Chapitre 11 (partie 2)

Il commençait à bien connaître le palais de l'Elysée, s'y rendant régulièrement pour discuter avec tel ou tel ministre, l'un des secrétaires de l'Empereur, ou plus occasionnellement Napoléon III lui-même. Mais il était rarement convoqué de façon aussi extraordinaire et cela ne pouvait dire qu'une chose : on était en colère ou on était content. Sans avoir rien de particulier à se reprocher, le jeune homme savait que plus de trois ans venaient de passer sans que la mission qui lui avait été confiée ait avancée. Et les récentes paroles que venait de lui siffler Ambre n'avaient fait qu'accroître son inquiétude. 

Il eut le désagrément d'attendre longuement dans l'antichambre que l'Empereur daigne le recevoir. Les yeux fixés sur l'horloge, bel ouvrage jurassien, il pestait contre ce temps perdu qu'il aurait pu mieux employer dans l'une de ses usines. Mais cela confirmait la mauvaise humeur de Napoléon à son égard. 

- Monsieur le baron, vous pouvez entrer, lui dit-on. 

Il ôta son chapeau, s'étonna de ce que ses doigts tremblassent autant et poussa la porte du bureau impérial. 

- Monsieur d'Elby, le salua le chef de l'Etat en le voyant entrer. Je ne vous demande pas de vous asseoir : je n'en ai pas pour longtemps. Je voulais simplement vous signifier que je suis déçu du peu d'informations que vous m'ayez apporté malgré tout le soutien que je vous ai apporté. Auriez-vous une explication ? 

- Sire, commença Nicolas mal à l'aise. J'ai envoyé mes informateurs sillonner toute la France, sans trouver ne serait-ce qu'un indice de la présence de monsieur Bergelet. Son nom a disparu du milieu des affaires industrielles ou commerciales. Vous comprenez qu'il m'était difficile...

- Pourtant, j'ai cru comprendre que vous connaissiez intimement sa fille, Ambre.

Le jeune homme rougit et inspira un grand coup pour se donner du courage avant de reprendre : 

- Oui. Je l'ai fait surveillée. Je l'ai interrogée. Elle n'a rien dit, jusqu'à aujourd'hui... Je tiens peut-être une piste, sire. Mais il est trop tôt encore pour vous en parler. 

- Moi aussi, je tiens une piste. Monsieur Bergelet a décidé de s'attaquer à moi, maintenant. Il semble que vos pitreries inutiles ne lui suffisent plus, monsieur le baron. Alors, je veux, entendez-bien, que vous m'ôtiez cette épine dans le pied au plus vite, où ma patience pour vous touchera à sa fin. 

Il lui tendit une lettre émanant de monsieur Bergelet, sans adresse de retour, ni quoi que ce soit qui aurait pu permettre d'identifier sa provenance. Nicolas la parcourut d'une traite et comprit et la colère de l'Empereur et les paroles qu'Ambre lui avait adressé ce matin. Le Loup Blanc menaçait de vendre l'intégralité de ses parts à des industriels étrangers. En d'autres termes, le réseau ferré français était à deux doigts de basculer sous domination prussienne et anglaise. Il précisait que son intention était toujours de servir l'Empire français, mais que la situation à laquelle on l'avait acculée le contraignait à utiliser de telles méthodes. Il demandait un retour en grâce à Paris. 

- Je ne peux pas faire revenir quelqu'un qui a tenté de m'assassiner et qui m'a volé. Pourtant, à cause de votre incapacité, je vais être contraint de le faire. Je n'ai pas besoin de moyens de pression pour vous décidez à agir, monsieur le baron. Il vous suffit de savoir que votre pire ennemi est sur le point de revenir et de retrouver son pouvoir sur Paris. Alors dépêchez-vous de lui ôter sa fortune. 

Nicolas s'inclina. Déjà, les prémisses d'un plan se dessinaient dans sa tête et il ne pouvait que se féliciter de ce pion que venait d'avancer le Loup Blanc, qui lui prenait une tête, mais qui servait finalement son jeu. Il allait sortir quand l'Empereur ajouta dans un sourire moqueur : 

- Au fait, monsieur le baron, quand bien même son nom nous fait horreur à tous, je tiens à vous féliciter pour votre dernière conquête. Elle est d'une exquise beauté qui rend jaloux même les plus honnêtes bourgeois de Paris. 

Le jeune homme esquissa un sourire et acquiesça silencieusement en dissimulant le bref accès de colère qui venait de le prendre. Oh, oui... Ambre était belle. Mais pour rien au monde il ne laisserait un autre homme poser ses yeux sur elle, quand bien même cet autre homme serait l'Empereur en personne. 

En quittant le palais, il eut la mauvaise surprise de tomber sur l'inspecteur Bruno, qui l'attendait devant les grilles. Il lui fit signe de le suivre, prenant le chemin de son hôtel particulier, pressé de rentrer. 

- Qu'est-ce que vous voulez ? Vous ne m'avez servi à rien : je vous ai demandé de retrouver les traces de l'organisation du Loup Blanc et vous ne m'avez jamais rien apporté. 

- Je commence à croire que cette organisation n'existe que dans votre tête, que ce soit de la paranoïa ou du mensonge. Nous n'en avions jamais entendu parler et je n'ai pu trouver une seule trace de ce que vous m'avez avancé. Vous m'avez demandé de ne pas enquêter sur les réseaux de contrebande d'opium : il est vrai qu'ils se sont développés après la disgrâce de monsieur Bergelet, mais je persiste à penser que notre homme a réorienté ses activités illicites dans ce domaine. A moins que vous ne sachiez quelque chose à ce sujet... 

- Les bordels ! Vous n'avez jamais regardé les bordels ! 

- C'est tout à fait autorisé.

- Justement, c'est pour cela que je n'y ai pas pensé auparavant... Cherchez si vous n'y voyez pas quelques irrégularités, comme du blanchiment d'argent, du trafic de femmes (j'y ai déjà croisé quelques étrangères)... Regardez du côté des bordels. 

- Bien. Mais si cette piste s'avère aussi vaine que les autres, je suivrais mon intention première et commencerais à chercher qui est derrière le trafic de drogue. 

Il hésita un instant, avant de reprendre : 

- Et j'ose espérer ne pas vous y rencontrer, monsieur le baron d'Elby. Bien trop de mystères entoure vos affaires et votre récent séjour en prison, comme votre implication dans la tentative d'attentat d'Orsini, ne joue pas en votre faveur. Prenez garde à ne pas retomber de votre piédestal. 

- N'ayez crainte, sourit Nicolas. Je n'ai rien à me reprocher. 

Rien. Mais il savait qu'il lui fallait arrêter de faire comme si la loi ne s'appliquait pas pour lui. 

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