Chapitre 13 (partie 4)

Ambre avait entendu la dernière phrase de son père et ces quelques mots avaient réveillé un souvenir douloureux qu'elle croyait avoir enfoui depuis longtemps. Elle se composa un regard sévère, un regard noir, pour accueillir l'amant qui l'avait lâchement abandonnée, quand bien même elle avait autrefois voulu tout quitter pour lui et l'enfant qu'elle portait en son sein. Elle avait cru qu'il ne l'aimait plus, mais au premier pas qu'elle fit dans la salle, elle comprit que jamais sa passion ne s'était éteinte. C'était ce qui rendait sa colère actuelle si terrible.

- Vous ne vous embrassez pas ? Reprit Bergelet, étonné du mutisme des deux amants. C'est la mère de votre fils pourtant.

Un fils... Nicolas crispa ses poings. Il aurait voulu se jeter sur cet homme qui le narguait sans pitié, mais le pouvait-il seulement ?

- Où est-il ?

- Je ne sais pas, répondit Ambre d'un ton qui se voulait sec, mais qui termina sur une note douce, témoignant tout l'amour qui lui restait pour son enfant.

- Il y a trois ans ? Reprit le jeune homme.

- Tu ne le retrouveras jamais, Nicolas. Tous les jours, des femmes abandonnent leurs enfants...

- Moi, je sais où il est, reprit Bergelet dans un sourire un peu narquois.

Il voulait voir le petit baron sortir de ses gonds. Il voulait le voir perdre cet air méprisant qu'il avait en pénétrant dans la pièce, fulminer, rager, se mettre à dos les membres du cercle qui venaient de prendre parti pour lui parce que soi-disant il était une personne plus fréquentable que lui.

Nicolas sentait tout le désespoir l'envahir, mais il parvint à se contenir et à dire :

- Que voulez-vous ?

- Vous ne le connaissez même pas, ce gosse, reprit Bergelet. Pourquoi abandonner tout vos rêves de fortune pour lui ?

Le jeune homme tourna son regard vers lui, prenant douloureusement conscience de ce qu'il était en train de faire. Mais la réponse s'imposa dans son esprit avec une telle évidence qu'il ne put que s'y soumettre : il savait maintenant le prix de la gloire et de la richesse, et n'était plus sûr de vouloir tout risquer, même les êtres les plus chers, pour l'atteindre.

- Que voulez-vous ? Reprit-il en appuyant sur chaque syllabe.

- Vous abandonnez votre idée de me prendre mon poste. Vous intercédez auprès de l'Empereur pour que je revienne en grâce. Et...

Il observa Nicolas comme un loup qui observe sa victime avant de l'achever :

- Vous m'offrez le gant de Midas.

De nouveau, il écrasa la paume de sa canne avec la main. Ambre observait le jeune baron silencieusement, perdue au milieu de sentiments contradictoires et se demandant si elle pouvait encore aimer un homme qui l'avait abandonnée. Mais le regard de Nicolas sur elle, si plein d'amour, si empli de détresse, abaissait une à une toutes les barrières qu'elle pensait avoir soigneusement érigées. Elle voulut le prendre par le bras et l'emmener à l'étage, où ils seraient seuls.

- Le gant de Midas, répéta Bergelet qui s'impatientait.

- Je vous le cèderais quand vous m'apporterez l'enfant, répondit alors Nicolas. Sinon, vous n'aurez rien.

Le coeur d'Ambre rata un battement. Elle songea à part elle qu'il s'agissait de la plus belle preuve d'amour qu'il pouvait lui offrir et elle ne sut plus que penser de cet amour qui la liait encore au jeune homme. Il lui sourit doucement. Bergelet avait envie de vomir.

- Monsieur le comte d'Aubissac ! Cria-t-il sans façon. Nous avons trouvé un arrangement, vous pouvez revenir.

Les membres revinrent un à un, étonnés de retrouver les deux hommes en vie, sans trace de blessure, et en compagnie de cette belle jeune femme qu'était Ambre. À sa vue, le comte d'Aubissac pâlit et comprit qu'il venait de perdre une bataille, que son pion le plus utile venait de lui être enlevé par l'ennemi.

- Monsieur le baron accepte de me laisser la présidence, et...

Il exultait presque de joie, comme un enfant.

- De me céder le gant de Midas.

Les membres du cercle eurent un murmure étonné et jetèrent un regard méprisant pour le jeune homme, toujours debout et silencieux, qui venait d'abandonner si lâchement le combat. Mais Nicolas voulait se retrouver seul avec Ambre et jetait déjà des coups d'œil anxieux vers la sortie.

Bergelet vit son excitation et conclut :

- Je suppose que nous pouvons rentrer chez nous. Monsieur le baron, je ne vous salue pas.

Humilié. C'est tout ce que Nicolas pouvait conclure de cette soirée. Mais étrangement, il s'en fichait. Il sortit précipitamment, suivi par Ambre qui le rejoignit dans les jardins. Ils quittèrent l'entrée éclairée par quelques lampes de pétrole et s'enfoncèrent dans un buisson où, toujours sans rien dire, Nicolas se pencha sur la jeune femme pour l'embrasser. Il agrippa sa taille nerveusement et la serra autant qu'il le put pour bien s'assurer qu'elle était là, dans ses bras.

- Pourquoi as-tu fait cela ? Finit-il par dire le regard noir et furieux.

- Tu es passé dans les bras d'une autre. Qu'est-ce que j'aurais fait de ce gosse ?

- Si tu trouves un moyen de m'en débarrasser proprement, tu reviens à la maison. Je ne te quitterais plus. Je passerais une bague à ton doigt, vingts bagues s'il le faut, mais tu seras à moi.

- Tu es fou, Nicolas. Tu es naïf. Si tu crois qu'après l'affront que tu viens d'offrir à mon père, il va te laisser tranquille... Et une fois le gant donné, tu ne seras plus qu'un objet dont il faut se débarrasser.

- Jamais ! Murmura le jeune homme en l'embrassant dans le cou. Jamais, je te le promets.

- Nicolas ? Les interrompit alors une voix dans leurs dos. Il faut y aller.

Le jeune baron laissa sa belle filer dans l'ombre, vers son père, et se retourna vers le comte d'Aubissac. Celui-ci le toisait du regard, d'un air qui dissimulait mal une profonde déception. Nicolas s'en fichait.

- On avait dit que je t'aiderais tant que tu aimeras Louise. J'ai l'impression que ce temps est fini.

Le jeune homme haussa les épaules :

- Je ne l'ai jamais aimée.

- Tu vas détruire ton empire, perdre tes soutiens parisiens, vendre le gant de Midas, pour une femme que tu n'auras même pas le temps d'aimer. Tu seras mort avant de pouvoir poser à nouveau tes lèvres sur les siennes. Et si le Loup Blanc ne te tue pas, je m'en chargerais moi-même, pour avoir abandonné ma fille.

- Ne vous inquiétez pas, railla Nicolas d'un air sombre. Elle couche encore dans mon lit cette nuit.

Et le comte d'Aubissac frémit à la seule pensée de voir ses mains toucher sa fille après avoir touché et aimé Ambre.

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