dans quelques jours, la première exposition universelle française aurait lieu et Nicolas devait y retrouver le Loup Blanc. Il lui donnerait le gant de Midas et il verrait son fils.
Un fils... Pourquoi Nicolas voulait-il tant son fils ? Il croyait n'aimer personne, sinon lui-même, et se laisser entrainer peu à peu dans un amour des plus dangereux auprès d'Ambre. Un fils qui lui rappelait Ambre, qui représentait la continuité de la dynastie, qui faisait, encore une fois, triompher la vie sur la mort.
Et le gant de Midas entre ses doigts.
Nicolas le savait sans vouloir se l'avouer, que les chiffres trouvés dans la canne de son arrière-grand-père indiquait les coordonnées du lieu où était enterré l'artéfact et que le gant de Midas transformait en or tout ce qu'il touchait. Et l'objet reposait là, sur le drap qui l'enveloppait autrefois, déjà durci et doré.
Nicolas ne voulait pas rester longtemps dans cette maison qui lui semblait appartenir au passé, quand il n'était encore qu'un enfant attaqué de toute part, bien loin du puissant chef d'entreprise français. Il récupéra le gant, le cœur lourd en songeant qu'il y avait près d'un siècle qu'il reposait dans le sol et qu'en l'offrant au Loup Blanc Nicolas détruisait tous les efforts menés par sa famille pour le lui dérober. Comme une trahison qu'il leur faisait.
Son cheval attendait derrière la cour. Le jeune homme n'attendit même pas le lendemain pour monter en selle et fuir vers Paris. Et le gant de Midas, dans son réceptacle doré, qui attendait sagement de pouvoir faire la fortune d'un autre que Nicolas.
Pour la première fois, l'amour prenait le pas sur l'ambition. Mais c'était bien parce que chez Nicolas la vie avait toujours surpassé la Mort.
Peut-être que tout n'était pas perdu.
Lundi, l'exposition universelle. Nicolas devait rencontrer l'Empereur et l'Empereur était heureux car le jeune homme allait lui offrir une bonne nouvelle. Lundi, Gustave serait de retour, après de longues années de complots dans les milieux anglais et prussiens pour détruire la fortune du Loup Blanc. Lundi, Gustave verrait Bergelet, lui donnerait le gant et récupérerait l'enfant. Nicolas au même moment devait traverser les couloirs de l'Élysée pour annoncer à l'Empereur la ruine de leur ennemi et la fortune du baron d'Elby.
Si tout se passait bien, mardi Nicolas serait loin.
L'esprit inquiet repassait tous les détails de cette complexe organisation. Une forme sourde d'anxiété venait poser ses griffes de sorcières autour du cœur du jeune homme pour le serrer fortement. Son cheval traversait les campagnes, de la Sologne où reposait son château aux plateaux des environs de Paris. Il lança son cheval au galop sur les routes les plus désertes, pressé d'arriver, de sauter cet intervalle de temps qui le séparait du jour où il verrait son fils, désireux de passer cette période où les doutes revenaient l'assaillir, lui murmurer qu'il trahissait sa famille, qu'il vendait les Sisyphe.
- Mais je n'ai pas de famille, se dit Nicolas. Je veux en construire une.
Qui aurait dit qu'un jour il chercherait à tout prix à se ranger gentiment avec un fils, une femme, une maison à la campagne ? L'heure était encore aux doutes.
Et lorsque l'on savait de quoi était capable de gant de Midas, que faire ? Il comprenait, Nicolas, pourquoi le Loup Blanc s'était acharné sur trois générations jusqu'à lui à détruire les d'Elby. Il suffisait de savoir de quoi était capable cet objet, quel était sa puissance...
- Mais mes parents et leurs parents avant eux ignoraient tout du gant de Midas. Il n'y qu'Alphonse d'Elby pour l'avoir enterré... Et moi, je suis allé plus loin que quiconque dans cette affaire. J'ai déterré le gant de Midas.
C'était étrange, ce sentiment. Il aurait dû ressentir l'excitation du danger, l'euphorie de la découverte, la joie des conquérants, mais il n'éprouvait qu'un vague sentiment de satisfaction, comme si au fond de lui il l'avait toujours su, comme si rien ne comptait si ce n'était lundi et son fils. Et Ambre.
Le cheval ralentit en arrivant près des portes de la ville. Les voitures se pressaient sur les grands boulevards qui s'ouvraient devant le jeune homme. Nicolas ne voulait pas être reconnu et se dépêcha de traverser ces rues pour se rendre à son hôtel particulier. Il ne fallait pas que le Loup Blanc sache que l'objet était déjà en sa possession. Il fuyait.
Il laissa son cheval dans la cour et monta rapidement à l'étage s'enfermer dans son bureau. Le gant était là, entre ses main, objet de tant de convoitises, et Nicolas ne cherchait qu'à s'en débarrasser. Ou peut-être...
Il enfila le gant autour de sa main, admira un instant le fin objet serti de pierres précieuses, toujours ces pierres précieuses qui faisaient aujourd'hui battre son cœur et qui l'ennuyaient aujourd'hui. Un courant d'adrénaline le traversa tandis qu'il songeait qu'il pouvait encore l'utiliser. L'objet était à lui, bien à lui...
Il se leva et se dirigea vers la cuisine. Des couverts en or. Il passa dans les salons : des lampes en or, des meubles en or. Dans la cour : la terre devenait or, les feuilles devenaient or.
Et Nicolas devenait riche, riche, riche, toujours plus riche. Une fortune insolente, une fortune hyperbolique, qui en venait à dépasser les richesses mêmes de l'Empereur.
"Je pourrais lui racheter son empire", se dit Nicolas dans un sourire. Et le sol doré renvoyait timidement les reflets de la lune, faisait scintiller le petit hôtel particulier.
Louise, en revenant de la maison de son père le dimanche qui précédait l'ouverture de l'Exposition, ne reconnut pas sa maison. Elle comprit, comprit seulement maintenant au bout de plus de quatre ans de mariage, que son époux ne l'aimait pas et qu'il n'aimait que l'argent. Elle crut le comprendre. Elle le crut réellement. Mais encore une fois, elle était en retard. Ce n'était qu'une ultime déclaration d'amour à ses richesses que Nicolas venait de faire. Il disait adieu au faste, persuadé que le Loup Blanc, en lui prenant le gant, lui prenait sa richesse.
- Nicolas ? Lui dit-elle en se pelotonnant contre lui. Nicolas, est-ce que tu m'aimes encore ?
Pouvait-il lui dire qu'il ne l'avait jamais aimée ? Il répondit :
- Je veux bien adopter un enfant. Je veux bien avoir un fils.
Et il l'embrassa distraitement sur le front.
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