Chapitre 9, partie 3

L'atmosphère avait changé lorsque l'esprit de la métamorphe cessa d'être embrumé par l'emprise de son ennemi. Loin des couloirs riches en décorations, l'endroit dans lequel elle se trouvait était sombre, sordide, et sentait la mort et l'hémoglobine. Des pleurs lui parvinrent de l'extérieur, sans qu'elle arrive à en discerner la source, et tandis qe sa vision s'habituait progressivement au noir, elle put discerner les barreaux qui se trouvaient devant elle, de même que les cordes lui attachant les chevilles et les poignets aux pieds et aux accoudoirs d'une chaise de bois rêche. Plus loin, dans la même cellule cependant, il y avait Azul, dans la même position qu'elle toujours inconscient à en croire ses yeux vides, fixés au loin sur un point qu'elle ne pouvait pas voir. Son armure avait été détachée, ne laissant de l'uniforme du soldat cliché que la tunique de toile grise et le pantalon rouge, tous deux recouverts de poussière. Et, tournant autour des chaises, sa langue passant dans un geste répugnant sur un scalpel marqué par une sorte de rouille brune que trop reconnaissable et dégageant une odeur caractéristique, leur geôlier, qui avait troqué ses vêtements nobles pour un habit de bourreau, les yeux brillant de convoitise fixés sur le corps de la jeune femme.

Cette dernière savait très bien qu'elle ne devait surtout pas se débattre, surtout pas attirer l'attention sur elle. Cependant, combiner les effluves malsains du cliché avec sa position de faiblesse et une bonne dose de colère accumulée lors du petit discours provocateur de son ennemi ne l'aidait bien évidemment pas à garder le peu de self-control qu'il lui restait. Un rapide coup d'œil lui apprit, de plus, qu'elle était dans la même position qu'Azul. Jambes écartées, pieds et poings liés, et les plaques protectrices de son armure retirées, probablement entassées à l'état de ferraille dans un coin. Complètement offerte à son ennemi.

Elle se mit à jurer, jurer à s'en écorcher la voix, tirant de toutes ses forces sur ses liens, cherchant, sans succès, à faire apparaître son katana ou utiliser sa magie. Ce qui fit encore plus sourire le reptilien, la regardant avec amusement s'épancher sur lui dans toutes les langues qu'elle connaissait tandis qu'il se rapprochait de sa chaise en sifflant. Finalement, il posa une main sur sa joue et roula des yeux, lui imposant de nouveau cette insupportable paralysie. Les hurlements laissèrent place à un immense silence, les autres prisonniers s'étant arrêtés de pleurer à l'entente des cris. Sans soute espéraient-ils se documenter, songea Lina avec une profonde amertume. Les jurons de cette qualité, cela ne devait pas se trouver tous les jours dans ces fichus cachots.

« – Cesse donc de crier, tu me donnes mal à la tête. Le patron te veut vivante, mais ce n'est pas pour ça que je compte te laisser indemne, alors tu as intérêt à bien faire tout ce que je dis... »

L'emprise sur la gorge de Lina se relâcha et elle prit une profonde inspiration, tandis que l'autre attendait en remuant sa longue queue écailleuse comme un petit chien tout excité. Ce qui dégoûta la cardinale encore plus que son aura pestilentielle. Ce type transpirait la cruauté.

La jeune femme toussa et marmonna :

« – Qu'est ce que me veut ton patron, d'abord?

– Oh, ça, je n'en sais rien. Visiblement, il semble beaucoup t'apprécier... »

Crachant ses derniers mots, il se pencha vers elle en dardant ses yeux globuleux dans ceux, écarquillés, de Lina.

« Tu sais, mon patron, je ne l'aime pas beaucoup. Alors si j'ai une occasion de lui faire les pieds, je la saisis. Et l'occasion vient de se présenter sur un plateau... »

Le contact de la main écailleuse à travers le tissu du pantalon de toile de Lina la fit frémir de dégoût. Elle ne voulait pas savoir ce qu'elle entendait pas là, elle ne voulait pas savoir pourquoi Kikoolol souhaitait la récupérer, elle ne voulait pas savoir. Tout ce qui l'intéressait à cet instant précis, c'était que le reptilien ôte sa patte.

Bien entendu, constatant sa répugnance, la créature se fit un plaisir d'accentuer la pression, et même de remonter sa main dans une caresse qui se voulait sensuelle mais qui ne parvenait à faire émettre à Lina que des jurons emplis de hargne. Alors qu'elle rassemblait dans sa bouche de quoi lui cracher au visage, il finit par retirer sa main, et faire quelques pas en arrière en soupirant.

« Ce serait dommage de se gâcher le plaisir, n'est-ce pas, Cardinale? Du coup je vais être magnanime. Je vais te poser une question, et tu as intérêt à y répondre si tu veux rester indemne, ou si tu veux éviter à l'Empereur des Mers ici présent de connaître une fin atroce. Alors, ma jolie. Raconte moi. Quels sont les prochains lieux que ta pute de générale tentera de prendre pour cible? »

Un grognement fut sa seule réponse. Déjà, parce qu'elle ne savait pas. Les cibles potentielles étaient trop nombreuses, et Sky ne lui révélait jamais quelle était sa stratégie avant l'heure, ou la veille si elle avait de la chance. Ensuite, parce qu'elle refusait de larguer le moindre renseignement de son plein gré à cet espèce d'animal répugnant. Ce dernier, constatant sa résolution, écarta les mâchoires.

« Comme vous voudrez, ma Cardinale. Je vais chercher de quoi m'occuper du marin d'eau douce. Oh, et, inutile de bavarder. Il ne me sert à rien, donc je l'ai laissé sous hypnose. À tout de suite... »

Et il sortit, sur un sifflement. Une fois ses pas lourds évanouis dans le couloir, Lina prit une profonde inspiration, satisfaite de ne plus sentir dans ses narines que de simples odeurs de villageois. Pas un cliché aux alentours. Et puis, une senteur caractéristique lui chatouilla les sinus, et elle poussa, sans s'en rendre compte, un cri de joie. Suzu! Elle avait retrouvé Suzu!

Azul frémit, mais ses yeux restèrent vides. La métamorphe soupira. C'était bien beau d'avoir déniché Suzu, mais si ils étaient en telle position de faiblesse, ça n'allait pas le faire. Et le reptilien l'inquiétait franchement, et c'était un euphémisme. Il était hors de question qu'elle ne sente de nouveau ses mains sur sa peau, à travers le vêtement trop fin pour protéger de quoi que ce soit.

Dans un coin de la cellule, il y avait son paquetage, contenant ses vêtements, ceux de Seiji et ceux d'Azul, et peut-être une arme ou deux. Mais, dans sa portée immédiate, il n'y avait rien qui pourrait l'aider. Elle n'avait plus son épée, ne pouvait pas invoquer son arme attitrée, et rien de ce qu'elle avait dans ses poches ne pourrait l'aider à se dégager. À moins que...

Un petit couinement dans son oreille la fit sourire, un sourire teinté d'une touche de malsain. C'était des cordes, non? Des cordes tissées avec un matériau anti-magie qui n'avait rien en commun avec de l'ithridium, celui dont les voyageurs se servaient habituellement, mais des cordes quand même. Et, sur son épaule, il y avait encore un atout dans sa manche, une personne qui avait su résister à l'hypnose pour la simple et bonne raison qu'on ne l'avait même pas détectée. Seiji pourrait sûrement la tirer de là.

Elle inclina la tête avec empressement, cherchant à faire comprendre à la souris qu'il fallait qu'elle se dépêche, que ses liens devaient être rompus avant que l'autre ne revienne. Ce dernier sembla capter le message, puisqu'il sauta à bas de l'épaule de Lina et se retransforma derrière elle, adoptant visiblement une apparence humaine qu'elle ne pouvait pas discerner. Sans émettre aucun autre bruit qu'un crissement imperceptible, il allongea une griffe au bout de son doigt, et lima prestement les cordes qui retenaient la jeune femme.

Les cordages maudits finirent par tomber au sol, alors que la métamorphe sautait de sa chaise en se massant les poignets, ravie de retrouver sa totale liberté de mouvement. Sans perdre la moindre minute, alors que Seiji reprenait une forme plus discrète avec un soupir de soulagement, elle fonça vers son ami encore attaché, savourant la joie d'avoir son katana dans les mains, et se mit, à son tout, à limer les cordes qui le retenaient.

Il ne lui restait plus que celles au niveau des jambes lorsque de bruits de pas précipités se firent entendre juste derrière elle et elle se sentit projetée en l'air avec brusquerie, la tunique de son uniforme se déchirant entre les doigts griffus de son assaillant. Sonnée à la fois par un choc sur son crâne et la putride odeur de clichés qui s'était remise à empester la pièce, elle eut une seconde de retard sur son temps de réaction. Une seconde qui manqua de lui être fatale : Son katana lui roula hors des mains, éjecté par un coup de pied rageur, et un poids atterrit sur son ventre tandis que des mains tâchaient d'achever de déchirer son haut.

« Sale petite garce, siffla Sretaz, en proie à une colère noire. Comment tu as fait pour te libérer ? »

Lina n'allait bien évidemment pas dénoncer Seiji, qui, elle le savait, s'était mis à ronger les dernières cordes qui retenaient Azul sous forme de souris. Elle pouvait entendre le petit bruit de grignotement. Mais son ouïe n'était pas la plus exceptionnelle parmi son espèce, et elle se doutait très bien que si elle pouvait entendre, le reptile le pouvait aussi.

Rassemblant toute sa conscience le plus vite qu'elle pouvait, elle se prépara à se métamorphoser. Seulement elle n'eut même pas le temps de concentrer ses flux. Le chef siffla de colère et le poids sur son ventre se renforça, avant de disparaître totalement, accompagnée d'un grand cri de guerre émis par deux vois qu'elle reconnut avec surprise.

Qu'est ce que Corbeau et Erin faisaient ici, par tous les sangs de licorne?

Le temps que sa tête cesse totalement de tourner et que le choc sur son crâne s'atténue, la métamorphe releva la tête. Oui, il s'agissait bien de Corbeau et Erin, cette dernière achevant de détacher Azul et le premier en train de faire jaillir un torrent de glace sur le répugnant lézard d'un mouvement de ses doigts bagués. Encore sonnée, la métamorphe laissa son regard dériver sur ses deux amis et se fixer aux endroits les plus incongrus. Tiens, elle n'avait jamais remarqué cette marque, sur la main gauche de son premier compagnon. Une sorte de cicatrice magique. Comment il se l'était faite?

Elle se sentit se faire secouer doucement par les épaules et cligna des yeux pour voir le visage de Seiji, inquiet et habillé de pied en cap, la fixer avec de grands yeux. Obligeant son esprit à se détourner de ses taches de rousseur formant un motif étrange sur son museau, elle le fixa avec des yeux encore un peu embrumés, mais les idées à peu près claire, lui arrachant un soupir de soulagement.

À côté de lui, Corbeau et Erin la fixaient avec inquiétude, et l'elfe eut même l'obligeance de lui tendre son T-shirt noir, celui qu'elle partait avant l'infiltration, pour cacher les muscles de son torse et le peu de poitrine qu'elle avait. La jeune femme tendit la main et referma son poing sur le vêtement, l'air de se demander si elle était encore sous l'emprise de l'hypnose. C'est vrai quoi, quelle autre raison y aurait-il eu pour que ses deux compagnons la regardent avec rien de plus qu'une inquiétude sincère?

Elle détourna le regard, honteuse. Le cliché démembré lui revint de nouveau en tête, provoquant en elle une vague d'agacement contre elle-même. Habituellement, ce genre d'acte ne la marquait pas à tel point, alors pourquoi cette fois cette saloperie d'homophobe refusait de sortir de son esprit ? Qu'est ce qui avait changé chez elle pour que cette mort la hante à ce point?

Le temps qu'elle remette son T-shirt, Erin lui attrapa l'épaule, affichant sur ses traits fins un air assez calme qui ne lui ressemblait pas. Qu'est ce qu'elle lui voulait? L'insulter? Oui, c'était sûrement ça, marmonna Lina pour elle-même. Après tout elle avait tout fait pour les éviter depuis ce qu'il s'était passé; Ils n'attendaient peut-être que ce moment pour l'agoniser d'injures. Et puis ce n'est pas comme si elle s'en préoccupait, de toute façon. Elle avait largement eu son compte, sur Terre, dans l'horrible établissement dans lequel ils l'avaient enfermée. Une prison d'état, paraissait-il. Pfff. Plutôt une prison de l'enfer.

« – Puisque je t'ai sous la main, soupira Erin en arrachant la métamorphe à ses réflexions, tu vas m'expliquer pourquoi est-ce que tu nous as évités durant ces deux dernières semaines. »

La jeune femme écarquilla les yeux. Pas d'insultes? Elle avait vraiment rêvé ou quoi?

« – Parce que vous aviez sincèrement envie de me voir?

– Bah, évidemment, fit Erin. Tu nous évites, on veut savoir pourquoi. »

Non, ce n'était pas possible, là c'était vraiment un rêve. Des gens, des gens normaux sans sang inutile sur les mains, ne pouvaient pas réagir comme ça appris l'avoir vue tuer avec une sauvagerie comme la sienne. Les seuls qui l'avaient acceptée après avoir pris connaissance de cette part d'elle étaient eux-même des tueurs. Seuls les tueurs la comprenaient.

Elle soupira. La réalité allait sûrement lui dire un gentil petit bonjour dans quelques secondes.

« – C'est plutôt bizarres. Vos regards la dernière fois qu'on s'est battus me disaient le contraire.

– Mais de quoi tu parles? »

Lina n'en revenait pas. Les airs étonnés de Corbeau et d'Erin semblaient tellement sincères... Jusqu'à ce que cette dernière se frappe le front avec force, grognant sous l'impact.

« Ah mais oui, le cliché... Voyons Lina, ce n'est rien ça. »

Rien? Rien? Comment ça rien? Un déchiquetage de cliché, c'était pas franchement rien, d'après leurs regards.

« – Nous sommes en guerre, Lina, soupira Corbeau. On est habitués, l'un comme l'autre, à pire. Et pour te dire la vérité, même sans aller aussi loin que toi moi aussi j'avais envie de faire ravaler à cette espèce de brutasse ses propos bien dégueux.

– Et comment! Renchérit Erin. On ose pas imaginer ce que c'était pour toi, qui en plus t'es pris son aura dans la gueule. Sky nous a expliqué que tu ressentais les clichés et que tu supportais pas ça. N'importe qui aurait craqué à ta place. »

Sky était décidément un ange tombé du ciel. Avec cette simple explication, elle avait réussi à faire comprendre à Corbeau et Erin que ce n'était pas uniquement de son propre fait qu'elle avait démembré la brute. Et cette explication leur avait sans aucun doute permis de lui pardonner, ou de la comprendre, de manière à laisser tout ça derrière eux. Lina sourit. Elle n'en espérait pas tant. Mais elle venait de retrouver ses camarades.

La bulle de confort qu'elle venait de se reconstituer vola soudainement en éclats alors qu'Azul rentrait dans la cellule, seul, le visage fermé et toujours en uniforme. Il semblait incroyablement agacé, au point que même Seiji perdit son sourire pour le regarder avec circonspection.

Sans laisser le temps à qui que ce soit de poser des questions, l'Empereur des Mers prit une profonde inspiration avant de lâcher, le ton dur et froid :

« – C'est Suzu. Elle s'est échappée. Seule. »

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