Chapitre 10 (partie 1)

- Le Loup Blanc est à toi.

Nicolas sourit.

- Les dieux sont avec moi, Léonard.

Il sortit le véritable aulos de son bureau qu'il montra à son ami. Et sans rien dire, il le porta à ses lèvres pour siffler. C'était une mélodie sans note, qu'il jouait sans en avoir l'air, qui se posait tout autour comme si elle enfermait dans une bulle les deux hommes et recréait un monde parallèle. Léonard fixait du regard Nicolas, charmé. La musique se glissait à travers les pores de sa peau pour les animer de légers frissons et enlever son cœur au Paradis. Le sentiment d'euphorie ne tarda pas à le manger, jusqu'à tout lui faire oublier, famille, amis, Paris, France, Empire... Il sortait de lui-même, non pas comme l'âme se disloque du corps, mais comme le corps enlève l'âme dans un Eden idyllique. Il souriait, charmé. Nicolas fermait les yeux, et jouait rêveur. La mélodie pour un temps les dominait tous les deux. 

Des colombes s'approchèrent. Les pigeons, les crapauds et les rats restaient loin comme s'ils avaient compris que la musique ne s'adressait qu'aux êtres purs. Le Soleil glissa un regard en perçant la couche de nuage de l'un de ses rayons. Les fenêtres s'ouvrirent pour écouter béat le joueur d'aulos. Et Nicolas s'arrêta.

- Continue, dit Léonard. 

Le jeune homme n'en fit rien, mais fixa du regard la petite flute qu'il tenait à la main, dans un sourire mystérieux. Il voyait le pouvoir de cet instrument et cela le fascinait, une fascination qui dépassait de loin les craintes qu'il aurait dû avoir face à un tel objet. 

- Marsyas, murmura-t-il rêveur. 

Combien d'objets mythiques comme celui-ci s'étaient-ils perdus dans Paris ? L'euphorie retombait doucement en laissant sa marque amère dans le cœur des deux hommes. Ils ressentaient l'addiction se glisser sournoisement dans leurs membres et leur ôter volonté et contrôle de soi. Il fallait qu'eux aussi partent en quête des objets mythiques, pour éprouver de nouveau ce sentiment d'extase indescriptible qui les rendait puissants et enivrés. 

Ah ! Si le Loup Blanc dépensait tous ces efforts pour récupérer ne serait-ce qu'un seul de ces objets, si le Loup Blanc poursuivait avec tant de hargne le dessein de tuer Nicolas, sans doute obstacle à l'un de ces objets, comme ils le comprenaient aujourd'hui ! N'auraient-ils pas fait de même ? Auraient-ils pu rester insensibles à l'attrait mystérieux que la simple idée de ces objets exerçait sur eux ? 

- Joue encore, suppliait Léonard, d'une voix si désespérée que Nicolas saisit mécaniquement l'aulos pour le porter à ses lèvres.

Dans l'instant, ils replongèrent dans les affres bienheureuses des passions mélodiques. Mais ce sentiment qui les avait enlevés avait une brutalité nouvelle, comme une tempête qui les arrachait au triste monde parisien pour les envoyer loin dans les nuées. L'euphorie se faisait plus féroce, jusqu'à griffer leurs cœurs pour en arracher tous les malheurs, assouvissant des désirs secrets et enfouis, révélant un bonheur dangereux.

- Joue encore, répéta Léonard. 

Nicolas continuait de souffler, sans même s'en rendre compte, oubliant l'heure et le lieu. Son visage devenait rouge, prêt à éclater, ses doigts s'engourdissaient autour de la flute, son âme se desséchait pour s'enivrer ailleurs. 

- Encore. 

La passion féroce et l'impression de délice qui l'habitaient s'ajoutaient au souvenir, à ce sourire, à ces yeux, à cet ensorcellement qui l'avait déjà réduit à néant, Ambre, Ambre et Ambre encore. Mais Nicolas avait été toujours été maître de lui-même et il voyait maintenant l'aulos comme outil de pouvoir pour ravir le cœur de celle qui le hantait, pour mettre à ses pieds le monstre qui terrifiait la plèbe parisienne, pour ravir un à un tous ces objets mythiques oubliés par le passé.

- Je vais avoir besoin de ton aide, Léonard, finit-il par dire, essoufflé. Il faut que tu découvres s'il existe d'autres objets comme celui-ci, si le Loup Blanc a un rapport avec ces objets, si je suis lié, moi, à l'un de ces objets. 

- Nicolas, tu pourrais devenir roi, tu pourrais devenir Empereur avec un tel objet. Tu pourrais récupérer toutes les richesses du monde et finir riche, très riche. 

- Je sais, sourit-il. C'est pour cela que je suis dangereux et qu'il faut qu'on ignore que je possède cet objet. Il faut que tu te taises. 

Il se leva de sa chaise, ferma les fenêtres en jetant un regard inquiet aux quelques têtes qui s'étaient penchées, captivées, pour écouter, et se tourna vers son bureau. Léonard sortit, silencieux et rêveur. 

Alors, Nicolas se baissa sous son bureau, passa son doigts sur le bois de chêne, cherchant une aspérité un peu plus marquée que les autres, et appuya sur une petite bosse formée par un nœud du bois. Un petit tiroir apparut dans lequel il glissa la flute. La cache n'était peut-être pas suffisamment discrète pour un objet d'une telle valeur, mais il lui fallait revenir dans son château en province pour trouver mieux.

Il avait retrouvé son petit hôtel particulier parisien, pariant sur la position délicate dans laquelle se trouvait son ennemi juré et sur la confiance qu'il semblait avoir de l'Empereur. Mais il lui fallait renforcer cette confiance et déstabiliser plus encore le Loup Blanc. Il s'assit à son bureau, sortit du papier blanc et un stylo plume, nouvelle trouvaille technologique, pour rédiger une lettre à l'intention de l'Empereur.

"J'ose espérer que mes actions de tantôt vous ont montré que jamais je n'ai cherché à vous nuire, mais bien plutôt à vous aider contre un ennemi que vous ne soupçonniez même pas : Monsieur Bergelet. Vous ignoriez sans doute l'organisation complexe qu'il a créé au sein même de la plèbe pour assouvir son désir de richesses. J'ai de sérieux témoins qui pourront vous prouvez ce que j'affirme : il est à la tête d'une puissante organisation criminelle. Laissez-moi le temps de rassembler mes preuves et je vous fournirais sa tête sur un plateau d'argent, nettoyant du même coup les rues parisiennes. Peut-être vous inquiétez-vous de sa fortune et de ce que la chute de son empire économique entrainerait pour Paris, mais je suis moi-même en train de grignoter cet empire et bientôt il ne restera plus qu'un nom à faire tomber.

Mais je crois que vous savez mieux que moi ses ambitions dans ce domaine mystérieux des artéfacts antiques. Or, vous savez combien l'aulos en des mains ennemies peut se révéler extrêmement dangereux. Je vous propose mon aide pour retrouver cette flute et lui ôter les autres objets qu'ils pourraient avoir en sa possession (je ne crois pas, et sans doute ne le croyez-vous pas non plus, que cet objet soit orphelin). Je suis moi-même ignorant de bien des choses concernant ces artéfacts. Mais j'en sais trop pour ne pas chercher à aller plus loin. Ayant déjà commencé cette enquête contre monsieur Bergelet, je vous propose de la poursuivre en votre nom, avec votre soutien, sous votre supervision. Je me range ainsi à votre service, en espérant que vous accepterez mon offre et que vous m'apporterez les renseignements qui me manquent quant à ces artéfacts et la protection dont j'aurais bien besoin face à un tel ennemi.

Vous assurant toujours de mon dévouement, je vous prie d'agréez, sire, l'expression de mon respect le plus sincère, 

Monsieur le baron Nicolas d'Elby."

Peut-être cette lettre suffirait-elle à convaincre l'Empereur de le laisser chercher les mythiques objets antiques, en toute légalité.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top