Chapitre 12 (partie 2)

- Que savez-vous ? Je sais que vous en étiez le secrétaire.

- Il s'agit d'une société secrète, et vous savez, je crois, ce que le mot secret signifie.

- Et si je veux en faire partie ?

- Pas possible.

- Pourquoi donc ?

- Pour deux raisons : la première est qu'il faut pour tout nouvel arrivant l'approbation du président, en l'occurrence monsieur Bergelet. Vous savez comme moi que jamais vous n'obtiendrez sa signature. La seconde est que votre famille en a été banni. Quand bien même le Loup Blanc accepterait de vous intégrer, nos lois ne le permettraient.

- Pourquoi banni ?

- Je me pose la même question, reprit le comte songeur. Mais c'est un sujet interdit, un dossier auquel n'ont accès qu'une toute petite minorité de personnes dont je ne fais malheureusement pas partie.

- Expliquez-moi le fonctionnement du cercle des Archéologues. Et je vous laisserais tranquille.

- Je vous l'ai dit : il s'agit d'une société secrète.

Nicolas se leva d'un air furieux, suivant comme à l'habitude son tempérament fougueux au sang chaud. Il perdait son temps à discuter avec ce vieil aristocrate tout rabougri. Pourtant, il allait quitter la pièce quand d'Aubissac ajouta :

- Mais je peux peut-être faire une exception pour vous, si...

Il laissa le "si" en suspens, attendant que le jeune homme se calme et revienne s'asseoir. Puis il eut un sourire qui se voulait paternel, qui se voulait gentil, mais qui ne révéla qu'une pitoyable grimace.

- Nicolas d'Elby, monsieur le baron... J'ai vu comment ma fille vous regardait. Il y a des années que j'essaie de la marier et elle commence à passer l'âge.

- Vous voulez que je l'épouse ? Ricana Nicolas. C'est la chose la plus délirante que j'ai entendu jusqu'à présent.

- Pourquoi cela ? Reprit le comte en se composant un visage grave, presque blessé par la réaction du jeune homme.

- Que votre fille ignore tout de mes récentes mésaventures m'avait surpris, je dois vous le dire. Je ne sais comment vous vous y êtes pris pour le lui cacher, mais vous avez fait fort : toute la presse ne parlait que de mon emprisonnement. Et aujourd'hui, il est bien connu que j'aime une autre femme et qu'elle n'a rien d'une personne recommandable. Non, je n'aime pas votre fille. Et vous feriez bien de vous souciez réellement de lui trouver un bon parti.

- Mettons-nous d'accord, monsieur le baron. Je ne retiens que trois critères pour son mariage : la fortune, le nom et sa volonté. Vous êtes l'un des rares, sinon le seul, qui réunissent ces trois critères et je vous fais confiance pour vous rangez en vous mariant. Je vais vous dire pourquoi : elle est ma seule héritière, mon autre fille ayant pris le voile. C'est un empire que je vous offre, monsieur le baron. Et je vais faire bien plus pour vous : puisqu'il s'agit d'une alliance, je compte bien vous aider face au Loup Blanc. Nous sommes nombreux à penser qu'il détourne la vocation première du cercle en s'acharnant sur vous et qu'un peu de renouveau ferait du bien au cercle. Nous sommes nombreux à vouloir le chasser. Nous pouvons vous aider.

- Comment ?

- Le marché est-il conclu ?

Nicolas aurait voulu prendre le temps de réfléchir. Un brin de nostalgie s'invita dans ses yeux tandis qu'il songeait au sacrifice qu'il faisait s'il se mariait, à Ambre qu'il perdait, Ambre qu'il aimait plus que de raison, au risque même qu'il prenait en se la mettant à dos...

- J'ai besoin de réfléchir. Je vous propose un rendez-vous demain. Prenez cette adresse, il s'agit d'un salon de thé qui vient d'ouvrir à Paris et que je vous conseille fortement. Je vous y retrouve demain à 15h.

- Entendu, répondit le comte en se levant pour lui serrer la main.

Nicolas salua et sortit précipitamment du bureau, l'âme soudain lourde, le regard un brin mélancolique. À peine eut-il passé les portes du salon où se tenait la réception que Louise vint le voir pour lui demander gentiment si la réunion avec son père s'était bien passé. Il avait l'air tout triste. Elle aurait aimé pouvoir le réconforter.

- Laisse-moi, Louise.

Il vint s'adosser à la fenêtre, songea dans un sourire un peu noir que c'était là qu'il avait rencontré Ambre pour la première fois. Mais ce qui l'attristait le plus n'était pas d'épouser une personne qu'il n'aimait pas. Il l'aurait fait mille fois s'il avait pu garder sa maîtresse. Non, c'était de perdre sa liberté et de se ranger comme homme du monde, loin du scandale et des mystères des bas-fonds parisiens. Il avait une conscience aiguë de tout ce qu'il perdait, mais son ambition et son avidité rendaient le choix difficile.

Il régla quelques autres rendez-vous, distribuant la même carte du salon de thé aux invités, sélectionnant intelligemment les personnes les plus influentes et les plus puissantes. Il s'étonnait de ne plus prendre le même plaisir à traiter ainsi ses affaires et à manipuler en secret tous ces bourgeois si bien pensants.

Pouvait-il dire non au comte d'Aubissac ? Pour la première fois, il devait faire un choix entre les deux choses qu'il affectionnait le plus : la liberté et la puissance. Et il savait ce qu'il choisirait, quand bien même cela le rebutait.

Il quitta la soirée avant tout le monde, s'attarda un peu avec Louise en débitant quelques banalités, et rentra précipitamment chez lui. Quatre heures sonnaient. De la lumière sortait des fenêtres de sa chambre. Ambre était encore réveillée. Elle l'attendait.

Il ne dit pas un mot en entrant dans la chambre, se déshabilla silencieusement et vint se coucher auprès d'elle en lui jetant un regard inquiet. Elle lisait un livre, tournant les pages d'un air furieux, ne prenant même pas la peine de le regarder.

- C'était bien ? Finit-elle par lui dire.

Il ne répondit rien et lui tourna le dos. Dans l'instant, elle sut qu'il s'était passé quelque chose et voulut en savoir plus. Il fallait changer de méthode :

- J'espère que tu n'es pas fâché contre moi... Je crie beaucoup, mais je t'aime. Vraiment.

Fixant l'autre mur avec une angoisse grandissante, Nicolas écoutait attentivement son amante. Elle s'approcha de lui, vint dessiner dans son dos quelques caresses et reprit :

- Si ça ne va pas, tu sais que tu peux te confier à moi. Crois-moi, je serais toujours là pour t'aider. Je sais que tu n'aimes pas dévoiler tes faiblesses, surtout avec moi quand tu ne me fais guère confiance, mais je t'aime trop pour te trahir.

Nicolas se décida soudainement et se retourna vers Ambre pour répondre à ses caresses. Elle se laissa faire, persuadée de récupérer son amant entre ses griffes, se promettant de tout faire pour maintenir cette union entre eux deux. Mais qui pouvait briser cette union ?

Ils ne dormirent pas de la nuit. Nicolas n'avait jamais montré tant d'amour, de fougue et de passion, à tel point qu'Ambre s'en étonna. Il lui murmura, plusieurs fois à l'oreille, combien il l'aimait, combien il voulait rester toujours avec elle. Mais quand l'aube parut, il se leva, saisit sa chemise pour partir au bureau et jeta un dernier regard à Ambre :

- Tu m'aimes trop pour me trahir ? Mais ce n'est pas mon cas. J'ai décidé de me fiancer, Ambre, et le beau-père n'aime pas trop savoir que j'ai une maîtresse. Tu peux récupérer tes affaires et t'en aller.

Il voulut s'échapper rapidement de la chambre, pour éviter sa réaction, mais elle se jeta sur lui comme une furie et lui dit :

- J'aurais dû m'en douter. Trop de gentillesses cette nuit ne te ressemblait pas et tu as voulu jouer le fourbe. Je pensais être sans scrupule, mais toi, tu nous bats tous, Nicolas. Tu savais cette nuit en murmurant que tu m'aimais que tu allais en épouser une autre et me rejeter à la rue. Tu savais que ces draps, cette chambre, cette maison allaient appartenir à quelqu'un d'autre... Tu n'es qu'un s...

- Ambre !

Il réussit à se dégager de son étreinte et commença à descendre les escaliers. Mais elle continua :

- Tu sais que je ne me laisserais pas faire. Et si je ne suis pas avec toi, j'irais avec mon père. Tu sais ce que cela signifie. Tu m'as laissé approcher de trop près tes secrets et j'en sais trop sur ton compte, Nicolas.

Il le savait, mais c'était un pari qu'il faisait et il comptait bien le gagner, ce pari. Il saisit sa veste, sa canne.

- Tu as dit que tu m'aimais, Nicolas.

Elle en avait les larmes aux yeux, se maudissant de réagir aussi bêtement. Mais cet abandon était plus difficile qu'elle ne l'aurait cru.

- Et tu as menti.

Il s'arrêta, la porte entrouverte, et lui dit, la gorge nouée :

- Jamais je ne t'ai menti, Ambre.

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