Chapitre 13 (partie 2)
Louise ne se laissait pas de son "adorable" mari, si "travailleur", si "attentionné" quand il lui refilait les vieilles coupes de toile de Jouy que personne ne voulait, si riche, si proche de l'Empereur. Elle était capable d'en parler durant des heures avec ses amies.
Ils n'avaient pas d'enfant, et pourtant plus de trois ans avaient passé. Nicolas se souvint qu'Ambre non plus n'avait pas eu d'enfant et cela le mettait au désespoir : se pourrait-il qu'il n'en eut jamais ? Se pourrait-il que la race des Sisyphe vînt à s'éteindre faute d'héritier ?
C'était une pensée dérangeante et Nicolas se promit de ne pas la laisser le troubler.
Mais Louise voulait un enfant et, voyant qu'ils ne pouvaient en avoir, elle se mit dans la tête d'en adopter un. Tous les soirs, elle harcelait son mari pour qu'il accepte ses sentiments maternels, mais Nicolas l'ignorait. Nicolas, le coeur lourd, songeait au moyen de se débarrasser de cette péronnelle sans vexer son père. Les silences, les mensonges, les disparitions ne changeaient rien à ses regards énamourés et stupides.
Il vint voir le comte d'Aubissac :
- Vous m'aviez promis le cercle des Archéologues. Et le temps passe, vous ne m'offrez rien.
- Nous avons perdu la piste du Loup Blanc... Difficile de le recontacter.
- Où en êtes-vous maintenant ?
- J'ai réussi à contacter l'un de ses hommes de main. Il a discuté avec Bergelet et nous avons convenu d'un rendez-vous. Dans un mois, à Paris, à l'adresse qu'il vous indiquera quelques heures avant.
- Il est prudent.
- Vous avez lancé les polices de l'Empereur à ses trousses...
- Et sa fille ?
Le comte d'Aubissac ne répondit rien et se contenta de jeter un long regard ennuyé au jeune homme. Persuadé que nul ne pouvait résister au charme de sa fille et que Nicolas tombait amoureux de toutes les femmes qu'il voyait, il ne s'était pas inquiété de marier Louise au jeune baron. Mais les années passaient et il commençait à se rendre compte avec effroi qu'il s'était fourvoyé. Nicolas était bien tombé amoureux d'Ambre Bergelet et il continuait d'ignorer Louise.
Il se mit dans l'idée qu'il fallait les isoler, les envoyer en voyage, et qu'alors, tous les deux, ils ne pourraient que s'aimer. Il ne pouvait en être autrement.
- Écoute, Nicolas, je m'inquiète pour toi... Vraiment, après tout : je suis un peu ton père maintenant...
Le jeune homme releva la tête un peu brusquement pour le fixer du regard, glacé tout à coup par le ton paternel que prenait son interlocuteur, soulignant une relation qui était loin d'exister pour lui. Ils faisaient affaire, voilà tout, et ce ton paternel instituait un rapport hiérarchique dérangeant.
- Or, il faut que je te révèle quelque chose d'important, que tu as dû deviner : nous sommes nombreux à nous poser des questions quant à l'acharnement du Loup Blanc à ton égard. Nous sommes nombreux à nous demander d'où viennent tous ces meurtres qu'il laisse dans son sillage. Nous sommes nombreux à penser qu'il est peut-être un peu fou, peut-être extrêmement dangereux et capable de tuer au premier obstacle.
- Et ? Reprit Nicolas que cela ne dérangeait pas plus que cela.
- Quand il entendra ce que tu lui annonceras, dans un mois, il aura une réaction sans doute un peu vive.
- Ce que je lui annoncerais ?
- Tu verras. Sans doute ses pulsions reprondront-elles et il serait avisé de venir vous réfugier à la campagne. Dans votre château par exemple.
Nicolas retint un sursaut. Pas son château. Il ne voulait pas voir Louise souiller les dalles de son château et emplir les murs mystérieux de ses babillements. Il ne voulait pas se retrouver seul avec elle.
- Ou dans notre maison de campagne reprit le comte qui avait senti la gêne de son interlocuteur.
"Il cherche à me rapprocher de Louise... Il voudrait peut-être que je tombe amoureux. Il s'illusionne."
Louise qu'il se mettait de plus en plus à haïr, comme obstacle à cette femme qui continuait de le hanter. Et les quelques mots du comte lui faisaient prendre conscience de cette haine, comme lien indéfectible qui l'enchaînait à une famille, des obligations, un train-train routinier.
Et le soir revint. Et Louise l'attendait, lui offrit des chaussons, une verveine, un bon repas bien cuisiné. Elle s'enquit gentiment de sa journée, expliqua qu'elle avait commencé à se renseigner pour les adoptions, qu'il s'agissait d'une bonne œuvre de charité, qu'un enfant redonnerait un peu de couleur à leur vie de couple. Mais Nicolas la fixait du regard sans rien dire, légèrement effaré par tout l'ennui qu'elle dégageait. Il ne répondit rien et repartit dans son bureau.
Comment faire ? Ambre... Si tu pouvais revenir, glisser tes yeux sombres au-dessus des miens, faire tressaillir un cœur qui se sait en danger à tes côtés et jouer constamment avec moi, rivaliser d'intelligence dans cette partie d'échecs géante engagée contre le Loup Blanc !
Le cœur brûlant, les nerfs à vif, les dents serrées, Nicolas n'aurait su dire pourquoi cette haine contre sa femme grandissait ainsi, pourquoi il ressentait le mariage comme une prison bien pire que celle dans laquelle on l'avait enfermé quatre ans, mais il voulait se libérer, tout empli d'une hargne féroce qui le surprenait lui-même.
- Nicolas ? Mon chéri, madame Gauthier nous invite à sa soirée la semaine prochaine. Mardi prochain, ça te va ? Tu verras, tout le monde sera là. Je sais que tu n'aimes guère les soirées, mais fais un effort... Pour moi...
La semaine prochaine... Nicolas eut un sourire léger et sa femme se méprit sur sa signification, ravie de croire son époux disposé à venir à la soirée. Elle s'apprêtait à répondre oui à l'invitation, quand Nicolas lui dit :
- J'aurais un rendez-vous ce soir-là. Un rendez-vous important.
- On avait dit que le soir était libre ! Sans rendez-vous pour te pourrir la tête ! Tu passes déjà ta vie au travail et j'ai de quoi me plaindre.
- Ce n'est pas un rendez-vous comme les autres.
Il sourit, sentant de nouveau la vie revenir, l'excitation du danger et l'aventure. Il murmura pour lui-même, les yeux brillants :
- J'ai rendez-vous avec la Mort.
La Mort. Ou le Loup Blanc.
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