Epilogue
Vingt-huit juin trois mille six cent cinquante cinq, un jour marqué par le soleil et la félicité. Seulement quelques jours après le solstice d'été, et deux mois et demi après la fin officielle de la guerre des clichés, l'exécution de leur chef, Kikoolol. Un jour qui s'inscrivait, pour Lina, dans la continuité de deux mois de paix.
Son corps récupérait doucement. Elle avait dit adieu à la chaise roulante il y a quelques jours, bien que ses muscles soient encore affaiblis, la contraignant à faire des exercices réguliers. Et avec son corps récupérait doucement son esprit. Elle faisait son deuil, tout doucement, entourée des gens qu'elle aimait, des amis qu'elle avait laissé derrière elle il y a longtemps, et des nouveaux qu'elle s'était fait au cours de cette aventure. Elle récupérait loin des intrigues de cour, des soucis de l'armée et des bêtises de Vocabulaire, dans un petit coin de paradis qu'elle ne craignait plus de détruire, désormais.
Vocabulaire... En y repensant, elle ne savait toujours pas ce qu'il lui prenait. Certes, l'adolescent était probablement perturbé par la mort de son père, sa mère, ses frères et sœurs, et son accession au trône absolument pas prévue. Mais quand même... La petite mise en scène le jour de l'exécution avait marché, mais ça n'avait pas empêché Vocabulaire de mettre à pied une bonne partie de sa propre armée grammaticale, la réduisant à cinq mille hommes sous le commandement exclusif de Lina. Qui, étant toujours en convalescence, n'avait eu pas d'autre choix que de se reposer sur le seul des colonels qui n'avait pas pris sa retraite pour en assurer la supervision. Et même alors... Partout on parlait du pouvoir accru de la Flamme, bien plus puissante qu'au temps d'Intrigue, de l'Assemblée du Clergé qui prenait de plus en plus de décisions seule, du Créateur qui grondait, tout ça en l'espace d'un mois. C'était bien pire que les tentatives maladroites d'un héritier imprévu pour rétablir la paix. Il y avait autre chose de plus pernicieux derrière, et Lina aurait bien aimé s'y plonger d'un peu plus près si seulement elle n'avait pas été si faible...
Elle ne pouvait que se contenter de récupérer, et d'attendre son heure. Qui viendrait sûrement. La tranquillité était une chimère dans la vie de Lina Blackheart.
Quelqu'un lui tapa sur l'épaule, et elle se retourna avec un sourire pour voir Baku derrière elle, qui l'avait suivie dans le jardin. Il tenait dans les mains un énorme panier de nourriture et un tas de ses livres favoris, prêt à s'installer pour toute l'après-midi sous les arbres, comme ils avaient coutume de le faire autrefois, comme elle y avait pris de plus en plus goût au fur et à mesure que le temps passait.
Elle ignorait en quoi consistait les desseins d'Amour, ou même sa malédiction. Mais elle acceptait avec plaisir le moment de répit qu'elle lui offrait.
Sa main trouva celle de Baku sans même qu'elle ait à y penser, et ce dernier sourit, avant de s'asseoir à ses côtés sous l'arbre et de déposer son fardeau. La tête de son ami alla se caler sur son épaule, naturellement, lui arrachant un petit soupir apaisé alors que le bien-être envahissait son corps.
« – Bien installé ? »
Le concerné eut un petit rire, les yeux fixés sur leurs mains enlacées.
« – Jamais été mieux. »
Souriante, Lina avança la main pour lui pincer la joue. En signe d'amitié, comme auparavant. Mais aussi de quelque chose de bien plus profond, qui s'était bâti dans le courant des deux mois qu'elle avait passé à guérir, se reconstruire, avec Baku constamment derrière elle, jouant sans jamais se plaindre le rôle de soutien pour la nouvelle base de son être. Elle avait tissé avec son ami un lien bien plus fort qu'auparavant, le genre de lien sur lesquels les meilleurs amis comme Cyno ou Asura pouvaient trouver prétexte à taquineries infondées. Ou peut-être l'étaient-elles bel et bien.
« – C'est ton anniversaire, demain, non ? »
Baku acquiesça doucement, la tête toujours sur l'épaule de Lina. Il allait avoir dix-neuf ans. La majorité à Wattpadia était à vingt, mais après tout ce qu'ils avaient traversé, la chute d'Optrik, la prison, Jean-Kévin, Lina ne l'envisageait plus du tout comme un adolescent. Jean-Kévin... Une pointe de regret lui serra le cœur. Mais pas longtemps. Elle n'avait après tout, jamais réellement prévu de l'aimer. Même en oubliant leur passé commun, la guerre, les clichés, Mairù, les morts, elle aurait eu du mal à se contraindre à ce qu'Amour lui avait imposé.
Elle avait reçu le don de l'Amour, autant bénédiction que malédiction. Elle l'avait enduré avec Jean-Kévin, et aujourd'hui elle voulait l'apprécier avec l'homme qui se tenait à ses côtés, son livre préféré sur les genoux et un bol rempli de friandises entre eux deux. Elle sourit. Un sourire heureux, vide de toute ironie ou désespoir.
« – J'avais prévu de te faire un cadeau ce jour-là, mais je dois dire que je n'ai plus vraiment envie d'attendre, alors... »
Baku redressa la tête, les yeux bleu pâle empreints d'une curiosité toute adolescente. Elle prit un instant le temps de le détailler, d'observer la façon dont ses cheveux blancs lui tombaient sur le front, effleurant du bout des doigts le piquant de sa barbe de trois jours. Laissant son regard dériver sur la courbure arrondie de sa mâchoire, les fossettes que creusaient son sourire dans ses joues, avant de ce planter dans celui, dans l'expectative, du soigneur. De son soigneur, pensa-t'elle avec un petit sourire, avant de se pencher.
Le contact de ses lèvres sur son front prit Baku totalement au dépourvu, et Lina put sentir sa peau chauffer sous ses doigts. Mais tout ça n'était rien à côté des mots qu'elle murmura à son oreille quelques secondes plus tard, trois petits mots, trois syllabes dont elle avait appris à en peser tout le poids, à en mesurer tout le sens. Trois mots qui allaient changer leur vies à tous les deux, et pour le mieux.
« – Je t'aime. »
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